Ahmed Benchemsi ou la liberté d’expression à géométrie variable
En demandant à Mediapart de censurer à mots à peine couverts l’un de ses blogueurs, Ahmed Benchemsi, chantre de la liberté d’expression au Maroc, confirme que l’accusation médiatique publique n’appartient qu’à lui et à ceux qui partagent ses idées. Curieux état d’esprit…
Il était une fois une fois un journaliste engagé, Ahmed Réda Benchemsi, bien connu du public marocain pour ses prises de position très critiques vis-à-vis de la royauté et des dirigeants élus par ces mêmes Marocains. Fondateur de plusieurs médias (TelQuel, Nichane et Free Arabs), Ahmed Benchemsi fait désormais la une de l’actualité judiciaire parisienne après sa convocation par un juge parisien pour diffamation. Les événements auraient pu rester confinés dans les couloirs d’une chambre d’instruction parisienne mais un Tweet bien curieux met en lumière le double discours du « chantre de la liberté d’expression » au Maroc.
Ahmed Réda Benchemsi aime le rappeler en public, le Maroc serait selon lui une « dictature subtile » - ce qui justifierait son combat contre le régime. Ses armes : un ordinateur et des mots.
Mais la langue doit être maniée avec précaution. Ainsi, la tribune d’Ahmed Benchemsi publiée dans Le Monde intitulée « La grande corruption règne en maître au Maroc » est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.
Ahmed Benchemsi a-t-il confondu investigation journalistique et accusation publique ? La justice française va devoir trancher. S’estimant diffamé, le Secrétaire particulier du roi du Maroc, M. Mounir El Majidi a porté l’affaire devant le tribunal de Paris, ce qui – confirmation de la gravité des faits - a d’ores et déjà valu une mise en examen au directeur de publication du quotidien Le Monde.
Certes, mise en examen ne vaut pas condamnation mais un élément illustre bien que le journaliste a perdu pied avec la réalité. Alors qu’un blogueur de Mediapart relatait cette affaire tout en soulevant des questions pertinentes sur les liens qui unissent Ahmed Benchemsi à Moulay Hicham, un membre de la famille royale marocaine lui aussi très critique de Mohammed VI, le journaliste a eu une réaction qui laisse pantois.
Le papier du blogueur n’est pas passé inaperçu puisque Ahmed Benchemsi s’est indigné qu’un tel avis ait été publié sur Mediapart. Dans un message adressé à Edwy Plenel, fondateur du site d’information, le journaliste marocain déclare : « j’ai un respect et une admiration absolus pour Mediapart, mais dites-moi que vous ne cautionnez pas ça » en parlant de l’article incriminé mis en lien à la suite de ce message.
Un Tweet tout simplement incroyable. Cautionner ? Et si Edwy Plenel ne cautionne pas, que devrait-il faire ? L’appel à la censure du libre penseur est évident. Outre le réflexe corporatiste – attaquer un journaliste, fut-ce pour des propos diffamatoires, ce serait donc attaquer la profession toute entière (la ficelle est grosse) c’est bien l’état d’esprit que reflète ce tweet qui est choquant. Ahmed Benchemsi ou la liberté d’expression à géométrie variable… Jamais un blogueur n’aurait eu ce réflexe... Combattre par les mots, oui, en appeler aux censeurs, non.
Un journaliste qui demande ainsi à mots à peine couverts le retrait d’un billet de blogueur c’est le signe d’une liberté d’expression attaquée par ceux-là mêmes qui sont censés défendre ce principe sacré. L’avis d’un journaliste est-il plus important que celui d’un blogueur ? Les millions de blogueurs sont-ils condamnés à ne pas émettre des doutes, des avis et des opinions contraires à ceux des journalistes ? Doit-on créer un délit d’opinion pour les seuls blogueurs ? Imagine-ton un Alae Bennani, un Najib Chaouki se permettant de demander la censure d’un article dans lequel il serait attaqué ?
« Je déteste vos idées mais je suis prêt à mourir pour votre droit de les exprimer », disait Voltaire. Dans les couloirs du Palais de Justice de Paris, Ahmed Benchemsi aura-t-il l’opportunité de relire les classiques du grand auteur français ?
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