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Affaire El Mangoush  : La véritable crise libyenne

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La rencontre entre le ministre israélien des affaires étrangères Eli Cohen et la ministre libyenne des affaires étrangères Najla El Mangoush dans la capitale italienne, Rome, s’est transformée en une crise politique interne à la Libye. Il existe un consensus tacite entre les parties prenantes pour traiter cette question en faisant d’El Mangoush un bouc émissaire pour ce qu’ils perçoivent comme une trahison. Le Premier ministre Abdul Hamid Dbeibah, du gouvernement libyen d’union nationale, a émis une directive visant à la suspendre temporairement de ses fonctions et à ouvrir une enquête. Il y a également des indications de son retrait imminent de son poste, et la situation semble avoir atteint un point tournant.

Plusieurs questions se posent à la suite de ces événements  : La crise est-elle due à la réunion elle-même, à sa publication dans les médias, ou peut-être à la fuite d’informations du côté israélien  ? El Mangoush a-t-elle décidé seule de normaliser les relations avec Israël, ou a-t-elle demandé l’accord préalable de son président, qui aurait alors décidé de la suspendre ou de la licencier  ?

Un fonctionnaire israélien a déclaré à Reuters que la réunion avait été organisée «  au plus haut niveau  » en Libye, et de nombreux observateurs, dont je fais partie, sont enclins à accepter ce récit en raison de sa logique inhérente et de son alignement sur les processus habituels dans les cercles politiques et diplomatiques. Ceci est particulièrement pertinent lorsqu’il s’agit de prendre des décisions importantes telles que la normalisation des relations.

S’il est juste de reconnaître que la divulgation de la réunion par la partie israélienne a pu déclencher la crise, l’escalade qui s’en est suivie et ses conséquences, y compris la recherche d’un refuge en Turquie par le ministre en question, placent carrément la responsabilité sur les épaules du Premier ministre du gouvernement libyen d’unité nationale. Au lieu d’assumer la responsabilité de sa position politique, il a agi d’une manière qui semble déconcertante dans une situation où l’étendue de la responsabilité est comprise par tous sans contestation.

Cet incident a mis en évidence l’absence désastreuse d’un État libyen unifié et la confusion des centres de décision, ainsi que les manœuvres et l’exploitation politiques qui accompagnent une telle lutte pour le pouvoir. Ce qui était à l’origine une réunion s’est transformé en une crise politique interne et en une occasion de critiquer le gouvernement intérimaire, soulignant ainsi la grave division interne de la Libye.

L’établissement de relations avec Israël ou tout autre pays devrait reposer sur des considérations fondées sur le bien-être des États et de leurs populations plutôt que d’être influencé par des conjectures, des messages sur les médias sociaux ou le football politique et idéologique qui entache le discours public dans le monde arabe.

Selon moi, Dbeibah a commis deux erreurs  : premièrement, il a acquiescé, même tacitement, à une décision dont il n’était pas prêt à assumer les répercussions politiques, se contentant de tout résultat favorable découlant de ses décisions, de ses politiques et de ses réunions. Deuxièmement, il a commis une autre erreur en prenant l’initiative de suspendre la ministre El Mangoush et en annonçant ensuite son licenciement alors qu’elle se trouvait au sein de la représentation palestinienne en Libye. Cela s’est fait sans fournir d’éclaircissements sur la façon dont sa ministre des affaires étrangères pouvait participer à une réunion de si haut niveau avec son homologue israélien - au su du ministre italien des affaires étrangères - sans en informer son propre premier ministre. La politique est communément reconnue comme l’art du possible, et le processus de normalisation des relations entre Israël et la Libye pourrait en effet nécessiter plus de temps. Cependant, il est indéniable que les méthodes, les outils et les slogans des années 1950 ne sont pas adaptés pour gouverner dans le présent et l’avenir. De nombreux changements ont remodelé le paysage des relations internationales et la dynamique des relations israélo-arabes. L’établissement de relations officielles entre Israël et de nombreux pays de la région est une réalité indéniable.

Chaque pays a ses propres considérations lorsqu’il s’agit de décider de normaliser ou non ses relations avec Israël.

Il a le droit légitime de définir sa position, son orientation politique et le calendrier de toute décision souveraine qu’il choisit de prendre. Ce qui reste sans équivoque dans ce contexte, c’est que la question palestinienne ne peut plus supporter la rhétorique et les slogans vides de sens, qu’ils viennent de son propre peuple ou de politiciens et d’experts arabes. Faire face à la réalité, procéder à des évaluations réalistes et adopter des positions pragmatiques est essentiel pour garantir la réalisation des intérêts de chaque pays. Simultanément, cela contribue à favoriser la sécurité et la stabilité au Moyen-Orient. C’est l’une des voies à suivre pour trouver des résolutions et des solutions à une cause juste qui a longtemps souffert aux mains d’opportunistes et de sensationnalistes qui l’ont exploitée à des fins personnelles, sans parvenir à des résultats positifs pour le peuple palestinien et sa cause légitime.

Dbeibah a opté pour la solution du réflexe, qui consiste à rejeter la responsabilité de la réunion sur son ministre des affaires étrangères. Il semble toutefois qu’il n’ait pas pris conscience du fait que cette ligne de conduite n’est pas susceptible de convaincre qui que ce soit, tant au niveau national qu’international. En tant qu’homme politique à la tête d’un gouvernement dans un pays en crise qui a désespérément besoin de dirigeants capables de trouver des solutions et d’assumer des responsabilités, il devrait assumer ce fardeau.

Depuis le début de la crise, les différents gouvernements et conseils disséminés à travers la Libye n’ont pas réussi à unifier leur position. Au lieu de cela, ils se sont empressés de rejeter la rencontre entre El Mangoush et son homologue israélien, la qualifiant de trahison et de violation des principes de la Libye.

De leur point de vue, cette évaluation peut être vraie, et elle n’est pas discutable. Cependant, la recherche d’un consensus pour la sécurité et la stabilité du peuple libyen n’est-elle pas bien plus cruciale que l’obtention d’une unanimité dans le rejet d’une réunion diplomatique qui pourrait potentiellement être gérée par divers autres canaux politiques  ? L’accent ne devrait-il pas être mis sur la fin des dissensions et des conflits internes entre la Chambre des représentants, les conseils présidentiels et les diverses entités partisanes et tribales, plutôt que sur la question de la normalisation des relations avec Israël  ?

La préoccupation majeure devrait être l’unification de la Libye, tant dans les régions orientales qu’occidentales, et la restauration de la souveraineté de l’État sous un seul drapeau et une seule bannière. Cet objectif, qui vise à écarter le spectre menaçant de la division et de la désintégration, mérite davantage d’attention et de ferveur nationales qu’une réunion diplomatique, même si elle implique un ministre israélien perçu comme un adversaire par une partie de la population libyenne. En fin de compte, personne ne devrait briguer ou rejeter ces efforts au détriment de la Libye et de son peuple. Le fait que Dbeibah ait permis à son ministre des Affaires étrangères de fuir en Turquie est une preuve irréfutable qu’il a été guidé dans sa décision par son intérêt personnel et rien d’autre.

S’il pensait réellement que la ministre El Mangoush avait agi de manière indépendante, il aurait pu la relever de ses fonctions de manière calme et professionnelle sans avoir recours à l’agitation et à la manière indigne dont la situation a été gérée.


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