Taïké Eilée

Si vous réduisez le message de Jésus à l’amour du prochain, ce qui est assez arbitraire, car il dit beaucoup d’autres choses, c’est en effet un idéal qui séduit la plupart des hommes (même si la mise en pratique s’avère infiniment plus difficile ; l’amour du prochain n’a aucun intérêt s’il n’est que prôné : son seul intérêt est d’être vécu, appliqué...). Je crois que c’est saint Augustin qui a écrit : « Aime et fais ce que tu veux ». Que rajouter à cela ?

Vous remarquerez que mes propos ne sont en rien agressifs, pas plus que ceux de Prosper Alfaric. Onfray, quant à lui, est très virulent contre les doctrines, mais jamais haineux envers les croyants. J’ai tendance à noter davantage d’agressivité chez les croyants, très susceptibles (bien souvent) lorsqu’on essaie de discuter rationnellement et prudemment de leurs convictions.

Et puis l’athéisme et une certaine morale chrétienne ne sont pas nécessairement antagoniques : André Comte-Sponville est l’une des incarnations de cet « athéisme fidèle ». Pas vraiment le plus haineux des hommes, cet athée...

Pour changer l’histoire, encore faudrait-il qu’il y ait une histoire (officielle, reconnue, communément admise). Ce n’est pas le cas, il me semble. Certes, Jésus est, la plupart du temps, considéré comme un homme ayant existé. Mais cela dit, l’histoire sérieuse nous offre-t-elle une biographie de lui qui tienne la route ? Il semble que non. Aucun point de sa « vie » n’échappe à la polémique. Je parlais, dans un autre commentaire, de Charles Guignebert, qui s’est intéressé à la vie de Jésus (qu’il ne nie pas d’ailleurs). Mais il a reconnu, en gros, que nous ne savions rien de certain sur lui. Rien. Bref, pour un esprit sérieux et rationnel, on ne peut rien affirmer avec certitude de sa « vie ». Pour un rationaliste, l’histoire de Jésus est encore à faire ! Rien n’est établi.

Nous sommes en 2007 après lui. Oui. Approximativement. Car l’an 0 n’est pas l’année de sa naissance officielle. D’ailleurs il n’y aucune date « officielle », puisque les Evangiles eux-mêmes se contredisent sur ce point (comme sur presque tous d’ailleurs).

Quant à vos interrogations sur la formation du mythe de Jésus, je ne peux que vous renvoyer aux auteurs compétents (comme Alfaric), qui ont esquissé une réponse tout à fait convaincante. Mais je précise (une nouvelle fois) : personne ne prétend qu’il y a eu la fabrication volontaire d’un mensonge. Les choses se sont passées autrement (sans la moindre volonté de mentir). La difficulté est de se replacer dans l’état d’esprit - religieux - des hommes de l’époque. Pour comprendre comment une croyance a pu naître, très naturellement, dans l’esprit de ces gens nourris de l’Ancien Testament (notamment). Alfaric y aide.

La résurgence du néo-paganisme ? Je ne suis pas sûr que ce terme parle à beaucoup de gens. Y a-t-il des gens que vous connaissiez qui se réclament du néo-paganisme ? Ce n’est pas cela, vous le savez bien, qui est visé. C’est l’athéisme. Négation de tous les dieux, de tous les au-delà, de toutes les transcendances. Une vie débarrassée des fictions. Au nom de la vérité, en premier lieu. D’une exigence de lucidité. 20 à 30 % des Français se disent athées. Je ne crois pas qu’ils aient des tendances sacrificielles, rassurez-vous.

Evitez d’utiliser ce terme de « révisionnisme », très déplaisant. La remise en question de l’existence de Jésus ne se fait pas, le plus souvent je pense, par plaisir pervers, mais par souci de la vérité.

Cela dit, votre interrogation est profonde : l’Occident peut-il résister à un certain islam conquérant par le seul recours à son christianisme (monothéisme contre monthéisme) ? Ou son esprit laïc, voire, dans une certaine mesure, athée, peut-il suffire ? Je concède que parfois, ces derniers temps, notre laïcité a un peu pris l’eau et s’est montrée bien peu résistante et vigoureuse face à quelques assauts intégristes. Vaste question donc.

« Un mensonge même le plus habile, ne dépasse guère la durée de vie de son auteur. »

Personne de sérieux ne prétend qu’il y eut mensonge. Alfaric ne parle pas de mensonge. Personne n’a menti, personne n’a inventé une histoire, n’a monté un canulard. C’est là qu’il faut lire Alfaric. Le mythe s’est formé dans l’esprit de certains hommes qui y ont vraiment cru. Ils ont réellement cru que le Christ qu’ils attendaient était venu. Ils ont cru la prophétie qui disait qu’il devait être venu avant la perte de l’indépendance de la Palestine (oracle de Jacob). La prophétie était nécessairement vraie pour eux. Ensuite, ils ont habillé ce messie (dont ils avaient la conviction de la venue) avec les habits de différents personnages de la Bible, qui représentaient, entre autres, un homme (élu de Dieu) persécuté et mourant pour le rachat de nos péchés... etc. Alfaric l’explique mieux que moi, et plus dans le détail. Il montre aussi comment l’on a pu s’expliquer le fait que ce messie soit précisément passé inaperçu (sa figure modeste s’accordait avec l’idéal essénien, loin du prince ou du chef de guerre que pouvaient attendre d’autres Juifs...). C’est ce qui est fascinant : un mythe a pu se créer de parfaite bonne foi, sans que personne n’ait l’impression de mentir.