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Surya 29 septembre 2019 18:16
Surya

Je ne sais pas si je dois y aller avec des pincettes pour mon commentaire ou mettre carrément les pieds dans le plat : je n’ai envie de passer ni pour une gourde (que je ne suis pas, enfin du moins j’espère) ni pour une personne insensible (que je ne suis pas non plus, et là j’en suis certaine) mais bon, autant que je mette les pieds dans le plat plutôt que tourner pendant trois heures autour du pot : après lecture de la lettre de cette femme, je dois avouer que je ne comprends pas les raisons de son suicide. 

Je précise immédiatement, afin qu’il n’y ait pas de malentendus, que je ne juge en aucune façon cette personne. Mais puisqu’elle a écrit une lettre pour s’expliquer (mais peut être ne pensait-elle pas que cette lettre serait publiée publiquement) elle a finalement rendu son acte public et donc sujet aux commentaires.

Je ne la juge pas, mais il me semble malgré tout que sa réaction (se suicider en réaction à son quotidien d’enseignante, du moins ce qu’elle décrit comme étant son quotidien) est totalement disproportionnée par rapport à ce qu’elle subit et raconte dans sa lettre (à moins qu’elle n’ait pas tout dit dans sa lettre, mais pourquoi aurait-elle caché les véritables raisons de son départ ?)

Si elle avait subi au quotidien des parents agressifs et harceleurs, voire violents, bref ce qu’on appelle communément des « cas sociaux », des enfants impossibles à tenir, des insultes à répétition, des collègues infect(e)s qui ne la soutenaient jamais ou du genre à propager des rumeurs fausses sur son compte, un inspecteur qui la harcelait... le tout agrémenté de deux heures de transport le matin et deux heures le soir, j’aurai pu comprendre plus facilement qu’un suicide puisse lui sembler la seule façon d’échapper à cet enfer. (Mais on a toujours la possibilité de se faire arrêter, ou mieux de changer de boulot. N’a-t-elle donc envisagé aucune de ces deux portes de sortie ?!)

Au lieu de cela, elle décrit son épuisement face à des journée chargées passées à régler des « petits soucis ». Des PETITS soucis...

« Le travail des directeurs est épuisant, il y a toujours des petits soucis à régler »

« ne se rendent pas compte à quel point tout le monde est épuisé par ces rythmes » : une caissière à Auchan (ou Carrefour, ou Monop, enfin bref, je ne stigmatise évidemment pas Auchan) qui subit en permanence le bruit de l’hypermarché, les annonces criardes braillées du matin au soir dans un micro, les clients râleurs et impatients qui parfois, j’en suis certaine, l’agressent verbalement, qui endure un travail monotone et répétitif avec des gestes machinaux qui finissent par la transformer en robot, qui subit son chef, pas forcément commode (voire son harcèlement sexuel) etc... n’est-elle pas elle aussi épuisée à la fin de sa journée ? 

Ce que je ne comprends pas, c’est que ces petites choses, car c’est ainsi qu’elle les nomme, qu’elle décrit dans sa lettre ne sont finalement rien d’autre, d’après ce que j’ai lu et entendu dire, que le quotidien tout à fait normal d’une directrice d’établissement scolaire.

Ce qu’elle se plaint de devoir faire, finalement, c’est son boulot de directrice, et les soucis qui vont avec (quel travail n’a pas son lot de soucis à gérer ?) : 

« Encore du travail avec le (? ??) et encore je ne vais pas me plaindre cette année [...] »

« le risque écarté de fermeture de classe [...] »

Après il y a une phrase incompréhensible, celle où elle parle de « tableau de structure », d’onde (? ??), et encore un acronyme dont seuls les enseignants connaissent la signification.


« accumulation de fait mineurs » (MINEURS)

« La perspective de devoir faire » ceci et cela, (DEVOIR FAIRE) et là elle décrit simplement, me semble-t-il, les tâches inhérentes à sa fonction.

De plus, les choses ne semblaient finalement pas aller si mal dans son école, elle semblait même entourée :


« Personne dans l’école n’a rien à se reprocher »

« J’ai des collègues formidables [...] »

« les enfants sont en sécurité dans un cadre rassurant »

« les parents d’élèves élus qui ont toujours été là »

Si elle allait mal, pourquoi ne pas voir qu’elle pouvait trouver protection et soutien ailleurs qu’auprès de cette institution en qui, elle le dit, elle n’a aucune confiance ? Chez un médecin, un psy... Pourquoi s’imaginer qu’elle était enfermée dans un ghetto, que l’Education Nationale était son seul et unique horizon ?

Ce que je comprends malgré tout, vu que je ne suis quand même pas complètement idiote, c’est que cette enseignante a subi une accumulation (et c’est je crois le problème clef, l’accumulation) de petites choses qui ont fini par lui bouffer complètement la vie et l’épuiser. De plus, j’admet que ce sentiment de solitude face aux situations et aux responsabilités n’a sans doute pas été facile à vivre. 

Cependant, la question que je me pose, et pose ici ouvertement, est : l’épuisement dû à une journée chargée, voire même surchargée, les tâches inhérentes à une fonction, aussi ingrates puissent-elles être, et la solitude, peuvent-il expliquer qu’on se suicide carrément ?

Cette femme n’était-elle pas, dès le départ, trop fragile psychologiquement pour porter le fardeau de cette responsabilité de chef d’un établissement scolaire, avec tous les aspects du travail et tous les gens qu’il faut gérer ? Etait-elle réellement faite pour cette fonction si exigente ?

Etait-elle au contraire solide et motivée au départ, mais a-t-elle été, peu à peu, jour après jour, sans même qu’elle s’en rende compte elle-même, fragilisée et usée par le poids des responsabilités, les petites choses qui s’accumulaient, minuscules gouttes d’eau qui finissent au bout du compte par former une mer immense ?

C’est la seule explication que j’arrive à trouver à ce suicide, car si on prend les faits bruts, le quotidien qu’elle décrit et qui, reconnaissons le, ne semble pas (à la lecture de sa lettre) pire que ce que subit une caissière, un policier (pour moi c’est ce qui semble le plus dur, être policier sur le terrain), une secrétaire de direction croulant sous le poids des dossiers à traiter, du téléphone qui sonne sans arrêt, de son patron qui déboule avec des "vous avez fini de faire ceci cela ? Quoi ?? Vous avez pas encore fini ?... ou autre, il semble alors que rien ne puisse justifier qu’elle en soit arrivée à une telle extrémité : se donner carrément la mort.

Comment se fait-il que, dans un cas comme dans l’autre, l’Education Nationale, dont je suis certaine qu’elle connait le problème des enseignants mieux que quiconque, ne mette pas en place des séances de soutien psychologique gratuites et, si nécessaires, illimitées, menées par des personnes bien sûr qualifiées, mais également rompues aux problèmes spécifiques vécus par le corps enseignant, afin que ceux ci, qu’ils soient dès le départ fragiles ou au contraire usés, ne sombrent pas complètement après quelques années d’exercice ?



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