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ERANOVA 9 juin 2020 00:23

L’auteur écrit : « Ne perdons pas de vue qu’en 1946 (comme en 1958) la société Française est coloniale et pour les responsables politiques, les populations autochtones des colonies (inférieures) n’ont pas la même utilité commune que les populations coloniales (supérieures)… ».

Voilà bien une erreur de lecture et de compréhension de la constitution de 1946, laquelle reprend et entérine la loi Lamine-Gueye :

Loi n° 46-940 du 7 mai 1946,
tendant à proclamer citoyens tous les ressortissants des territoires d’outre-mer.

Article unique.

À partir du 1er juin 1946, tous les ressortissants des territoires d’outre-mer (Algérie comprise) ont la qualité de citoyen, au même titre que les nationaux français de la métropole et des territoires d’outre-mer. Des lois particulières établiront les conditions dans lesquelles ils exerceront leurs droits de citoyens.
La présente loi, délibérée et adoptée par l’Assemblée nationale constituante, sera exécutée comme loi de l’État.
Fait à Paris le 7 mai 1946.
Félix Gouin.

La Constitution de 1946 pose la création de l’Union française, ensemble fédéral, en préambule et dans ses articles 80 et 81 :

Préambule :
La France forme avec les peuples d’outre-mer une Union fondée sur l’égalité des droits et des devoirs, sans distinction de race ni de religion (...). Écartant tout système de colonisation fondé sur l’arbitraire, elle garantit à tous l’accès aux fonctions publiques et l’exercice individuel ou collectif des droits et libertés proclamés ou confirmés ci-dessus.

Article 80 :
Tous les ressortissants des territoires d’outre-mer ont la qualité de citoyen, au même titre que les nationaux français de la métropole ou des territoires d’outre-mer. Des lois particulières établiront les conditions dans lesquelles ils exercent leur droit de citoyens.

Article 81 :
Tous les nationaux français et les ressortissants de l’Union française ont la qualité de citoyen de l’Union française qui leur assure la jouissance des droits et libertés garantis par le préambule de la présente Constitution.

Ces lois furent et sont encore contournées ou entravées. La Constitution audacieuse de 19’§ resta une utopie : après le Débarquement, le Gouvernement provisoire, créé à Alger le 3 juin 1944, s’installa à Paris et, progressivement, réalisa le programme de rétablissement de la légalité républicaine qu’il s’était fixé. Mais il s’agit aussi de tenir les engagements du discours de Brazzaville et ceux de l’article 4 de l’ordonnance du 7 mars 1944 qui avait promis la nationalité française aux musulmans d’Algérie.

L’Assemblée constituante approuva ainsi, le 25 avril 1946, un projet de loi, à l’initiative de Lamine Gueye, député du Sénégal, octroyant la pleine citoyenneté — mais on l’a vu, il n’en est resté qu’une citoyenneté à deux vitesses — à tous les ressortissants de l’empire colonial. La Constitution de la IVe République inscrit en son article 80 la substance de cette loi, que l’on a comparée à l’édit de Caracalla ; mais l’Empire romain n’élisait pas un Parlement au suffrage universel !

L’attribution des droits politiques à tous les sujets de l’Empire devait donner à leurs représentants la majorité à l’Assemblée nationale. La IVe République répondit à ce défi en instituant l’inégalité du suffrage : les « autochtones », ayant conservé leur statut personnel, n’avaient pas un nombre de représentants correspondant à leur poids démographique. Par exemple, selon la loi du 5 octobre 1946, la Métropole envoie 544 députés à l’Assemblée nationale, l’Algérie 30, également partagés entre citoyens d’état civil français et citoyens de statut local, et le reste des colonies 34 députés seulement. Autre exemple, le statut de l’Algérie, établi par la loi du 20 septembre 1947, institue une Assemblée territoriale de 120 membres, dont 60 sont élus par les Français d’état civil français et par certains citoyens de statut local distingués par leurs titres ou leurs mérites, et 60 sont élus par les autres citoyens de statut local, la grande majorité. La Ve République répondit à ce défi par l’institution de la Communauté et rapidement par la décolonisation.

Le déni de citoyenneté française aux citoyens français d’outre-mer instauré par la mise place du statut de citoyen de droit local engendra un immense dépit sur fond de gestation des nationalismes d’outre-mer et résulta en l’abandon du modèle français par les populations et en l’effondrement de l’empire français. Le Tonkin ouvrit la marche, l’Afrique du Nord suivit. C’est qu’on avait beau avoir versé son sang pour la France, on restait un « indigène » de la République (façon politiquement correcte de dire un « étranger »).

On sait aujourd’hui quelles erreurs historiques la France commit en abandonnant le modèle politique économique et social novateur amorcé par les lois de la Constitution de 1946. Si elle avait conservé cette architecture, elle serait aujourd’hui forte de plusieurs centaines de millions de citoyens et n’aurait pas à batailler au Mali ou à Djibouti : elle serait présente sur les cinq continents avec une structure stratégique hors du commun. Mais Napoleon n’avait-il pas cru malin de vendre tout à l’ouest du Mississipi (22,3 % de la superficie actuelle des USA !) pour une bouchée de pain (il est vrai que c’était enclavé, mais il fallait vraiment être occupé en Europe, pour croire que les les USA étaient autre chose qu’une extension de la thallassocratie anglaise) ? 

La france n’a mérité qu’un joli, mais miniuscule hexagone — et encore, il faudra voir à ce que les Allemands lui reprennent l’Alsace-Moselle (et plus si affinités)…

Il faut croire que le racisme, l’ostracisme et d’autres mesquineries civilisationnelles l’ont emporté et qu’il resta préférable selon ceux qui les portaient en bandoulière, avec l’écharpe et la cocarde, qu’elle restât petite et bornée plutôt que puissante, vaste et ouverte. Le fond raciste français perdure, systémique, jusque dans la lecture de la Constitution de 1946 et suivante.

La pirouette consistant à effacer le mot « race » du vocabulaire des bien-pensants ne permet pas d’effacer la mémoire des centaines de millions de citoyens français auxquels on confisqua définitivement la qualité de Français dès 1958, avec les effets que nul n’ignore ni la vraie raison d’une telle mutilation ; à savoir qu’il était impensable entre Français racinés que les lois nationales soient écrites par une majorité de députés d’outre-mer (façon politiquement correcte de dire « nègres, bridés et bicots »)…

Pour rappel, la Ve République de 1958 court toujours : si ce n’est pas du racisme (ou de la discrimination, pour rester politiquement correct), qu’est-ce que c’est ? De l’hypocrisie, peut-être…
Le racisme n’est pas qu’un mot : c’est une maladie honteuse.


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