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Tour de France, la poule aux œufs d’or du marketing...

Comme beaucoup d’épreuves sportives, le Tour de France privilégie parfois le marketing sur le sportif. Le maillot jaune possède l’éclat de l’or, ce métal symbole de l’argent roi, du nerf de la guerre ... Tout le monde rêve d’accueillir le grand départ, du Qatar à Budapest en passant par l’Ecosse, le Japon, la Turquie, le Danemark ou encore l’Estonie …

Le Tour de France cycliste fait partie du patrimoine sportif et culturel français, au même titre que le tournoi de tennis de Roland-Garros, le festival de cinéma de Cannes, les 24 Heures du Mans, le Grand Prix de France de Formule 1, le festival de théâtre d’Avignon, Prix de l’Arc-de-Triomphe et Prix d’Amérique …

Avant que les Etats-Unis ne deviennent le pays le plus puissant du monde au sortir de la Première Guerre Mondiale en 1918, statut encore renforcé par la destruction de l’Europe entre 1939 et 1945, la France et la Grande-Bretagne régnaient sur les affaires du monde, imposant leurs normes culturelles. Ainsi, Paris et Londres rivalisaient sur les Expositions Universelles, avec le Crystal Palace en 1851 ou la Tour Eiffel en 1889. La crise de Suez, en 1956, viendra définitivement enterrer les deux nations européennes sous perfusion via le Plan Marshall.

 

Le Royaume-Uni a lui aussi un incroyable patrimoine sportif : tournoi de tennis de Wimbledon, British Open de golf avec le parcours originel de Saint-Andrews en Ecosse, hippodrome d’Aintree, Grand Prix de Grande-Bretagne de Formule 1 à Silverstone ou Brands-Hatch, F.A. Cup à Wembley, rival d’une autre enceinte londonienne, Twickenham, temple du rugby à XV …

C’est ainsi que l’Europe a pu se constituer un noyau d’évènements incontournables, vingt siècles après les Sept Merveilles du Monde, de Babylone à Gizeh en passant par Rhodes, Ephèse ou Alexandrie.

Initialement, le tracé épousait les frontières de l’Hexagone, avant que pour des raisons commerciales, Jacques Goddet, Félix Lévitan puis Jean-Marie Leblanc et enfin Christian Prud’homme ne passent par des villes étapes sélectionnées pour des raisons symboliques ou commerciales.

De 1903 à 1951, date où Metz devient la deuxième ville de province à supplanter Paris comme ville départ (après l’exception Evian en 1926), le Tour dessinait un parfait Hexagone, comme l’a expliqué Paul Boury en 1996 dans une thèse de géographie à l’Université Jean-Monnet de Saint-Etienne. Epousant la frontière naturelle du pays comme une ligne Maginot, le Tour de France ne passait jamais par le Massif Central : Vosges, Jura, Alpes, Pyrénées étaient alors un passage obligé sur le parcours de la plus grande épreuve cycliste du monde, créée par Henri Desgrange et Géo Lefèvre sur fond d’affaire Dreyfus, et de lutte politique entre le comte de Dion Bouton et Pierre Giffard. En 1903, l’Hexagone était bien imparfait, reliant les principales villes de France, de Paris à Paris via Lyon, Marseille, Toulouse, Bordeaux et Nantes, honorées par l’édition du Centenaire en 2003. Jusqu’en 1951, les villes se trouvant au pied de ces différentes chaînes de montagne, Besançon (Jura), Grenoble (Alpes) ou Luchon (Pyrénées), étaient parmi les plus souvent visitées, de même que les sommets de l’Hexagone : Dunkerque, Brest, Bayonne, Perpignan, Nice ou encore Strasbourg.

Jadis, Henri Desgrange avait ces habitudes dans ces villes : à Perpignan en cas de jour de repos, le recordman de l’heure (en 1893 au vélodrome de Buffalo) accomplissait en courant les 12 km séparant le Castillet de Canet-Plage. A Luchon, le créateur du Tour ignorait superbement le funiculaire, montant à Superbagnères par la force de ses jambes, entraînant dans son sillage le secrétaire général du Tour Lucien Cazalis, bien moins athlétique que lui ! En Normandie quand le Tour arrivait à Caen pour l’avant-dernière étape depuis l’Ouest de la France, ou à Dunkerque sur la Côte d’Opale quand le peloton avait remonté l’Est de l’Hexagone, soit dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, Henri Desgrange quittait la caravane pour accueillir les forçats de la route en veston au Parc des Princes, à Paris. Son avant-dernier Tour, en 1938, le patron voit les doubles vainqueurs du Tour Antonin Magne et André Leducq gagner main dans la main, ex-aequo. Deux ans plus tôt, en 1936, le gouvernement de Léon Blum, celui du Front Populaire, lui a fait le plus beau des cadeaux : deux semaines de congés payés, les Français pourront aller à la plage, en montagne, à la campagne, pais aussi sur le bord des routes suivre le peloton du Tour, suivre les exploits de René Vietto, Gino Bartali et de tant d’autres générations de héros qui suivront ! C’est l’époque de l’accordéon et des bals musette, de l’apogée de la classe ouvrière.

Par la suite, sous le diktat et la pression des impératifs commerciaux (chaînes de télévision, sponsors de la caravane), la Grande Boucle va investir l’intérieur de ces massifs montagneux, faisant de certaines cimes de véritables lieux de pèlerinage de cette grande transhumance cycliste : Alpe d’Huez, Mont Ventoux. D’alpha et d’oméga du Tour, Paris ne demeure que son oméga depuis 1951, avec des départs en province voire à l’étranger (depuis Amsterdam en 1954) et ultra-marins (Dublin en 1998), la Ville Lumière ne retrouvant son rôle d’alpha qu’en 1963 (50e Tour de France) et 2003 (Tour du Centenaire), commémorant comme il se doit ses grands millésimes, à la façon imaginée naguère par la plume virtuose de Victor Hugo : Les souvenirs sont nos forces. Ne laissons jamais s’effacer les anniversaires mémorables. Quand la nuit essaie de revenir, il faut allumer les grandes dates, comme on allume les flambeaux.

Trois grandes périodes se dessinent :

  • 1903-1904, le temps de l’expérimentation
  • 1905-1951, l’ère des parcours hexagonaux (dits de « chemins de ronde ») épousant parfaitement les frontières de la France métropolitaine, suivant la ligne Maginot à l’Est, la Méditerranée au Sud, l’Océan Atlantique à l’Ouest et la Manche au Nord …
  • 1952-2019, le temps des parcours diagonaux dictés par d’autres impératifs notamment commerciaux, et le développement de deux sommets montagneux situés loin des frontières, le Puy-de-Dôme (Massif Central) et le Mont Ventoux (Alpilles)

    Les contraintes règlementaires de l’UCI sont fortes :

  • 23 jours de course
  • Pas plus de 225 km par jour (260 km jusqu’au scandale Festina de 1998)
  • Pas plus de 180 km de moyenne quotidienne

    Les contraintes historiques et identitaires du Tour ne le sont pas moins :

  • Equilibre entre haute et moyenne montagne, plaine, secteurs pavés et contre-la-montre (individuel et/ou par équipes)
  • Traversée des Alpes et des Pyrénées (dans ce sens ou dans l’autre)
  • Grand départ à l’étranger de temps à autre

    Les organisateurs doivent se poser plusieurs questions. Primo, comment éviter que la monotonie ne s’installe si le parcours est trop plat en première semaine ? Comment procéder au rodage et à la montée en puissance de la compétition sans provoquer l’ennui prématuré ? Où placer les étapes sélectives. Secundo à l’inverse par corollaire, comment éviter qu’un parcours trop sélectif ne donne à un coureur l’occasion de s’emparer du maillot jaune trop vite sans espoir de victoire pour ses rivaux ? Cela créerait une procession et une remontée sur Paris, à l’image du Tour de France 1961 où Jacques Goddet s’insurgea dans ce légendaire éditorial Les Nains de la Route, Charly Gaul et consorts n’ayant pas attaqué le leader Jacques Anquetil dans l’étape des quatre cols pyrénéens entre Luchon et Pau : Peyresourde, Aspin, Tourmalet et Aubisque. Tertio, comment équilibrer plaine, pavés, montagne et contre-la-montre ? Enfin, comment ne pas léser les régions de France année après année et les différents pays limitrophes candidats au grand départ ou à une étape ? Faut-il tracer le Tour selon un schéma directeur et ensuite décider des villes étapes, ou l’inverse ? Comment procéder ? Ou placer les journées de repos et les inévitables transferts ?

    Le tracé du Tour moderne a trop souvent suivi le canevas suivant, incitant les favoris à viser un pic de forme pour la deuxième semaine seulement :

  • En première semaine, on élimine (chutes, bordures, chrono individuel ou par équipes)
  • En deuxième semaine, on établit le classement (étapes de montagne du premier massif visité entre Alpes et Pyrénées)
  • En troisième semaine, on défend les positions (étapes de montagne du second massif visité entre Alpes et Pyrénées, dernier chrono individuel)
  •  
  • Enfin, les transferts ont successivement été à l’ordre du jour du fait des tracés diagonaux n’épousant plus les frontières naturelles de l’Hexagone …
  • 1955 premier transfert par la route (Poitiers – Châtellerault)
  • 1960 premier transfert par le train (Bordeaux – Mont-de-Marsan), l’Orient-Express arrivera en 2000 (Mulhouse - Troyes)
  • 1971 premier transfert aérien (Marseille – Albi)
  • 1974 premier transfert par la mer (Brest – Plymouth)

Voici les principaux exemples de ce marketing.

- Strasbourg et Metz 1919 : reconquérir l’Alsace et la Lorraine suite à l’armistice du 11 novembre 1918, après l’étape de Metz de 1906 (alors en territoire allemand suite à la défaite militaire de 1870 face à la Prusse de Bismarck), était une priorité d’Henri Desgrange. Les étapes de Strasbourg et Metz furent toutes deux gagnées par le coureur italien Luigi Lucotti, Eugène Christophe étrennant encore le maillot jaune de l’Histoire du Tour, remis par Desgrange lors de l’étape reliant Grenoble à Genève. Le coureur français le perdrait encore à Dunkerque, au profit du Belge Firmin Lambot, lauréat final du Tour de France 1919. Aux portes de l’Alsace Lorraine reconquise, Henri Desgrange laisse exploser sa joie : Strasbourg ! Metz ! Et ce n’est pas un rêve ! Nous allons là-bas chez nous ! […] Il nous fallait, après le patois normand, le dialecte breton, les cigales chantantes des idiomes méridionaux, les rudesses du flamand, il nous fallait la joie du parler alsacien : il nous manquait l’entrée triomphale dans Strasbourg, où vont nous accueillir les vols harmonieux des cigognes et des ailes de la coiffe de nos jolies filles d’Alsace.

En 1906, visitant Metz alors en terre étrangère, Desgrange avait écrit ceci : De cette rapide promenade de 75 kilomètres en terre annexée, comprenant la traversée de Metz, il nous reste une impression ineffaçable. Il faut avoir entendu les acclamations des braves gens qui reconnaissaient en nous des délégués officiels d’un journal français. Il nous faut avoir reçu l’ovation qui nous salua au contrôle de Metz pour s’en rendre compte. Ajoutez à l’explosion de cette joie enthousiaste la tristesse et vous comprendrez quel caractère tout spécial eut pour nous cette courte incursion en Alsace.

 

- Bordeaux 1952-1990 : l’amitié entre Jacques Goddet et Jacques Chaban-Delmas a permis de sceller une sorte de pacte. Pendant 39 ans, le Tour a fait étape en Gironde, le premier édile de Bordeaux assurant la publicité de sa ville contre une rente pour la Grande Boucle. En 1952, le vainqueur fut Hans Dekkers, en 1990 l’étape bordelaise fut gagnée par Gianni Bugno. Plus jeune général de la Résistance et grand amateur de sport - tennis et rugby - qu’il pratiqua à haut niveau (32e de finaliste en double à Roland-Garros en 1968, international de rugby à XV en 1945 contre une sélection du British Empire), Chaban était l’ami personnel de Jacques Goddet, l’ayant aidé à financer L’Equipe en février 1946. Premier Ministre entre 1969 et 1972, Jacques Chaban-Delmas fut maire de Bordeaux de 1947 à 1995.

 

Par la suite, l’élection d’Alain Juppé en 1995, la perte d’influence de Jacques Goddet (qui abandonna la direction du Tour en 1987) et les travaux du tramway dans la capitale aquitaine ont espacé les visites de la Grande Boucle à Bordeaux. Ironie du destin, Jacques Chaban-Delmas décéda le 10 novembre 2000 à Paris, suivi un mois plus tard par son ami Jacques Goddet, qui mourut le 15 décembre 2000, à Paris lui aussi. Xavier Louy, directeur du Tour de France en 1988, fut en 1970 attaché de cabinet au Premier Ministre de l’époque, un certain Jacques Chaban-Delmas !

 

- Amsterdam 1954 : plus que d’aller à l’étranger, l’idée de Jacques Goddet en 1954 en allant prendre le départ du Tour de France à Amsterdam était de défendre son pré carré. Il fallait torpiller Jean Leulliot et son Tour de l’Europe, tuer dans l’œuf toute rivalité potentielle pour la Grande Boucle, course par étapes majeure du calendrier cycliste. C’est un secret de polichinelle, mais Amsterdam fut choisie pour la popularité des coureurs néerlandais sur les routes de l’Hexagone au début des années 50, notamment Nolten qui avait failli créer l’exploit en 1952 au Puy-de-Dôme, avant que Fausto Coppi ne le rattrape juste avant le sommet ... En 1954 à Amsterdam, l’étape allait jusqu’à la cité belge de Brasschaat, où s’imposa le coureur néerlandais Wout Wagtmans. Pour rappel, le Tour d’Europe (remporté par le coureur italien Primo Volpi) comportait treize étapes de Paris à Strasbourg : passant par sept pays : France, Belgique, Luxembourg, Allemagne de l’Ouest, Autriche, Italie et Suisse.

  • 1re étape Paris - Gand (287 km)
  • 2e étape Gand – Namur (251 km)
  • 3e étape Namur – Luxembourg (169 km)
  • 4e étape Luxembourg – Sarrebrück (69 km)
  • 5e étape Sarrebrück – Schwenningen (263 km)
  • 6e étape Schwenningen – Augsburg (239 km)
  • 7e étape Augsburg - Innsbruck (207 km)
  • 8e étape Innsbruck – Mantoue (304 km)
  • 9e étape Mantoue – Bologne (196 km)
  • 10e étape Bologne – Côme (261 km)
  • 11e étape Côme – Lugano (62 km CLM)
  • 12e étape Lugano – Montreux (245 km)
  • 13e étape Montreux – Strasbourg (344 km)

De cet historique départ de 1954 à Amsterdam, il manquera un contingent italien, le règlement interdisant la venue de coureurs portant un maillot marqué d’un sigle étranger à l’industrie du cycle. Or, Fiorenzo Magni représentait déjà la crème Nivea et Gino Bartali une marque de vin du Chianti, de sa région de Toscane ...

- Bruxelles 1958 : pour de nombreux belges, l’Atomium et l’Exposition Universelle de 1958 (qui s’est tenue à Bruxelles du 17 avril au 19 octobre 1958) sont une sorte de madeleine de Proust, symboles de la paix retrouvée en Europe et d’une époque où l’économie allait crescendo suite au plan Marshall. C’est ainsi qu’en bon nostalgique de cette époque qu’il n’a cependant pas connu (étant né en 1964), Yves Sente scénarisera le tome 17 des aventures de Blake et Mortimer dans le Bruxelles de l’Expo de 1958, le tome 1 des Sarcophages du Sixième Continent, sous-titré La Menace Universelle, dessiné par André Juillard. En juillet 1958, deux mois après la finale de Coupe d’Europe des Clubs Champions gagnée par le Real Madrid de Kopa, Di Stefano, Gento face à l’AC Milan de Schiaffino, Cesare Maldini et Liedholm, l’Atomium (cristal de fer agrandi 165 milliards de fois) était à nouveau au centre de toutes les attentions près du stade du Heysel. De Bruxelles, la première étape allait en Flandre, à Gand, où André Darrigade s’imposa au sprint.

- Herentals 1962 : le Tour fait étape en Belgique, chez l’empereur d’Herentals, alias Rik Van Looy, roi des classiques et double champion du monde en titre. Cette étape d’Herentals est l’occasion de surfer sur la popularité de ce coureur d’exception. Ironie du destin, le gain de l’étape revient à son grand rival parmi les sprinters, André Darrigade !

- Angers 1967 : inventé par Jean Leulliot pour plaire aux télévisions, le prologue permet de s’adapter aux exigences du petit écran afin que les stars du peloton apparaissent en fin de diffusion sur les tubes cathodiques. Ainsi, le public gardait le meilleur pour la fin, que le meilleur ait pour nom Eddy Merckx, Bernard Hinault, Laurent Fignon, Greg LeMond, Miguel Indurain, Jan Ullrich, Lance Armstrong, Alberto Contador ou Chris Froome. Le Tour de France cède à la tentation en 1967 (avant que Jean Leulliot ne l’applique sur Paris-Nice en 1968), et la ville d’Angers inaugure cette tradition qui sera cependant brisée par la suite en 2008 (étape inaugurale de Plumelec, gagnée par Alejandro Valverde au sommet de la Côte de Cadoudal) ou 2011 (étape du Mont des Alouettes, rempotée par un autre puncheur génial, le Belge Philippe Gilbert) par Christian Prud’homme, sans oublier des contre-la-montre dépassant les 8 kilomètres au-delà desquels l’UCI n’autorise plus le label de prologue : Futuroscope de Poitiers en 2000, Noirmoutier en 2005, Monaco en 2009, Utrecht en 2015 ou encore Düsseldorf en 2017. Le premier lauréat d’un prologue fut non pas Raymond Poulidor mais le coureur espagnol Jose Maria Errandonea, après la présentation des équipes qui prendra parfois un cadre futuriste (Futuroscope de Poitiers en 1990 et 2000), classique (Paris en 2003, de la Tour Eiffel à l’Ecole Militaire), ensoleillé (Monaco en 2009) voire médiéval (Puy-du-Fou en 1993, 1999 et 2011).

- Vittel 1968 : après la mort tragique de Tom Simpson le 13 juillet 1967 sur les pentes rocailleuses du Mont Ventoux, Jacques Goddet fit démarrer l’édition 1968 à Vittel, Tour de France baptisé avec hypocrisie Tour de la Santé (telle l’édition 1999 affublée du titre fumeux de Tour du Renouveau par Jean-Marie Leblanc trois décennies plus tard). Partir de la station thermale ne porta nullement l’estocade aux mœurs dopantes en vigueur dans le peloton cycliste, et le prologue de Vittel fut emporté par le coureur alsacien Charly Grosskost.

 - Woluwe-Saint-Pierre 1969 : déclassé du Giro pour un contrôle positif à Savonne, Eddy Merckx rêve de revanche sur le Tour de France 1969 où il effectue ses débuts. Connaissant le potentiel de son jeune prodige, déjà champion du monde en 1967 et lauréat du Giro en 1968, la Belgique se consume d’impatience ... Battu par Altig dans le prologue de Roubaix, Merckx a l’honneur de disputer une contre-la-montre par équipes à Woluwe Saint-Pierre, dans la banlieue bruxelloise. C’est dans cette ville que les parents de Merckx tiennent une épicerie, place des Bouvreuils, dans le quartier résidentiel du Chant d’Oiseau. Dans ce CLM de 16 km, les Faema imposent leur férule, et Merckx revêt le premier maillot jaune de sa jeune carrière, à domicile, comme dans un rêve ... La veille, Marino Basso avait gagné la première étape qui arrivait à Woluwe Saint-Pierre. Avant même d’avoir disputé le Tour, le charisme de Merckx s’était imposé naturellement aux organisateurs, Jacques Goddet et Félix Lévitan, qui avaient décidé de faire passer l’édition 1969 chez le Cannibale ...

- Divonne-les-Bains 1969 et 1970 : ville d’eaux située près de la Suisse, ville aux ressources financières non négligeables comme toutes les stations thermales, Divonne accueille le Tour deux années de suite, avec à chaque fois une étape en ligne et un contre-la-montre. Sur ces quatre étapes, trois sont remportées par le Cannibale Eddy Merckx ! En 1967, au château-hôtel de la ville, les représentants du groupe Amaury sont accueillis par le maire de Divonne, qui n’est autre que Marcel Anthonioz, futur Secrétaire d’Etat au Tourisme du gouvernement de Jacques Chaban-Delmas, ami personnel de Jacques Goddet.

- Merlin-Plage 1972, 1975 et 1976 : promoteur immobilier, Guy Merlin possédait cette station vendéenne proche de Saint-Jean-de-Monts, qui accueillit trois fois le Tour de France lors des années 70 : en 1972, la victoire d’étape revint aux maillots havane et bleu des Molteni d’Eddy Merckx pour un chrono par équipes. En 1975, le lauréat à Merlin Plage fut le Néerlandais Theo Smit. Enfin en 1976, Merlin Plage fut le départ du prologue vers Saint-Jean-de-Monts, le succès d’étape fut pour le sprinter belge Freddy Maertens, redoutable rouleur également. Entre 1976 et 1987, Merlin offrait même un appartement d’une valeur de 100 000 francs au coureur ramenant le maillot jaune à Paris, soit Lucien Van Impe, Bernard Thévenet, Bernard Hinault (5 fois), Joop Zoetemelk, Laurent Fignon (2 fois), Greg LeMond et Stephen Roche.

- Dijon Prenois 1977 : le circuit automobile de Dijon a accueilli deux fois le Grand Prix de France en 1974 (succès de Ronnie Peterson) et 1977 (victoire de Mario Andretti) et l’accueillera de nouveau dès 1979, où il verra derrière le vainqueur Jean-Pierre Jabouille une joute sublime. En 1977, Dijon Prenois est le théâtre d’un contre-la-montre où Bernard Thévenet porte l’estocade à son rival Hennie Kuiper. Maillot jaune, le coureur bourguignon légitime sa victoire face au coureur batave. En 1983, Laurent Fignon fera de même dans un Tour orphelin de Bernard Hinault puis privé de Pascal Simon, leader jusqu’à l’Alpe d’Huez et contraint de jeter l’éponge par la faute d’une blessure à l’épaule. En 1987, Jean-François Bernard prouvera que son succès contre-la-montre au Mont Ventoux n’était pas un exploit isolé. Le Nivernais l’emporte à Dijon Prenois, battant le futur maillot jaune Stephen Roche, qui reprend la Toison d’Or à Pedro Delgado pour quarante secondes.

- Yffiniac 1979 : ville natale de Bernard Hinault, Yffiniac est traversée par le Tour de France 1979. Durant cette sixième étape qui relie Angers à Saint-Brieuc, le Blaireau, vainqueur du Tour en 1978, passe en tête dans sa localité en portant le maillot jaune de leader du classement général, mais c’est Joseph Jacobs qui gagnera l’étape ce jour là.

- Berlin-Est 1987  : Jacques Goddet et le Tour ne viennent pas seulement fêter les 750 ans de la cité allemande mais poursuivre l’internationalisation du Tour (en contrepartie de 3 millions de francs), un an après la victoire de l’Américain Greg LeMond, maillot jaune en 1986, dans une décennie où Colombiens et Australiens affluent dans le peloton. Jelle Nijdam gagne le prologue tandis que la Carrera emportera le chrono par équipes. L’établissement marchand de Cölln date de 1237, celui de Berlin de 1244, mais c’est la première date qui est retenue par les Historiens comme année de fondation de la ville, plébiscitée par l’artiste David Bowie dans sa trilogie berlinoise à la fin des années 70 (Low, Heroes, Lodger), en collaboration avec Brian Eno, qui reviendra à Berlin en 1990-1991 avec U2 pour Achtung Baby.

- Karlsruhe 1987 : la ville allemande est celle du baron de Drais, inventeur de la draisienne (ou vélocipède) en 1817. Karlsruhe fut le berceau de la bicyclette. L’étape Karlsruhe - Stuttgart de ce Tour 1987 est remportée par le coureur portugais Acacio da Silva.

- Luxembourg 1989 : pour la première fois de son Histoire, le Grand-Duché accueille le départ du Tour de France, 150 ans après le traité de Londres (1839) entre Français, Prussiens et Britanniques, traité qui garantissait l’indépendance du Luxembourg. Le prologue (marqué par l’épisode ubuesque du retard sur la passerelle de lancement du tenant du titre Pedro Delgado) est remporté par Erik Breukink, la première étape par Acacio Da Silva et le chrono par équipes par la formation Système U de Laurent Fignon.

- Marseille et Versailles 1989 : le 14 juillet 1989, jour du bicentenaire de la Révolution française et de la prise de la Bastille, Vincent Barteau gagne dans la cité phocéenne. La Marseillaise composée par Rouget de Lisle en 1972, initialement nommé Chant de Guerre pour l’Armée du Rhin, avait été rebaptisée ainsi car un contingent de marseillais montant se battre à Valmy ne cessait d’entonner l’hymne guerrier dans s marche vers le Nord. Ville étape du premier Tour de France en 1903, la cité phocéenne fut le théâtre d’une incroyable étape en 1971, Eddy Merckx et d’autres attaquants du premier kilomètre arrivant deux heures avant l’horaire le plus optimiste sur le Vieux Port. Furieux d’avoir raté l’arrivée, le maire Gaston Defferre boycotta le Tour de France jusqu’à sa mort en 1986. L’étape de 1989 mettait aussi un terme à 18 ans de jachère pour Marseille depuis le fameux épisode du Tour de France 1971, où les techniciens de l’O.R.T.F. installaient encore leur matériel quand l’échappée du Cannibale arriva sur le Vieux Port ! L’ultime étape, un CLM de 24.5 km entre Versailles et Paris, est gagnée par Greg LeMond qui reprend in extremis le maillot jaune à son rival Laurent Fignon. A noter aussi l’attribution d’une prime exceptionnelle de 17 890 francs au kilomètre 1789 de la course, à Martres-Tolosane, dans l’étape Luchon - Blagnac.

- Mont Saint-Michel 1990 : inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO en 1979, la célèbre abbaye n’a certes pas besoin de publicité. Mais la merveille de Normandie, si prisée des touristes étrangers comme le château de Versailles, s’offre une visite du Tour de France. L’étape est remportée par le routier-sprinter belge Johan Museeuw. Le Tour reviendra pour un contre-la-montre en 2013, pour la 100e édition de la course (victoire de Tony Martin), ainsi que pour le grand départ de la Grande Boucle en 2016 (victoire d’étape de Mark Cavendish à Utah Beach).

- San Sebastian, Bruxelles, Valkenburg, Coblence, Luxembourg, Sestrières 1992 : le Tour 1992 célèbre l’Europe, l’année de la ratification par les douze états membre du traité de Maastricht (qui met en place l’Union Européenne et son mécanisme de coopération renforcée). Allant plus loin que le traité de Rome (1957), le traité de Maastricht est signé le 7 février 1992, et entre en vigueur le 1er novembre 1993. Il sera ratifié de justesse par les Français en référendum le 20 septembre 1992, à 51.04 % des voix, après un débat passionné entre le Président de la République socialiste François Mitterrand et son contradicteur RPR, le souverainiste Philippe Seguin, dans l’amphithéâtre de la Sorbonne, sous l’œil de l’académicien Jean d’Ormesson. Depuis, les traités d’Amsterdam, Nice et Lisbonne sont allés plus loin que le texte signé à Maastricht. Six pays limitrophes de la France, chacun étant membre de la Communauté Economique Européenne, sont donc parcourus par ce Tour 1992 : l’Espagne à San Sebastian (victoire de Miguel Indurain dans le prologue, de Dominique Arnould dans la première étape en ligne, une boucle vers la ville côtière basque), la Belgique à Bruxelles (victoire de Laurent Jalabert), les Pays-Bas à Valkenburg (victoire de Gilles Delion), l’Allemagne à Coblence (victoire de Jan Nevens), le Luxembourg (victoire de Miguel Indurain dans le CLM), l’Italie à Sestrières (victoire de Claudio Chiappucci après une échappée solitaire en montagne, à travers le col de l’Iseran notamment). On remarquera aussi le passage du Tour par trois villes sièges d’institutions européennes : Bruxelles (Commission Européenne), Luxembourg (Cour de Justice Européenne) et Strasbourg (Parlement Européen). L’étape de Strasbourg fut remportée par le célèbre sprinter Jean-Paul Van Poppel. Ironie du sort, 1992 marque aussi le bicentenaire de la création de la Marseillaise par le capitaine Rouget de Lisle. C’était le 25 avril 1792, à Strasbourg. Le futur hymne national portait alors le nom de Chant de guerre pour l’Armée du Rhin. Quant à Coblence, elle est la ville natale de Valéry Giscard d’Estaing (né en 1926), l’ancien président de la République Française ayant été un ardent défenseur du processus de renforcement de coopération européenne au niveau politique ou monétaire pendant les années 70, avec le chancelier allemand Helmut Schmidt. Faut-il y voir également un clin d’oeil de la part du Tour à l’égard de VGE ? Quarante ans après la mythique victoire de Fausto Coppi en 1952, le Tour fait de nouveau étape dans la station piémontaise de Sestrières. Certes, l’édition 1992 fait la part belle à l’Europe pour fêter le traité de Maastricht, en visitant six pays européens. Le Tour aurait pu choisir Pignerol, Turin ou Aoste pour son excursion en Italie, mais ce sera Sestrières, avec deux avantages principaux ... la perspective d’une arrivée au sommet, et un bailleur de fonds nommé Giovanni Agnelli, propriétaire de la station et propriétaire de FIAT, de la Scuderia Ferrari et de la Juventus Turin. L’étape italienne sera remportée par Claudio Chiappucci (dont le père Arduino avait connu Fausto Coppi en 1943 en Ethiopie) après une échappée fleuve, offrant le maillot jaune à Miguel Indurain malgré une fringale dans les deux derniers kilomètres. En 1996, Bjarne Riis gagnera dans le Piémont, puis ce sera au tour de Lance Armstrong de gagner à Sestrières en 1999, pour deux victoires EPO. Les réactions à cet atypique parcours de l’édition 1992 n’avaient pas tardé, mais Jean-Marie Leblanc les avaient anticipé dès la présentation en octobre 1991 au Siège de la Société du Tour, à Issy-les-Moulineaux : La carte du Tour 1992 va surprendre à coup sûr, mais le Tour ne serait pas cet évènement s’il ne vivait avec son temps et s’il restait figé dans le conformisme … Certes, on ne peut pas plaire à tout le monde, et le plébiscite semble utopique en matière de parcours du Tour. Sauf que là, ce 79e opus avait fait l’unanimité contre lui dans l’aréopage journalistique ! Amoureux de ses cols pyrénéens, Bernard Pratviel avait été le premier à dégainer dans le landerneau de la presse écrite : Puis on fit l’obscurité et le Tour apparut sur grand écran. Un grand blanc au Sud-Est, un trait d’avion sur l’Ouest, et puis, surtout, ce grand coup de crayon noir qui file en plein Nord à la sortie de Pau. Les Pyrénées avaient été escamotées pour ne pas ruiner le suspense d’entrée, du fait du départ de San Sebastian, au Pays Basque espagnol … Les coureurs avaient juste escalade l’Alto de Jaizkibel. Le passage par six européens est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Aux yeux de beaucoup, c’est un crime de lèse-majesté, on a franchi le Rubicon une deuxième fois, dans cette France si partagée sur le Traité de Maastricht. Le « oui » ne sera adopté par référendum qu’à 51.04 % le dimanche 20 septembre 1992, après une joute verbale mémorable entre François Mitterrand et Philippe Seguin dans l’amphithéâtre de la Sorbonne le jeudi 3 septembre, sous l’œil de l’académicien Jean d’Ormesson …

Il ne faudra pas s’étonner si cette carte provoque un choc au cœur du bon peuple de France, eu égard à cette spectaculaire dérive européenne, écrivait Jean-Pierre Oyarsabal dans Sud-Ouest.

Dans le Courrier de l’Ouest, un article Orphelin du Tour rédigé sous la plume de Didier Paillat va plus loin dans la critique : Le sympathique omnibus qui visitait naguère tous les coins de l’Hexagone est devenu un froid et lointain Trans-Europe-Express. Et nous osons dire, c’est un sale tour qu’on nous fait. Le Tour n’est plus le tour de la France, il n’est plus qu’une marque de fabrique, un label de voyage exportable à volonté.

Dans le Parisien, Jean-Luc Gatellier dénonce lui une entorse faite au pied gauche de la France. Gilles Le Roch estime quant à lui dans les colonnes de France-Soir que le Tour sans les Pyrénées, c’est niais et ce n’est plus vraiment le Tour, c’est un chef-d’œuvre en péril.

La conclusion revient à l’inévitable Bernard Pratviel : Même si l’oubli des Pyrénées n’a duré qu’un an, il est indéniable qu’on s’en souviendra longtemps comme d’un crime contre l’esprit de la plus grande course du monde, comme d’une trahison que l’on ne devra pas renouveler.

Dans L’Equipe du lundi 6 juillet 1992, le maire de Gourette se faisait d’ailleurs le porte-parole de la population mécontente de ce tracé si spécifique : En tant que maire, je regrette, je trouve curieux que l’on appelle Tour de France un Tour d’Europe. La moitié de la France est privée du Tour, je ne sais pas si c’est très adroit de montrer en France qu’on nous enlève du plaisir pour devenir européen. En tant qu’hôtelier, le passage du Tour correspond aux 36 heures qui valent autant qu’une semaine de travail en pleine saison, vous pouvez multiplier le chiffre par cinq. Enfin, personnellement, le col de Marie-Blanque c’est de la rigolade, il faut que le tracé soit exceptionnel, je crois qu’ils ont tout loupé cette année.

Dans le même numéro de L’Equipe, le directeur du Tour, Jean-Marie Leblanc, répondait à ces critiques : Je l’ai dit, d’abord nous nous sommes heurtés à l’impossibilité de revenir dans les Pyrénées après avoir décidé de ne pas les franchir d’entrée pour des raisons sportives évidentes. Nous savions que c’était une première, que ce serait mal perçu par les tenantes de l’orthodoxie du Tour mais qu’on ne nous fasse pas le procès de la méconnaissance de ce que les Pyrénées ont apporté au Tour. On connaît tout ça ! Simplement, j’avais sous-estimé la profondeur de la cicatrice affective. J’avais sous-estimé la profondeur de la cicatrice affective. J’avais sous-estimé aussi le poids économique que représentait le Tour pour ces régions. Mais je l’ai dit aussi, c’est une décision de caractère exceptionnel … Non, le Tour n’a pas vocation à rituel européen. Il a vocation d’aller saluer, d’une année sur l’autre, les publics et les cyclismes des pays voisins. Dès lors que les canons sportifs sont préservés, il doit parfois faire un pas en direction d’une avancée sociale, ou technique, ou même politique, au sens large. Le Tour, pendant cinquante ans encore, doit-il s’en tenir à la grande question suivante : dans quel sens va-t-il tourner ?

La leçon sera retenue par Jean-Marie Leblanc, avec un triptyque pyrénéen en 1993 (Andorre / Saint-Lary Soulan Pla d’Adet / Pau), en 1995 (Guzet-Neige / Cauterets / Pau), en 2001 (Plateau de Bonascre Ax 3 Domaines / Saint-Lary Soulan Pla d’Adet / Luz-Ardiden), une tétralogie en 2003 (Plateau de Bonascre Ax 3 Domaines / Loudenvielle / Luz-Ardiden / Bayonne) et encore en 2005 (Plateau de Bonascre Ax 3 domaines / Saint-Lary Soulan Pla d’Adet / Luz-Ardiden). Le directeur du Tour de France avait ensuite révélé plus tard qu’en prenant ses fonctions en 1989, il avait trouvé dans les cartons laissés par ses prédécesseurs un accord avec le département des Hautes-Pyrénées, stipulant que le Tour s’engageait à y faire étape chaque année, moyennant cependant le doublement du tarif habituel !

- La Défense 1992 : le plus grand quartier d’affaires d’Europe, bâti à cheval sur les communes de Puteaux et Courbevoie, s’offre le départ de l’ultime étape du Tour de France 1992, trois ans après l’inauguration de la Grande Arche par François Mitterrand. Le sprinter allemand Olaf Ludwig l’emportera aux Champs-Elysées, où Miguel Indurain s’offre un deuxième maillot jaune consécutif. Laurent Fignon, lui, a gagné une étape en ligne à Mulhouse et préfère dormir chez lui qu’à l’hôtel avec son équipe Gatorade, avant l’ultime étape reliant La Défense à Paris Champs-Elysées. Mais le dimanche matin, la voiture du double maillot jaune français (1983 et 1984) ne démarre pas. Impossible de trouver un taxi en ce dimanche matin et personne ne répond à ses appels téléphoniques. Alain Gallopin aura finalement le message de Fignon, qui prend in extremis le départ de la dernière étape de ce Tour de France 1992.

- Puy-du-Fou 1993 : attraction phare en Vendée, le parc médiéval du Puy-du-Fou veut absolument accroître sa notoriété, par le biais du très zélé président du conseil général, le vicomte Philippe de Villiers. Ce dernier, en mandat depuis 1988, a finalisé la création du parc en 1989. Le prologue est remporté de façon implacable par le double tenant du titre, l’Espagnol Miguel Indurain. Afin de panser les plaies révolutionnaires, écrit Michel Dallioni, le Tour accorde son grand départ de 1993 au Puy-du-Fou-en pays vendéen, deux cents ans après la terrible guerre de Vendée que les armées de la République menèrent contre les troupes catholiques et royales. Le parc reviendra deux fois sur le Tour, en 1997 pour une étape en ligne remportée par Nicola Minali, et en 1999 pour un autre prologue, gagné par Lance Armstrong. Sans oublier l’élection de Miss France 2009, Chloé Mortaud.

Le 30 juin 2011, lors de la présentation des équipes du Tour de France la veille du départ, l'Espagnol Alberto Contador est sifflé par le public vendéen, victime de l'affaire de la vache contaminée ébruitée après son 3e maillot jaune en 2010. Le Belge Philippe Gilbert gagnera l'étape du lendemain, samedi 1er juillet 2011, au Mont des Alouettes.

Enfin, le héros Georges Cadoudal dont le destin fut fortement lié aux Guerres de Vendée sera lui honoré par plusieurs passages sur la Côte de Cadoudal à Plumelec : 1985 (succès de Bernard Hinaulkt dans le prologue), 1997 (victoire d’Erik Zabel), 2008 (victoire d’Alejandro Valverde) ou encore 2015 (victoire de BMC Racing dans le CLM par équipes)

- Eurotunnel 1994 : le Tour 1994 propose un CLM par équipes entre Calais et Eurotunnel, deux mois après l’inauguration du Tunnel sous la Manche reliant Calais et Douvres, par le président François Mitterrand et la reine Elizabeth. L’équipe GM-MG remporte ce chrono par équipes, ce qui offre le maillot jaune à Johan Museeuw.

 - Saint-Lô 1994 : pour commémorer le cinquantième anniversaire du débarquement allié de Normandie, le 6 juin 1994, le Tour de France propose un Prix du Mémorial pendant l’étape Cherbourg - Rennes, prix remporté par le coureur allemand Olaf Ludwig, ancien maillot vert du Tour (1990), dans la commune de Saint-Lô. La victoire d’étape à Rennes est remportée par Gianluca Bortolami.

- Eurodisney 1994 : ville départ de l’ultime étape du Tour de France 1994, Marne-la-Vallée accueille le parc Eurodisney, le quatrième au monde du genre après ceux d’Anaheim, Orlando et Tokyo. Maillot jaune implacable, Miguel Indurain prend donc le départ vers sa quatrième victoire consécutive sur une ligne de départ où le peloton côtoie Mickey et Dingo. Dès juin 1993, le parc ouvert en avril 1992 freine certains projets faute d’un montage financier solide, après des investissements colossaux. S’offrant la publicité via le Tour de France, Disneyland Paris inaugurera tout de même la fameuse attraction Space Mountain en mai 1995. Pour l’anecdote, Eddy Seigneur l’emportera ce jour là sur les Champs-Elysées. En 1997, Abraham Olano remportera le chrono final à Eurodisney devant le maillot jaune, l’Allemand Jan Ullrich.

- Pont de Normandie 1995 : le Tour 1995 rend hommage à l’inauguration du pont de Normandie, dans l’étape Alençon - Le Havre. Ce pont à haubans enjambe l’estuaire de la Seine, reliant Honfleur au Havre. La victoire revient au sprinter toscan Mario Cipollini.

- Pampelune 1996 : décidée au printemps 1995, alors que Miguel Indurain ne comptait encore que quatre victoires finales sur le Tour de France, cette étape de Pampelune est un hommage vibrant au champion espagnol, et l’occasion de monnayer la Grande Boucle en dehors des Pyrénées. Malheureusement, Indurain ne sera pas ceint du maillot jaune en arrivant dans sa Navarre natale, si loin de son bourreau danois Bjarne Riis, deuxième de l’étape derrière Laurent Dufaux.

- Rouen 1997 : la Normandie accueille le grand départ de la 84e édition, dix ans après le décès de Jacques Anquetil (1987), coureur d’exception et quintuple maillot jaune, et quarante ans après la première victoire du champion normand dans le Tour de France (1957), coureur d’exception comme l’avait écrit Pierre Chany en 1969 : Avant lui, on n’imaginait pas qu’un Anquetil pût exister, et il n’y en aura plus désormais. Aucun coureur, jamais, n’a su se battre en course avec un courage quasiment animal, comme il savait le faire, quand il avait décidé d’être le premier. Les trois autres quintuples lauréats de la Grande Boucle viennent se recueillir sur la tombe de leur glorieux aîné : Eddy Merckx, Bernard Hinault et Miguel Indurain. A Rouen, Chris Boardman remporte le prologue de ce Tour de France que gagnera l’espoir allemand Jan Ullrich. Le sprinter italien Mario Cipollini remportera les deux premières étapes normandes, à Forges-les-Eaux et Vire.

- Dublin / Cork 1998 : après de nombreux départs à l’étranger, le Tour de France passe un cap en 1998 en partant d’une île, non pas la Grande-Bretagne reliée à l’Hexagone par le tunnel sous la Manche et l’Eurostar, mais l’Irlande de Sean Kelly et Stephen Roche. Dans un contexte frappé par l’affaire Festina, Chris Boardman gagne le prologue sous la pluie irlandaise, puis Tom Steels gagne l’étape de Dublin, Jan Svorada remportant celle de Cork avant que le peloton ne rejoigne Roscoff en bateau. Jean-Marie Leblanc et Jean-Claude Killy tirent deux bénéfices médiatiques de ces trois jours en Irlande, primo accroître la notoriété du Tour dans le monde anglo-saxon, secundo éviter la France encore accaparée par l’euphorie de la Coupe du Monde de football, avec le match pour la troisième place au Parc des Princes (la Croatie de Suker bat les Pays-Bas de Bergkamp 2-1) puis la finale au Stade de France (victoire 3-0 de la France sur le Brésil).

- Futuroscope 2000 : racheté par ASO en 2000, le Futuroscope de Poitiers sert de grand départ au Tour de France 2000, comme en 1990, contredisant les espoirs de ceux qui voyaient déjà l’épreuve s’élancer de New York pour le prologue avant un transfert en Concorde vers Londres ou Paris. L’étape contre-la-montre du Futuroscope est remportée par le rookie écossais David Millar devant Lance Armstrong, qui ne porte pas le maillot jaune de tenant du titre, le Texan considérant qu’il se doit de le reconquérir. Ce sera chose faite à Lourdes-Hautacam, dans les cols pyrénéens. Le Futuroscope, parc à thèmes sur l’imagerie, a ouvert ses portes en 1986, accueillant la Grande Boucle à de très nombreuses reprises. Jose Angel Sarrapio avait remporté l’étape en ligne en 1986, Stephen Roche avait gagné le contre-la-montre en 1987, Joël Pelier l’étape en ligne en 1989, Thierry Marie le prologue en 1990, Jan Svorada l’étape en ligne en 1994, Lance Armstrong le contre-la-montre en 1999, parachevant son premier maillot jaune par une victoire face à son dauphin Alex Zülle. Le Futuroscope sera même rebaptisé Fiascoroscope, Jean-Pierre Courcol s’étant fois rouler dans la farine par René Monory, créateur du parc en tant que Président du Conseil général de la Vienne. Les coûts de structure apparaissent plus lourds que prévu. Le groupe Amaury n’a pas les coudées franches pour investir. Se greffent à ce contexte déjà compliqué les attentats terroristes du 11 septembre 2001 à New York et au Pentagone. Avec la fin des voyages scolaires, la fréquentation baisse de façon vertigineuse, obligeant Amaury à revendre en catastrophe, pour une perte sèche de 240 millions de francs ...

- Lausanne 2000 : le dernier Tour de France du millénaire commémore le centenaire de l’UCI, fondée en 1900 à Paris, au 9 rue Drouot. Déménageant en 1965 à Genève, l’instance suprême du cyclisme mondial a rejoint la ville de Lausanne, également hôte du Comité International Olympique, en 1992, sous l’impulsion de son président Hein Verbruggen. L’étape de Lausanne fut remportée par Erik Dekker.

- Fribourg-en-Brisgau 2000 : Jean-Marie Leblanc et Jean-François Pescheux font un détour en Allemagne, où le Tour de France a encore gagné en popularité via le maillot jaune de Jan Ullrich en 1997 et les quatre maillots verts consécutifs d’Erik Zabel de 1996 à 1999. L’étape sera remportée par Salvatore Commesso.

- Col du Tourmalet 2001 : après le décès de Jacques Goddet, le 15 décembre 2000, une stèle est inaugurée au sommet du col du Tourmalet le 28 juin 2001. Le souvenir Jacques Goddet est commémoré par le Tour de France dès l’édition 2001, en parfait contrepoint au souvenir Henri Desgrange, dont la mémoire est rappelée par une stèle au sommet du col du Galibier. En 2001, c’est le coureur suisse Sven Montgomery qui passe en tête du col du Tourmalet, dans une étape pyrénéenne remportée brillamment par Roberto Laiseka, à Luz-Ardiden.

- Sarran 2001 : le Tour fait étape dans cette ville de Corrèze non par hasard mais car une certaine Bernadette Chirac, Première Dame de France, en est conseillère municipale. Cette étape de transition, positionnée après les cols pyrénéens, est remportée par l’Allemand Jens Voigt.

- Plouay 2002 : théâtre des championnats du monde en 2000, avec la victoire du Letton Romans Vainsteins devant le Polonais Zbigniew Spruch et l’Espagnol Oscar Freire, champion du monde en titre, sur le circuit Jean-Yves Perron, la cité du Morbihan accueille la Grande Boucle en 2002. Pour cette commune de 5 200 habitants vivant essentiellement du cyclisme, il était vital d’accueillir le Tour, afin d’accroître encore sa notoriété et d’assurer ainsi la pérennité de son Grand Prix Ouest France organise chaque été depuis 1931 sur circuit. Le Néerlandais Karsten Kroon s’offre le bouquet d’étape ce jour là en Bretagne.

- Paris, Lyon, Marseille, Toulouse, Bordeaux et Nantes 2003 : en 1903, le premier Tour de France dessiné par Géo Lefèvre et Henri Desgrange ne comptait que six étapes. Pour rendre hommage à Maurice Garin et aux autres coureurs qui ont vécu l’odyssée du Tour 1903, Jean-Marie Leblanc et Jean-François Pescheux avaient inclus les six villes étapes dans le Tour 2003, Tour du Centenaire. Cette idée avait été suggérée par Jacques Goddet dès 1997, à l’occasion d’une soirée organisée pour le cinquantième anniversaire de la renaissance du Tour (en 1947, après la Seconde Guerre Mondiale). A Paris en 2003, le prologue part de la Tour Eiffel pour arriver à l’Ecole Militaire, chrono remporté par Bradley McGee. A Lyon en 2003, la victoire revient à Alessandro Petacchi. Marseille s’offre à Jakob Piil. La victoire de Toulouse est décrochée par Juan Antonio Flecha, tandis que Bordeaux consacre Servais Knaven. Enfin, à Nantes, David Millar remporte sous la pluie un CLM individuel qui voit Lance Armstrong devancer Jan Ullrich pour le gain du maillot jaune. 

L’arrivée du Tour du Centenaire à Paris est gagnée par Jean-Patrick Nazon sur l’avenue des Champs-Elysées, tandis que l’OVNI Armstrong, en ce mois de juillet 2003, rejoint le quatuor des quintuples maillots jaunes : Jacques Anquetil (1957, 1961, 1962, 1963, 1964), Eddy Merckx (1969, 1970 1972, 1972, 1974), Bernard Hinault (1978, 1979, 1981, 1982, 1985) et Miguel Indurain (1991, 1992, 1993, 1994, 1995) sont rejoints par le Texan, coureur 2.0 au système de dopage hypersophistiqué (1999, 2000, 2001, 2002, 2003) qui les surpassera en 2004 et 2005 avant de tout perdre ses sept maillots jaunes par effet boomerang en 2012. La boîte de Pandore avait explosé, l’USADA se décidant à nettoyer les écuries d’Augias de l’UCI, trop occupée à rester perchée sur sa tour d’ivoire au bord du Lac Léman. Le Tour du Centenaire de 2003, comme tout ceux du septennat d’imposture 1999-2005, restera sans vainqueur, avec un trou béant au palmarès de la Grande Boucle, l’UCI préférant ne pas offrir sur tapis vert les lauriers à d’autres usurpateurs (Jan Ullrich, Alex Zülle, Joseba Beloki et Andreas Klöden)

- Cap Découverte 2003 : créé sur le site d’une ancienne mine de charbon à ciel ouvert à Carmaux, le parc à thèmes de Cap Découverte est inauguré le 25 juin 2003, et accueille le Tour de France 2003 le 18 juillet. Le vainqueur de l’étape contre-la-montre sera Jan Ullrich. La victoire finale semblait utopique pour l’ogre de Rostock après l’Alpe d’Huez, mais le phénix allemand se relance superbement dans ce Tour du Centenaire face à Lance Armstrong. Concernant Cap Découverte, malgré cet énorme de coup de publicité, les pertes financières seront considérables par la suite.

- Viaduc de Millau 2005 : inauguré le 17 décembre 2004 par le président Chirac, le viaduc de Millau, d’un coût total de 320 millions d’euros, a été construit pour désengorger l’autoroute A75 reliant Clermont-Ferrand à Béziers, vers Perpignan. Bison Futé a été créé en 1975 après 600 kilomètres le samedi 2 Août 1975. Mais l’A75 reste le talon d’Achille du réseau autoroutier français, et l’Etat fait appel à la société Eiffage ainsi qu’à l’architecte britannique Norman Foster. Sans emprunter le viaduc, le peloton du Tour de France 2005 passe dans la vallée adjacente au cours de l’étape Albi - Mende, remportée par le coureur espagnol Marcos Serrano.

- Saint-Méen-le-Grand 2006 : village natal de Louison Bobet, triple vainqueur du Tour (1953, 1954, 1955), Saint-Méen-le-Grand (Morbihan) est le départ d’une étape du Tour 2006. L’arrivée de cette étape morbihanaise est jugée à Lorient, la victoire revenant au coureur français Sylvain Calzati. En 1995, le Tour était déjà passé par Saint-Méen-le-Grand, dans l’étape Perros-Guirec - Vitré, à l’occasion d’un sprint bonification qui avait permis à Laurent Jalabert de prendre le maillot jaune. En 1995, l’étape de Vitré avait été remportée par Mario Cipollini.

- Londres 2007 : il ne s’agit que d’un semi clin d’oeil. L’année 2007 ne représentait rien de particulier pour la capitale britannique, hôte du départ du Tour et future ville olympique en 2012, mais la candidature de Londres avait été déposée en 2004, pour le centenaire de l’Entente Cordiale entre la France et le Royaume-Uni. En 1904, les diplomates des deux pays avaient su enterrer les conséquences de la crise de Fachoda (poste militaire du sud de l’Egypte), en 1898. Français et Britanniques seraient alliés pendant la Première Guerre Mondiale. Le prologue londonien du Tour 2007 fut remporté par le suisse Fabian Cancellara, qui retrouvait ainsi le maillot jaune, trois ans après sa victoire au prologue de Liège (2004).

 - Marcoussis 2007 : départ de l’ultime étape du Tour 2007, Marcoussis a été choisie par la Grande Boucle comme clin d’oeil à la Coupe du Monde de rugby 2007, organisée en France. C’est en effet à Marcoussis, dans l’Essonne, que se trouve le centre technique national du rugby, où s’entraîne le XV de France. L’étape Marcoussis - Paris fut remportée par le coureur italien Daniele Bennati.

- Monaco 2009 : le cyclisme, sport de prolétaires, accède à l’écrin de la Principauté de Monaco, celle qui accueille régulièrement des sports plus bankables telles que la Formule 1, le football ou le tennis. Quelques semaines après Rafael Nadal vainqueur du Masters 1000 de tennis pour la cinquième année consécutive et Jenson Button lauréat du Grand Prix de F1 sur Brawn Mercedes, c’est Fabian Cancellara qui devient le prince d’un soir sur le Rocher, prenant le maillot jaune en battant le favori espagnol du Tour, Alberto Contador, dans une édition marquée par le come-back du septuple vainqueur Lance Armstrong. On aperçoit également un certain Fernando Alonso venu soutenir son compatriote et ami Alberto Contador, le natif d’Oviedo ayant pour projet de sponsoriser une équipe cycliste espagnole ...

- Rotterdam 2010 : partant une nouvelle fois à l’étranger, une tendance qui explose depuis les années 80, le Tour de France préfère Rotterdam à Utrecht parmi les deux villes hollandaises candidates. Dublin 1998, Luxembourg 2002, Liège 2004, Londres 2007, Rotterdam 2010, le temps où s’Hertogenbosch accueillait le Tour en 1996, voire Leiden en 1978 semble révolu, les ressources financières des grosses municipalités européennes étant bien entendu supérieures ... La victoire revient à Fabian Cancellara, spécialiste des prologues, surtout à l’étranger (Liège 2004, Londres 2007, Monaco 2009, Rotterdam 2010, Liège 2012).

- Col du Tourmalet 2010 : l’arrivée du Tour de France 2010 au sommet du col du Tourmalet, col mythique de l’épreuve au même titre que le Galibier, le Ventoux, la Madeleine, la Croix-de-Fer, le Mont-Cenis ou encore l’Aubisque, est un clin d’œil au centenaire du premier franchissement des Pyrénées, en 1910. A l’époque, les forçats de la route avaient gravi le Tourmalet sur leurs lourdes machines. Futur vainqueur du Tour, Octave Lapize avait traité les organisateurs (Henri Desgrange) d’assassins. Vous êtes des assassins, ... des criminels, dites-le de ma part à Desgrange. L’étape Luchon - Bayonne de 1910, qui propose donc le franchissement des quatre géants pyrénéens, Peyresourde, Aspin, Tourmalet et Aubisque, est donc gagnée par le même Octave Lapize, qui domine son coéquipier chez Alcyon, François Faber. Cependant, Henri Desgrange lui-même était sceptique quant au bien-fondé du passage du Tour de France dans les cols des Pyrénées. L’idée d’escalader Aubisque et Tourmalet venait de son collaborateur Alphonse Steines. Au début de l’année 1910, Steines présente à Desgrange le tracé du prochain Tour. Quinze étapes sont au programme, au lieu de quatorze en 1909. Mais le kilométrage reste identique. Henri Desgrange regarde alors la carte et blêmit. Toulouse, ville-étape depuis 1903, Toulouse dont les exploits du coureur local, Jean Dargassies, font monter en flèche les ventes de L’Auto, est tout simplement rayée de la carte ! En lieu et place de la ville rose, Steines propose deux étapes, Perpignan-Luchon et Luchon-Bayonne par les cols de Peyresourde, d’Aspin, du Tourmalet et de l’Aubisque. Le courroux de Desgrange s’abat sur la pièce où se tient cette réunion. Les quatre cols envisagés par Steines font partie de cette région que les rares habitants nomment "le Cercle de la Mort". Lors des longues soirées d’hiver dans les petites maisons recouvertes de tuiles d’ardoise, tout en entretenant le feu, on raconte des histoires. Des histoires de lutins mais aussi des histoires de bergers qui disparaissent les nuits sans lune, dévorés par les ours qui vivent encore en nombre dans ces montagnes des Pyrénées. Et ces histoires de bergers ne sont pas des légendes. Quant aux routes d’accès, elles existent à peine. Ce ne sont que des sentiers caillouteux, ravinés par la violence des vents et l’abondance de la neige, des chemins empruntés par les bergers suivis de leurs troupeaux, et parfois, en été, par le véhicule de la poste. Mon pauvre Steines, vous êtes devenu fou. Vous voulez tuer les coureurs ... Je vous chasse, dit Desgrange à son collaborateur avant de se raviser. Allez voir sur place. Rendez-vous compte, mais c’est votre dernière chance. Trois mois avant le départ du Tour de France 1910, Alphonse Steines effectue une reconnaissance dans les Pyrénées, puis il envoie ce télégramme à son patron. Passé Tourmalet. Stop. Très bonne route. Stop. Parfaitement praticable. Stop. Mais, à Paris, dans les bureaux du quotidien L’Auto, au 10 rue du Faubourg Montmartre, Desgrange ignore que son employé, égaré quelques heures plus tôt dans une région surnommée "Le Cercle de la Mort", a failli mourir de froid, après avoir erré une partie de la nuit dans un désert de neige. Retrouvé à l’aube par des gendarmes, revigoré par un copieux petit déjeuner, Steines envoie ce télégramme rassurant à Desgrange, évitant ainsi de se faire licencier de l’Auto ! Grâce ou à cause de lui, les concurrents de l’édition 1910 sont les premiers à emprunter les lacets du col du Tourmalet, redoutable juge de paix dans l’Histoire de la Grande Boucle. Cent ans plus tard, en 2010, Andy Schleck remporte l’étape du Tourmalet devant Alberto Contador.

- Planche des Belles Filles 2012 : la Planche des Belles Filles, un nom qui sent bon les chansons à texte de Georges Brassens (Les Amoureux des Bancs Publics, les Copains d’Abord), Jacques Dutronc (J’aime les Filles) ou Serge Gainsbourg (Les Sucettes, la Javanaise) … En 2010, le sénateur et président du Conseil Général de Haute-Saône Yves Krattinger présente la montée vosgienne à Christian Prud’homme. Séduit, ce dernier inscrit l’étape et ses terribles pourcentages au parcours 2012. Le département franc-comtois y gagne, ainsi que le Tour de France qui gagne un rendez-vous de moyenne montagne avant les Alpes pour les éditions descendant du Nord au Sud. Chris Froome inaugure le palmarès en 2012, se révélant dans la montée où Bradley Wiggins prend le maillot jaune. En 2014, c’est Vincenzo Nibali qui gagne à la Planche des Belles Filles, prenant le maillot jaune que personne ne pourra lui enlever jusqu’à Paris. Fabio Aru gagne sur le sommet vosgien mais le Tour sera gagné par Chris Froome. La Planche des Belles Filles revient pour la quatrième fois en huit ans pour l’édition 2019. Si l’intérêt sportif est indéniable, il doit aussi permettre de pérenniser un rendez-vous en Franche-Comté, afin d’en faire pourquoi pas une terre de cyclisme, comme la Bretagne et ses champions (Jean Robic, Louison Bobet, Bernard Hinault …).

- Porto Vecchio, Bastia, Calvi et Ajaccio 2013 : avant le Tour de France 2004, la Creuse est le dernier département de France métropolitaine que le Tour n’avait pas visité. Une étape à Guéret règle le problème, avec la victoire du sprinter australien Robbie McEwen pour l’anecdote. Mais il reste l’épineux cas de la Corse. Alors que la Vuelta visite les Baléares, et le Giro se rend en Sardaigne et en Sicile, le Tour de France attend sa 100e édition pour se rendre sur l’Ile de Beauté. Marcel Kittel l’emporte au sprint à Bastia, Jan Bakelants à Calvi puis Simon Gerrans à Ajaccio. La Société du Tour a compris que les Français ne regardaient plus le Tour pour son enjeu sportif, devenu limité au temps des oreillettes, des sprints massifs et des attaques dans le dernier col, mais aussi et surtout pour les décors de l’Hexagone : littoraux méditerranéen, breton, normand et atlantique, moyenne et haute montagne … Le patrimoine culturel et naturel de la France est à l’honneur chaque mois de juillet …

- Leeds / Harrogate / Sheffield / Londres 2014 : au lieu de célébrer à Florence le centenaire de la naissance de Gino Bartali, le virtuose grimpeur toscan, puis de converger vers un autre lieu de pèlerinage du cyclisme italien dans le Piémont natal de Fausto Coppi, avec une étape à Castellania, le Tour surfera sur la vague Wiggins / Froome née en 2012 et les victoires d’étapes de Mark Cavendish, et sur la ferveur vue aux Jeux Olympiques de Londres en donnant, sept ans après la capitale britannique, un nouveau grand départ depuis la Perfide Albion. Les considérations de retombées marketing ont clairement pris le pas sur le poids historique, l’Italie n’ayant de plus jamais accueilli le grand départ du Tour de France, malgré une profonde culture cycliste et 10 maillots jaunes au palmarès (seules la France, la Belgique et l’Espagne ont fait mieux depuis 1903). La Botte est le seul voisin européen de la France dans ce cas, à l’exception de la principauté d’Andorre : Allemagne (Cologne 1965, Francfort 1980, Berlin 1987, Düsseldorf 2017), Belgique (Bruxelles 1958 et 2019, Charleroi 1975, Liège 2004 et 2012), Espagne (San Sebastian 1992), Grande-Bretagne (Londres 2007, Leeds 2014), Irlande (Dublin 1998), Luxembourg (Luxembourg 1989 et 2002), Monaco (2009), Pays-Bas (Amsterdam 1954, Scheveningen 1973, Leiden 1978, s’Hertogenbosch 1996, Rotterdam 2010, Utrecht 2015), Suisse (Bâle 1982). Ironie du destin, c’est un Italien, Vincenzo Nibali, qui gagnera l’édition 2014 du Tour de France avec en plus une victoire d’étape à Sheffield dès le deuxième jour de course, tandis que Chris Froome abandonne sur les pavés du Nord. L’autre héros du public anglais, Mark Cavendish, renonce dès l’étape d’Harrogate remportée par son rival allemand Marcel Kittel, qui double la mise à Londres le surlendemain. La Berezina du cyclisme britannique, souverain avec Cavendish, Wiggins et Froome depuis 2008, est totale sur cette édition 2014. La décence voudrait que l’Italie soit enfin récompensée d’un grand départ pour l’édition 2019, centenaire de la naissance de Fausto Coppi, avec un départ du Piémont, à Turin, vers Castellania puis vers Pinerolo, lieu d’une victoire mythique de Coppi sur le Giro 1949 et ancienne forteresse de Nicolas Fouquet (entre 1664 et 1680) ou du Masque de Fer (entre 1669 et 1681, avant d’être emprisonné à l’île Sainte-Marguerite de Lérins au large de Cannes et enfin à la Bastille à Paris où il mourra en 1703), ou vers Sestrières, théâtre d’exploits de Coppi en 1952 ou encore Chiappucci en 1992. L’hommage non rendu à Gino Bartali en 2014 par le Tour de France le sera en 2018 par le Giro, au départ de Jérusalem. La référence peut surprendre, mais la ville sainte, considérée par Israël comme sa capitale, possède parmi d’autres hauts lieux juifs (Mur des Lamentations), chrétiens (Saint-Sépulcre, Mont des Oliviers) ou musulmans (Mosquée d’Al-Aqsa, Dôme du Rocher), le Mémorial de Yad Vashem. En 2013, pour sa contribution à sauver des Juifs pendant la guerre, Gino Bartali a été fait Juste Parmi Les Nations à titre posthume. En 1943 et 1944, le grimpeur toscan cachait des documents dans le cadre de son vélo, allant de couvent en couvent sur des routes reliant Florence, Gênes, Assise ou Rome, au péril de sa vie. Les soldats pensaient que le double vainqueur du Giro (1936n, 1937) et lauréat du Tour de France (1938) s’entraînait en perspective d’une paix future, Bartali faisait beaucoup plus que ça, risquant sa vie …

- Utrecht 2015 : ville étudiante dynamique, battue en 2010 par Rotterdam, Utrecht touche le Graal pour le sixième grand départ en Hollande (record des pays européens). Le Tour de France montre là aux candidats qu’il n’oublie pas leur fidélité, mais la multiplication des départs à l’étranger dans les années 2000 et 2010 (Luxembourg 2002, Liège 2004, Londres 2007, Monaco 2009, Rotterdam 2010, Liège 2012, Leeds 2014, Utrecht 2015, Düsseldorf 2017) montre peut-être la limite économique des communes françaises, vu le coût exorbitant de ce grand départ si médiatique, malgré les retombées touristiques encore plus fortes que sur une étape. La victoire dans les rues d’Utrecht revient au rouleur australien Rohan Dennis, qui prend le maillot jaune.

- Finhaut Emosson 2015 : afin de justifier le choix de cette arrivée sur un barrage suisse, l’organisateur du Tour (Christian Prud’homme pour ne pas le nommer) revendique la comparaison avec un décor digne de James Bond, référence au long-métrage Golden Eye de 1995, qui avait relancé la franchise 007 (laissée pour morte avec la fin de la guerre froide) avec un pré-générique tourné avec Pierce Brosnan (James Bond 007) et Sean Bean (Alec Trevelyan, alias Janus et ex agent 006) sur le barrage suisse de Contra, situé dans le canton italophone du Tessin. La victoire d’étape à Finhaut-Emosson revient au coureur russe Ilnur Zakarin.

- Sallanches 2016 : ville départ du chrono vers Megève (CLM remporté par le maillot jaune Christopher Froome), la station alpestre de Sallanches rend hommage le jeudi 21 juillet 2016 à Bernard Hinault, champion du monde en 1980 sur le circuit savoyard. Le Breton, quintuple maillot jaune du Tour de France (1978, 1979, 1981, 1982, 1985) est accompagné dans cet hommage par deux autres champions du monde sacrés à Sallanches, mais en 1964 : le Belge Eddy Merckx chez les amateurs et le Néerlandais Jan Janssen chez les professionnels, tous deux également lauréats de la Grande Boucle (1969, 1970, 1971, 1972 et 1974 pour le Cannibale belge, 1968 pour le Néerlandais). A Sallanches, Hinault inaugurera une stèle à son nom.

- Marseille 2017 : avec un départ et une arrivée au Stade Vélodrome (alias Orange Vélodrome) et un passage, via une côte de 1 km de long, par la basilique de Notre-Dame-de-la-Garde, Christian Prud’homme et Thierry Gouvenou perpétuent la tradition des étapes « carte postale » sur la Grande Boucle. Pour eux, le seul dogme est qu’il n’y a pas de dogme … Celui de la carte postale est pourtant tenace, collant à l’identité du Tour de France des années 2010 comme le sparadrap au nez du capitaine Haddock …

- Bruxelles 2019 : pour fêter le 50e anniversaire du premier Tour de France d’Eddy Merckx (1969), le Tour de France partira de la capitale belge en 2019 pour sa 106e édition. Bruxelles avait déjà accueilli, en 1958, le départ de la Grande Boucle. Comme en 2014 pour le centenaire de la naissance de Gino Bartali (1914-2000), l’Italie rate une belle occasion avec le centenaire de la naissance de Fausto Coppi (1919-1960), qui aurait pu offrir au Piémont ce que la Toscane, avec son joyau Florence, n’avait pas obtenu face à Leeds ... Il était important de partir de la ville du champion qui a porté le plus souvent le maillot jaune, a déclaré le directeur du Tour, Christian Prudhomme, en soulignant que l'année 2019 marquera le centenaire de la création de la tenue de leader du Tour, le célébrissime maillot jaune, porté pour la première fois en 1919 par Eugène Christophe à l’issue de l’étape Grenoble – Genève, reçu au Café de l’Ascenseur.

Un clin d’œil inversé (et faux) fut celui attribué à la chanson Bicycle Race du groupe Queen, sortie en 1978. La rumeur affirme que Freddie Mercury l’aurait composée pendant un séjour à Nice, alors que le Tour de France y faisait étape. Cette rumeur est doublement fausse ... le Tour 1978 n’est jamais passé à Nice, et Mercury composa Bicycle Race à Montreux, dans la Riviera vaudoise.


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1 réactions à cet article    


  • Axel_Borg Axel_Borg 28 octobre 2018 15:23

    A noter que la Planche des Belles Filles, en 2019, aura une arrivée légèrement différente avec 100 derniers mètres sans bitume et une pointe à 24 % sur ce final d’étape vosgien ...

    Le Tour a beau dire qu’il ne court pas à la surenchère vis-à-vis de l’Angliru ou du Zoncolan, ce n’est pas vraiment le cas.

    Plus globalement, oui la course aux symboles, au marketing et autres cartes postales est devenue une composante du dessin du tracé de la Grande Boucle. Mais Giro ou Vuelta font de même ...

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