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Accueil du site > Culture & Loisirs > Sports > La double malédiction de l’arc-en-ciel

La double malédiction de l’arc-en-ciel

Certains cycliste de légende n’ont jamais réussi à gagner le Championnat du Monde, d’autres ont amèrement regretté d’avoir conquis le maillot irisé, et ce dès l’année suivant leur sacre …

Le Tour de France est la plus prestigieuse des courses cyclistes, le record de l’heure est le défi ultime. Mais le championnat du monde de cyclisme, telle la Coupe Davis en tennis, a un parfum particulier, de même que la course en ligne des Jeux Olympiques (réouverte aux professionnels depuis Atlanta en 1996). On porte le maillot national avec la rage chevillée au corps, en espérant faire retentir l’hymne de son pays à l’étranger, tel Louison Bobet qui avait la fierté du général de Gaulle en 1954, faisant jouer la Marseillaise en Rhénanie, dix ans après la Libération de Paris du joug de l’Occupation allemande, après la victoire du champion breton sur le circuit de Solingen. Comme le disait le pilote de F1 italo-américain Mario Andretti, en F1, on ne se bat pas que pour la gloire ou pour l’argent, on se bat aussi pour faire retentir l’hymne de son pays à l’autre bout du monde. C’est exactement la même chose en cyclisme, mais certains n’ont jamais eu ce plaisir aux Championnats du Monde. Quant à d’autres, ils l’ont payé bien cher, tel Sisyphe poussant son rocher aux Enfers …

Ils n’ont jamais conquis leur Graal irisé

  • Jacques Anquetil (Nürburgring 1966) : quête du Graal des grands champions cyclistes depuis la victoire de Fausto Coppi en 1953 à Lugano, le titre mondial se refusa toujours à Jacques Anquetil, quintuple maillot jaune du Tour de France. En1966 au Nürburgring, Anquetil et Poulidor dominent le Mondial sur le prestigieux circuit de l’Eifel, magnifié chaque année par les F1. Mais dans le dernier tour, les deux Français jouent au lièvre et à la tortue. A force de se regarder en chiens de faïence, l’épée de Damoclès leur tombe dessus, Rudi Altig revient du diable vauvert et s’en va conquérir le maillot arc-en-ciel à domicile, Anquetil terminant 2e et Poulidor 3e pour un fiasco monumental du côté de l’équipe de France …
  • Raymond Poulidor (Montréal 1974) : pour la première fois, le championnat du monde quitte l’Europe et s’exporte sur un autre continent, au Canada. A 38 ans, Poulidor a étonné son monde sur le Tour de France, terminant dauphin d’Eddy Merckx qu’il a menacé dans les Alpes comme dans les Pyrénées. La polyvalence du Cannibale belge, capable d’asphyxier la course sur la moindre parcelle d’asphalte, lui a permis de conquérir une cinquième maillot jaune qui restera à jamais utopique pour le Limousin. A Montréal, sur le circuit du Mont-Royal qui surplombe la cité québécoise, l’équipe de France réalise une course magnifique avec l’échappée de Bernard Thévenet. La terrible côte du Belvédère ne suffit pas à épuiser le favori de ce championnat du monde, Eddy Merckx. Un an après le fiasco de Barcelone (1973) où Freddy Maertens avait condamné les chances de son glorieux aîné, Merckx veut à nouveau goûter au parfum de l’irisé, trois ans après son deuxième sacre de Mendrisio (1971). Ce sera chose faite et Merckx rejoint Alfredo Binda et Rik Van Steenbergen dans la galaxie des triples champions du monde, tandis que Poulidor, deuxième au Canada, se contente d’un nouveau podium mondial, huit ans après la Berezina du Nürburgring en 1966.
  • Roger de Vlaeminck (Yvoire 1975) : désireux de sortir de l’ombre écrasante de Merckx, Roger de Vlaeminck vit ce Mondial 1975 avec une épée de Damoclès sur la tête. De Vlaeminck va se retrouver sur le devant de la scène après la chute du quintuple vainqueur du Tour et quintuple vainqueur du Giro, également triple champion du monde. Le Cannibale va ensuite se sacrifier en contrant des attaques adverses au profit de Roger de Vlaeminck. Pour justifier son statut inespéré de leader de la sélection belge, le Gitan se doit donc de l’emporter à Yvoire. Mais celui qu’on surnomme également Monsieur Paris-Roubaix, en raison de son lien viscéral avec l’Enfer du Nord, va s’incliner contre le Néerlandais Hennie Kuiper, qui exploite à merveille un moment d’hésitation du camp belge pour s’échapper. Kuiper ne sera jamais rejoint. Ce dernier est un spécialiste des courses sur circuit puisqu’il avait été champion olympique en 1972 à Münich. Mais cela ne suffit pas à consoler Roger de Vlaeminck, le grand battu d’Yvoire, il en jette même son bouquet sur le podium.
  • Sean Kelly (Villach 1987) : meilleur coureur de classiques des années 80, Sean Kelly se consumait d’impatience de disputer le Mondial 1987 pour deux raisons : primo, il avait vu la Vuelta 1987 lui échapper in extremis au profit de Luis Herrera. Secundo, son compatriote irlandais Stephen Roche l’éclipsait après son doublé Giro – Tour. Tertio, son rival dans les courses d’un jour, l’italien Moreno Argentin, avait conquis le titre mondial en 1986 sur le circuit de Colorado Springs. A Villach, Kelly comme Argentin arrivent avec l’encombrante pancarte de favori. Tous les autres coureurs se situent par rapport à ces deux ténors, ce dont profite Stephen Roche dans l’ultime tour sur le circuit autrichien. Le maillot vert de Roche s’extrait du groupe de tête pour couper la ligne en première position, tandis que Kelly lève les bras en signe de solidarité avec son compatriote irlandais. Mais sans le savoir, le sextuple vainqueur de Paris-Nice a gâché une superbe occasion à Villach en ce dimanche d’août 1987. 3e en 1982 à Goodwood puis encore médaillé de bronze en 1989 à Chambéry, c’est cependant en Autriche que le Pantagruel des routes a manqué le Graal, lui qui était en 1987 à son climax après avoir gagné presque toutes les grandes classiques du calendrier, de Paris – Roubaix à Liège-Bastogne-Liège, en passant par Milan San Remo ou le Tour de Lombardie.
  • Laurent Jalabert (Benidorm 1992) : maillot vert du Tour de France 1992 et vainqueur d’étape à Bruxelles, Laurent Jalabert est un prometteur espoir de 23 ans qui réussit sa première saison chez ONCE. Bien que très sélectif via la côte de Finestrat, le circuit de Benidorm ne sourit pas aux baroudeurs, c’est un sprint massif qui va décerner le maillot arc-en-ciel. Mais après 260 kilomètres de course, la fraîcheur compte plus que la vitesse intrinsèque au sprint, et l’équipe de France a oublié ce théorème fondamental des courses d’un jour, si bien que Jalabert échoué à la deuxième place, médaille d’argent derrière Gianni Bugno, l’Italien conservant le titre mondial acquis en 1991 à Stuttgart et lavant l’affront de son échec sur la Grande Boucle 1992 par cette victoire à Benidorm. L’équipe de France, elle, voit le maillot irisé rester utopique pour la douzième année de suite. Ironie du destin, celui qu’on désigne injustement comme la tête de turc de la course espagnol sera celui qui ramènera l’arc-en-ciel dans l’Hexagone deux ans plus tard en Sicile un dimanche de l’été 1994, Luc Leblanc.
  • Miguel Indurain (Oslo 1993) : auteur de son deuxième doublé Giro – Tour en deux ans, Miguel Indurain impose son implacable hégémonie au cyclisme mondial en 1993. 3e à Stuttgart en 1991, 6e à Benidorm en 1992, le Navarrais veut venger cet échec à domicile pour égaler Eddy Merckx et Stephen Roche, seuls coureurs à avoir cumulé le rose, le jaune et l’irisé dans la même saison (en 1974 pour le Cannibale belge, en 1987 pour l’Irlandais). Comme Greg LeMond, Indurain venait chaque année au championnat du monde, exception faite de 1994 où il battit le record de l’heure la semaine suivant le Mondial d’Agrigente. A Oslo en 1993, Indurain tombe sur un jeune Américain de 22 ans révélé par une victoire d’étape à Verdun dans le Tour : Lance Armstrong. Tel Greg LeMond dix ans avant lui, Armstrong remporte le titre de champion du monde l’année de ses 22 ans. Quant à Indurain, il se contente du premier accessit, place de dauphin qu’il renouvellera en 1995 en Colombie derrière son coéquipier espagnol et sosie, Abraham Olano.
  • Marco Pantani (Duitama 1995) : escaladeur virtuose, Pantani s’est révélé sur le Giro 1994 dans le col Mortirolo, juge de paix aux terribles pourcentages. Dauphin de Berzin, l’Italien confirme sur le Tour de France 1994 qu’il finit 3e derrière Indurain et Ugrumov. En 1995, Pantani échoue au général sur la Grande Boucle mais impose par deux fois sa férule dans les étapes de l’Alpe d’Huez et de Guzet-Neige. 1995 marque une saison de profonds changements du calendrier mondial par l’UCI. Pour décharger le mois d’avril des classiques de printemps (flandriennes puis ardennaises), la Vuelta passe en septembre ce qui décale le Championnat du Monde à fin septembre, voire octobre. La Colombie accueille l’édition 1995 à Duitama, dans la Cordillère des Andes, terrain idéal pour le grimpeur Marco Pantani. Mais face à l’équipe d’Espagne qui joue aux conquistadores, Pantani rate l’Eldorado face au tandem ibérique Olano / Indurain, échouant à la 3e place synonyme de médaille de bronze.
  • Michele Bartoli (Valkenburg 1998) : 3e en 1996 à Lugano derrière Johan Museeuw et Mauro Gianetti, Bartoli prend une autre envergure en 1997 en battant Zülle et Jalabert dans la Doyenne. En 1998, le champion toscan signe le doublé à Liège ainsi qu’en Coupe du Monde. Après un échec fin 1997 à San Sebastian tout comme son rival Jalabert, Michele Bartoli vise le Mondial de Valkenburg, là où se joue chaque année l’Amstel Gold Race. Sous la pluie hollandaise, le favori transalpin émerge du chaos dans un groupe de costaud composé de l’Américain Lance Armstrong, du Belge Peter Van Petegem, du Néerlandais Michael Boogerd et du Suisse Oskar Camenzind, futur champion du monde ce jour là aux Pays-Bas. Van Petegem et Bartoli complètent le podium devant Armstrong et Boogerd. Une fois de plus contraint de se contenter de la médaille de bronze, Bartoli gagnera quelque mois plus tard la Flèche Wallonne sous un temps de chien au printemps 1999, puis l’Amstel Gold Race en 2002. Mais pour se consoler, Bartoli peut se dire que seuls des coureurs non latins ont gagné à Valkenburg, quatre fois hôte du Championnat du Monde : le Belge Marcel Kint en 1938, le Hollandais Jan Raas en 1979, le Suisse Oskar Camenzind en 1998 et le Belge Philippe Gilbert en 2012.
  • Jan Ullrich (Lisbonne 2001) : comme en 1999 à Vérone, le champion allemand débarque en favori du Mondial, situation renforcée par sa victoire sur le chrono dans le parc de Monsanto face à l’Ecossais David Millar. Mais comme Miguel Indurain, l’ogre de Rostock ne gagnera jamais l’irisé, et c’est l’effet underdog qui va propulser un outsider inattendu. Alors que l’Italien Lanfranchi porte l’estocade à l’échappée de son compatriote Gilberto Simoni, c’est le coéquipier de Lanfranchi chez Mapei qui l’emporte au sprint, l’Espagnol Oscar Freire, devant un troisième coureur italien, Paolo Bettini qui se contente de la médaille d’argent. Comme en 1999 à Vérone, le circuit de Lisbonne n’était pas assez sélectif. Comme en 1999 à Vérone, le championnat du monde se termine par un épilogue inattendu. Comme en 1999 à Vérone, c’est Oscar Freire qui l’emporte au détriment du favori Jan Ullrich, qui l’avait emporté sur circuit en 2000 aux Jeux Olympiques de Sydney, aidé par ses coéquipiers de Deutsche Telekom, le Kazakh Alexandre Vinokourov et l’Allemand Andreas Klöden.
  • Erik Zabel (Zolder 2002 et Salzbourg 2006) : atteint par l’usure du pouvoir sur le Tour de France en 2002, Erik Zabel ne vise plus le maillot vert avant de tirer sa révérence mais l’arc-en-ciel du championnat du monde. 5e à Lisbonne en 2001, le sprinter allemand espère profiter du parcours tout plat de Zolder en 2002. Mais le circuit belge sourit à Mario Cipollini qui met fin à dix ans de disette pour la Squadra Azzurra, orpheline des rayons de l’arc-en-ciel depuis Gianni Bugno en 1992 à Benidorm. Zabel termine 3e derrière Cipollini et McEwen, l’homme qui lui a pris le maillot vert sur la Grande Boucle. En 2006, à Salzbourg en Autriche, l’Allemand termine médaille d’argent derrière Paolo Bettini … A 36 ans, Zabel a laissé une occasion en or.
  • Fabian Cancellara (Mendrisio 2009) : comme en 1971, la ville tessinoise de Mendrisio accueille le Mondial sur un circuit pour grimpeurs. Mais à domicile, Spartacus peut se transcender, lui qui gagne pour la troisième fois en quatre ans le titre du CLM ? 1971 avait vu Eddy Merckx porter l’estocade à ses rivaux à force de dresser la guillotine dans la côte principale du circuit suisse, seul Felice Gimondi repoussant l’inéluctable. Tirant la quintessence de ses dons d’escaladeur, l’Australien Cadel Evans l’emporte ce jour là près de son domicile. 5e à Mendrisio, Cancellara finit à trente secondes du nouveau champion du monde, manquant son grand objectif de doublé CLM / course en ligne, que même Jan Ullrich n’avait pas réussi non plus à atteindre en 1999 et 2001.

    Ils n’ont pas profité de leur titre mondial

  • Fausto Coppi (1954, titré à Lugano en 1953) : quelque mois après avoir gagné de haute lutte son cinquième Giro après une étape d’anthologie via le col du Stelvio, et un duel au couteau contre le virtuose suisse Hugo Koblet, Fausto Angelo Coppi s’attaque au seul titre qui manque à son colossal palmarès. Le Pantagruel italien l’emporte à Lugano, dans le canton suisse italophone du Tessin. Mais 1954 marque le début de la fin pour Coppi, avec son divorce, le scandale de sa liaison avec la Dame Blanche (Giulia Occhini) et cet éditorial terrible de Jacques Goddet pour un Tour de France 1954 orphelin des coureurs italiens : Vous n’êtes plus que le fantôme de vos exploits passés. La suite sera dramatique : veto du pape Pie XII de bénir le peloton du Giro 1955 passant par Rome, la faute au pécheur Coppi … Défaite cruelle face à André Darrigade au Tour de Lombardie 1956 … Blessures récurrentes … Tournées en Argentine pour gagner sa vie et cacher la misère d’une vie privée totalement ratée … Décès le 2 janvier 1960 après avoir contracté la malaria lors d’une tournée en Haute-Volta en décembre 1959 avec ses amis français Geminiani et Anquetil.
  • Stan Ockers (1955, titré à Frascati en 1955) : dauphin de Coppi sur le Tour de France 1952, le coureur belge fut sacré champion du monde en 1955 sur le circuit de Frascati, situé près de Rome. Malheureusement pour Ockers, le maillot irisé lui fut fatal, il décéda le 1er octobre 1956 des suites d’une terrible chute le 29 septembre au vélodrome d’Anvers.
  • Jean-Pierre Monséré (1971, titré à Leicester en 1970) : Jean-Pierre Monseré remporte le Tour de Lombardie 1969, après le déclassement, pour dopage, du Néerlandais Gerben Karstens. L'année suivante, le 16 août 1970, il remporte, sous un vent violent, sur le circuit vallonné de Leicester, le championnat du monde sur route en battant le Danois Leif Mortensen et l'Italien Felice Gimondi. Membre — aux côtés des frères Éric et Roger De Vlaeminck — du groupe Flandria dirigé par Albéric Schotte, Monseré laisse alors entrevoir une grande carrière de champion cycliste. Le 15 mars 1971, à l'âge de 22 ans, il meurt percuté de face par une voiture en pleine course, tué sur le coup lors du Grand Prix de la kermesse de Retie, sur la route de Lille à Gierle, alors qu’il portait le maillot arc-en-ciel1. Un monument a été érigé sur le lieu de l'accident.
  • Stephen Roche (1988, titré à Villach en 1987) : en 1987, Roche devient persona non grata dans sa propre équipe (Carrera), après un Giro en forme de duel fratricide contre son coéquipier italien Roberto Visentini, maillot rose sortant. Vainqueur du Tour d’Italie, Roche réalise le doublé Giro – Tour après avoir provisoirement enterré la hache de guerre avec Davide Boifava. Insatiable, Roche réussit le triplé Giro – Tour – Mondial à Villach en Autriche, tel Eddy Merckx en 1974. Embauché à grands frais par la firme Fagor, Stephen Roche connait une année noire en 1988. En conflit avec ses directeurs sportifs et souffrant du genou, il n'obtient aucun résultat ...
  • Gianni Bugno (1993, titré à Benidorm en 1992) : en 1992, sa troisième place dans le Tour de France et son naufrage dans l’Alpe d’Huez causent à Gianni Bugno un complexe mental envers Miguel Indurain, l’indéboulonnable maillot jaune de l’équipe Banesto. Après le déclic de la musicothérapie mais surtout de l’EPO, Bugno a gagné trois courses majeures en trois ans entre 1990 et 1992, un Giro au printemps 1990, et deux championnats du monde, en 1991 à Stuttgart et en 1992 à Benidorm. Cette triple apothéose ne résiste pas à l’érosion du temps, Bugno sombre en 1993 après une défaillance dans le col du Galibier sur le Tour de France, tandis que son compatriote Claudio Chiappucci est surclassé comme dauphin d’Indurain par le vétéran suisse Tony Rominger. A l’exception d’une victoire en 1994 au Tour des Flandres, jamais plus Gianni Bugno ne fera la une des journaux.
  • Lance Armstrong (1994, titré à Oslo en 1993) : contraint de délaisser pan y agua pour l’EPO via Axel Merckx qui l’introduit en avril 1995 auprès du docteur Ferrari, le jeune champion du monde d’Oslo franchit le Rubicon du dopage tel Faust cédant à Mephistopheles. Le déclic intervient après une cuisante défaite sur la Flèche Wallonne 1994 où le triplé Gewiss agace et fascine à la fois le peloton, la décision finale après une nouvelle Berezina au printemps 1995 sur Milan – San Remo. Quelques mois plus tard, Armstrong triomphe dans la Clasica San Sebastian, lieu de son douloureux baptême du feu en août 1992. Dans l’Alto de Jaizkibel, le Texan ne subit plus les rires des supporters basques mais s’érige parmi les meilleurs coureurs de classiques du peloton … Leader de l’équipe Motorola de Jim Ochowicz, Armstrong signe fin 1996 chez Cofidis pour collaborer avec Cyrille Guimard. Le projet restera lettre morte, l’Américain se faisant diagnostiquer un cancer des testicules en octobre 1996. Convalescent en 1997, de retour dans les pelotons en 1998 avec l’US Postal, l’ancien maillot irisé monte en 1999 avec Johan Bruyneel et Michele Ferrari le système de dopage le plus sophistiqué de tous les temps, sous la bienveillance du Ponce Pilate du Lac Léman, Hein Verbruggen, perché dans sa tour d’ivoire de l’UCI. Mais contrairement à Evgueni Berzin, feu de paille du cyclisme après 1996, Lance Armstrong va pérenniser les exploits trop beaux pour être vrais, avec un septennat d’imposture sur le Tour de France, sept maillots jaunes et un champ de ruines : tous les ténors de l’époque, d’Ullrich à Pantani en passant par Zülle, Klöden, Basso, Vinokourov ou encore Beloki, passeront sous ses fourches caudines.
  • Luc Leblanc (1995, titré à Agrigente en 1994) : fin 1994, attiré par les salaires pharaoniques du Groupement et agacé par sa rivalité interne avec Richard Virenque, le champion du monde Luc Leblanc claque la porte de l’équipe Festina. Il ne s’imagine pas que la saison 1995 sera bien proche de porter l’estocade à sa carrière. Propriété d’une secte dirigée par le gourou Jean Godzich, le Groupement cessera ses activités cyclistes juste après le championnat de France 1995, à une semaine du prologue de Saint-Brieuc. C’est donc orphelin du champion du monde 1994 (Luc Leblanc) et du dauphin de la Grande Boucle précédente (Piotr Ugrumov) que le Tour de France 1995 s’élance. En 1996, avec Polti, Leblanc effectue un retour au premier plan, remportant une étape d’anthologie entre Chambéry et les Arcs, malgré la concurrence de Laurent Dufaux et Udo Bolts dans les derniers hectomètres.
  • Johan Museeuw (1997, titré à Lugano en 1996) : le Lion des Flandres traverse 1997 comme une ombre puis est victime dans Paris – Roubaix 1998 d’une grave blessure au genou une semaine après sa troisième victoire dans le Ronde. A 33 ans, ce coup du sort semble sonner le glas des espoirs de Johan Museeuw va le Belge va à nouveau tutoyer la perfection en l’an 2000, vengeant sa chute d’Arenberg par une deuxième victoire à Roubaix. En 2002, s’attirant tous superlatifs, Museeuw termine en solitaire jusqu’au vélodrome artésien, à près de 37 ans, égalant les trois succès dans l’Enfer du Nord de Van Looy, Merckx et Moser …
  • Laurent Brochard (1998, titré à San Sebastian en 1997) : avec l’affaire Festina qui empoisonne le Tour de France 1998, Laurent Brochard tombe du Capitole à la Roche Tarpéienne. Mais celui qui s’était dopé pour conquérir le titre au Pays Basque en octobre 1997 ne pourra profiter de son maillot irisé sur la Grande Boucle, bien que n’étant que le porteur d’eau de ses trois leaders, Richard Virenque, Laurent Dufaux et Alex Zülle. En 2000, le Sarthois frôlera le succès dans Paris – Nice, vaincu dans le chrono du col d’Eze par un jeune espoir allemand qui refera parler de lui : Andreas Klöden.
  • Mark Cavendish (2012, titré à Copenhague fin 2011) : 2012 sonne la fin de l’hégémonie du sprinter de l’île de Man, avec l’émergence de trois rivaux allemands : John Degenkolb, Marcel Kittel et André Greipel. Champion du monde en 2011 à Copenhague, Cavendish doit se contenter de miettes sur le Tour de France 2012, lui le Pantagruel affamé de victoires, du fait d’une équipe Sky à l’entière dévotion du maillot jaune Bradley Wiggins. En 2013, le Britannique subit la férule de Marcel Kittel sur la Grande Boucle, et l’étape Leeds – Harrogate lui est fatale sur l’édition 2014.
  • Philippe Gilbert (2013, titré à Valkenburg fin 2012) : après une saison 2011 où le Wallon, stratosphérique tout en profitant de l’absence de l’autre puncheur star du peloton (Valverde suspendu pour dopage), a cannibalisé les classiques ardennaises ainsi que la Clasica San Sebastian, l’usure du pouvoir se fait sentir en 2012. Mais le roi des puncheurs sort de sa léthargie au meilleur moment, à Valkenburg ou il se pare d’arc-en-ciel, mettant fin à sept ans de disette pour la Belgique (Tom Boonen avait été sacré champion du monde en 2005 à Madrid). Sa saison 2013 est moribonde, avec une seule victoire, à Tarragone, dans la douzième étape de la Vuelta, si loin du festin de l’année 2011 où Gilbert ressemblait à un Goliath presque invulnérable sur les rendez-vous de prestige, réincarnation du héros Siegfried de la légende des Nibelungen, que le sang du dragon Fafnir avait rendu presque invincible, sauf à l’endroit où une feuille s’était posée sur son corps ... Le Belge, roi des classiques en 2011, numéro un mondial en 2012, a perdu son mojo le jour où il a revêtu le fameux paletot. Au moment de le remettre en jeu, un an plus tard du côté de Florence, le cador des courses d'un jour reconnaissait s'être ouvertement posé la question alors qu'il n'était pas du genre à aller fouiller dans les sphères paranormales pour expliquer ses échecs : Je n'ai jamais été superstitieux mais il y a un moment où, c'est vrai, je me suis demandé si ce maillot n'était pas maudit. Je me suis dit qu’il y avait quand même quelque chose qui ne tournait pas rond. Ça a commencé au soir du Tour de Lombardie. Une semaine après son triomphe mondial, Gilbert fait connaissance avec le revers de l’arc-en-ciel. De plein fouet. Dans la descente du Colma di Sormano et sur une chaussée extrêmement glissante, Gilbert se retrouve au tapis. Et termine une course qu'il a déjà accrochée deux fois à son tableau de chausse, dans la voiture de la BMC. Rideau sur la Lombardie. Et début des soucis. Ils le suivront jusqu’au jour où il abandonne sa tunique. Cependant voici ce que le Wallon disait avant de rendre sa tunique irisée en 2013 en Toscane : Malgré tout, devenir champion du monde est la plus belle chose qui puisse arriver. Même s'il est dur à porter, ce maillot a couronné ma carrière.

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1 réactions à cet article    


  • Axel_Borg Axel_Borg 14 novembre 2018 10:35

    Alejandro Valverde, titré à 38 ans à Innsbruck en septembre dernier, était un des maudits (2 médailles d’argent en 2003 à Hamilton et 2005 à Madrid, 4 de brponze en 2006 à Salzbourg, 2012 à Valkenburg, 2013 à Florence et 2014 à Ponferrada) avant d’enfin conquérir ce prestigieux maillot irisé qui aura toujours échappé, entre autres, à Sean Kelly et Laurent Jalabert, autres coureurs très polyvalents.

    El Imbatido aura-t-il une saison 2019 chaotique comme tant de champions du monde par le passé ? A suivre ...

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