Histoire(s) d’OM
Ruiné, isolé, banni du foot pro, Jean-Jacques Eydelie, ancien joueur du grand OM, vainqueur de la Coupe d’Europe en 1993, acteur majeur de l’affaire VA-OM, déterre les vieux dossiers pour tenter de se payer sur la bête. Spectaculaire, et pathétique.
Quinze ans avant l’Olympique lyonnais, c’était l’Olympique de Marseille qui écrasait tout sur son passage. Quatre titres de champion de France d’affilée, une Coupe d’Europe aux grandes oreilles, des joueurs fabuleux dans le onze de départ, des entraîneurs mythiques comme Raymond Goethals, l’OM d’alors était -et demeure- la plus grande équipe qui ait jamais évolué dans le championnat de France de première division. Les Desailly, Deschamps, Papin, Waddle, Pelé, Mozer, Di Meco, Boli et compagnie formaient un bloc incroyable, une formation physique et technique, ambitieuse et féroce, qui ne laissait aux autres, sinon des miettes. Monaco n’y pouvait rien, le PSG n’y pouvait rien, Lyon commençait à pointer le bout de son nez, mais Aulas, gros bras d’aujourd’hui, faisait figure de petit garçon auprès du redoutable « Nanard », alias Bernard Tapie, qui faisait la pluie et le beau temps dans le foot français de l’époque. On a compté jusqu’à neuf joueurs de l’OM pour débuter un match de l’équipe de France ! C’était l’époque de Claude Bez aussi, président fumeux des Girondins de Bordeaux, qui rivalisait de rouerie avec son homologue marseillais. Un temps bien fini aujourd’hui, Bez n’est plus, Bordeaux a connu de nombreuses péripéties judiciaires, Tapie est passé par la case prison, l’OM par la Ligue 2... Le PSG a perdu de sa force, et Aulas a grossi, grossi peu à peu, jusqu’à devenir aujourd’hui calife, celui à qui théoriquement on ne refuse rien, celui qui a les clefs du camion.
Mais revenons à 1993. Un soir de mai, l’OM, d’un coup de boule de Boli, remporte la plus prestigieuse compétition européenne. C’est la liesse, tout le pays prend l’accent du vieux port. Juste avant la finale, l’OM a joué Valenciennes à Valenciennes, un match a priori banal, mais qui va prendre une dimension historique. Un joueur de VA prend la parole, et dénonce une tentative de corruption de la part des Marseillais. Il s’appelle Jacques Glassman, il est depuis considéré comme un traître par le milieu du football, traité comme un pestiféré. C’est lui qui lance l’affaire VA-OM, la plus spectaculaire affaire judiciaire du foot français depuis la caisse noire des Verts de Saint-Etienne. L’OM sera reconnue coupable, déchue de son cinquième titre d’affilée, rétrogradée en deuxième division plus tard. Tapie connaîtra la prison, un peu. La légende du club phocéen s’accommodera plutôt bien de ces aléas, et, bien qu’à des années-lumière de son niveau d’alors, l’équipe fait à nouveau partie aujourd’hui des grandes attractions de l’élite. Le club, en dépit de résultats décevants et d’un jeu moyen, draine les foules, bat les records d’affluence, fascine toujours. Pas étonnant, donc, que treize ans après les faits, un des anciens joueurs de l’OM d’alors, Jean-Jacques Eydelie, très éclaboussé par l’affaire, revienne sur le devant de la scène pour reparler de cette époque fameuse. Et en préambule à la sortie d’un livre de « souvenirs », prévue pour le 1er mars prochain, il confie à L’Equipe (jamais avare, quand il s’agit de jouer les pères-la-morale) quelques-uns de ses meilleurs « feuillets » : il présente un OM corrompu jusqu’à l’os, des joueurs dopés à mort, de la tricherie à tous les étages, une tricherie érigée en philosophie.
Il n’en fallait pas plus pour réveiller « Nanard » Tapie, plutôt discret depuis sa remise à flot financière, et qui, d’un coup d’un seul, a retrouvé son allant, sa gouaille, pour fustiger Eydellie, le menacer de poursuites, s’attaquer à Wenger (ancien coach de Monaco), qu’il traite de « faible », et prétendre qu’il n’a jamais triché, que ses joueurs n’étaient pas dopés, et surtout pas en finale de Coupe d’Europe. (Les contrôles réalisés à l’époque par l’UEFA lui donnent d’ailleurs raison, ils ont tous été négatifs). Marseille bouge encore, s’énerve à nouveau, son entraîneur actuel, Jean Fernandez, brièvement mis en place au début des années 1990, critique lui aussi l’attitude d’Eydelie, qui cherche selon lui à « gagner de l’argent. » Même son de cloche chez les anciens Olympiens (Sauzée, Desailly, Völler), qui se disent abasourdis. Pendant ce temps, du côté de L’Equipe, Vincent Duluc ose affirmer que « tout le monde savait », expression toute faite qui ne veut rien dire. Si tout le monde savait, tout le monde devait le dire. Si personne ne l’a dit, c’est parce que personne n’avait de preuves. Et si personne n’avait de preuve, c’est peut-être que rien n’existait vraiment, que des rumeurs... Mais n’exagérons pas. Il y a aujourd’hui, et depuis longtemps, dans le football, sans doute autant de dopage que dans l’athlétisme, le cyclisme ou les trois quarts des sports. Il y a aujourd’hui, et depuis longtemps sans doute, certains matchs arrangés en France, en Italie, en Angleterre, en Espagne, en Coupe d’Europe et dans d’autres compétitions. Personne n’est tout blanc, ni Wenger, ni le vertueux quotidien L’Equipe. Mais personne n’est tout noir non plus, même pas Tapie. A l’époque, Wenger le reconnaît lui-même, l’OM était une équipe « fabuleuse avec des joueurs fabuleux ». Sans doute une équipe meilleure que l’OL aujourd’hui. Plus puissante, plus expérimentée. L’OM n’avait pas besoin d’acheter ses victoires, enfin... pas toutes. Mais depuis cette époque, l’OM -Marseille toute entière- est une boîte à phantasme, une usine à mythes où l’on range, et d’où l’on ressort de temps à autre toute une panoplie bigarrée d’extraits de rumeurs, de suppositions, de théories fumeuses qui mélangent univers mafieux, petit et grand banditisme et faconde provençale, pour nous jouer une mix improbable du Parrain et de L’Enquête corse. On s’astique beaucoup dans les rédactions parisiennes sur l’OM des années Tapie, sur Tapie lui-même, son yacht ses gourmettes et sa grande gueule, et sur l’OM d’aujourd’hui, sur Acariès, Dreyfus Anigo et consorts, sur l’OM de toujours en fait, ce club très atypique dans notre paysage footballistique, club emblématique et populaire qu’on aime à la folie ou qu’on déteste férocement. L’OM fait vendre, qu’il soit en tête ou au milieu de tableau, qu’il soit à la mode ou en retard, l’OM fait vendre. Et certains s’entêtent à faire croire, de papiers énervés en papiers mal renseignés, que tout se passe dans ce club, de travers surtout, que ce maillot ciel et blanc est le symbole de tout ce qu’il ne faut pas faire dans le foot en particulier, le sport en général. Alors, bon, finalement, personne n’a tort, tout le monde a raison. Eydelie a raison d’essayer de se refaire un peu la cerise avec un livre de ragots. Tapie a raison de demander des preuves. Wenger a raison de dire que tout le monde était au courant et qu’on lui a volé des titres. Tapie a encore raison d’affirmer que Wenger est mauvais perdant. Tout le monde a raison. Et le foot continuera sa course, de matchs truqués en matchs achetés, de joueurs piqués en joueurs faussement blessés, d’arbitres corrompus en arbitres malhonnêtes, de journalistes donneurs de leçons en journalistes de mauvaise foi. L’OM des années Tapie était elle la plus grande équipe de l’époque ? Oui, cent fois oui, il faudrait être journaliste à L’Equipe pour oser prétendre le contraire. Là d’ailleurs est la vraie tâche du football : cette ribambelle de journaleux très enveloppés qui refont des tonnes de matchs sans les jouer, vendent des rames de papier sur des buts historiques, et après jurent tous leurs dieux qu’ils n’y ont jamais cru, qu’ils savaient bien que tout ça, ce spectacle, ce show, n’était que poudre aux yeux. Des joueurs à la queue leu leu, cul nu, attendant de recevoir leur piqûre de vitamine avant le début d’une finale de Coupe d’Europe, c’est pittoresque certes, mais jusqu’à ce qu’une justice quelconque nous prouve que c’est vrai, ça tient du ridicule : ça vaut pas trois lignes dans un journal sérieux, et sûrement pas cent pages chez un éditeur sérieux.
Et la morale, alors, me direz-vous ?
Mais il n’est pas question de morale ici, juste de sport.
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