Le Pou Rouge et les plumes

Le pou s'arrache des cheveux.

Un pou mâle qui faisait sa mauvaise tête voulut changer d'univers. Il en avait assez d’importuner des sales caboches d'autant plus qu'il était las des ébats multiples et incessants auxquels il était contraint avec les femelles de son espèce. Penser qu'il était capable d'honorer consécutivement 18 compagnes avait de quoi vous laisser coi.

Notre brave papa pou, quoique petit parasite avait la folie des grandeurs et surtout l'envie de quitter ceux de son espèce qui le déconsidéraient. Notre pauvre pou n'était, il faut bien le reconnaître, guère gâté par la nature. Ce pou rouge était fort laid, toutes les femelles vous le diront. Les sobriquets étant de mise dans ce petit monde, il était appelé Pou Laid par les unes et Laid Pou pour les autres, surtout celles qu'il avait honorées de manière fort expéditive.

Être Pou rouge aurait justifié qu'il se mette sur le sentier de la guerre et scalpe toutes ces mauvaises langues. Mais pour se moquer de lui-même et de cette appellation, il entendit quitter définitivement le cuir chevelu des petits morpions des humains pour aller couver des jours heureux au milieu des plumes. Puisqu'on le traitait de Pou Laid, pourquoi ne pas s'inviter dans un élevage de poules pondeuses ?

Ravi de cette excellente idée, il fit son entrée dans un univers concentrationnaire pour poules en batteries. Rien de mieux du reste pour recharger les siennes et cesser de devoir satisfaire à son devoir conjugal, lui le laid pou de toutes ces dames. Il passerait le reste de son existence parmi les plumes et les paillettes, une vie de rêve en somme.

Il se leurrait cruellement. Il était tombé en un lieu où il ne convient pas de marcher sur les œufs ce qui n'est jamais simple lorsqu'on dispose de six pattes. Mais là n'était pas la principale difficulté pour notre brave Pou Rouge. Il y avait là une éleveuse tatillonne qui contrôlait attentivement la forme de chaque ovule, retirant de la vente tous ceux qui ne faisaient par la maille et n'auraient pas pu se lover tranquillement dans une boîte en carton conçue spécialement pour 6 d'entre eux.

Son époux du reste la critiquait vertement, s'emportait contre sa sélection excessive en lui répétant souvent : « Ma chère épouse, ma petite puce, ne tombe pas dans les pièges du consumérisme. Ne cherche pas du poil aux œufs, accepte-les tous tels que la nature les a conçus ! ». Le Pou Rouge en eu la chair de poule, non seulement il était question de son ennemi héréditaire : la puce mais qui est plus, il y avait là la promesse d'un retour au système capillaire.

Notre pou perdit la tête véritablement lorsqu'il entendit un autre comparse de l'élevage évoquer un crâne d'œuf à propos d'un de ses collègues. Le contexte était de plus en plus malsain, il n'avait nullement besoin de couper les cheveux en quatre, il prit ce qu'il confondit avec la poudre d'escampette pour s'en couvrir le corps.

Mal lui en prit, c'était du DDT un produit toxique qui lui fit rendre l'âme. Laid Pou se mourait sans laisser le moindre regret dans l'élevage. Pou Laid n'ayant nullement perturbé l'existence des poulettes, il ne fut pas même pleuré en cet endroit où il n'aurait jamais dû mettre ses six pattes. Il fut mis en terre ou plus exactement enseveli sous un tas de fumier qui devint du terreau pour un horticulteur spécialiste du chrysanthème.

Comble de dérision pour notre Pou Rouge, ce fut précisément là que fut remis à la mode un insecticide naturel à base de pyrèthre, une poudre issue des feuilles séchées du chrysanthème, pour lutter contre les parasites capillaires. La reconversion de ce pauvre isopode parent lointain du cloporte, se retournait lamentablement contre ceux de son espèce, de quoi vraiment s'arracher les cheveux.

À contre-emploi.