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Accueil du site > Culture & Loisirs > Parodie > Coup de théâtre

Coup de théâtre

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Un secret bien gardé.

Il y eut beaucoup de monde pour cette première. Tout le public qui compte se pressait sur les sièges moelleux de ce grand théâtre à l'italienne. La tension est palpable d'autant que la rumeur affirme déjà que ce spectacle va frapper un grand coup. Un artiste reconnu va se risquer seul en scène pour défendre un des plus grands textes de la littérature francophone.

Si l'acteur vit les affres de l'angoisse, que dire du metteur en scène qui a imposé ici une vision très personnelle du spectacle tout autant qu'une interprétation des plus originales. Il a pris des risques et entend être compris d'autant que ce soir, les critiques les plus lus sont présents. Le rideau va se lever, le bâtonnier frappe les trois coups…

Quand le rideau se baisse enfin, après une prestation certes de qualité mais qui n'a guère touché les cœurs, ce n'est pas le succès espéré. La réaction de la salle fait froid dans le dos du côté des coulisses. L'avenir ne sera pas aussi radieux qu'espéré pour ce spectacle qui a mobilisé tant d'énergie. La vérité sortira des médias et des réseaux sociaux dans les jours suivants.

Le couperet tombe, les remarques acerbes pleuvent comme une condamnation sans appel. Pourtant, le metteur en scène n'entend pas voir mourir son projet sans réagir. Il a épluché tous les articles et se rend à l'évidence : une même remarque s'impose à tous qu'il convient de prendre au sérieux ; il y a trop de temps morts dans ce spectacle.

La conséquence de ces critiques récurrentes peut vous surprendre mais dans ce monde, rien ne se passe selon la logique des gens ordinaires. Notre metteur en scène, dans une exaltation qui échappe à la raison prend une décision qu'il entend ne pas divulguer à son acteur ni aux techniciens et responsables de la salle.

Le spectacle suivant, un spectateur interlope occupe au premier rang, une des places attribuées à notre homme. En dépit des convenances, il a gardé son chapeau feutre, contre toute nécessité, il a des lunettes teintées que les projecteurs ne justifient absolument pas. Il porte une gabardine digne des romans d'espionnage. Une allure qui pousse ses voisins à penser qu'il fait partie de la distribution et qu'à un moment donné, il surgira sur le plateau.

L'homme est aux aguets. Il scrute le décor, suit attentivement les mouvements de l'acteur. Il surveille discrètement la salle et les coulisses. Son attention ne semble pas se focaliser sur ce texte ardu qui provoque quelques bâillements dans la salle. Lui est là pour autre chose. Mais quoi ? Le spectacle terminé, il part discrètement sans s'attarder en applaudissements qui du reste ne sont guère nourris ni en conversations assassines dans le hall d'entrée. Il a filé à l'anglaise.

Les ouvreuses sont surprises de le retrouver le lendemain dans le même accoutrement. Il a ajouté à sa panoplie une mallette qui a tout l'air de contenir un instrument de musique. Pour celles-ci, l'explication s'impose : « c'est un musicien de bleus ! ». Cette idée fera qu'il échappera à la surveillance de ces dernières et des vigiles qui désormais sécurisent les salles de spectacle.

Durant cette représentation, par trois fois, une détonation surprend le public, trouble l'acteur sans que rien ne se produise réellement. Ce bruit doit venir de l'extérieur. En dépit d'un climat anxiogène, cet incident n'interrompt pas la représentation. Quand la pièce s'achève, cette fois, les applaudissements sont plus chaleureux. Que s’est-il donc passé ?

La suite sera un grand succès. Le public se pressera à ce spectacle qui a trouvé son rythme de croisière. Des critiques qui se montrèrent acides, reviennent et rédigent des papiers élogieux. L'acteur est encensé, le metteur en scène félicité. La tournée en Province récompensera ces inflexions nécessaires à une mise en scène qui n'avait pas séduit dans sa version première.

Le temps passa, d'autres spectacles furent produits par cet artiste qui devint au fil du temps, une figure du théâtre français. Il fut honoré comme un des plus grands metteurs en scène nationaux. C'est au couchant de son existence, alors qu'il avait cessé de hanter les scènes qu'il écrivit ses mémoires et au détour des chapitres tout à sa gloire, il laissa transpirer un secret bien gardé jusqu'alors.

Le propos était tellement absurde qu'on le mit sur le naufrage de la vieillesse, la folie d'un homme qui ne s'était jamais comporté comme le commun des mortels, sur son extravagance et sa déraison en somme. Pourtant, il n'avait pas menti. Je m'autorise à vous livrer ce passage et qu'importe si c'est moi qui à mon tour, héritera de vos moqueries.

« Après l'injuste insuccès de notre première représentation, la critique comme à son habitude tira à boulet rouge sur mon travail en épargnant relativement mon interprète qui était alors à l'apogée de sa gloire. Je ne pouvais qu'être seul responsable d'un spectacle qui traînait en longueur d'après ces faiseurs de triomphes ou de bides fracassants. Il y avait des temps morts dans un ensemble qui manquait de rythme !

Je vis rouge à la lecture de ces articles vénéneux. Sortant récemment d'un travail autour du monde des tueurs à gage afin de produire un film qui me fit entrer dans le monde du cinéma, je pris ces gens à contre-pied en sollicitant les services d'un professionnel de la chose. Il vint deux fois assister au spectacle, la première fois comme simple spectateur puis la seconde comme exécuteur des basses œuvres.

Il acheva ces temps morts qui alourdissaient grandement le spectacle. Comment ? Il ne dévoila jamais sa technique et je respectai de mon côté son secret professionnel. Par trois fois, il mit à mort sans sourciller ce qui pesait sur mon travail puis disparut à jamais de ma vie. Il n'y eut pas d'enterrement de première classe pour cette pièce bien au contraire. Elle renaquit à la vie par cette exécution aussi remarquable que discrète.

C'est d'ailleurs ce qui me fit écrire par la suite cette pièce qui me plaça au Panthéon du Théâtre : « On achève bien les temps morts ! ». Je ne dirai jamais tout ce que ma carrière doit à ce tueur à gage, profession du reste indispensable dans le monde du spectacle. Je ne vous en dirai pas plus pour ne pas trahir certains collègues »

Bien peu accordèrent le moindre crédit à un aveu noyé dans un flot de propos aussi pompeux qui verbeux. Je vous laisse juge.

Tableaux de Jean-Marc Brugeilles

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6 réactions à cet article    


  • sylviadandrieux 13 décembre 2023 13:02

    Rocambolesque


    • C'est Nabum C’est Nabum 13 décembre 2023 13:14

      @sylviadandrieux

      Je fais en sorte de varier les sources d’inspiration


    • exocet exocet 13 décembre 2023 15:29

      Bonjour, Cenabum

      quelle inspiration, achever les temps morts !

      Pour le « bâtonnier qui frappe les trois coups » vous vous faites l’avocat du Diable...

      Je crois que c’est le Régisseur lui-même qui tape ces trois coups à l’aide d’un bâton un peu particulier, ledit bâton étant surnommé « le Brigadier »... smiley


      • C'est Nabum C’est Nabum 13 décembre 2023 16:14

        @exocet

        Effectivement je me suis embrouillé en coulisse et votre rectification est trop bonne


      • juluch juluch 13 décembre 2023 21:34

        « Au théâtre ce soir » revu et corrigé.....

        Il y avait du crottin a l’entrée du théâtre ??

        Merde alors je sais pas.....Nabum en avait il ??

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