Histoire d’eau

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Une vie au fil des flots.

Nous l’appellerons Noé pour plus de facilité. Il fut un enfant heureux au bord de la Marne, rivière dans laquelle il fit ses premières navigations, en aviron ou bien en barque. Il attrapa ce curieux virus qui fait que certains terriens ne se sentent jamais aussi bien que lorsqu'ils quittent la terre ferme. Pourtant l'homme mena une solide et riche carrière professionnelle qui attestera tout au long de son parcours, qu'il savait malgré tout garder les pieds sur terre.

Il s'établit pour sa retraite en Brière, ce mystérieux et vaste espace que l'on nomme ici le marais noir. Entre tourbe et roseaux, il a sillonné son nouveau terrain de jeu à bord de son Belin, une barque locale qui lui fit découvrir toutes les merveilles de l'endroit. Par la même occasion, le grand bourlingueur qu'il fut durant sa carrière, se mit au chant de marin, histoire sans doute de réaliser une partie de son rêve d'enfance.

La vie lui réserva de curieuses surprises qu'il ne sut pas immédiatement interpréter, une forme insidieuse d'appel du large ou une simple invitation à voler de ses propres ailes. Tout commença par l'adoption d'une jeune femelle sterne, tombée du nid et pour laquelle il déploya des trésors de tendresse. L'oiselle en fut ragaillardie et s'en retourna à ses marais salants par un beau matin, le laissant à ses regrets. Il avait rempli sa mission, elle n'eut pas un regard pour lui quand elle le quitta.

Il avait pris le pli de se faire ainsi le Saint Bernard de la gente aviaire. Noé ne tarda pas à secourir deux autres oiseaux d'eau, un signe du destin tout autant que le bel oiseau au long coup qu'il trouva estourbi le long d'une route. Il le recueillit à son bord et fit plus d'une heure de route pour le confier à un refuge de la ligue de protection des oiseaux. Deux sauvetages ne suffirent pas à lui indiquer sa voie, il lui fallut un nouveau message pour se déterminer véritablement.

Un héron gisait là dans sa Brière. Il le crut mort quand l'animal, d'un clignement des yeux, lui fit comprendre qu'il conservait un souffle de vie. Une fois encore notre Noé se mit en quête d'une solution pour son protégé. Cette fois, ce fut à un vétérinaire spécialisé dans le sauvetage des animaux sauvages à qui il confia son nouveau protégé.

Avait-il enfin compris le message ? Il faut le croire à moins que ce ne furent les vicissitudes de l'existence qui lui firent franchir le pas. Une séparation, devenue inévitable depuis tant d'années d'incompréhension le contraignit à vendre sa belle et grande demeure. Un partage, fort peu équitable, le laissa quelque peu démuni au moment de trouver un nouveau pied à terre. Ce fut le déclic, l'occasion belle de se jeter à l'eau…

Non pas qu'il faille prendre l'expression au pied de la lettre. Quoique ! Il s'acheta un petit voilier pour en faire sa demeure. Le gars qui chantait depuis toujours des chants de marin se voyait enfin en capitaine de bord. Il trouva un port d'attache sur la Vilaine dans un charmant petit port dans lequel le droit d'anneau n'est pas prohibitif.

Un changement radical d'existence, la nécessité de se priver de tout ce superflu qui encombre souvent nos demeures. Il fit le vide autour de lui pour se lover dans son nid flottant, sans regret ni amertume. Marin d'eau douce désormais, il se gardait la possibilité en empruntant l'écluse du barrage sur la Vilaine, d'aller tutoyer l'Océan pour quelques belles échappées à la voile, en navigation côtière.

Revenant alors dans sa belle chorale, il pouvait pousser la chanson avec la certitude cette fois d'être du nombre de ceux qui vivent sur l'eau. La boucle était bouclée de la Marne à la Vilaine, il avait trouvé sa voie d'eau. Ne lui restait plus qu'à raconter son histoire à un Bonimenteur qu'il convia à son bord en lui proposant une virée sur les flots.

Si la première proposition fut largement réalisée, le moteur refusa obstinément de se lancer pour réaliser la seconde. C'est donc du ponton que je reçus ce témoignage durant lequel l'eau se transforma en Chinon, un miracle que je ne saurai expliquer. Je m'empressais de vous narrer cette tranche de vie, en me promettant que je saurai rappeler à Noé que ma plume réclame elle aussi un peu de considération. Point n'est besoin de me mener chez un vétérinaire, je crains que mon cas soit désespéré. Une belle balade sur les flots suffira à mon bonheur.

À contre-temps.

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