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Accueil du site > Culture & Loisirs > Extraits d’ouvrages > Vladimir Jankélévitch : Le mystère de la mort

Vladimir Jankélévitch : Le mystère de la mort

Vladimir Jankélévitch : Le mystère de la mort

Vladimir Jankélévitch : le mystère de la mort

Pour lire le texte, cliquer sur le lien : http://lechatsurmonepaule.over-blog.fr/2022/11/vladimir-jankelevitch-le-mystere-de-la-mort.html

En mémoire de Monsieur Vladimir Jankélévitch qui m'a appris le "presque rien et le je ne sais quoi", c'est-à-dire l'essentiel.

"Le mourant est dans la situation d'un homme qui sort de chez soi sans la clef et ne peut plus rentrer parce que la porte fermée ne s'ouvre que du dedans."

"Du moment que quelqu'un est né, a vécu, il en restera toujours quelque chose, même si on ne peut dire quoi."

"La prière est le désespoir de la raison."

Si comme le dit Albert Camus, "mal nommer les choses, c'est ajouter de la misère au monde", comment parler authentiquement de la mort ? Comment parler de ce qui est indicible ? Ne vaudrait-il pas mieux passer la mort sous silence, en faire un "tabou". Puisque la pensée de la mort est une source d'angoisse, pourquoi vouloir "ajouter de la misère au monde" ?

Nous savons que la durée de notre vie est limitée et que nous sommes destinés à mourir un jour. La mort est inscrite dans les cellules des êtres vivants dès leur naissance.

Les généralisations cosmologiques, mais aussi la réflexion rationnelle nous apprennent que nous sommes mortels. Tous les êtres vivants sont voués à la mort, mais nous sommes les seuls êtres vivants qui savent qu'ils vont mourir.

La raison qui nous permet d'anticiper le présent, d'envisager le futur dans lequel est inscrit notre fin, nous apprend que nous sommes des êtres finis, contingents et mortels.

L'idée qu'un jour je ne serai plus est une source d'angoisse indicible : "Ni le soleil, ni la mort, dit La Rochefoucauld, ne se peuvent regarder en face."

Il y a bien des manières de "réduire l'importance métaphysique" de la mort. Premièrement, la généralisation cosmologique : La mort est inscrite dans le programme génétique de la vie. L'homme est mortel, les animaux, les plantes, la Terre, l'univers lui-même, périront un jour.

Mais la généralisation cosmologique concerne tout le monde et personne, elle ne me concerne pas moi, personnellement, ni ceux que j'aime.

On peut également réduire la mort à un "concept". Il suffirait, par la réflexion rationnelle, d'appliquer à la mort la méthode analytique, inspirée des mathématiques, à diviser, comme le fait Descartes, "chacune des difficultés examinées en autant de parcelles qu'il se pourrait et qu'il serait requis pour mieux les résoudre". 

Dans les romans policiers, le détective considère la mort de la victime comme un "problème à résoudre" : qui est l'assassin ? A-t-il des complices ? Comment s'y est-il pris pour pénétrer dans une pièce hermétiquement close, selon toute apparence, accomplir son forfait et en ressortir sans laisser de traces se demande Henry Merrival, le truculent détective des romans de John Dickson Carr. Le mort et l'assassin sont des problèmes pour Hercule Poirot, pour Henri Merrival ou pour Gideon Fell, mais non la mort.

La mort n'est pas un problème que l'on pourrait "résoudre". La mort n'est pas extérieure à moi, elle est en moi, elle est moi. 

La réflexion rationnelle réduit la mort à un concept, à un "problème", elle en réduit l'importance métaphysique. Nous "savons" que nous mourrons, mais explique Marcel Conche dans La mort et la Pensée, le terme "savoir" ne doit pas s'entendre d'un savoir objectif, d'une connaissance, mais d'un savoir constitutif, non d'un savoir acquis mais d'un savoir qui a toujours été là, qui ne fait qu'un avec nous-même.

La mort n'est pas en face de nous comme un problème à résoudre, elle est en nous, comme une tragédie intime. Il n'y a pas d'un côté la mort et de l'autre côté la pensée, mais la mort git au plus intime de la pensée : on ne cesserait de penser à la mort (expressément ou non) qu'en cessant de penser.

La réflexion rationnelle tend à "bagatelliser" la mort. Jankélévitch emploie un néologisme "bagatelliser" tiré du mot "bagatelle". Une bagatelle est une chose de peu de prix, peu nécessaire et peu importante. Le terme peut également désigner une amourette.

Dans la pièce Le roi se meurt d'Eugène Ionesco, le roi Béranger affecte de "bagatelliser" la mort, de prendre la mort à la légère, de ne pas la prendre au sérieux, de l'objectiver et d'en faire une "chose" sans importance qui ne le concerne pas personnellement : "on meurt", les autres meurent, tout se passe comme si la mort ne le concernait pas.

"Oui, je sais bien que je mourrai un jour, dit Béranger à sa femme, vous ne m'apprenez rien. Je mourrai dans dix ans, dans vingt ans, mais pourquoi y penser ? Pour l'instant, je suis vivant. Pensons à des choses plus drôles..."

"Les hommes n'ayant pu guérir la mort (...) dit Pascal, ils se sont avisés, pour se rendre heureux, de n'y point penser".

Béranger ne veut pas voir (et c'est en quoi il nous ressemble) que la mort est une "tragédie absolue", un "anéantissement", un "scandale". 

Une autre conduite d'évitement consiste à relativiser la mort. La mort ne supprime qu'un seul être à la fois, elle ne supprime pas l'humanité dans son ensemble, ni l'univers.

La mort est une loi universelle. Elle touche tous les êtres vivants. Oui, mais pour moi et pour ceux que j'aime, ce n'est pas une loi, mais un scandale.

"Scandale vient du bas-latin "scandalum", du grec skandalon, traduction de l'hébreu mikchöl, obstacle qui fait trébucher. Un scandale est le contraire d'une loi universelle. Ce n'est pas quelque chose qui se produit habituellement et régulièrement, mais quelque chose qui ne devrait pas se produire. C'est un fait qui heurte la conscience, le bon sens, la morale, qui suscite l'émotion, la révolte. 

La mort n'est pas un phénomène relatif, mais un anéantissement de mon corps, de mon être et de ma conscience. 

C'est l'humanité tout entière, l'univers tout entier qui disparaîtra pour ma conscience. La mort pour ma conscience ne sera pas une "disparition partitive", partielle, mais bien un anéantissement total.

Certes, la sagesse philosophique neutralise la surnaturalité de la mort : "la mort n'est rien pour nous, dit Epicure, puisque quand nous sommes, la mort n'est pas là et, quand la mort est là, nous ne sommes plus."

Pour Epicure, la mort n'est pas un phénomène surnaturel, une discontinuité "miraculeuse" dans le déroulement habituel des choses, mais une "surnaturalité neutralisée" par un raisonnement qui ressemble fort à un sophisme.

Je peux aussi faire appel à la religion, en escamotant la mort comme "cessation métempirique" (qui est au-delà de ce dont on peut faire l'expérience) dans une éternité idéale dont je ne peux faire (actuellement) l'expérience et dont je ne sais rien. 

La philosophie, la religion apparaissent face à la mort comme des "consolations", mais la consolation suppose un chagrin dont on peut guérir, or on ne peut pas guérir de la mort. La "maladie de la mort", pour citer le titre d'un roman de Marguerite Duras est inguérissable.

La mort a l'évidence de la tragédie. La tragédie de la mort proteste contre la banalisation du phénomène : banaliser, c'est réduire la mort à un phénomène relatif, à une disparition partitive, à un problème que l'on peut résoudre comme n'importe quel problème, à une loi de la nature.

Banaliser la mort, c'est faire appel aux consolations de la philosophie (la mort n'existe pas vraiment) ou de la religion qui nous promet une vie "après la mort".

Le croyant ne doit pas se consoler trop vite et trop facilement de la perte de la beauté du monde, de ces arbres "fous d'oiseaux", de la mer aux mille sourires... du cirque de Gavarnie, dans les Pyrénées, parcouru à dos d'âne avec mes parents disparus, quand ils s'aimaient encore, par une belle après-midi d'été, parmi les fleurs, de tous ces souvenirs "sans importance pour vous", comme le chantait Charles Trenet.

A moins qu'un Dieu qui serait aussi le maître de la mémoire ("Que mon visage ne soit pas oublié !") ne lui promette de lui rendre au centuple, ce bonheur perdu. Mais s'il y a un Dieu, il reste muet, le plus souvent.

Je me souviens qu'en classe de seconde, quand on lisait encore des textes "classiques", nous avions étudié la "Consolation à Monsieur Du Perrier sur la mort de sa fille" de Malherbes : "Et rose elle a vécu ce que vivent les roses, l'espace d'un matin". Certains d'entre nous devaient de demander en quoi ce poème formellement parfait, trop parfait, pouvait bien consoler Monsieur du Perrier de la mort de sa petite Rosette bien-aimée.

Car oui, comme le dit Vladimir Jankélévitch, "l'évidence de la tragédie proteste à son tour contre la banalisation du phénomène". L'ipséité de la personne disparue demeure irremplaçable. "Ipséité" du latin ipse (soi-même), le fait d'être soi-même et pas un autre, un simple représentant de l'espèce humaine, mais un individu unique, irremplaçable dans le cœur d'un père, comme devait l'être Rosette, une personne dont la disparition demeure incompensable, fût-ce par la naissance d'un autre enfant.

Dire que la pensée, que "l'âme" survit à l'être qui pense ne console pas de la disparition de son corps. La survie de l'âme est une idée grecque, platonicienne. Si nous ne ressuscitons pas corps et âme, à quoi bon la résurrection ?

"Il y a deux évidences contradictoires qui paradoxalement sont évidentes toutes les deux à la fois, et nonobstant se tournent le dos" : l'évidence de la tragédie de la mort qui supprime l'ipséité (le fait qu'elle est elle et pas une autre) de la personne disparue, son caractère irremplaçable, comme sa disparition demeure incompensable et l'idée que l'âme, que l'esprit, que la pensée survivrait à l'être qui pense.

Mais cette nihilisation (nihilisation, du latin "nihil", rien. La nihilisation est le fait de réduire à rien, d'anéantir) qui ne serait pas totale, puisqu'il resterait un vague fantôme de pensée, soit dans le souvenir disparaissant des survivants, soit en raison de le théorie platonicienne de l'immortalité de l'âme, resterait "dérisoire" et ferait question, puisque ce n'est pas la pensée seule qui nous attache à ce monde, mais que nous y sommes corps et âme et que nous y adhérons de tout notre être.

S'appuyant sur les analyses de P.L. Landsberg, Vladimir Jankélévitch souligne la contradiction de l'événement qu'est la mort : la mort est à la fois un mystère métempirique (qui échappe à toute expérience possible), aux dimensions infinies ou nulles, selon que nous croyons ou non à une vie après la mort, et un événement familier, banal qui advient dans l'empirie, c'est-à-dire que nous pouvons constater de nos yeux, par exemple lorsque nous assistons à la mort d'un être cher.

"Il y a certes des phénomènes naturels régis par des lois, encore que leur "quiddité" ou origine radicale soit, en définitive, toujours inexplicables" : La quiddité est en métaphysique, l'essence d'un objet, c'est-à-dire sa qualité essentielle, son être propre. La quoddité est un attribut contingent. Par exemple, la quiddité d'un humain est d'être un mammifère, sa quoddité d'avoir les yeux bruns ou bleus ; la quiddité d'une chaise est d'être un artefact fait pour s'asseoir, sa quoddité est d'être verte ou bleue, en bois ou en métal. Quiddité et quoddité recoupent la différence entre l'essence (quiddité) et l'accident (quoddité).

Les phénomènes sont explicables en tant qu'ils sont reliés à d'autres phénomènes. La quiddité de la pluie par exemple s'explique par le nuage.

Mais le fait qu'il y ait des phénomènes, ou pour parler comme Leibniz, qu'il y ait de l'être plutôt que rien est inexplicable. La mort, ce "trou dans l'être" comme dit Jean-Paul Sartre est un phénomène à la fois explicable (la mort a des causes comme le vieillissement, la maladie) et inexplicable en tant que mystère métaphysique.

Jankélévitch met en évidence l'existence de deux phénomènes appartenant à deux ordres différents : les phénomènes naturels régis par des lois et donc en définitive toujours explicables, que nous pouvons mettre en relation avec d'autres phénomènes, comme la mort, en tant que conséquence du vieillissement et des vérités "métempiriques", qui dépassent l'expérience, qui sont a priori indépendantes de toutes réalisation ici et maintenant, des vérités "qui n'arrivent jamais" : la mort n'arrive pas comme se produisent les autres "événements de la vie", dans la continuité des événements, elle est un hiatus, un "hapax", une "singularité" comme disant les physiciens.

Entre les phénomènes naturels régis par des lois et donc en définitive toujours explicables et les vérités métempiriques, qui échappent à toute expérience possible, il y a ce fait à la fois "insolite et banal", ce fait banal, mais qui surprend par son apparence inaccoutumée, qu'on appelle la mort. 

La mort, pour Vladimir Jankélévitch présente, comme le dieu Janus, un visage double et contradictoire : d'une part, elle est un phénomène naturel, universel qui survient "ubi-quando" (dans le temps et dans l'espace), que la médecine peut constater et d'autre part un phénomène qui ne ressemble à aucun autre.

C'est pourquoi Jankélévitch qualifie la mort de "mystère", d'un mot grec qui signifie caché. Car si la mort est un phénomène profondément banal, sa signification est profondément cachée et pour tout dire, absolument incompréhensible.

La mort est "métempirique" (au-delà de toute expérience possible) et "empirique" (et c'est pourtant un fait objectif). On ne peut pas rendre compte de l'expérience de la mort. Personne n'en est revenu pour nous en parler. C'est un "mystère" et elle se présente en même temps et paradoxalement comme un phénomène empirique, banal, parfaitement constatable. 

Cet oxymore, ce "monstre empirico-métempirique", cette contradiction entre la naturel et le surnaturel, le banal et l'extraordinaire correspond à ce que nous désignons par le mot "miracle" ou par le mot "féérie". Mais Jankélévitch se hâte d'ajouter que ce miracle n'en est pas vraiment un.

La résurrection de Lazare était un vrai "miracle", faire revenir un être cher du royaume des morts est un "miracle", mais la mort n'est ni une révélation positive, ni une métamorphose bénéfique, elle est disparition et négation.

Ce n'est pas une féérie, comme le réveil de la Belle au bois dormant qui est un gain puisque la princesse redécouvre la vie et l'amour, mais une perte, un vide "qui se creuse brusquement", "un existant qui s'abîme en un clin d'œil dans la trappe du non être".

Ce "miracle" n'est pas une interruption rarissime de l'ordre naturel comme les miracles relatés dans les Evangiles, c'est au contraire la loi universelle de toute vie. La mort n'est pas un "miracle", mais un phénomène banal. C'est la résurrection qui est un miracle, non la mort qui est le destin "œcuménique" des créatures.

L'œcuménisme est le fait d'être attentifs à ce qui rassemble les hommes plutôt qu'à ce qui les sépare. Ce qui sépare les hommes, nous ne le savons que trop : les religions, les croyances , les différences sociales et culturelles, etc., mais ce qui les rassemble, leur destin commun, œcuménique, c'est leur condition de mortels. 

En tant qu'êtres crées, nous sommes destinés à mourir, mais la mort est tout de même une "féérie toute naturelle". Jankélévitch utilise à nouveau la figure de style consistant à allier deux mots de sens contradictoire : "féérie" et "naturelle". Un féérie n'est pas "naturelle", par définition, une féérie est extraordinaire, surnaturelle, miraculeuse, elle est "extra ordinem", elle échappe à l'ordre naturel des choses.

La mort étant "extra ordinem" est d'un tout autre ordre que les intérêts de l'empirie, de la vie ordinaire, des "menues affaires de l'intervalle", de la vie entre la naissance et la mort et pourtant elle est dans l'ordre des choses. 

Jankélévitch met un point d'orgue à sa méditation par une dernière oxymore pour caractériser ce monstre, cette chimère empirico-métempirique qu'est la mort : "la mort est par excellence l'ordre extraordinaire".

La citation d'Albert Camus : "Mal nommer les choses, c'est ajouter de la misère au monde" ne s'applique pas à la mort car la mort sera toujours "mal nommée", mais parler de la mort et non "parler sur la mort" vaut mieux que le silence ou le divertissement.

"La vie, "parenthèse de rêverie dans la rhapsodie universelle", n'est peut-être qu'une "mélodie éphémère" découpée dans l'infini de la mort. Ce qui ne renvoie pourtant pas à son insignifiance ou à sa vanité : car le fait d'avoir vécu cette vie éphémère reste un fait éternel que ni la mort ni le désespoir ne peuvent annihiler." (L'irréversible et la nostalgie)

Vladimir Jankélévitch n'a pas échappé, pas plus que nous n'y échapperons, au scandale de la mort. Il s'est éteint dans son domicile parisien du 1, A quai aux fleurs, près de Notre-Dame de Paris, le 6 juin 1985, veillé par des représentants des étudiants des différentes facultés parisiennes. Il croyait en un monde meilleur. Il était de tous nos combats. Nous l'aimions comme un père.

Une plaque rappelle son souvenir : "Dans cette maison a vécu de 1938 à sa mort à l'exception des années de guerre passées dans la clandestinité Vladimir Jankélévitch, philosophe (1903-1985).

Elle porte cette inscription : "Celui qui a été ne peut plus désormais ne pas avoir été. Ce fait mystérieux et profondément obscur d'avoir vécu est son viatique pour l'éternité." Vladimir Jankélévitch, L'irréversible et la nostalgie. Association La mémoire des lieux."

 


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36 réactions à cet article    


  • Étirév 8 novembre 2022 16:50

    « Le mystère de la mort »
    Laquelle de « mort » : celle qui détruit ou celle qui libère ?


    • Clark Kent Clark Kent 8 novembre 2022 17:02

      @Étirév

      La mort et la vie sont comme le fruit et le pépin : une continuité cyclique.


    • Luc-Laurent Salvador Luc-Laurent Salvador 8 novembre 2022 17:57

      @Clark Kent

      Bien vu. Sous ce rapport on pourrait dire que Jankélévitch n’a pas fait le tour de la question... smiley


    • troletbuse troletbuse 8 novembre 2022 18:52

      Pour ces morts, il n’y a pas de mystère :Morts soudainement

      https://crowdbunker.com/v/tyZa9WXHYy


      • Wladimir 8 novembre 2022 20:46

        Jankélévitch sait-il ce que signifie le déssèchement de l’âme ?


        • Robin Guilloux Robin Guilloux 9 novembre 2022 09:19

          @Wladimir

          Je ne peux pas parler à sa place, mais je pense qu’il le savait, mais qu’il ne l’a pas expérimenté personnellement. C’était l’homme le moins cynique, le plus vivant, le plus enthousiaste, le plus confiant, le plus pur, le moins calculateur (sur ses photos, son regard est celui d’un enfant) et, d’une certaine manière le plus « innocent » que j’aie connu. Le contraire d’une âme « desséchée », d’un « mort-vivant ». Dans la spiritualité juive, il y a une mise en garde contre le vieillissement de l’esprit : « Défense d’être vieux ! ». Jankélévitch n’a pas eu besoin de se défendre contre le desséchement de l’esprit parce que, jusqu’au bout, il est toujours resté jeune.


        • mmbbb 9 novembre 2022 09:18

          La mort sourit à tout le monde ! 


          • velosolex velosolex 9 novembre 2022 09:44

            Tant qu’on est vivant, la mort n’est pas un problème, et qu’on est mort, elle ne l’est plus. Il n’y a donc pas de raison de s’en faire. Les mots font un bel airbag à l’angoisse, mais oublient le vieillissement, la grande affaire au fond, sur laquelle on se fait les dents. Justement, elles s’abiment, et disparaissent. Reste le champ des oiseaux. De ceux qui restent encore au monde. Je ne vais pas continuer tout de même sur la surdité. Qui est tout de même une protection parfois. Il n’y a pas pire sourds que ceux qui ne veulent pas voir. 


            • Gollum Gollum 9 novembre 2022 09:50

              Vladimir Jankélévitch n’a pas échappé, pas plus que nous n’y échapperons, au scandale de la mort.


              Faudrait-il déjà qu’il y ait scandale.


              Or pour moi ce serait l’inverse le scandale, à savoir une vie perpétuelle...


              De quoi devenir fou.


              • Robin Guilloux Robin Guilloux 9 novembre 2022 14:05

                @Gollum

                Oui, mais tout dépend quel genre de vie.


              • Gollum Gollum 10 novembre 2022 10:13

                @Robin Guilloux

                Je vois à quoi vous faites référence... Mais même une vie « glorieuse » reste dans le temps.. 

                Seule compte l’éternité.


              • Robin Guilloux Robin Guilloux 10 novembre 2022 10:46

                @Gollum

                « Mais toute joie veut l’éternité. Veut la profonde, profonde éternité. » (Nietzsche)


              • mmbbb 9 novembre 2022 09:55

                «  La mort est une loi universelle. Elle touche tous les êtres vivants. Oui, mais pour moi et pour ceux que j’aime, ce n’est pas une loi, mais un scandale. » 


                Ce n est pas un scandale, la mort nous ramène à notre simple condition humaine.


                La vanité humaine est balayée




                • Francis, agnotologue Francis, agnotologue 9 novembre 2022 10:01

                  « L’éternité c’est long, surtout à la fin » Woody Allen


                  • Robin Guilloux Robin Guilloux 9 novembre 2022 13:40

                    @Francis, agnotologue

                     smiley)


                  • Géronimo howakhan Géronimo howakhan 9 novembre 2022 10:21

                    Salutations, naître = mourir...point..c’est absolu..

                    la pensée ne peut que la fermer, regarder..or en général elle essaye de fuir ce qui est impossible..

                    soit c’est intégré naturellement à la pensée relative et là la vie va etre

                    soi pas, ça c’est le choix de quasiment tous..d’où les désastres millénaires, car refuser cet absolu revient à refuser la vie..

                    Pourquoi ? ben c’est simple , la pensée va alors essayer de vivre dans l’illusion tout le temps, le désirs impossible, donc la peur, la terreur, la haine, la souffrance jamais résolue etc

                    Next question..


                    • PascalDemoriane 9 novembre 2022 11:20

                      En contrepoint, je vous propose
                      Misère de la philosophie. Critique de l’inversion du sens.

                      Puisque l’auteur avait abordé la dualité signifiant-signifié dans un précédent article, importons-en le principe s’agissant ici du pseudo- « mystère de la mort ».

                      Si on métaphorise la dualité du mot signifiant et de la pensée signifiée comme la dualité d’une clef et d’une porte à ouvrir, alors on peut configurer le jeu suivant qui consiste à :

                      Ramasser une clef perdue, isolée dans rue et s’ingénier à tenter de détecter, disserter, imaginer, romancer, théoriser, poétiser, problématiser, dramatiser... avec complaisance le « mystère » de la porte qu’elle serait sensée ouvrir, de l’espace qu’elle ouvrirait, du sens intrusif qu’elle orienterait.

                      Selon cette métaphore, la clef perdue c’est le mot isolé, ramassé dans le commun du langage en dehors de tout énoncé. Ici la clef c’est le mot « mort », qui est un substantif ou adjectif (forme de la clef) . Bon.
                      Sans le contexte référentiel d’un énoncé, le mot n’ouvre rien, le signifiant ne signifie rien. Si l’ayant trouvé dans la rue du langage vous le présentez à un serrurier-grammairien-lexicographe, il vous déballera sont savoir, expliquant que cette clef-verbale peut ouvrir des portes à serrures étymologiques, philosophiques, psychologiques, médicales, théologiques, etc. Mais lesquelles, çà, c’est pas son affaire, c’est celle des cambrioleurs ou des policiers. On a pas le droit d’ouvrir la porte d’autrui. Si vous n’avez que le mot, aller vous faire voir !

                      C’est que le serrurier est un bon ouvrier animé d’une déontologie morale : pour lui c’est l’espace de d’une maison avec sa porte d’accès et ses occupants (le signifié) qui confère du sens à la clef (signifiant), pas la clef qui donne du sens et du sens moral à la maison et à ses occupants. Le serrurier à du « bon sens », il ne fait pas d’inversion du sens.

                      Ben voilà, dans ce texte Jankélévitch se présente en serrurier cambrioleur (un intellectuel), un mauvais ouvrier des mots-clefs qui cherche à violer le sens à contre-sens, à faire intrusion dans l’espace de l’intellection dans le mauvais sens. Du coup il ne parvient pas à ouvrir de porte, à trouver la porte de la clef « la mort » et en bon tricheur du sens mis en échec, il déclare, le malin ! que cette clef est impensable, indicible, mytérieuses, métempirique, etc.

                      Jankélévitch a beaucoup de talent et d’érudition, ici il se met (ou est mis) en scène publique en agitant sa clef-mot « mort » sachant le pouvoir des mots-stimulis sur l’impensé des braves gens du sens commun. C’est une escroquerie méthodique !

                      Il est sage de déployer une autre méthode de pensée qui ne se paie pas de mots-codes découpés, décontextualisés pour faire de la mousse.
                      Le mot « la mort » isolé du champs sémantique bio-descriptif [naissance, vie, nuptialité, relation, amour, soin, haine, guerre, vieillesse, déclin, … ] et déconnecté de liens syntaxiques, déictiques, dynamiques ou autres, n’a aucun intérêt. Sinon esthétique, théâtral, symbolique. C’est du spectacle, de la com !

                      Il n’y a pas plus de mystère de « la mort » que de la naissance, de l’amour, de la conscience.

                      En fait le seul mystère insondable c’est celui du sujet qui ne s’explique pas lui-même, qui se représente dans ses propres énoncés par un pronom « Moi, je », redondant pour être consolant, mais qui reste un point aveugle, un trou à combler, un facteur d’angoisse latent car démuni de représentation.
                      Pour le dire autrement en clair : nous étions subjectivement absent le jour de notre conception ou naissance (scène primitive), c’est là l’insondable amorçage paradoxal de notre intellection consciente subjective et de son encerclement affectif, émotionnel. La mort en tant qu’abcence de sujet est donc un déjà là précoce foetal bien vivant ! du fait même qu’il précède la subjecto-génèse post-natale (tardive, néoténie), et de l’amnésie structurelle qui accompagne le déploiement psycho-linguistique de la conscience subjective.
                      Le Moi,je, surgit sinon du néant, du moins d’un trou génésique impensable !

                      Du coup on comprend mieux qu’on ne peut pas vivre conscient sans être mortel ! C’est livré et construit avec !
                      Et pourquoi la mort et la naissance (et d’ailleurs la sexualité) sont des formes du même trou anxiogène, du même point aveugle, du même couloir creux... qui indique le sens d’entrée ou de sortie.

                      D’où la métaphore « freudienne » symbolique de la clef et de la serrure, et du va & viens du sens qui s’y joue, le lecteur l’aura senti venir.

                      Amicalement aux lecteurs patients !


                      • Robin Guilloux Robin Guilloux 9 novembre 2022 14:03

                        @PascalDemoriane

                        Je retiens votre idée que le mot « mort » est un signifiant sans signifié et aussi l’idée de « clé » : « Le mourant est dans la situation d’un homme qui sort de chez soi sans la clef et ne peut plus rentrer parce que la porte fermée ne s’ouvre que du dedans. » (Jankélévitch)

                        Tout ce que vous dites est très intéressant, même si j’ai envie de défendre mon « vieux maître » qui n’est plus là pour se défendre. Son père avait traduit Freud. Je pense qu’il serait d’accord avec votre désaccord !  smiley.

                        J’appréciais personnellement quand les élèves n’étaient pas d’accord quand ils recherchaient un accord « plus haut ». quand ils tentaient de « penser par eux -mêmes ». (ça arrivait rarement, mais enfin ça arrivait).

                        C’est évidement dans le dialogue et non dans le monologue (soit-il musical à la manière des cours de Jankélévich) que la pensée se construit.

                        Comme dit Merleau-Ponty (Eloge de la Philosophie), la « vérité » est dans le dialogue. Elle n’est ni à toi, ni à moi« , elle est »entre deux",


                      • PascalDemoriane 9 novembre 2022 14:40

                        @Robin Guilloux
                        (Précision à votre belle réponse : évidement je n’ai rien contre Jankélévitch, surtout étant musicien.)
                        Non, je tente sur AVox (milieu que je déteste !) d’éviter le commentaire par le procédé du « contrepoint », c’est à dire de l’apport de contenu parallèle à un article, manière de donner un sens coopératif à cette plateforme qui n’en a pas la structure et qui par l’ambiguité malsaine du paradigme journalistique article + commentaire incite à l’animosité concurrentielle, ou le bavardage hors sujet, dans les confrontation stérile d’egos. Bref à l’entropie dégradante des relation collectives.

                        AVox n’offre pas de solution de liens structurels de qualité entre les idées, les thèmes, les publications de cycles d’exposés, pas de notion de continuité éditoriale, de suivi. Il n’y a jamais de point de rencontre rétrospectif sur les travaux ou idées des uns ou des autres.
                        Tout cela est très archaïque ! Je crois que le concept de « journalisme citoyen » est une erreur profonde, un non sens ! Le contraire de la coopération.
                        Votre avis de littéraire sera intéressant là dessus.


                      • Robin Guilloux Robin Guilloux 9 novembre 2022 16:04

                        @PascalDemoriane

                        J’essaye, pour ma part de « donner du contenu coopératif » à Agoravox, même si la tâche est parfois désespérante tant les « égos » s’affrontent sans réellement s’écouter. Il est d’ailleurs possible que j’aie moi-même donné dans ce travers à propos de l’Ukraine par exemple, parce que l’indignation l’emporte sur une conciliation qui me paraît aujourd’hui impossible, malheureusement, même si j’essaye de m’en empêcher.

                        Il y a pour parler comme Clausewitz une « montée aux extrêmes » au niveau de la géopolitique mondiale que l’on retrouve ici (le microcosme imite le macrocosme), chacun accusant l’autre d’avoir commencé. On retrouve ce genre de comportement chez les enfants, dans les cours de récréation. Mais les enfants ne disposent pas de l’arme atomique. Et puis dans ces affaires (la question palestinienne, l’invasion de l’Ukraine), personne n’est innocent et ne peut aspirer à la neutralité et on ne peut pas s’en tirer en disant que chacun a un peu raison, parce qu’il y a des gens qui souffrent, que ce n’est pas une question purement intellectuelle.

                        Les bavardages hors sujet, oui, je les tolère (enfin, disons que je les supporte) parce que je suis absolument contre toute espèce de censure, sauf injures racistes, antisémites, incitation à la haine. Je crois qu’il m’est arrivé en tout et pour tout de supprimer un commentaire. Ce n’est pas la même chose d’être en désaccord et d’insulter.

                        Je suis d’accord qu’il y a une « entropie dégradante des relations collectives » que l’on retrouve aussi dans la famille, à l’assemblée nationale, etc. C’est le contraire du dialogue qui admet que le point de vue de l’autre a du poids, de la valeur et qui essaye de le comprendre.

                        En ce qui concerne le concept de « journalisme citoyen », je pense que l’intention était bonne au départ et qu’elle le reste dans la mesure où il faut laisser, comme dit l’Evangile, « le bon grain croître avec l’ivraie » (je ne prétends pas semer que du bon grain, il m’arrive de semer aussi de l’ivraie, sans m’en rendre compte). Si je m’aperçois que les pires tendances de la désinformation complotistes l’emportent sur l’information raisonnée, j’en tirerai les conclusions. J’espère ardemment que ce site restera un instrument de dialogue et ne deviendra pas un organe de propagande.


                      • eau-mission eau-mission 10 novembre 2022 09:35

                        @PascalDemoriane

                        Vous ne m’invitez pas à donner mon avis, le voici quand même.

                        Je suis d’accord à presque 100% avec ce que vous dites. Moi-même, abordant Agoravox vers 2014, j’ai tout de suite fait cette remarque qu’un site fédérant des blogs ferait beaucoup mieux mon affaire.

                        Je vous ai peut-être déjà perdu. Les gens comme vous discutent à un niveau d’abstraction où ils jugent les « potiers » indésirables. Cf Laconique, Lavigue et consorts. Dommage pour eux, ils se coupent de ceux qui entendent le cliquetis des commutateurs élémentaires au fin fond des serveurs de données.

                        On peut aussi fréquenter Agoravox avec legèreté. Le sourire d’une femme peut remplir la journée d’un bonhomme, s’il aime la vie. Sur ce site, j’ai l’impression de tenir mon journal, et parfois, souvent même, je croise des gens qui ruminent des pensées semblables aux miennes.

                        Et puis il y a les Algorithmes qui nous écoutent. Beaucoup sont les serviteurs de sombres desseins. Mais le plus puissant d’entre eux, notre ami G, que l’on sait au service du wokisme, continue à fonctionner sur des bases statistiques neutres dont on peut profiter.

                        Ainsi, pas plus tard qu’hier, tandis vous pondiez ce post désabusé, je recherchais une piste levée par E.Ghys, celle de travaux perdus d’Hipparque. Non, je ne cherchais pas le lien entre l’astrolabe et la machine d’Anticythère. E.Ghys pense qu’Hipparque explorait la piste de la connaissance mécanique. Je tapais donc « Hipparque Ghys combinatoire » dans la zone de saisie magique. Et que croyez-vous qu’il advint ? Au milieu de résultats approchants se trouvait le lien que je donnais moi-même sur un article ancien de P.Régnier.

                        Vous pourriez dire que je radote, ou plus positivement que je n’ai qu’à installer un mini google sur mon disque dur pour en indexer le contenu. Ce n’est pas la morale que je vois à mon anecdote.

                        Notre ami G., tout entravé qu’il est par le complexe du wokisme, a gardé la fraîcheur de ses années « page ranking » et « don’t be evil », son sous-bassement statistique. Aussi peut-on encore rêver qu’au lieu de nous tailler des costumes à l’américaine, on le détourne pour nous habiller sur mesure..


                      • Epsilone 9 novembre 2022 13:00

                        On prétend souvent que nous ne savons rien à propos de la mort. Mais il suffit d’étudier la question car nous avons beaucoup d’information là-dessus. Et ceux qui n’ont pas étudié la question ne peuvent pas dire ce que savent ou ne savent pas ceux qui ont pris la peine d’étudier la question.

                        Jankélévitch en aurait pu en savoir un peu plus s’il avait pris la peine d’étudier la parapsychologie. Et si vous voulez en savoir un peu plus j’ai écrit un livre de philosophie qui en cours de publication et que vous pouvez lire ici :

                        http://repenser-le-christianisme.org/pdf/la%20r%C3%A9volution%20silencieuse.pdf


                        • Robin Guilloux Robin Guilloux 9 novembre 2022 14:20

                          @Epsilone

                          Vous voulez parler des NDE (Near Death Experiences) qui sont très bien documentées à présent et attestées par de nombreux témoignages. Je serais personnellement tenté de croire en leur authenticité.

                          Mais vous remarquerez que les NDE se produisent avant la mort, que nous ne savons rien de ce qui se passe après. Elles évoquent le passage de la vie à la mort.
                          Ce qui se passe après nous est connu par les expériences spirites, les messages du spiritisme qui sont, à mon avis, assez décevants, quand ils ne relèvent pas de la manipulation. De grands esprits comme Conan Doyle ont versé dans le spiritisme.


                        • PascalDemoriane 9 novembre 2022 15:35

                          @M. Guilloux
                          Conan Doyle oui mais aussi Camille Flammarion, j’adore Flammarion alias Fulcanelli...

                          @Epsilone
                          Je vais dévorer votre travail. Merci d’avance. Pour en recauser.


                        • Robin Guilloux Robin Guilloux 9 novembre 2022 16:06

                          @PascalDemoriane

                          Oui, je vais prendre le temps de lire @Epsilone moi aussi.


                        • Laconique Laconique 10 novembre 2022 13:27

                          Merci pour cet article qui a le mérite de rappeler le caractère absolument terrible, unique, « scandaleux » de la mort, avec une grande lucidité, contrairement aux innombrables théories métaphysiques et consolantes qui fleurissent régulièrement sur ce site, même et surtout de la part de prétendus « scientifiques ».


                          • Gollum Gollum 10 novembre 2022 14:07

                            @Laconique

                            La mort n’est scandaleuse que pour ceux qui ont une telle haute opinion d’eux-mêmes qu’ils veulent absolument vivre de façon perpétuelle et ce à rebours de tout bon sens..

                            L’opinion d’Épicure reste indépassable là-dessus.

                            « Prends l’habitude de penser que la mort n’est rien pour nous. Car tout bien et tout mal résident dans la sensation : or la mort est privation de toute sensibilité. Par conséquent, la connaissance de cette vérité que la mort n’est rien pour nous, nous rend capables de jouir de cette vie mortelle, non pas en y ajoutant la perspective d’une durée infinie, mais en nous enlevant le désir de l’immortalité. Car il ne reste plus rien à redouter dans la vie, pour qui a vraiment compris que hors de la vie il n’y a rien de redoutable. On prononce donc de vaines paroles quand on soutient que la mort est à craindre non pas parce qu’elle sera douloureuse étant réalisée, mais parce qu’à est douloureux de l’attendre. Ce serait en effet une crainte vaine et sans objet que celle qui serait produite par l’attente d’une chose qui ne cause aucun trouble par sa présence.

                            Ainsi celui de tous les maux qui nous donne le plus d’horreur, la mort, n’est rien pour nous, puisque, tant que nous existons nous-mêmes, la mort n’est pas, et que, quand la mort existe, nous ne sommes plus. Donc la mort n’existe ni pour les vivants ni pour les morts, puisqu’elle n’a rien à faire avec les premiers, et que les seconds ne sont plus.

                            Mais la multitude tantôt fuit la mort comme le pire des maux, tantôt l’appelle comme le terme des maux de la vie.


                            Le sage, au contraire, ne fait pas fi de la vie et il n’a pas peur non plus de ne plus vivre : car la vie ne lui est pas à charge, et il n’estime pas non plus qu’il y ait le moindre mal à ne plus vivre »


                            De surcroît les expériences d’EMI montrent des gens pour lesquels la mort n’est pas, ou plus, un scandale.

                            Bref, la mort « scandaleuse » a été inventée par des gens qui n’ont rien compris au sens de la vie.

                            Au contraire la mort devrait être vue comme aussi naturelle que de s’endormir régulièrement chaque soir, tranquillement, dans son lit. 


                          • Laconique Laconique 10 novembre 2022 18:14

                            @Gollum

                            Il ne s’agit pas du tout d’avoir une « haute opinion de soi-même ». La mort est scandaleuse car elle s’oppose à la Création de Dieu, elle détruit la Création de Dieu. En cela elle est un scandale au sens étymologique fort opportunément rappelé par l’auteur dans l’article, à savoir un « obstacle », le plus grand qui soit, à l’œuvre de Dieu. Tout cela est fort bien expliqué par Jacques Ellul dans l’ouvrage Mort et espérance de la résurrection, auquel j’avais consacré un article il y a deux ans. Je ne peux qu’y renvoyer.

                             

                            Oui, bien sûr, on trouve de très pures théories sur la mort chez Epicure, Platon, Sénèque, Tchouang-tseu, dans la Bhagavat-Gîtâ, etc. Sans doute, certains grands sages ont-ils quitté cette vie avec une sérénité parfaite, je n’en doute pas. Tout cela est admirable. Cela rejoint la phrase de l’article : « La réflexion rationnelle tend à bagatelliser la mort ». C’est tout à fait cela. Ce sont des théories, des ascèses individuelles. Dans la vie concrète il en va souvent autrement (y compris pour l’entourage). C’est ce qui explique qu’il y a une certaine insouciance qu’on ne trouve que dans la jeunesse, et que quand on a un peu vécu, côtoyé (et perdu) beaucoup de gens, on ne voit pas tout à fait les choses de la même façon.


                          • Gollum Gollum 10 novembre 2022 19:10

                            @Laconique

                            La mort est scandaleuse car elle s’oppose à la Création de Dieu, elle détruit la Création de Dieu.

                            Quel gag ! Sans mort la vie serait invivable avec pléthore d’individus tous plus prédateurs les uns que les autres...

                            La mort sert à faire le ménage.

                            Et encore à me citer Ellul dont je me fous royalement.

                            Ce sont des théories

                            Non, c’est vous le théoricien. C’est ça qui est dramatique chez vous c’est que vous avalisez le mythe biblique de la création parfaite (selon des critères humains, trop humains, les vôtres) et donc que le monde actuel est en conséquence imparfait. 

                            Or il est imparfait selon vos critères et uniquement eux. 

                            C’est d’ailleurs pour cela que vous êtes probablement malheureux car vous n’arrivez pas à faire le deuil de ce monde parfait fantasmatique..

                            Les ravages d’un biblisme pris au pied de la lettre.

                            On comprend mieux pourquoi les chrétiens ont été régulièrement en attente de ce monde parfait fantasmatique au point de délaisser le monde réel.. prophétisant régulièrement le retour du Christ afin de pouvoir enfin être débarrassé du réel.

                            Et vous osez parler du réalisme du monde de la Bible. Quel aveuglement !

                            Je préfère les bouddhistes qui parlent de l’impermanence du monde phénoménal ce qui correspond en tout point à ce qu’on observe.

                            Rien ne dure. Faudrait quand même arriver à s’y faire, tôt ou tard.

                            La seule permanence possible c’est précisément de changer son regard sur les choses.. et pas d’être en attente passive de...

                            Que celui qui a des oreilles, etc... 


                          • Laconique Laconique 11 novembre 2022 09:26

                            @Gollum

                            Vous vous emmêlez dans vos références. La mort est une chose absolument négative pour le bouddhisme, les textes sont clairs : « Tous tremblent devant le bâton. Tous craignent la mort. Que l’on s’identifie avec autrui, ressentant ce qu’il ressent, et l’on ne tuera pas, l’on n’incitera pas à tuer » (Dhammapada, 129). Ou encore : « Ces os blanchâtres, comme des courges jetées à l’automne, quel plaisir éprouver à leur vue ? » (Dhammapada, 149). Dois-je vous rappeler ce qu’a éprouvé Siddharta lorsqu’il a été mis en contact avec la mort, au sortir du palais paternel ? Vous reprochez au christianisme de dénigrer le monde tel qu’il est, mais la vision du monde du bouddhisme est bien plus noire et pessimiste, c’est un pessimisme total, il s’agit pour lui de se libérer de ce monde et de cette vie, qui n’ont rien de positif.

                             

                            En somme votre position : « Se libérer de l’anthropocentrisme, prendre de l’altitude pour percevoir l’équilibre éternel du monde » est celle de Leibniz dont Voltaire s’est moqué dans Candide. C’est du spinozisme : les accidents qui affectent les attributs de Dieu n’affectent pas Dieu lui-même, les douleurs particulières contribuent à l’équilibre du Tout, etc. C’est là une vue très intellectuelle et assez moderne, ce n’est pas du tout celle du bouddhisme qui est bien plus concret dans sa lutte contre la souffrance, ni du platonisme, qui tend à fortement dénigrer tout le monde sensible. À la rigueur c’est du stoïcisme (Marc-Aurèle).


                          • mmbbb 11 novembre 2022 09:58

                            @Laconique « philosopher , c est apprendre à mourir » Montaigne 

                            J ai toujours apprécié Montaigne, l homme de la condition humaine universelle .

                            Janke .... je suis réticent , un philosophe auto centré , geignant sur sa petite vie et celles des siens . Une réflexion presque enfantine .

                            Je sais pas s il est allé dans un hopital pour enfant , certains sont atteints de maladie grave et ils sont entre la mort et la vie .

                            J ai vu des personnes emportées par le cancer à l âge ou la vie aurait due être douce et insouciante .

                            Je fus enfant de choeur, et j ai servi les enterrements ,  Vanité des vanités, dit l’Ecclésiaste, vanité des vanités, tout est vanité. » Ecclésiaste 1, 2.

                            C est ce que je ressentais devant un cercueil , et je me disais ’ tout cela pour finir dans une boîte " 

                            J ai toujours pense que la culture est une construction intellectuelle et que la mort nous ramène à la poussière d atomes que nous fûmes .

                            Que l âme soit éternelle , que d autres évoquent la vie apres la vie , la réincarnation pour certains ;  chacun retombe dans des constructions intellectuelles qui n ont jamais été vérifiées 

                            A la fin des temps , notre systeme solaire mourra et de notre existence sur cette terre , il ne restera que des particules élémentaires sans que l homme aura pu comprendre le mystère de la vie .

                            Le temps détruit ce qu il a construit .


                          • Laconique Laconique 11 novembre 2022 10:32

                            @mmbbb

                            Merci pour votre commentaire. Ce n’est pas la première fois que vous faites référence à votre vécu, et vous avez raison, cela donne une autre approche des choses.


                          • Gollum Gollum 11 novembre 2022 11:54

                            @Laconique

                            Post intéressant. Bien argumenté. Sauf que...

                            C’est vous qui vous emmêlez les pinceaux..

                            Votre citation n’est pas le point de vue du bouddhisme. Il s’agit du point de vue de l’homme ordinaire.

                            Point de vue sur lequel s’appuie le bouddhisme pour aller au-delà de cette première perception..

                            Non le bouddhisme n’est pas d’un pessimisme total.

                            Il constate la permanence de la souffrance, dukkha, dans toute existence, ce qui est une évidence, pour la raison que toute existence est une existence conditionnée.
                            Et que donc même dans une existence la plus heureuse possible, l’existence humaine reste entachée de souffrance.

                            Puisque vous citez le Dhammapada, je vais le citer à mon tour. Chap 15 intitulé Le bonheur.

                            197 Ah ! vivons heureux, sans haïr ceux qui nous haïssent ! Au milieu des hommes qui nous haïssent, habitons sans les haïr !

                            198 Ah ! vivons heureux, sans être malades, au milieu de ceux qui le sont ! Au milieu des malades, habitons sans l’être !

                            199 Ah ! vivons heureux, sans avoir de désirs au milieu de ceux qui en ont ! Au milieu des hommes qui ont des désirs, habitons sans en avoir !

                            200 Ah ! vivons heureux, nous qui ne possédons rien ! Nous serons semblables aux dieux Abhâsvaras (1), savourant comme eux le bonheur.

                            201 La victoire engendre la haine, car le vaincu ressent de la douleur. Celui qui vit en paix est heureux, sans plus songer ni à la victoire ni à la défaite.

                            202 Il n’est pas de feu comparable à la passion, de désastre égal à la haine, de malheur tel que l’existence individuelle, de bonheur supérieur à la quiétude.

                            203 La faim est la pire des maladies, les agrégations d’éléments, le plus grand des malheurs. Pour celui qui sait qu’il en est ainsi, le Nirvâna est le bonheur suprême.

                            204 La santé est la meilleure des acquisitions ; le contentement, la meilleure des richesses, la confiance, le meilleur des parents ; le Nirvâna, le bonheur suprême.

                            205 Après avoir savouré le breuvage de l’isolement, et celui de la quiétude, on ne craint plus rien, on ne pècne plus, et l’on savoure celui de la loi.

                            206 Pleine de charme est la visite aux Aryas, plein de charmes leur commerce. Débarrassé de la vue des sots, on serait à jamais heureux.

                            207 Celui qui marche en compagnie d’un sot souffre tout le long de la route. La société d’un sot est aussi désagréable que celle d’un ennemi ; la société d’un sage, aussi agréable que celle d’un parent.

                            208 Celui qui est un sage, un savant, ayant beaucoup appris, patient comme une bête de somme, et fidèle à ses vœux, un Arya, —ce mortel vertueux, doué d’une heureuse intelligence, suivez-le, comme la lune suit le chemin des étoiles.

                            Je ne vois aucun pessimisme total dans ce chapitre, bien au contraire..

                            Au fond le Bouddha propose la même chose que le Christ : Bois de cette eau et tu n’auras plus jamais soif !

                            Cette phrase du Christ implique la permanence de l’insatisfaction inhérente à l’existence, obligée de toujours recommencer (boire) afin de satisfaire un désir.

                            Et l’affirmation qu’il existe une eau spéciale (celle de l’esprit) qui assure d’être débarrassé une fois pour toute de la nécessité de recommencer car cette eau abreuve une fois pour toutes ! (c’est le Nirvana bouddhiste)

                            Ne pas voir que le message est au fond le même révèle une profonde cécité spirituelle selon moi. (Mais qu’attendre de quelqu’un qui refuse l’universalité de l’esprit ? Celui qui souffle où il veut et quand il veut ?)

                            Se libérer de l’anthropocentrisme

                            Ben oui. Si vous restez homme vous ne parviendrez jamais à l’état angélique ou état de Bouddha selon les bouddhistes.

                            L’état de Bouddha n’a rien d’humain au sens ordinaire de ce mot.

                            Là encore vous vous fourvoyez.

                            Pour Spinoza cela n’a rien de moderne au point que Frédéric Lenoir pense que Spinoza a retrouvé spontanément la philosophie hindoue. Il est bien plus fin et juste Lenoir sur ce coup là. Et je partage son point de vue.

                            Le modernisme c’est l’inverse c’est le nez mis au ras du cul de l’homme et vous êtes en plein dedans.

                            Dénigrer Leibniz en se servant de Voltaire est assez savoureux car Voltaire lui est un moderne pur jus et voir que vous l’approuvez en dit long..

                            ce n’est pas du tout celle du bouddhisme

                            Le Bouddhisme a fait sienne la philosophie de la non-dualité et rejoint de ce fait Spinoza.

                            Mais il est vrai qu’il y a plusieurs niveaux de Bouddhisme, le Theravada étant le moins fin des trois.. spécialement adapté aux esprits bornés.


                          • Robin Guilloux Robin Guilloux 11 novembre 2022 14:47

                            @Laconique

                            Je viens de perdre ma mère récemment et je comprends parfaitement ce que vous voulez dire.


                          • Laconique Laconique 11 novembre 2022 15:14

                            @Robin Guilloux

                            Merci pour ce message. Soyez assuré de mes meilleures pensées. Votre article est une des rares choses intelligentes sur la mort réelle que j’ai eu l’occasion de lire ici.


                          • Robin Guilloux Robin Guilloux 13 novembre 2022 19:04

                            @Laconique

                            J’ai été inspiré par la pensée de Vladimir Jankélévitch.

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