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Séries technologiques, explication d’un texte d’Aristote (les parties des animaux)

Parties des animaux Livre 1 - Aristote, J.-M. Le Blond - Achat Livre | fnac

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Aristote définit l'intelligence par la capacité de fabriquer et d'utiliser des outils. Il explique que c'est l'homme qui est le plus intelligent des êtres vivants parce qu'il a des mains.

L'homme est un animal comme les autres, mais c'est un animal doué de raison, de langage. Les animaux aussi sont capables de fabriquer des objets artificiels, mais ils le font par instinct plutôt que par raison. Les abeilles, par exemples, fabriquent des ruches qui sont un modèle de perfection, mais, comme le dit Marx : « Ce qui distingue dès l’abord le plus mauvais architecte de l’abeille la plus experte, c’est qu’il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche. »

L'abeille agit par instinct. Il n'y a pas d'histoire de l'architecture chez les abeilles, elles ont toujours construit les ruches de la même façon. Les abeilles ne se servent pas d'outils pour fabriquer leur ruche, elles les fabriquent en quelque sorte directement, instinctivement en se servant de leur corps sans la médiation d'outils.

Ce jugement d'Aristote demande à être nuancé. On sait que certains chimpanzés sont capables de se servir d'outils, de monter sur une caisse pour attraper un fruit ou d'utiliser une pierre pour casser une noix.

On doit considérer l'intelligence humaine non comme un signe de supériorité, mais comme une stratégie adaptative de l'évolution. D'autres animaux, comme les dauphins n'ont pas de mains et ne fabriquent pas d'outils, mais sont capables de communiquer et de faire preuve d'une intelligence étonnante. Le fait d'avoir des mains et d'être capable de fabriquer des outils n'est donc pas la seule forme d'intelligence. 

Aristote se demande, comme aujourd'hui, où se situent les frontières entre l'humain et l'animal. Le philosophe Jacques Ricot (Qui sauver ? L'homme ou le chien ? Sur la dissolution des frontières entre l'homme et l'animal) met en garde contre le risque d'accorder trop de place à l'animal en rabaissant le statut de l'homme, comme le fait Peter Singer.

Aristote ne dit pas que l'être le plus intelligent est celui qui est capable d'utiliser des outils, mais qui est capable de bien utiliser le plus grand nombre d'outils. Il pense aux artisans de son temps, aux potiers, aux charpentiers, aux architectes, aux sculpteurs, aux peintre qui se servent d'outils très divers et très nombreux adaptés à leurs différentes tâche. L'animal est spécialisé dans une tâche, l'homme est polyvalent.

Le chimpanzé sera capable d'utiliser un bâton ou une pierre, mais pour accomplir une tâche bien définie.

La main est un "outil pour des outils" car elle n'est pas vraiment elle-même un outil. Je ne peux pas me servir directement de ma main pour enfoncer un clou ou pour scier une planche, j'ai besoin de me servir d'un marteau ou d'une scie. 

C'est dans le mythe de Prométhée et Epiméthée que le sophiste Protagoras dans le dialogue de Platon qui porte son nom, affirme que l'être humain "n'est pas constitué correctement" :

Les dieux ordonnent à Prométhée et à Épiméthée de distribuer aux "races mortelles" des qualités différentes les unes des autres. Épiméthée "équipe" les animaux, mais oublie l'homme ; Prométhée répare l'oubli de son frère en lui donnant le feu et les techniques, c'est-à-dire la faculté de fabriquer des outils.

Épiméthée ne donne pas les mêmes qualités aux animaux, il donne aux uns la rapidité (les lièvres par exemple), la force (les éléphants), des griffes (les lions et les tigres), une carapace, du venin etc.

Son principal souci est de maintenir l'équilibre entre les "races mortelles", qu'aucune ne puisse l'emporter sur l'autre. 

L'homme se distingue des autres espèces par le fait qu'il n'a aucune qualité naturelle particulière : il n'est ni particulièrement agile, ni particulièrement fort, ni particulièrement armé. L'homme est le plus démuni, le plus faible, le moins favorisé de tous les animaux. Constater que l'homme est "nu", ce n'est pas seulement constater sa faiblesse, c'est aussi constater son inachèvement.

D'un point de vue éthologique, on sait effectivement que les animaux sont immédiatement adaptés à leur milieu, contrairement à l'homme, qui naît immature, dont le cerveau continue à se développer ex utero (les fontanelles ne sont pas soudées), qui doit tout apprendre, y compris à marcher et qui dépend entièrement et durablement des soins de ses géniteurs.

Cependant, pour Aristote, cet inachèvement de l'homme, le fait qu'il n'ait aucune qualité particulière, qu'il est le plus démuni, le plus faible et le moins favorisé de tous les animaux, est paradoxalement un atout : par l'invention et l'usage des outils et des techniques, les hommes se libèrent de la dépendance par rapport à la nature, ainsi que de la crainte.

La question à laquelle le texte tente de répondre est la suivante : en quoi l'homme est-il les plus intelligent de tous les animaux ?

Les arguments d'Aristote sont les suivants :

a) l'homme est capable de bien utiliser un plus grand nombre d'outils.

b) La main n'est pas un outil, mais un outil pour des outils.

c) C'est à l'être capable d'acquérir le plus grand nombre de techniques que la nature a donné celui des outils qui est le plus largement utile, la main.

d) Ceux qui disent que l'être humain n'est pas constitué correctement, ont tort.

e) Les autres animaux n'ont chacun qu'un seul moyen de se protéger et il ne leur est pas possible de le changer.

f) L'être humain, en revanche a la possibilité d'avoir plusieurs moyens de défense et d'en changer.

L'idée principale du texte est donc qu'il existe un lien de causalité entre l'intelligence et l'anatomie humaine, en particulier la main.

Les armes sont des sortes d'outils, celles dont disposent les animaux sont inséparables de leur corps : le crabe dort avec ses pinces, le lion avec ses griffes, la chèvre avec ses cornes, la tortue avec sa carapace.

Ils ne peuvent pas s'en séparer, ils ne peuvent pas non plus changer l'arme dont ils ont été pourvus dit Aristote, alors que l'être humain a plusieurs moyens de défense et peut en changer.

La lance est indépendante de son corps, il peut en changer contre un bâton, une épée, un javelot, etc. L'animal n'a qu'un seul moyen de défense, inséparable de son corps, alors que la main de l'homme peut tenir toutes sortes d'armes, comme elle peut tenir toutes sortes d'outils. La main humaine peut tout saisir et tout tenir, alors que l'animal en est incapable.

Aristote établit donc un lien de cause à effet entre la main et la raison, sans que l'on puisse distinguer l'effet de la cause. L'homme est un animal doué de raison parce qu'il a des mains et il a des mains parce qu'il est doué de raison. 

L'intelligence c'est la faculté d'inventer des moyens pour arriver à une fin, sa démarche est de fabriquer des outils. L'invention, la fabrication, l'utilisation d'outils sont donc autant d'éléments de la démarche première propre à l'intelligence. L'homme a d'abord été un fabricateur d'outils avant de philosopher ou de faire de mathématiques il a été un "homo faber" dit Bergson avant de devenir un "homo sapiens".

Pour Aristote, la nature est sage : il serait insensé de donner un outil à quelqu'un qui n'aurait pas l'intelligence pour s'en servir. A l'homme, parce qu'il est l'être le plus intelligent de la nature, la nature a donné un organe dont il est capable de se servir : la main, non pas comme un outil, mais comme une multiplicité d'outils en puissance, un outil pour des outils.

L’anthropologie moderne ne retient pas le finalisme d'Aristote (l'idée que la nature est douée d'intentions a été écartée par la théorie darwinienne de l'évolution). Mais l’image de la main, outil pour des outils, reste belle et forte.

 


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10 réactions à cet article    


  • Étirév 24 mai 2021 11:48

    Pour info : Les écrits d’Aristote, connus et enseignés depuis longtemps dans les écoles de Cordoue et de Séville, furent introduits en France en 1215 par un Espagnol nommé Maurice.

    La Métaphysique d’Aristote inspira de l’inquiétude à l’Église, qui commença par la condamner au feu ; il fut défendu de la transcrire, de la lire, et même de la garder, sous peine d’excommunication. Un siècle plus tard, les prêtres, plus éclairés, s’aperçurent qu’Aristote n’était pas aussi contraire à la théologie qu’ils l’avaient cru d’abord ; alors ils en recommandèrent et en imposèrent même l’étude. Cela prouve le peu de valeur des écrits de ce philosophe.
    L’ORIGINE DE L’HOMME


    • Decouz 24 mai 2021 12:13

      Il y a un rapport entre différentes formes d’intelligence et l’utilisation de tel ou tel sens. La vision privilégie la discernement et l’analyse, l’audition la synthèse.

      Un compagnon me disait qu’il réfléchissait avec sa main en travaillant, autre sens et autre forme d’intelligence moins utilisés en général dans notre société actuelle, le passage de l’écriture manuscrite à l’écriture frappée doit entrainer quelques changements.


      • Decouz 24 mai 2021 12:15

        @Decouz
        Peut-être la frappe accentue-t-elle la perception du rythme, alors que l’écriture manuelle joue sur l’utilisation de l’espace.


      • arthes, Britney for ever artheslichepèdetologue 24 mai 2021 14:48

        (l’idée que la nature est douée d’intentions a été écartée par la théorie darwinienne de l’évolution)


         ???


        Darwin a t il écarté lui même cette idée ?

        L’a t il Dit ?


        En quoi ses travaux et découvertes écartent ils cette idée ?


        De plus, vous évoquez la théorie de l’évolution , une théorie n’écarte jamais définitivement une idée (celle que vous évoquez) , mais elle peut la faire évoluer, lui apporter un sens plus tangible sans pour autant que cette idée aille contre « la théorie » elle même mais au contraire l’accrédite..


        • Robin Guilloux Robin Guilloux 24 mai 2021 15:51

          @artheslichepèdetologue

          Oui, je n’ai pas assez nuancé. En fait l’idée de finalité (l’idée que la Nature a un projet) n’est pas scientifique, c’est une idée métaphysique, elle est peut-être vraie, mais on ne peut pas la prouver. Je sais que Darwin lui-même se posait des questions, par exemple à propos de l’œil, mais en fait il aurait pu se poser le même genre de questions à propose de n’importe quel organe (organon = outil). Il s’émerveillait de la complexité de l’œil et doutait qu’un tel organe ait été seulement le fruit du hasard. Autre difficulté et non des moindres : la théorie de l’évolution peut-elle elle expliquer en l’état l’émergence de la conscience ? J’en doute aussi. Vous avez raison, ce n’est qu’une théorie ; elle peut changer, évoluer (c’est le cas de le dire !)


        • arthes, Britney for ever artheslichepèdetologue 24 mai 2021 16:30

          @Robin Guilloux

          En fait l’idée de finalité (l’idée que la Nature a un projet) n’est pas scientifique, c’est une idée métaphysique, elle est peut-être vraie, mais on ne peut pas la prouver. 

          C’est vrai , mais...

          Goethe aura tenté pourtant lui même de prouver que « la nature a un projet » de manière scientifique...Son travail littéraire étant loin d’être son seul centre d’intér^tt, tout au long de sa vie il aura voulu accumuler des connaissances...Les minéraux, la chimie, l’alchimie, la philosophie, la botanique, tout le passionnait....En définitive, ses propres travaux coïncident avec ceux de Darwin, tout en le précédant, en ce sens qu’ils concernent l’évolution, sauf que lui , Goethe, partait du principe qu’il devait exister un « archétype » originel à chaque genre , en gros, il ne remonte pas la chaine, il descend « de l’archétype primordial » pour tenter d’expliquer l’évolution, et il le fait à partir de l’observation des plantes... .

          « Mais c’est surtout aux sciences de la vie que Goethe s’intéressa, et particulièrement à la botanique.

          Dans ce domaine, l’un de ses thèmes favoris était l’idée que, derrière la diversité des formes vivantes observables, on pouvait déceler une unité morphologique essentielle, un « type » idéal dont dériveraient toutes les formes réelles. »


          https://www.plantes-et-sante.fr/articles/decouvertes-botaniques/3636-de-la-metamorphose-selon-goethe


          la théorie de l’évolution peut-elle elle expliquer en l’état l’émergence de la conscience ? 
          Je ne le pense pas , moi non plus, enfin, pas comme elle est interprétée de nos jour, avec trop de matérialisme et de dogmatisme ?
          L’idée que la nature puisse avoir un projet, une volonté va à contrario de celle , actuelle, que l’humain puisse se sentir un « Dieu » , alors qu’il se sent « Dieu » parce que il maitrise et domine...La matière, juste la matière, mais pas le vivant, pas la nature donc.

          Mais, comme vous le dites, cette théorie de Darwin, qui est un point d’appui inestimable et précieux peut évoluer, de manière rationnelle et scientifique bien entendu, il ne s’agit pas de partir dans des montages farfelus  ...Si nous évoluons.

          Juste une remarque : Un ami me disait, à propos de Pasquet qui navigue dans l’espace avec le projet Elon M : ça fait rêver, on n’a plus rien à apprendre de notre monde, on sait tout, on connait tout, il n’y a plus de mystères...
          Cela m’avait un peu troublée...Et puis, comme je vis à la campagne et que je suis toujours « émerveillée » de la plus modeste fleur, des changements de saisons, de l’observation des oiseaux, du vivant, de l’animation dans les bois qui claquent et gémissent et chantent sous le vent etc...J’en suis arrivée à : En fait, ce n’est pas le monde qui est désenchanté, ce sont les esprits...


        • Robin Guilloux Robin Guilloux 24 mai 2021 17:07

          @artheslichepèdetologue

          « La sagesse commence dans l’émerveillement. » (Aristote)


        • Clark Kent Séraphin Lampion, pastafariste 24 mai 2021 17:45

          Dans sa conférence intitulée « les techniques du corps », Marcel Mauss prolonge l’intuition aristotélicienne : « J’appelle technique un acte traditionnel efficace [...]. …/… Il n’y a pas de technique et pas de transmission, s’il n’y a pas de tradition. C’est en quoi l’homme se distingue avant tout des animaux : par la transmission de ses techniques et très probablement par leur transmission orale. »

          Pour lui, c’es l’éducation qui assure la transmission de ces techniques : « Il y a des enfants qui ont des facultés très grandes d’imitation, d’autres de très faibles, mais tous passent par la même éducation  ».

          Il souligne que les techniques du corps sont au croisement des domaines biologique, sociologique et psychologique. C’est ce que Mauss appelle le point de vue de l’ « homme total » : « Il faut y voir des techniques et l’ouvrage de la raison pratique collective et individuelle, là où on ne voit d’ordinaire que l’âme et ses facultés de répétition. »

          lien


          • Robin Guilloux Robin Guilloux 24 mai 2021 21:36

            @Séraphin Lampion, pastafariste

            Merci pour le lien !


          • velosolex velosolex 26 mai 2021 00:13


            « L’homme se distingue des autres espèces par le fait qu’il n’a aucune qualité naturelle particulière : il n’est ni particulièrement agile, ni particulièrement fort, ni particulièrement armé. L’homme est le plus démuni, le plus faible, le moins favorisé de tous les animaux »

            En fait l’homme, en évoluant, et surtout en se protégeant du froid, en s’abritant, et en s’habillant a naturellement perdu ses attributs de défense qu’étaient les poils et qui en faisaient une espèce de singe parmi les autres. Les lois de Darwin suffisent à comprendre cette lente évolution, dont on peut voir les adaptations différentes selon les climats, et l’influence de la mélanine selon le soleil pour noircir la peau et le protéger.

            Freud avait dit que l’homme avait fait son deuil de sa maitrise objective des choses, en parlant de l’inconscient, mais il faut admettre que l’intelligence supérieure dont il se fait encore le détendeur exclusif, le plaçant au dessus des autres espèces ne tient pas debout. Au niveau philosophique nous sommes évidemment bien loin de la théorie de l’animal-machine de Descartes, mais on découvre, ( beaucoup en fait en ont l’intuition depuis très longtemps) que non seulement des espèces n’ont rien à lui envier au niveau de la capacité mnésique, et d’élaboration, même s’il elle est spécifique à eux seuls, et adaptée à leurs qualités intrinsèques, mais que même les végétaux et les arbres ont des ramifications les faisant entrer dans une systémie. Nos cases et concepts sont assez vains, et ne servent qu’à juger que ceux qui voudraient nous ressembler, et nous méprisons ce qui dissemblables en tous points. Mettre en hiérarchie les espèces, comme les hommes, débouchent sur le pire. On l’a vu dans le racisme, quand on niait l’intelligence des autres cultures, dites primitives. Evidemment, admettre qu’une poule a l’intelligence et surement la sensibilité d’un enfant de sept ans, met en difficulté les vendeurs de poulets de Loué, dont on nous dit qu’ils gambadent en plein air.

            Peut être que l’homme sera moins con en mangeant moins de viande, et plus empathique. Au moins il aura moins de flatulences, et la terre nous dira merci au niveau du bilan carbone comme on dit ! La terre, Gaïa, dont on découvre peu à peu qu’elle est elle aussi animée d’une forme d’intelligence. Au moins aussi importante qu’un DRH. Et à ce titre il se pourrait bien qu’elle nous licencie, après avoir pris des mesures barrières efficaces !. Le réchauffement en étant le premier stade. 

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