Marie-Antoinette - La biographie de Stefan Zweig
En 1770, une jeune fille de quatorze ans est transportée à Kehl comme un colis, un colis précieux, mais un colis quand même. À la frontière, elle doit abandonner tous ceux et celles qui l’ont accompagnée. Elle a également laissé derrière elle ses vêtements et tous les objets qui lui appartenaient. Elle se jette en larmes dans les bras de Madame de Noailles.
Marie-Antoinette, future reine de France, vient de participer au rite de « remise de l’épouse ».
Mariée pour favoriser une alliance politique, elle a vu l’intérêt de ses proches s’évanouir en même temps que les avantages de l’alliance entre la France et l’Autriche. Elle a d’abord été ce que voulait sa famille, puis ce qui convenait aux révolutionnaires.
Enfant frivole, à l’éducation négligée, Marie-Antoinette n’a pas été préparée au rôle qu’elle devait jouer aux côtés de son époux, un brave homme, mais balourd. Il n’a rien d’un prince charmant.
Alors elle s’amuse.
Sa mère, Marie-Thérèse, impératrice d’Autriche (décédée avant la Révolution), l’a rappelée à l’ordre plusieurs fois, mais rien n’y a fait. L’affaire du collier, à laquelle elle n’a été mêlée, ni de près ni de loin, entérine son image d’une reine frivole.
Elle est alors accusée de tous les maux. Stefan Zweig décrypte évènements et décisions qui ont conduit l’archiduchesse Marie-Antoinette de la Cour d’Autriche à la guillotine.
Marie-Antoinette conçoit uniquement les avantages de son rôle
« De sa main frivole et légère, Marie-Antoinette s’empare de la couronne comme d’un cadeau inattendu ; elle est encore trop jeune pour savoir que la vie ne donne rien gratuitement et que sur tout ce qu’on reçoit du destin le prix est secrètement marqué. Ce prix, Marie-Antoinette ne songe pas à le payer. Elle prend les droits de la royauté sans s’acquitter des devoirs. Elle veut unir deux choses humainement incompatibles : elle veut gouverner et jouir à la fois. Reine, elle veut que tout serve ses désirs en même temps qu’elle cèdera sans hésitation à son moindre caprice ; elle veut les pleins pouvoirs de la souveraine et la liberté de la femme ; elle entend jouir librement de sa fougueuse jeunesse. »
Le cardinal de Nohan, l’homme crédule
« Pour une escroquerie d’envergure deux choses sont nécessaires : un escroc de qualité et une belle dupe. Cette dupe, heureusement, on l’a déjà sous la main : elle n’est autre que le cardinal de Rohan, membre illustre de l’Académie Française et grand aumônier de France. Tout à fait homme de son temps, ni plus intelligent ni plus bête que beaucoup d’autres, ce prince de l’Église, d’un extérieur charmant, est atteint de la maladie du siècle, il est d’une crédulité excessive. L’humanité ne peut pas, à la longue, vivre sans croyance ; et l’idole du siècle, Voltaire, ayant fait passer de mode la foi, la superstition se glisse à sa place dans les salons du dix-huitième. Un âge d’or commence pour les alchimistes, les cabalistes, les rose-croix, les charlatans, les nécromanciens et les marchands d’orviétan. Pas un homme de la noblesse, pas une femme du monde ne manquera de se rendre dans la loge de Cagliostro, de dîner à la table du comte de Saint-Germain, d’assister aux expériences de Mesmer avec son baquet magnétique. Et c’est bien parce qu’ils sont légers, si spirituellement frivoles, parce que ni la reine, ni les généraux, ni les prêtres ne prennent au sérieux leur dignité, leur service ou leur Dieu, que tous ces viveurs “éclairés” éprouvent le besoin, pour meubler le vide épouvantable de leur existence, de jouer avec la métaphysique, la mystique, le surnaturel, l’incompréhensible, et qu’ils se laissent prendre le plus bêtement du monde, en dépit de toute leur clairvoyance et de tout leur esprit, aux pièges les plus grossiers des charlatans. »
Le roi et la reine pouvaient-ils appréhender les évènements ?
« On a beaucoup raillé Louis XVI de ne pas avoir saisi immédiatement toute la portée du mot “révolution” — qui venait de faire son apparition — lorsque, le 14 juillet, il fut tiré de son sommeil par la nouvelle de la prise de la Bastille. Mais “il n’est que trop facile”, comme le rappelle Maurice Maeterlinck, dans un célèbre chapitre de Sagesse et Destinée, à ceux qui font les malins après coup, de “reconnaître ce qu’on aurait dû faire une fois qu’on a connaissance de tous les évènements”. Il n’y a aucun doute, ni le roi ni la reine, aux premiers signes de la tempête ne se sont rendu compte, même d’une façon approximative, de toute l’étendue du bouleversement qui allait se produire ; et d’ailleurs quel est celui des contemporains qui, dès la première heure, ait eu conscience de l’ampleur du mouvement qui se déclenchait ; en est-il un seul, même parmi ceux qui allumèrent et attisèrent la Révolution ? Les chefs du nouveau mouvement populaire, Mirabeau, Bailly, La Fayette, ne se doutent pas le moins du monde à quel point cette puissance déchainée leur fera dépasser le but et les entraînera contre leur propre volonté ; car en 1789, ceux qui seront plus tard les plus enragés des révolutionnaires, Robespierre, Marat, Danton, sont encore des royalistes convaincus. »
Surtout pas de guerre
« Marie-Antoinette sait qu’une guerre, loin d’être utile à sa cause, ne pourrait que lui nuire. Quel qu’en soit le dénouement, il ne peut être qu’à son désavantage. Si les armées de la Révolution remportent la victoire sur les émigrés, les empereurs et les rois, il est certain que la France ne continuera pas à supporter un “tyran”. Si d’autre part, les troupes françaises sont battues par les parents du roi et de la reine, le peuple parisien excité ou monté par des gens intéressés en rendra responsables les prisonniers des Tuileries. Si la France est victorieuse, ils perdront le trône, si ce sont les puissances étrangères, ils perdront la vie. C’est pourquoi Marie-Antoinette, dans de nombreuses lettres, a toujours conjuré les émigrés et son frère Léopold de se tenir tranquilles ; et celui-ci, prudent, hésitant, froid calculateur et, dans le fond, ennemi de la guerre, a en effet refusé d’écouter le cliquetis des sabres princiers et des émigrés, en même temps qu’il évitait tout ce qui eût pu passer pour une provocation.
Mais il y a longtemps que la bonne étoile de Marie-Antoinette s’est obscurcie. Tout ce que le sort réserve enfin de surprises se retourne contre elle. C’est juste à ce moment-là, le 1er mars, que la maladie enlève subitement son frère Léopold, le mainteneur de la paix, et que quinze jours plus tard la balle d’un conspirateur tue le meilleur défenseur de l’idée royaliste en Europe, Gustave de Suède. La guerre est devenue inévitable, car le successeur de Gustave III ne se soucie plus de la cause monarchique, et François II ne se préoccupe pas de sa tante, mais uniquement de ses propres intérêts. Chez cet empereur de vingt-quatre ans, borné, froid, complètement insensible, dans l’âme de qui ne luit pas la moindre étincelle de l’esprit de Marie-Thérèse, Marie-Antoinette ne rencontre ni compréhension ni volonté de comprendre. »
Mon avis sur Marie-Antoinette de Stefan Zweig
Trois raisons de lire ce livre :
- Il se lit comme un roman
- On apprend plus de choses qu’en cours d’histoire
- L’auteur a une approche psychologique.
Voir la chronique littéraire : Marie-Antoinette - Stefan Zweig
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