• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Culture & Loisirs > Extraits d’ouvrages > Et la lumière fut, Jacques Lusseyran

Et la lumière fut, Jacques Lusseyran

«  La joie ne vient pas du dehors. Elle est en nous quoi qu’il arrive. »
«  La lumière ne vient pas du dehors. Elle est en nous, même sans les yeux. »

Portrait de Jacques Lusseyran par Jean Hélion

Aveugle à 8 ans, résistant à 17 ans, déporté à Buchenwald à 20ans, il est surprenant de lire que c’est néanmoins la lumière, la joie, et l’amour qui résident au cœur des jeunes années de Jacques Luysseran. Son témoignage est un profond appel à l’attention et à la liberté intérieure, afin de nous laisser traverser par cette lumière, cet amour «  beaucoup plus ancien » que nous.
« La réalité, c’est Ici et Tout de Suite. » Qu’ajouter à ce vibrant témoignage de d’attention et de vie ? Alors qu’il perd la vue, Jacques Lusseyran est le premier surpris de constater que cela ne signifie pas la perte du regard, mais un réajustement de celui-ci. C’est en cela qu’il nous invite à l’échange entre voyants et non-voyants, et plus largement nous encourage à cultiver notre attention, ainsi que notre perception unique de la réalité. Chacun de nous fait l’expérience d’une relation particulière et incomplète au grand Tout qui nous entoure et qui nous habite.
Loin de subir un handicap, il découvre avec joie un nouvel arrangement de ses sens qui l’aide paradoxalement à mieux voir en se retournant sur lui-même… A notre époque où la vie intérieure est bien trop souvent ignorée, lorsqu’elle n’est pas niée, ce témoignage est fort vivifiant… Il ne s’agit pas cette fois-ci d’un poète ou d’un sage qui tente maladroitement de partager l’indicible, mais d’un aveugle qui témoigne de ce qu’il a vu au cours de sa vie.
Il témoigne notamment du lien indéfectible entre l’amour, la joie et la vision… La peur et la haine nous rendent littéralement aveugles, ce que nos yeux distraits par les surfaces tendent à nous cacher, alors que notre âme le sait si bien. Son expérience de résistant (co-fondateur du mouvement des Volontaires de la Liberté dont il se chargera du recrutement en raison de sa capacité à voir la profondeur et la sincérité de son prochain) est riche et instructive. De même son expérience de Buchenwald laisse sans voix, car c’est bien l’amour et la joie qui lui permirent de survivre à l’enfer… Voici quelques citations extraites de son livre, suivies de citations extraites du recueil de conférences « La lumière dans les ténèbres. »

  • « Un enfant ne pense pas à l’avenir, ce qui le protège contre mille sottises et presque contre toutes les choses. Il se fie au courant même des choses, et ce courant lui apporte à chaque instant le bonheur. »
  • « J’ai vu un rayonnement partir d’un lieu dont je n’avais aucune idée, qui pouvait être aussi bien hors de moi qu’en moi. Mais un rayonnement ou, pour être plus exact, une lumière, la Lumière. (…) Je découvrais dans le même instant la lumière et la joie. Et je puis dire sans hésiter que lumière et joie ne se sont jamais plus séparées dans mon expérience depuis lors. Je les ai eues ensemble, ou je les ai perdues ensemble. »
  • « Ce que la perte de mes yeux n’avait pas su faire, la peur le faisait : elle me rendait aveugle. La colère et l’impatience avaient les mêmes effets : elles brouillaient tout le paysage. »
  • « Moi qui croyais qu’étant aveugle j’allais devoir aller au-devant de tout, je découvrais que c’étaient toutes les choses qui allaient au-devant de moi. Je n’avais jamais à faire que la moitié du chemin. L’univers était complice de tous mes désirs. »
  • « Être libre, je le voyais, c’était, acceptant les faits, de renverser l’ordre de leurs conséquences. On niait les yeux de mon corps. D’autres yeux s’ouvraient, s’ouvriraient en moi : je le savais, je le voulais. Jamais un doute ne me vint sur l’équité de Dieu. »
  • « Il n’y a de vie intérieure pour un homme, comme pour un enfant, que si le système de ses relations avec toutes choses réelles, au-dedans comme au dehors, est juste. »
  • « S’il y a une différence entre un garçon de quinze ans et un homme de quarante ans, hélas ! j’ai bien peur qu’elle soit à l’avantage du premier ! Le garçon fait tout par attention, et l’homme ne fait plus rien que par habitude. »
  • « J’avais oublié le vrai monde, celui qui est au-dedans de nous, et qui fait tous les autres. Je devais me rappeler que ce monde, au lieu de disparaître, grandirait avec les années, à une seule condition : que je croie en lui inébranlablement. »
  • « Je rencontrais chez certains penseurs modernes le mythe de l’objectivité, et je me fâchais. Alors pour ces gens-là, il y aurait un monde unique, le même pour tous ! Et tous les autres mondes seraient des illusions rétrogrades ! Pourquoi ne pas le dire : des hallucinations ! J’étais payé pour savoir combien ils avaient tort. »
  • « Le nazisme, c’était un germe omniprésent, une maladie endémique de l’humanité. Il suffisait de jeter quelques brassées de peur au vent pour récolter, à la saison prochaine, une moisson de trahisons et de tortures. »
  • « La réalité, c’est Ici et Tout de Suite. C’est la vie que vous êtes en train de vivre, là dans la seconde. N’ayez pas peur d’y perdre votre âme : Dieu est dedans. »
  • « Mais il restait une chose qui dépendait de moi : c’était de ne pas refuser l’aide du Seigneur. Ce souffle dont il me couvait. Là était mon unique combat, difficile et merveilleux à la fois : ne pas laisser mon corps avoir peur à la place. La peur fait mourir, et c’est la joie qui fait vivre. J’étais lentement ressuscité. (…) J’étais de plus si content que Buchenwald me parut un lieu acceptable, possible du moins. Si l’on ne me donnait pas du pain à manger, je mangerais de l’espérance. Cela fut vrai : je vécus encore dans le camp onze mois. (…) J’étais porté par une main. J’étais protégé par une aile. ON ne nomme pas de telles sensations vivantes. J’avais peine à m’occuper de moi. Ce souci-là m’eût semblé dérisoire. Je le savais dangereux, et il était interdit. Je pouvais enfin aider les autres. »
  • « Quand un rayon de soleil venait, s’ouvrir tout entier, le prendre jusqu’au fond de son corps, ne plus penser qu’une heure plus tôt on avait froid, qu’une heure plus tard on aurait froid, lui faire fête. (…) Enlevez à la souffrance sa double caisse de résonance – la mémoire et a peur -, la souffrance subsiste, mais elle est déjà à demi sauvée. »
  • « La vérité, ça glisse sur un homme, mais la contre-vérité, ça tient comme une teigne. »
  • « Les va-nu-pieds, les clochards ; ceux qui n’avaient jamais eu de maison, ils avaient beau être bêtes ou être paresseux, ils avaient attrapé toutes sortes de secrets sur la vie, et ils ne grinchaient pas : ils vous les donnaient. »
  • « Parce que – voyez-vous – les mauvais vieux, tous ces hommes qui n’auraient pas su vieillir, étaient morts. On mourait beaucoup entre cinquante et soixante-cinq ans à Buchenwald. C’était l’âge des hécatombes. Ceux qui survivaient, presque tous étaient bons. (…) Chez les hommes de plus de soixante-dix ans, je ne rencontrais que de la joie. C’était cela qu’il fallait faire pour vivre au camp : participer. Ne pas vivre pour son compte seulement. (…) S’étendre au-delà. Toucher quelque chose qui vous dépasse. N’importe comment : par la prière si on sait prier, par la chaleur d’un autre homme qui se communique à la vôtre et par la vôtre que vous lui donnez, ou tout simplement en cessant d’être avide. »
  • « La joie ne vient pas du dehors. Elle est en nous quoi qu’il nous arrive. La lumière ne vient pas du dehors. Elle est en nous, même sans les yeux. »

La lumière dans les ténèbres

  • « La vue, la puissance de voir préexiste à l’instrument que sont les yeux. »
  • « Peu à peu, je compris qu’aimer c’était voir, et que haïr, c’était cela la cécité, la nuit. De la sorte, j’appris que la morale (non pas la morale sociale, mais la morale spirituelle) n’était pas un ensemble de règlements abstraits, mais un ordre consistant, un ordre de faits, comme une économie de la lumière. »
  • « Bref, il y avait deux mouvements. Ou bien refuser le monde, et c’était l’obscurité, c’étaient les chocs, ou bien l’accepter : c’étaient la lumière et la force. »
  • « La découverte que permet la cécité, c’est bien celle de l’existence positive de la vie intérieure. »
  • « Tous les sens, je le crois, se réunissent en un seul. Ils sont les accidents successifs d’une perception unique. »
  • « La cécité a changé mon regard. Elle ne l’a pas éteint. »
  • « Je savais, par expérience, que si la lumière m’était enlevée, je pouvais la faire renaître en moi. Je savais que si l’amour m’était enlevé, je pouvais à nouveau faire jaillir sa source en moi. Je savais même que si la vie vous est contestée, il est possible d’en retrouver la source au fond de soi. »
  • « S’il est un domaine où la cécité vous rend expert, c’est dans celui de l’invisible. »
  • « La pollution est une guerre civile. L’ennemi cette fois, ce sont les découvertes sans fin de notre intelligence, ce sont les rêves, ce sont les combinaisons de nos techniques dont les retombées font des brèches jusque dans notre vie de tous les jours, jusque dans notre vie la plus intime. J’écoute les communiqués quotidiens de nos défaites. »
  • « Une majorité, une moyenne, ce ne sont pas des réalités ! Ce ne sont des réalités que pour l’intelligence abstraite, c’est-à-dire pour la manipulation des foules – je veux dire de leur inconscient. Pour le moi, ce n’est rien. (…) Le moi, s’il ne dort pas tout à fait, sait qu’une vérité ne consiste jamais dans ce que la plupart des gens font ou désirent. Il sait qu’une vérité, c’est ce qui apparaît à la pointe extrême de chaque expérience, d’une expérience faite personnellement et jusqu’au bout. »
  • « Notre moi est fragile, parce qu’il diminue chaque fois qu’il ne travaille pas. »
  • « Ma lumière était faite d’un amour beaucoup plus ancien que moi, d’un amour qui, sur mon chemin, m’avait pris un jour, à mon insu, et m’avait conduit plus loin déjà que mon intelligence ne le pouvait reconnaître. »

Source : https://unmultiple.wordpress.com/2023/03/16/et-la-lumiere-fut-jacques-lusseyran/


Moyenne des avis sur cet article :  4.55/5   (20 votes)




Réagissez à l'article

11 réactions à cet article    


  • raymond 16 mars 2023 18:37

    formidable histoire


    • Pauline pas Bismutée 17 mars 2023 05:13

      Quelle rayonnement, quelle clarté, cette compréhension du monde est bien rare....

      Merci d’avoir parlé de lui.

      Quelqu’un de ma famille (dans des temps pas folichons, tortures etc..), maintenant décédé évidemment, se remémorait des poèmes, et ’revisionnait’ des tableaux dans sa tête, pour survivre au pire..

      Certains sont-ils nés avec une dimension ’de trop’ ? Un supplément de force, de beauté, d’intégrité, qui les feront résister, survivre aux pires possibilités a venir ????

      Respects..................quelle(s) grandeur(s) dans ce monde de petits....


      • marko 17 mars 2023 13:56

        @Pauline pas Bismutée
        Oui, le livre est limpide ... Ce témoignage fait du bien, un bon rappel à l’essentiel alors que la folie se donne libre cours sur toutes les antennes et autres canaux de transmission... :)


      • Pauline pas Bismutée 17 mars 2023 15:37

        @eau-mission
        Donc les blessures que l’on s’inflige a soi-même de par notre comportement..
        Mais ça ne marche pas pour l’indifférence, pourtant quelles conséquences souvent !
        On m’a prêté un livre, un pavé, n’aurai pas le temps de le lire (n’ayant pas accès aux livres, malheureusement je ne peux que lire « au hasard » des rencontres, prêts, etc.)
        Bouquin en français (prêté par un russe !), ça devrait te plaire ; « le cygne noir » (la puissance de l’imprévisible) Nassim Nicholas Taleb


      • chat maigre chat maigre 17 mars 2023 07:33

        @marko

        merci beaucoup, commencer la journée par un élan d’humanité, ça met dans de bonnes dispositions

        je ne connaissais pas et je vais m’empresser de le lire, d’ailleurs votre article est une si belle découverte que ça me remplit de joie

        dans mon travail, je côtoie des personnes porteuses de handicaps et je me suis souvent dit que la société les stigmatise en pensant qu’ils ont quelque chose de moins, mais quand on passe du temps à leur côté on se rend vite compte qu’il ont souvent quelque chose de plus !!


        • chat maigre chat maigre 17 mars 2023 09:04

          @chat maigre

          je repasse 1h et demi après
          Pauline a toujours 3étoiles pour 1 vote, le mien
          moi j’ai 1 étoile pour un vote smiley

          ça me rassure, c’est un problème personnel et ce n’est pas en rapport avec le contenu de mon commentaire........ouf


        • marko 17 mars 2023 14:07

          @chat maigre
          Pareil, c’est un ami qui m’a fait découvrir Jacques Lusseyran très récemment et la lecture de ces deux ouvrages m’a rempli de joie... ce sont les mots justes :)

          J’ai aussi eu la chance de travailler dans des structures qui accueillent des handicapés (pas directement avec des handicapés, mais avec des enfants accueillis sur les mêmes structures) et j’ai pu lier pas mal de relations qui m’ont beaucoup ouvert l’esprit...
          Il suffit de s’ouvrir et de surtout se libérer de ce concept de handicap (c’est très inhibant de ne pas considérer quelqu’un comme un humain à part entière, aussi unique et particulier que tout un chacun)...

          En fait le terme même de handicap n’a de sens qu’en relation à nos sociétés ultra complexes et un peu inhumaines...
          Sinon, c’est surtout un équilibre différent... mais je trouve que Lusseyran formule avec beaucoup de force et de profondeur ce que l’on vit souvent plutôt de manière intuitive et peu formulée...

          Dailleurs, le plus on apprend à se connaître, le plus on apprend à reconnaître nos propres limites (pourquoi pas dès lors les appeler handicap aussi), à les accepter, et ainsi s’ouvrir à autrui...

          C’est une chance immense de pouvoir rencontrer et échanger avec des personnes très différentes de nous... ça nous rend moins fou, moins étroit, et plus enclins au doute et à l’empathie.... :)


        • marko 17 mars 2023 14:11

          @eau-mission
          Je ne crois pas pouvoir supprimer les commentaires... mais bon, dans un sens, même les commentaires un peu hors-sujet donnent de la visibilité à l’article :)
          Sinon, il m’est arrivé plus d’une fois de vouloir mettre 3 étoiles à un commentaire et que cela ne fonctionne pas ou me mette 1 ou deux étoiles...


        • Pauline pas Bismutée 17 mars 2023 15:26

          @chat maigre

          T’inquiète, ça fait un moment qu’on a compris que c’est n’importe quoi, plutôt drôle, un peu comme le nombre de commentaires chez Moderatus ou rosemar, quand tu vois le cirque !


        • Robin Guilloux Robin Guilloux 18 mars 2023 09:42

          Merci pour cet article.


          • chat maigre chat maigre 20 mars 2023 14:02

            salut 

            on se retrouve exclusivement entre gens bien intentionnés sous cet article porteur d’espoir et d’humanité !!

            j’ai mis une étoile positive à tous les commentaires pour compenser un peu la haine ambiante smiley

            15 votes et 15 commentaires mais certains passent quand même juste pour juger négativement les commentaires pourtant bienveillants !!

            ça me fait mal à l’humanité et ce monde qui a perdu tout humanisme mérite bien son sort au final

            heureusement qu’il reste encore des marko, des Pierre Sarramagnan-Souchier et d’autres pour nourrir nos âmes et nous montrer qu’il y a encore cette petite lumière dans de nombreux coeurs !!

            ce monde va mal et plus les jours passent, plus il va mal !!!

            mais où sont donc passés les humains, nos semblables  smiley

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON

Auteur de l'article

marko


Voir ses articles



Publicité



Les thématiques de l'article


Palmarès



Publicité