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Accueil du site > Culture & Loisirs > Extraits d’ouvrages > Au commencement était… David Graeber et David Wengrow

Au commencement était… David Graeber et David Wengrow

Après avoir évoqué le futur avec Teilhard de Chardin et Guillemant, voilà de quoi remettre en question notre vision du passé et de l’enrichir, notamment en s’appuyant sur les recherches archéologiques de ces dernières décennies. Cet ouvrage est né de la coopération entre l’anthropologue David Graeber et l’archéologue David Wengrow.

Le principal mérite de ce livre est de déconstruire une vision linéaire et monolithique de l’évolution des sociétés humaine. On y découvre en effet que nos ancêtres ont su s’organiser de manières extrêmement nombreuses et diverses. Après cette lecture, il n’est plus possible d’adhérer au récit évolutionniste simpliste (ou ses variations). En gros, il est faux de prétendre à une évolution linéaire des sociétés passant de tribus de chasseurs-cueilleurs a des sociétés sédentaires hiérarchiques à la suite de la « révolution agricole », avant de voir le développement inexorable d’états bureaucratiques.

Il y a toujours eu de nombreuses et très différentes façons de s’organiser en société. Aussi, alors qu’ils avaient commencé leurs recherches en s’intéressant à la source des inégalités, les auteurs changent leur perspective au fur et à mesure de leurs découvertes pour réfléchir aux concepts de liberté et à ses applications concrètes. 

Ils se demandent pourquoi notre société semble dans l’impasse et démontrent qu’une des libertés essentielles que nous avons perdues est celle d’imaginer, de créer et d’explorer d’autres manières de vivre et d’être… Leur ouvrage permet en partie de recouvrir cette liberté… There are Alternatives… et il y en a toujours eu….

Ils mettent en valeur brillamment les limites de la pensée hobbesienne de l’homme comme prédateur, tout comme ils déconstruisent le mythe du bon sauvage originel… Il existe en effet de nombreuses expériences humaines échappant à ces observations qui continuent pourtant d’animer la vision du passé de nombre de nos contemporains.

Ainsi, en revisitant le passé, les auteurs ouvrent de nouvelles perspectives à nos futurs. De nombreuses alternatives sont possibles, réalisables et ont déjà été expérimentées par notre espèce. Une bonne nouvelle, alors que nos sociétés thermo-industrielles arrivent au bout de la route…

Voici à présent quelques notes de lecture, visant à vous donner l’envie d’aller plus loin et de plonger dans cet ouvrage passionnant… ces notes sont subjectives et j’ai indiqué en gras quelques passages qui m’ont particulièrement interpellé si vous n’avez pas le courage de lire toutes mes notes… Mais bon, dans l’idéal, je recommande de lire l’ouvrage entier…

  • L’essentiel de notre histoire nous est inconnu et le restera à tout jamais. Notre espèce, Homo sapiens, est apparue sur terre il y a au moins deux cent mille ans. Pourtant, nul ne peut dire ce qu’elle a vécu pendant la majeure partie de cette période.
  • Ni la version rousseauiste ni la version hobbesienne ne nous paraissent satisfaisantes pour rendre compte de la trajectoire générale de l’humanité, et ce pour trois raisons principales : 1) elles sont tout simplement fausses ; 2) elles ont de terribles conséquences politiques ; 3) elles donnent du passé une image inutilement ennuyeuse.
  • Revisiter cette « critique indigène », ainsi que nous la nommerons, suppose de prendre au sérieux les contributions à la pensée sociale qui ne s’inscrivent pas dans le canon européen, notamment lorsqu’elles viennent de ces peuples autochtones que les philosophes occidentaux aiment à enfermer alternativement dans le rôle d’anges ou de démons de l’histoire.
  • Nous sommes tous des projets, des chantiers d’autocréation collective.
  • Rousseau lui-même n’a jamais prétendu qu’un tel état d’innocence originel avait réellement existé. Au contraire, il spécifiait bien que sa réflexion était une expérience mentale : « Il ne faut pas prendre les recherches dans lesquelles on peut entrer sur ce sujet, pour des vérités historiques, mais seulement pour des raisonnements hypothétiques et conditionnels ; plus propres à éclaircir la nature des choses, qu’à en montrer la véritable origine. »
  • C’est peut-être une lettre privée adressée par Benjamin Franklin à l’un de ses amis en 1753 qui nous offre l’une des meilleures descriptions de ce phénomène :

Qu’un enfant indien soit élevé parmi nous, qu’il apprenne notre langage, qu’il s’habitue à nos usages, il suffira d’une visite à ses parents, d’une course indienne avec eux, pour qu’il ne veuille jamais revenir parmi nous. Et que cela leur soit naturel, non pas seulement comme Indiens, mais comme hommes, on en a facilement la preuve. Lorsque des Blancs, de l’un ou de l’autre sexe, sont pris par les Indiens et vivent quelque temps avec eux, en vain leurs amis les rachètent, et les traitent avec toute la tendresse imaginable pour les décider à rester parmi les Anglais, ils sont bientôt dégoûtés de notre manière de vivre, des soins et des peines nécessaires pour subsister ; à la première occasion ils s’échappent pour retourner dans les bois, et il est impossible de les en faire revenir.

  • Simplifier le monde pour le comprendre et en découvrir de nouveaux aspects est donc une étape naturelle. C’est quand la simplification se prolonge au-delà de la découverte qu’elle n’est plus acceptable.
  • Si certains chercheurs en sciences sociales persistent à faire de nos ancêtres des caricatures simplistes et binaires, ce n’est pas pour mettre en évidence quoi que ce soit d’original, mais parce qu’ils croient que cela leur donne un vernis « scientifique ». 
  • Dans ces échanges, Indiens d’Amérique et Européens étaient au moins d’accord sur un constat : les premiers vivaient dans des sociétés fondamentalement libres ; les seconds en étaient très loin. Ce point ne faisait pas débat. Là où les avis divergeaient, c’était sur la question de savoir si la liberté individuelle était désirable ou non.
  • À l’évidence, donc, les jésuites reconnaissaient le lien indéfectible unissant le refus du pouvoir arbitraire, le débat politique ouvert et transparent et le goût pour l’argumentation rationnelle.
  • Après tout, quand vous mourez de faim ou que vous n’avez pas de vêtements chauds ni d’abri où vous réfugier pendant une tempête de neige, votre liberté se limite aux actes de survie les plus élémentaires.
  • En réalité, le « mythe du mythe du bon sauvage » constitue un bien meilleur sujet d’étude. Comment expliquer que certains Européens aient commencé à attribuer à d’autres des conceptions si candides ? La réponse n’est pas agréable à entendre : l’expression « bon sauvage » fut popularisée comme marque de dérision et comme injure par la bande de fieffés racistes qui prit les rênes de la British Ethnological Society (Société d’ethnologie britannique) en 1859, alors que l’Empire britannique était au faîte de sa puissance, et qui appela à l’extermination des peuples inférieurs.

  • Le présent ouvrage ne traite donc pas des origines de l’inégalité, mais pose des questions similaires en tentant d’y répondre différemment. L’histoire de l’humanité a déraillé, c’est un fait incontestable. Aujourd’hui, un pourcentage infime des habitants de la planète tiennent entre leurs mains la destinée de tous les autres, et ils la gèrent de manière de plus en plus catastrophique. Pour comprendre comment nous en sommes arrivés là, il nous faut remonter à l’avènement des rois, des gourous, des superviseurs et des juges, et déterminer ce qui l’a rendu possible. Mais nous ne pouvons plus nous permettre de le faire en prétendant connaître les réponses à l’avance.
  • Au début du XIXe siècle encore, la plupart des « hommes de lettres » – scientifiques compris – pensaient que l’univers était né un jour de la fin octobre de l’an 4004 avant J.-C.1. Ils pensaient aussi que tous les habitants de la planète partageaient alors une langue commune, l’hébreu, jusqu’à ce que, seize siècles plus tard, Dieu « confond[e] leur langage » (Genèse, 11) et disperse l’humanité à la surface de la Terre – c’est l’épisode de la tour de Babel.
  • Au cours de leur migration vers l’Eurasie, les humains modernes nés en Afrique ont notamment croisé les Néandertaliens et les Dénisoviens – des populations un peu plus proches d’eux, mais encore assez distinctes –, et tous ces groupes se sont reproduits entre eux. Ce n’est qu’après l’extinction de ces espèces que l’on peut commencer à parler d’un « nous » humain unique. En d’autres termes, jusqu’il y a quarante mille ans au moins, nos ancêtres ont vécu dans un monde radicalement différent du nôtre – sur le plan aussi bien social que physique, puisque la faune et la flore qui les environnaient n’avaient rien de commun avec celles que nous connaissons.
  • Il n’a pas pu exister une forme unique de société humaine « originelle », et les descriptions qui voudraient nous faire croire le contraire relèvent du mythe.
  • Comme l’écrit Christopher Boehm, anthropologue évolutionniste spécialiste des primates, il semblerait que nous soyons condamnés à rejouer éternellement la bataille entre « faucons hobbesiens » et « colombes rousseauistes » – entre ceux qui envisagent la nature humaine comme fondamentalement hiérarchique et ceux qui la voient comme fondamentalement égalitaire.
  • Parallèlement à l’abandon de la forme dialogique comme principal mode d’écriture, la tradition philosophique occidentale a commencé à postuler que l’homme se comporte partout et à tout instant comme un être isolé, rationnel et conscient de soi. Cela marque une rupture totale avec la conception antérieure, selon laquelle vous ne pouviez éventuellement (pas toujours) accéder à cet état qu’en vous retirant d’abord pendant de longues années dans une caverne, une cellule monastique ou au sommet d’une colonne plantée dans le désert.
  • Autrement dit, n’importe quel « Occidental rationnel » (au hasard, un contrôleur de train britannique ou un fonctionnaire colonial français) était à tout moment en possession d’une pleine conscience de soi (hypothèse on ne peut plus absurde), tandis que ceux que l’on rangeait dans la catégorie des « primitifs » ou des « sauvages » se distinguaient par leur « mentalité prélogique » ou vivaient dans un monde de mythes et de légendes. Ils étaient au mieux des conformistes écervelés et enchaînés aux fers de la tradition, au pire des créatures qui ne pourraient jamais accéder à quelque forme de pensée consciente ou critique que ce soit.
  • Chez les Winnebagos, il n’était pas inhabituel qu’une personne refuse de se plier aux rituels destinés à apaiser les dieux ou les esprits au motif que ces derniers n’avaient aucune existence réelle, ou même récuse la sagesse collective héritée des anciens et s’invente sa propre cosmologie.
  • Toutes les sociétés humaines ont leurs sceptiques et leurs anticonformistes ; c’est à travers la façon dont elles les traitent qu’elles se distinguent
  • Ces oscillations saisonnières se sont maintenues longtemps après l’invention de l’agriculture et pourraient bien être une clé pour comprendre, par exemple, les célèbres monuments néolithiques de Salisbury Plain, dans le sud de l’Angleterre (notamment, mais pas seulement, parce que ces mégalithes dressés semblent avoir servi de calendriers géants, entre autres fonctions). 
  • Rappelons que Claude Lévi-Strauss établissait un lien évident entre les variations saisonnières des structures sociales et une certaine forme de liberté politique. Dans la mesure où une organisation particulière s’appliquait à la saison humide et une autre à la saison sèche, les chefs nambikwaras pouvaient contempler leur société avec quelque recul. Ils n’y voyaient pas un « donné », une manifestation de l’ordre naturel des choses, mais une situation sur laquelle ils pouvaient agir, au moins en partie. Les va-et-vient du Néolithique britannique entre dispersion des populations et construction de monuments disent bien la portée qu’avaient parfois ces actions.
  • Pourquoi la vraie question n’est pas : « Quelles sont les origines de l’inégalité ? », mais : « Comment se fait-il que nous nous soyons retrouvés bloqués ? »
  • En tout cas, il est clair désormais que les plus anciennes traces de vie sociale ressemblent bien plus à un défilé de carnaval où paraderaient toutes les configurations politiques imaginables qu’aux mornes abstractions de la théorie évolutionniste.

  • Nous n’avons évidemment aucune idée des langues que parlaient les peuples du Paléolithique supérieur, pas plus que de leurs mythes, de leurs rites initiatiques ou de leur conception de l’âme. Nous savons en revanche que, des Alpes suisses aux confins de la Mongolie, les outils, les instruments de musique, les statuettes féminines, les objets décoratifs et même les traditions funéraires présentaient de remarquables similarités. Par ailleurs, de nombreux indices témoignent qu’hommes et femmes pouvaient voyager sur de très longues distances à divers moments de leur vie.
  • « La première société d’abondance » est peut-être le dernier exemple authentique d’un genre inventé par Rousseau : la « préhistoire spéculative ».
  • De toute évidence, les cueilleurs ne se sont pas retirés dans les coulisses quand la dernière glaciation a pris fin, en attendant qu’un groupe d’agriculteurs néolithiques vienne remettre l’histoire en marche.
  • On mesure mieux maintenant toute l’absurdité de l’habitude anthropologique qui consiste à ranger les notables yuroks et les artistes kwakiutls dans une même catégorie indifférenciée – que ce soit celle des sociétés « d’abondance » ou celle des sociétés « complexes ». C’est un peu comme si l’on disait d’un gros bonnet du pétrole texan et d’un poète égyptien du Moyen Âge qu’ils sont tous les deux des « agriculteurs complexes » parce qu’ils consomment de grandes quantités de blé.
  • L’endroit précis où nous plaçons le curseur entre liberté et déterminisme relève largement de nos préférences personnelles.
  • Les hiérarchies et la notion de propriété ont peut-être un fondement sacré, mais les formes d’exploitation les plus brutales s’enracinent dans les liens sociaux les plus intimes : elles représentent une perversion des relations d’éducation, d’amour et de soin. Inutile d’en chercher les germes dans les institutions gouvernementales.
  • La domination s’installe d’abord au niveau le plus intime, celui de la vie domestique, après quoi des politiques égalitaires volontaristes sont mises en place pour empêcher qu’un tel schéma relationnel ne déborde dans la sphère publique (qui est alors souvent envisagée comme exclusivement masculine).
  • Certains historiens modernes se paient peut-être le luxe d’évacuer « quelques petits millénaires » par-ci, par-là, mais les acteurs préhistoriques dont nous tentons de retracer l’existence n’avaient aucune raison de se montrer aussi oublieux.
  • Vues sous cet angle, les « origines de l’agriculture » ressemblent moins à une transition économique qu’à une révolution « médiatique » (ou révolution des supports) doublée d’une révolution sociale. Tous les domaines étaient concernés : l’horticulture, l’architecture, les mathématiques, la thermodynamique, la religion, la répartition des rôles entre les sexes… 
  • Dans les années 1970, un brillant archéologue de Cambridge, David Clarke, fit une prédiction : compte tenu des nouvelles méthodes de recherche, tous les aspects du vieil édifice de l’évolution humaine, y compris « les explications du développement de l’homme moderne, de la domestication, de la métallurgie, de l’urbanisation et de la civilisation, [finiraient peut-être par] nous apparaître, avec le recul, comme des pièges sémantiques et des mirages métaphysiques ». On a de plus en plus l’impression qu’il avait vu juste.

  • Face à des processus d’une telle lenteur et d’une telle complexité, il n’y a aucun sens à parler de « révolution agricole ». Et puisqu’il n’a jamais existé d’état édénique à partir duquel les aspirants cultivateurs auraient entamé leur route vers l’inégalité, il n’y en a pas davantage à affirmer que l’agriculture aurait marqué l’avènement des classes sociales, des écarts de richesse ou de la propriété privée.
  • les très grandes unités sociales sont toujours, dans une certaine mesure, imaginaires. Ou, pour le dire autrement, les empires, les nations ou les métropoles n’ont de réalité que dans notre esprit, et les liens que nous entretenons avec eux sont toujours radicalement différents de ceux que nous entretenons avec les êtres et les lieux que nous connaissons directement – amis, famille, voisinage (cf. Canetti)
  • Nous savons désormais que, dans certaines parties du monde, des villes se sont autogouvernées pendant plusieurs siècles sans le moindre temple ni palais, ceux-ci n’apparaissant que beaucoup plus tard – ou jamais. De nombreuses villes antiques semblent n’avoir eu ni classes de gestionnaires ni aucun autre type de strate dirigeante. Certaines ne connaissaient visiblement de pouvoir centralisé que par intermittence. En somme, tout indique que la vie citadine à elle seule n’implique pas et n’a jamais impliqué une quelconque forme particulière d’organisation politique.
  • Les citadins évoluent à l’intérieur de mini-univers sociaux qui se touchent sans s’interpénétrer.
  • En réalité, les citoyens d’Omelas « n’étaient pas des gens simples, des bergers tranquilles, de nobles sauvages, des utopiens débonnaires. Ils n’étaient pas moins compliqués que nous ». C’est juste que « nous avons la mauvaise habitude, encouragée par les pédants et les sophistes, de considérer le bonheur comme quelque chose de plutôt stupide » (cf. U. Le Guin)
  • Il faut rappeler que cette lecture de l’histoire aurait paru tout à fait incongrue aux philosophes des Lumières, qui reconnaissaient plus volontiers la contribution des peuples du Nouveau Monde à leurs idéaux de liberté et d’égalité – des idéaux dont ils n’étaient d’ailleurs pas certains qu’ils fussent compatibles avec le progrès industriel.
  • Rappelons-nous que c’est en lisant des témoignages sur l’empire andin que beaucoup de penseurs des Lumières, à l’instar de Madame de Graffigny et de ses lecteurs, se sont forgé une première idée de ce que pouvait être l’État-providence, ou même le socialisme d’État. En réalité, les performances incas en la matière étaient pour le moins inégales. Il faut dire que l’empire s’étendait sur plus de 4 000 kilomètres. 
  • Et si c’était justement cela, l’État – la création d’une machine sociale complexe combinée à une violence exceptionnelle, l’une et l’autre prétendument tournées vers le soin et la dévotion ?
  •  On peut donc affirmer sans crainte que la bureaucratie n’est pas née sous la forme d’une solution pratique pour gérer l’information dans des sociétés qui auraient dépassé une taille ou un niveau de complexité donnés.
  • Sur ce point encore, les découvertes archéologiques récentes réservent des surprises, puisqu’elles indiquent que les premiers systèmes de contrôle administratif spécialisé ont été mis au point par de toutes petites communautés. 
  • L’argent et l’administration sont en effet fondés sur un même principe d’équivalence impersonnelle. Or les pires inégalités naissent souvent de fictions d’égalité juridique de ce genre.
  • Les mécanismes bureaucratiques ne deviennent réellement monstrueux que lorsque le pouvoir souverain confère aux instances exécutives locales la capacité de déclarer : « Je ne veux pas le savoir : les règles sont les règles. »
  • L’État, soulignait-il, n’est pas « la réalité tapie derrière le masque de l’exercice de la politique : il est le masque lui-même ; il est ce qui nous empêche de voir l’exercice de la politique pour ce qu’il est  » (Philip Abrams)
  • S’il est né de la confluence de trois formes politiques aux origines distinctes (la souveraineté, l’administration et la compétition charismatique), l’État moderne ne représente qu’une des combinaisons possibles des trois principes de domination correspondants.
  • Notre enquête a au moins permis d’établir une chose : contrairement à une croyance qui a la vie dure, « civilisation » et « État » ne sont pas des entités siamoises qui nous seraient tombées du ciel comme un « package » historique, un tout à prendre ou à laisser en bloc et pour l’éternité. Ces deux termes recouvrent des assemblages complexes d’éléments hétéroclites dont les origines sont bien distinctes et qui sont aujourd’hui en cours de dissociation. De ce point de vue, repenser les prémisses de l’évolution sociale, c’est repenser l’idée même de politique.
  • Au début de ce chapitre, nous avons noté que l’expansion des régimes conquérants et la concentration du pouvoir entre les mains d’une petite minorité vont souvent de pair avec la marginalisation des femmes, voire leur soumission par la violence.
  •  Il semblerait que peindre sur les murs soit l’une des activités humaines les plus répandues, dans toutes les cultures et depuis l’aube de l’humanité. 
  • Comme le dit un proverbe mongol : « On peut conquérir un royaume à cheval, mais il faut en descendre pour le gouverner. »
  • L’un des défauts du modèle évolutionniste est qu’il réorganise en stades historiques distincts des modes de vie qui se sont développés en symbiose.

  • Était-il inévitable que la monarchie s’impose comme la forme de gouvernement prédominante à l’échelle de la planète ? La culture des céréales est-elle réellement un piège, et est-il juste de dire que, une fois suffisamment répandue, ce n’est qu’une question de temps avant qu’un seigneur ambitieux prenne le contrôle des greniers à grains et instaure un régime d’oppression appuyé sur un système bureaucratique ? Est-ce une fatalité que d’autres suivent son exemple ? L’histoire de l’Amérique précolombienne oppose à toutes ces questions un retentissant : « Non ! »
  • En attendant, une chose paraît bien établie : les sociétés que les envahisseurs européens ont trouvées là à partir du XVIe siècle avaient été produites par des siècles et des siècles de conflits politiques et d’affrontements d’idées. Beaucoup d’entre elles plaçaient même l’aptitude au débat raisonné au sommet de leur échelle de valeurs.
  • Ce que nous voulons dire, c’est que les théories indigènes sur la liberté individuelle, l’entraide ou l’égalité politique, qui firent si forte impression sur les penseurs des Lumières françaises, décrivaient des comportements humains qui ne relevaient ni d’un quelconque état de nature (contrairement à ce que supposaient beaucoup de ces intellectuels), ni d’une situation culturelle propre à cette partie du monde (contrairement à ce que pensent aujourd’hui de nombreux anthropologues).
  • C’est que le récit plus optimiste – celui dans lequel le progrès de la civilisation occidentale accroît nécessairement le bonheur, la richesse et la sécurité de tous – présente au moins un défaut flagrant : il n’explique pas pourquoi cette civilisation n’a réussi à se diffuser qu’en recourant à la force. Pourquoi les peuples d’autres contrées qui s’y sont convertis au cours des cinq derniers siècles ne l’ont-ils fait que parce que les armes européennes étaient braquées sur eux ?
  • Tout au long de cet ouvrage, nous avons évoqué des formes élémentaires de liberté sociale qui peuvent être concrètement mises en pratique : 1) la liberté de partir s’installer ailleurs ; 2) la liberté d’ignorer les ordres donnés par d’autres ou d’y désobéir ; 3) la liberté de façonner des réalités sociales nouvelles et radicalement différentes, ou d’alterner entre les unes et les autres.
  • Ce lien – ou plutôt cet amalgame – entre soin et domination nous paraît capital pour comprendre comment nous avons perdu la capacité de nous réinventer librement en réinventant nos relations avec les autres – en somme, pour comprendre comment nous nous sommes retrouvés bloqués, incapables d’envisager notre passé ou notre avenir autrement qu’encagés, seule variant la taille de la cage.
  • Voilà le récit que nous devrions raconter. Plutôt que celle des « origines de l’inégalité », la grande question à poser à l’histoire de l’humanité devrait être : comment avons-nous pu nous laisser enfermer dans une réalité sociale monolithique qui a normalisé les rapports fondés sur la violence et la domination ?
  • Cela fait longtemps que des anthropologues féministes défendent l’idée d’un lien entre la violence externe (largement du fait des hommes) et l’évolution du statut des femmes à l’intérieur du foyer. Nous commençons tout juste à réunir les éléments archéologiques et historiques susceptibles d’éclairer ce processus.
  • Petit à petit, nous avons compris que cette aversion pour les synthèses n’était pas uniquement due à la réticence de chercheurs ultra-spécialisés, même si ce facteur entrait en ligne de compte. Elle s’expliquait aussi par l’absence de vocabulaire adéquat.
  • En chemin, nous sommes allés de surprise en surprise. Par exemple, nous étions loin de nous douter que l’esclavage avait apparemment été aboli à maintes reprises et en maints endroits, de même sans doute que la guerre. Bien sûr, ce genre d’abolitions est rarement définitif, mais cela ne rend pas moins dignes d’intérêt les périodes qui ont vu se développer des sociétés libres, ou relativement libres.
  • Comme l’a dit un jour le physicien Max Planck, les nouvelles vérités scientifiques ne s’imposent pas lorsque les chercheurs établis admettent qu’ils ont tort, mais lorsqu’ils cèdent la place aux générations suivantes, à qui elles paraissent familières, voire évidentes.

Source : https://unmultiple.wordpress.com/2022/12/12/au-commencement-etait-david-graeber-et-david-wengrow/


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29 réactions à cet article    


  • Sirius paparazzo 13 décembre 2022 13:26

    " Par exemple, nous étions loin de nous douter que l’esclavage avait apparemment été aboli à maintes reprises et en maints endroits, de même sans doute que la guerre.  "


    Ils auraient quand même pu se douter de quelque chose en constatant que ces « abolitions » n’étaient que des postures destinées à masquer des réalités triviales. Le pays d’origine des deux auteurs a aboli officiellement l’esclavage par un simple changement de statut, les individus propriétés de maitres devenant salariés de patrons disposant de droits plus sophistiqués sur la chair à conon dont ils avaient besoin (ils n’allaient pas enrôler des esclaves dans l’armée, des citoyens électeurs volontaires pour défendre la patrie, c’est mieux).

    Pour la guerre elle-même, ce même pays présente toujours ses interventions non pas comme des conquêtes et des invasions, mais comme des protections et des défenses de la démocratie. Les Papous ne sont pas plus cons que les Américains pour se donner bonne conscience et inventer des trucs tordus.

    Au fait, vous connaissez El Argar ?


    • marko 13 décembre 2022 13:47

      @paparazzo
      Merci pour la référence d’El Argar, je ne connaissais pas du tout :) Pourtant je n’héiste pas à varier mes lectures en passant d’un Wade Davis à des ouvrages influencés par le réalisme fantastique et inversement :)

      C’est difficile de dire si ces abolitions étaient à chaque fois des postures... certainement dans certains cas... le cas US est effectivement très éloquent, mais pour nos lointains ancêtres, il est difficile de trancher... et les indices archéologiques tendent à démontrer pour plusieurs cas que l’esclavage a bien été aboli...
      Par ailleurs il y a parfois convergences d’intérêts différents/de visions différentes aboutissant à un même résultat...

      Sinon Graeber était fermement anarchiste et pacifiste... du coup, il n’écrit pas du tout cela pour justifier les politiques criminelles des US...

      Mais c’est un gros défaut de poser des citations comme ça hors contexte... j’espère que ça donne envie de creuser, car cette lecture m’a franchement bien stimulé... ça ouvre plus de perspectives que ça ne donne de réponses :)


    • Sirius paparazzo 13 décembre 2022 14:25

      @marko

      Merci pour votre réponse.

      Une autre approche est intéressante, celle des relations entre Sapiens Sapiens et Néandertal. S’il s’avère que toutes les populations humaines actuelles possèdent des gènes de Neandertal, sauf les Africains, cela montre qu’il y a eu des métissages et que cette espèce était plus proche de nous que le chimpanzé avec qui nous partageons plus de 99% du patrimoine génétique.

      Pourtant, il ne reste aucun Neandertal à 100%, et la question de savoir comment l’espèce a disparu est intéressante.

      La principale différence en lui et nous (dont les Africains, évidemment) est que Néandertal semble ne pas avoir modifié les biotopes où il a vécu, alors que Sapiens (y compris Mbutis et Inuits) produisent un impact sur leur environnement.

      Tout se passe comme si Sapiens était l’espèce vivante la plus « invasive », non seulement pas sa propension à occuper de plus en plus de territoires, quel que soit leur climat et leurs ressources, mais aussi en prenant la place des espèces déjà en place (y compris des représentants de sa propre espèces), et en supprimant, soit pour sa subsistance, soit pour sa « puissance », soir par des effets pervers conséquences de son activité, un nombre d’espèces vivantes, végétales et animales de plus en plus important et mettre en danger l’équilibre des biotopes dépendant de la biodiversité.

      La question est de savoir si cette activité n’est pas une forme d’autodestruction. La question n’est pas nouvelle, et les plus lucides des psychopathes considèrent que la conquête spatiale est une réponse à cette question.

      Mais pour faire quoi, dans l’espace ?


    • Montdragon Montdragon 13 décembre 2022 19:26

      @paparazzo
      Neandertal n’a pas disparu, il fait partie de 10% de nos ancêtres eurasiens/américains.


    • marko 14 décembre 2022 08:18

      @paparazzo J’aime bien la formule d’Edgar Morin nous définissant comme sapiens demens... On attend encore sapiens sapiens, lorsque la consicence d’une destinée commune sera partagée par une large partie de l’espèce... Nous sommes issus de processus symbiotiques et la coopération me semble une condition de la survie de notre espèce ou du moins de nos sociétés organisées... C’est pas gagné et quoi qu’il arrive nous allons vivre un certain délitement de nos sociétés thermo-industrielles...
      Les psychopathes tels Musk démontrent chaque jour à quel point intelligence et sagesse ne vont paq forcément de pair :) Entre ceux qui veulent aller sur Mars et les adeptes du transhumanisme , on ne peut que regretter de voir autant d’intelligence gâchée par excès d’hubris...
      Sinon, un autre livre qui m’avait marqué sur le sujet est Ishmaël de Daniel Quinn... il y développe quelques perespectives intéressantes, notamment entre l’impact sur son milieu des humains nomades (’leavers’) et sédentaires (’takers’)... il reviste plusieurs mythes à la lumière de l’anthorpologie et de l’archéologie... Certains élémlents sont remis en question par le livre de Graeber, mais les réflexions de fond demeurent très pertinentes !


    • alinea alinea 14 décembre 2022 16:00

      @marko
      En deux mots, j’ai pensé, à lire différentes hypothèses de notre évolution, que l’humain avait développé son cerveau gauche pour survivre dans cette jungle qu’est la Nature et parce qu’il n’avait pas beaucoup d’atouts physiques, mais qu’il a ignoré, ou n’est pas doté, de la manette « frein ».
      C’est ce que les anciens appelaient l’hubris : qu’on veuille dominer le monde méchamment, ou gentiment, qu’on veuille investir les planètes puisque nous avons saccagé la nôtre, cela vient de la même faille : la démesure.
      Il est remarquable que peu en sont atteints, mais ce peu suffit.
      Cette hubris qui veut nous sortir de notre assise animale et qui veut maîtriser le monde.
      Le cerveau droit, ( c’est une manière de dire que j’ai adoptée il y a longtemps tant elle est commode ) empêcherait tout ça, mais en occident particulièrement il n’est pas valorisé !!
      Tout va tellement lentement dans l’évolution des espèces que nous ne le saurons jamais, mais nous nous éliminerons comme le fait le moindre parasite qui meurt quand il a épuisé son support.
      L’homme n’est pas un prédateur, c’est un parasite mâtiné d’auto-destructeur, en plus !!


    • marko 14 décembre 2022 16:28

      @alinea
      Oui, on retrouve en effet la trilogie grecque koros, hubris, ate. koros, la satiété correspondrait à la révolution industrielle puis aux 30 glorieuses, on nage en plein hubris depuis plusieurs décennies, perte de mesure complète, et on en arrive à l’ate, l’effondrement, le délitement...
      Après, je ne pense pas que l’homme soit par nature un parasite auto-destructeur... comme le disait Stiegler, notre espèce est aussi un facteur de néguentropie... à partir du moment où l’on retrouve la dimension symbiotique de nos existences... nous sommes Un et nous sommes multiples...
      Nous sommes une espèce relativement jeune... et on peut assez facilement considérer que nos pseudo-élites ont la psyché d’ados pas très malins, gonflés d’ego et de peurs... mais on va continuer à grandir... si on ne s’autodétruit pas complètement en route :)


    • alinea alinea 14 décembre 2022 22:45

      @marko
      Oui, je le pense aussi bien que je trouve que nos pseudo élites ont beaucoup de « followers » ! mais ceux qui ne suivent pas cette hubris restent dans le destruction « de l’ignorance », qui croit le monde éternel, invincible et infini... donc on peut bien y faire ce qu’on veut ( personne ne multiplie ses gestes par sept milliards par exemple et c’est bien dommage, il aurait idée de ce qu’il fait !!)
      Il y a la nature des choses, et il y a la situation ; je connais un pin qui a fait deux « S » avant de pousser droit pour trouver la lumière ; ce n’est pas dans sa nature, c’était dans son instinct de vie, dans la situation qu’il a trouvée.
      L’humain patauge, hésite, se trompe, mais toujours avec beaucoup d’aplomb !! et les dégâts commencent enfin à être perçus.
      Je pense que nous sommes à l’adolescence ; à l’adolescence, quand « on s’y croit », on peut mourir aussi. Du passé ils ont fait table rase, histoire de tuer le père, et enfants gâtés, sont sûrs que l’avenir leur appartient !
      On verra.


    • Lynwec 13 décembre 2022 15:43

      Une histoire de l’Humanité rédigée par deux David, je sentais monter comme un début de fronde ... que la lecture de l’article ne justifie pas, à première vue (et même en creusant... quoi que...)

      Quoi que, sachant que certains dirigeants d’autrefois, aussi mégalomaniaques que ceux d’aujourd’hui, ont fait réécrire l’Histoire, détruire des monuments, purger des archives, effacer les noms de leurs concurrents ou les discréditer par des mensonges officiels, en gros préparer le terrain pour que les futurs historiens soient embobinés ou nous embobinent (et la pratique a perduré à travers les âges, ne nous y trompons pas)... on peut quand même ressentir une envie de creuser un peu plus...

      Sont vieux, les deux types, Mathusalem est enfoncé, ils ont connu les débuts de l’Humanité et nous font bénéficier de leur immense c̶a̶p̶a̶c̶i̶t̶é̶ ̶à̶ ̶e̶m̶b̶o̶b̶i̶n̶e̶r̶ sagesse...

      Avec humilité, merci ...

      Les auteurs ne prennent pas trop de risques en restant dans les considérations générales, rien qui puisse vraiment choquer le lecteur, ni lui apporter la révélation, ce qui fait qu’en matière de « nouvelle Histoire de l’Humanité », on peut considérer qu’on reste sur notre faim . Si l’ensemble du livre est du même registre, de quoi être é̶c̶l̶a̶i̶r̶é̶ déçu ...d’autant que la courte référence aux Jésuites donne également à penser...

      Avant, je ne savais pas, maintenant je sais ...que la capacité à nous raconter de belles « histoires » est inscrite dans les gênes de l’Humanité ...


      • marko 14 décembre 2022 08:26

        @Lynwec C’est peut-être une question d’attentes... Je pense légitime « qu’ils ne prennent pas trop de risques »... ce qui est assez cohérent, car une part de leur travail consiste à remettre en question le récit linéaire habituel...
        Il ne font pas de la la « préhistoire spéculative ».

        En fait, on peut lire ça comme une enquête sur nos lointains ancêtres... Leur manière de pointer les limites des mythes hobbsiens et rousseauisstes est plutôt nécessaire, d’autant que ces mythes sont encore très largement partagés collectivement (ce qui est normal... nos perceptions évoluent à mesure de nos découvertes)... Dans cette même continuité, le récit des premiers échanges entre peuples natifs et colons en Amérique, l’influence de leurs philosophies sur les penseurs des Lumières est un autre exemple de développement que je n’avais lu nulle part ailleurs et qui ouvre des perspectives...
        Les auteurs ne cherchent pas à écrire une histoire figée... ce qui serait impossible à moins de spéculer, mais plutôt à « débloquer » notre récit du passé, et ce faisant à ouvrir des perspectives sur l’infinité d’organisations sociales ayant exister et pouvant exister...


      • Jean 13 décembre 2022 16:10

        Bonjour, je vais déjà fouiller du côté de Pascal Picq


        • marko 14 décembre 2022 08:27

          @Jean Est-ce que vous auriez un des ses ouvrages en particulier à conseiller ? Merci.


        • Montdragon Montdragon 13 décembre 2022 19:25

          Toutes les peuplades d’Amazonie sont redevenues chasseurs cueilleurs suite à la chute de leurs sociétés urbaines et organisées, apparemment quelques temps avant l’arrivée des européens.

          L’Amazonie a repris du volume en 400 ans, avant de fondre comme neige au soleil récemment.


          • marko 14 décembre 2022 08:31

            @Montdragon Oui, ça fait partie des points intéressants développés... Je ne peux pas m’empêcher de réfléchir en écho à ce que vont devenir nos sociétés en voie de délitement...


          • ZenZoe ZenZoe 14 décembre 2022 10:41

            D Graeber a toute mon estime. Il n’a pas écrit que sur les bullshit jobs, mais réfléchissait intelligemment sur nos sociétés. Dommage qu’il ne soit plus là.


            • roby roby 14 décembre 2022 11:58

              El Argar 

              finalement n’était pas loin de vivre comme notre civilisation , le fric toujours le fric comme quoi l’argent est plus destructeur que l’on pense enfin surtout ceux qui en possèdent beaucoup plus qu’il n’en faut pour vivre décemment.


              • Eric F Eric F 14 décembre 2022 18:02

                Merci pour l’article et le partage des notes de lecture.

                Il semble, quoique les auteurs s’en défendent, qu’il y ait une forme d’idéalisation de sociétés pré-colombiennes, en terme de libertés et tolérance. Mais des groupes peu nombreux sur de vastes territoires ont une situation plus simple que des groupes denses confrontés à des ressources qui se restreignent.

                J’ai été un peu surpris de la formulation péremptoire ’’Nous savons désormais que, dans certaines parties du monde, des villes se sont autogouvernées pendant plusieurs siècles sans le moindre temple ni palais .... De nombreuses villes antiques semblent n’avoir eu ni classes de gestionnaires ni aucun autre type de strate dirigeante’’. Le savons-nous vraiment ? Cela parait peu conforme à ce qu’on observe dans les divers groupes humains en milieu organisé, et même dans le monde animal supérieur, où une hiérarchie fixe (non collectivement partagée) s’instaure dans les groupes.

                A plusieurs milliards d’individus dans un monde complexe (infrastructure, moyens de production, technologie...) et planétairement interconnecté, les modèles en vigueur dans des mini sociétés autonomes paraissent difficilement transposables.


                • marko 15 décembre 2022 08:25

                  @Eric F
                  Non, je ne trouve pas qu’il y ait d’idéalisation... Ils prennent de multiples exemples dans le livre, ycompris de sociétés ayant connu la violence et les inégalités bien avant nous... Un des aspect principaux du livre est vraiment de démontrer sur la base de preuve l’infinie diversite des sociétés nous ayant précédé...

                   "De nombreuses villes antiques semblent n’avoir eu ni classes de gestionnaires ni aucun autre type de strate dirigeante’’
                  La démonstration dans le livree est assez convaincante... notamment le fait d’avoir des sites archéologiques de grandes villes (notamment en Ukraine ou en Turquie) sur lesquels on ne trouve aucun artefact referant a un leader, une caste de prêtres ou de guerriers, pas plus que l’on ne trouve de temple ou de palais... sur certains sites on trouve que des maisons de tailles similaires, mais avec des décors et motifs différents (y comppris vaisselle et autre artefacts) extrêmement variés... ce n’est qu’un exemple parmi les nombreux exemples développés dans le livre...

                  En fait, il ne s’agit pas de vouloir transposer des modèles sur lesquels il nous manquera toujours des éléments pour en avoir une vision complète, mais plutôt de démontrer que nos sociétés n’émanent pas d’une évolution inéluctable...

                  Lç je m’éloigne du livre, mais poru répondre à la fin de votre commentaire, on peut imaginer que nos organisations vont évoluer vers bien plsu de localité pour les besoins immédiats (nourriture, eau...) tout en conservant des mécanismes de coorodination à plus grande échelle pour ce qui ne peut être traité localement.... après, c’est pas gagné !!!


                • Eric F Eric F 15 décembre 2022 10:08

                  @marko
                  Une agglomération composée de maisons de taille similaire, cela a existé aussi dans les corons, mais cela ne donne pas un aperçu d’une organisation plus large. Pensons aussi au 10 downing street, ça ne ressemble pas à un palais gouvernemental (je plaisante, évidemment).

                  Concernant une évolution de notre société vers plus de localité, ça peut paraitre intéressant à un quasi-rural comme je suis, mais je vois mal comment une mégalopole comme la région parisienne entre dans ce moule, il n’y a aucune autarcie possible, il lui faut au moins le niveau régional. Mais il me semble dans un premier temps qu’il faut démondialiser autant que possible, et reprendre une autonomie nationale ou de proximité sur la plupart des domaines vitaux, on a vu lors de la crise sanitaire et dans la présente guerre d’Ukraine les conséquences néfastes de trop de dépendances vis à vis de l’extérieur.


                • pemile pemile 15 décembre 2022 10:24

                  @Eric F « mais je vois mal comment une mégalopole comme la région parisienne entre dans ce moule »

                  Comme le dit Jancovici, sans camions pas de mégapole ?


                • Confucius Confucius 15 décembre 2022 11:26

                  @marko
                  "La démonstration dans le livree est assez convaincante... notamment le fait d’avoir des sites archéologiques de grandes villes (notamment en Ukraine ou en Turquie) sur lesquels on ne trouve aucun artefact referant a un leader, une caste de prêtres ou de guerriers, pas plus que l’on ne trouve de temple ou de palais"

                  Certes, mais l’absence de preuve n’est pas la preuve de l’absence.

                  La traduction d’une relation de domination n’est pas nécessairement semblable à l’une de celles que nous pratiquons aujourd’hui ...


                • marko 15 décembre 2022 12:03

                  @Eric F
                  Oui, c’est vrai... vos deux exemples sont bien choisis !!! et les auteurs restent quand même assez prudents sur les conclusions qu’ils tirent... ils remettent plus en cause les conclusions hâtives auxquelles nous étions habitués en s’appuyant sur les découvertes archéologiques de ces 20 dernières années...
                  Sinon, pour la région parisienne, comme pour d’autres mégapoles, ça va être compliqué... même si on observe parfois comme à Détroit aux US des transfomrations urbaines prometteuses... mais il y a encore du chemin !!!


                • L'apostilleur L’apostilleur 14 décembre 2022 18:25

                  @ l’auteur 

                  « ...Qu’un enfant indien soit élevé parmi nous, qu’il apprenne notre langage, qu’il s’habitue à nos usages, il suffira d’une visite à ses parents, d’une course indienne avec eux, pour qu’il ne veuille jamais revenir parmi nous »

                  Cette hypothèse peut être discutée me semble-t-il comme de nombreux aspects de votre intéressant développement.  

                  Combien d’africains, asiatiques... nés en Europe souhaiteraient retournés vivre avec leurs familles d’origine ? 


                  • marko 15 décembre 2022 08:26

                    @L’apostilleur
                    Cette citation est issue d’une lettree de Bejamion Franklin en 1753... cela est difficilement transposable aujourd’hui ou presque la totalité de la population mondiale vit sous la contrainte monétaire... aujourd’hui, quelque soit le pays, sans argent, on crève... alros ici ou ailleurs... c’est plutôt le mirage d’abondance occidentale qui fait rêver...


                  • L'apostilleur L’apostilleur 15 décembre 2022 09:23

                    @marko
                    Si le « mirage » s’entend bien pour ceux qui connaissent nos sociétés occidentales sans y avoir accès, « l’abondance » dont sont privés certains de nos concitoyens en regard de nos standards, est une réalité (en moyenne ) dans les pays développés. 
                    Quelques voyages sur la planète nous le rappelle quand on l’oublie.


                  • L'apostilleur L’apostilleur 14 décembre 2022 18:36

                    @ l’auteur 

                    « ...Face à des processus d’une telle lenteur et d’une telle complexité, il n’y a aucun sens à parler de « révolution agricole »... »

                    Étonnante remise en question de ce qui semble pourtant évident si l’on considère les conséquences de la sédentarisation des sumériens , après leur découverte de la culture possible d’une graminée (épeautre ).

                    Avec eux le monde a changé. 


                    • marko 15 décembre 2022 08:32

                      @L’apostilleur
                      C’est vrai pour les sumériens, mais à la même époque on avait encore des civilisations de cueilleurs... on a aussi découvert l’importance majeure de la saisonalité chez pas mal de peuples (sédentaires en hiver et nomades en été, ou l’inverse...)
                      un des autres éléments intéressant beaucoup développé dans le livre est le concept de shismogénèse, à savoir la tendance des groupes humains à se définir en opposition/en divergeance avec leurs voisins...
                      On a eu beaucoup de va-etvient entre sociétés agricoles et sociétés de cueillirs, ou autres sociétés hybrides... et on parle effectivement de milliers d’années... ils développent aussi des exemples de sociétés ayant développé l’agricultrue avant de décider de retourner à un autre modèle pour se nourrir...
                      Dire que le monde a changé avec les sumériens est raconter l’histoire par la fin... la vision simplifiée de notre chemin évolutif est souvent racontée aà partir de ce qu’on connaît de notre présent et à la lumière de celui-ci...
                      Quand on essaie de s’en tenir aux faits et que l’on ne cherche pas à écrire une histoire définitive de notre évolution, on se rend compte d’une bine plus grande complexité...


                    • L'apostilleur L’apostilleur 15 décembre 2022 09:12

                      @marko
                      « ...la vision simplifiée de notre chemin évolutif est souvent racontée aà partir de ce qu’on connaît de notre présent et à la lumière de celui-ci... »

                      Avis partagé. A la décharge de ceux qui en abusent, il est souvent difficile de faire autrement. 
                      Quant aux sumériens, si on observe le bouleversement sociétal qu’à permis leur agriculture pour eux-mêmes et leurs voisins (Babylone...) avec les fondements d’une justice dont le prinicipe (oeil pour oeil...) inspirera des religions et perdurera près de 5000 ans, la roue, la division du temps par 60,, les outils agricoles, l’irrigation, l’écriture .. 
                      Il me semble qu’on peut parler de révolution des comportements humains, conséquence de la sédentarisation, conséquence de l’agriculture. 
                      On peut comprendre que des sociétés aient pu conserver leur mode de vie en parallèle, la diffusion et l’assimilation de ces évolutions ne pouvaient se faire qu’au bout de plusieurs siècles. 


                    • suispersonne 17 décembre 2022 15:01

                      Des paléontologues ont découvert des traces d’égalité nutritionnelle parmi des os féminins et masculins, avant une certaine époque déjà très ancienne.

                      (Je ne retrouve pas les sources dans mon bazar de fichiers. Merci à ceux qui peuvent les retrouver).

                      Cela peut déjà faire réfléchir.

                      D’autant que la publication mentionnée dans votre article montre qu’il n’existe aucune continuité dans l’évolution des organisations humaines, avec de multiples allers retours liberté / contrainte – respect des autres / domination ...


                      La domination patriarcale sur les féminines n’est en rien une nécessité de l’évolution des sociétés.

                      Poser la question : quels en sont les bénéficiaires ? … indique les coupables.


                      Une seule réponse semble évidente : ce sont les castes dominantes.

                      Dont on a besoin de comprendre l’apparition et les instruments.


                      Un instrument lancinant : le mythe de la vie éternelle, une arnaque malicieuse des zélites.


                      Le mythe d’Osiris veut que ce « dieu » issu d’une vierge a été tué et fut ressuscité, grâce à l’aide de sa sœur Isis.

                      Cela ne vous rappelle rien ?


                      2400 ans avant notre ère, le mythe d’une vie éternelle, calquée ici sur celle du renouveau annuel des cultures végétales, est instauré par le pharaon et ses sbires comme fondement du contrôle social.

                      Ce mythe a été diffusé d’un seul coup, au 25è siècle avant notre ère, signe évident d’une propagande du système royal du moment.


                      Champollion, décryptant ce mythe égyptien, bien antérieur à l’apparition du système social de la chrétienté, fut horrifié du danger d’en parler à qui que ce soit, et se garda d’en faire une publication de nature à lui faire subir les foudres de tous les pouvoirs en place : royauté, église, et bourgeoisie.

                      Quelques siècles plus tôt, c’était la torture et le bûcher.


                      Le croyant ne manquera pas de réfuter cette évidence, avec les arguments spécieux développés sans aucun fondement dans toutes les théologies.

                      Si on est sain d’esprit, on comprend que la répétition de ce mythe d’une vie éternelle démontre la propagande du pouvoir des castes dominantes sur la masse des castes inférieures.

                      La base de ce pouvoir est d’imposer que les inégalités sont normales, doivent être acceptées comme inévitables, et découlent d’une prétendue culpabilité de ceux qui en souffrent.


                      On le retrouve dans toutes les religions, y compris certains animismes, parfois travesti dans la propagande de la réincarnation répétitive, qui prendrait fin avec celle du karma, carotte proposée aux ânes défavorisés des castes inférieures.


                      Si on est sain d’esprit, on comprend que la répétition de ce mythe d’une vie éternelle démontre la propagande du pouvoir des castes dominantes sur la masse des castes inférieures.

                      La base de ce pouvoir est d’imposer que les inégalités sont normales, doivent être acceptées comme inévitables, et découlent d’une prétendue culpabilité de ceux qui en souffrent.


                      On croirait entendre les merdiacrates baver sur


                      • les gueux,

                      • les banlieues,

                      • les quartiers,

                      • les « envahisseurs », de couleur, non krétiens,

                      • les gilets jaunes « substituables »,

                      • les syndicats « hostiles au business », et

                      • les grévistes, irresponsables qui ne devraient même plus être autorisés à manifester

                      • en déplorant que le confinement, qui a si bien contenu les révoltes, ne soit plus aussi facile à imposer.


                      Avec le sourire méprisant des partisans du renard libre dans les poulaillers libres.

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