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Accueil du site > Culture & Loisirs > Étonnant > Jusqu’à la lie

Jusqu’à la lie

 

Un écrit assez vain.

 

François premier quoique né à Cognac a eu la main lourde quand le 30 août 1536, il se lance dans une lutte surprenante quoique sans nul doute justifiée, contre la culture de l'enivrement enracinée dans le royaume. Il est vrai que boire de l'eau n'est pas une sinécure à moins d'aller la quérir à une source miraculeuse. Les conditions d'hygiène de l'époque transforment bien des puits en nids à bactéries et autres miasmes tandis que femmes enfants et vieillards marient le vin au puits pour limiter les risques.

Alors le cognaçais n'y va pas par le dos de la cuillère dans un édit qui restera en travers de la gorge de bien des ivrognes invétérés tout autant que de tous les acteurs de la filière viticole. Le sang du Christ n'a donc plus bonne presse et le roi entend mettre au pain sec les buveurs pris la main dans le tonneau. Hélas, comment contrôler la chose sans la création de l'alcootest qui arrivera bien des siècles plus tard.

Ce sera donc au jugé que le fautif sera saisi et mis à la cave ou au placard. Son ivresse devra être manifeste, sa démarche chaloupée, ses propos vindicatifs, son comportement exubérant et son haleine chargée. Des stages de formation sont même organisés pour que les commissaires examinateurs et les sergents de ville puissent identifier sans problème un individu enfreignant l'édit en question. Le délit de faciès étant ici mis en exergue.

Le plus délicat sans doute pour eux est de ne pas tomber eux-mêmes sous le coup de ladite loi en faisant preuve de modération durant leur temps de service. La tâche leur est d'ailleurs facilitée grandement par l'interdiction faite aux cabaretiers de donner du vin et autres boissons de nature à troubler l'esprit aux résidents de la cité. Seuls les voyageurs peuvent consommer sur place tandis que pour les gens du coin, s'ils veulent être ronds, ils doivent acheter des boissons à emporter, uniquement dans les tavernes.

Si ce vin qui circule n'est pas assujetti au congé que nous connaissons à notre époque, il est néanmoins une belle source de revenus pour le trésor public avec les Aydes, taxes qui n'y vont pas avec le dos de chopine. Mais revenons à nos poivrots, contributeurs zélés des dépenses publiques qui n'ont trouvé leur équivalent aujourd'hui que chez les fumeurs qui se fournissent encore dans les bureaux de tabac.

L'enivrement est principalement le fait de l'oisiveté dominicale en dehors des heures consacrées à la messe où dois-je vous le rappeler, seul l'officiant se rince avec modération certes mais un manque notable du sens du partage. C'est donc après le repas du midi et jusqu'à fort tard dans la nuit, que l'on se distraie en buvant plus que de raison et ceci surtout chez les hommes de vingt à trente-cinq ans.

Quels sont donc les risques qu'ils encourent s'ils sont jugés à leur comportement éthylique ? Le fameux édit imbuvable dont je ne cesse de vous chauffer les oreilles sans vous le mettre en bouche, va très bientôt vous éclairer. Je vais donc vous le servir dans son jus orthographique et tel que j'ai pu le trouver, non sans l'avoir chambré préalablement pour mieux vous mettre en appétence. Prenez bien garde cependant, avant d'en prendre connaissance, de vous assurer que nul législateur contemporain ne traîne dans les parages. Il pourrait bien lui prendre l'envie de se faire remarquer en singeant ce bon Prince.

 

 

 

Édit du 30 août 1536 de François Ier

 

« Pour obvier aux oisivetez, blasphèmes, homicides et autres inconvéniens et dommages qui arrivent d’ébriété : est ordonné, que quiconque sera trouvé yvre, soit incontinent constitué et détenu prisonnier au pain et à l'eau pour la première fois : et si secondement il est reprins, sera outre ce que devant, battu de verges ou de fouët par la prison : et la tierce fois sera fustigé publiquement ; et s’il est incorrigible, sera puni d’amputation d’aureille, et d’infamie et banissement de sa personne : et si est par exprez commandé aux juges, chacun en son territoire et distroict d’y regarder diligemment. Et s’il advient que par ébriété ou chaleur de vin lesdits yvrognes commettent aucuns mauvais cas, ne leur sera pour ceste occasion pardonné, mais seront punis de la peine deue audit delict : et davantage pour ladite ébriété à l’arbitrage du juge. »

Vous mesurez mieux la puissance d'un texte inspiré par la gourde et ses excès. L'alcool est ainsi pointé du doigt – juste un doigt ! - pour être mère des principaux vices que sont l'oisiveté, le blasphème et l’homicide en laissant la voie également aux autres inconvénients et dommages qui échapperaient à la sagacité du législateur. On ne peut être plus clair pour noircir les buveurs.

L'ivrogne sera donc et dans l'instant mis au frais dans une cave de basse fosse pour y subir, outrage suprême une cure au pain sec et à l'eau. Quand on sait le péril à boire de l'eau en cette époque, on mesure la sévérité de cette première condamnation. La récidive sera là encore d'un tout autre tonneau puisque les verges et le bâton tenteront de ramener à la modération le fautif. Le coup de bambou ne portant pas cette fois sur le prix de la tournée. Un salutaire coup de fouet en somme.

Le troisième verre provoquera quant à lui l'humiliation suprême de la fustigation, une manière de blâmer en public celui qui se refuse à s'amender, à mettre de l'eau dans son vin. Le pilori peut être de sortie pour payer la tournée. Le refus de se modérer par la suite sera sévèrement puni et qui se fait tirer l'oreille pour accéder à la modération se la verra trancher.

Le bannissement pourra donc être prononcé pour aller boire ailleurs et voir si ailleurs le vin est de meilleure qualité. Pour corser la mesure, celui qui commet acte délictueux en état d'ébriété trinquera d'autant plus de fait de son ivrognerie, ne trouvant pas dans les vapeurs alcooliques la moindre circonstance atténuante. Nous pouvons apprécier le revirement qu'il y a eu par la suite en ce domaine.

Quand le vin est tiré, il faut le boire et si par la suite, les hollandais ont imposé la distillation à nos vins qu'ils entendaient faire voyager, nous pouvons constater que François premier était droit dans ses charentaises avant le grand essor du Cognac, de l'Armagnac, du Calvados et du Tafia qui poussèrent alors le bouchon plus loin.

Fort heureusement pour les groupes de pression des vins et spiritueux, le dit édit fut vite oublié tandis que le degré d'alcool n'eut de cesse de croître dans ce beau pays. La tête me tourne d'avoir écrit un tel billet qui vous laissera, je n'en doute pas sur votre soif. François Rabelais, quoique contemporain de ce texte, ne tomba jamais pour apologie de la dive bouteille et c'est tant mieux.

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33 réactions à cet article    


  • Brutus Brutus 9 avril 15:58

    Mon médecin dit que je bois deux fois de trop, mais c’est pas vrai puisque j’en renverse la moitié !


    • C'est Nabum C’est Nabum 9 avril 16:03

      @Brutus

      C’est plus prudent


    • Clocel Clocel 9 avril 16:13

      Les mineurs descendaient jadis avec six litres de pinards, la gnôle a longtemps fait partie de la ration de combat... (Avec les clopes)

      Que faisaient les bonnes consciences quand la misère se tuait à la tâches, au fond des mines ou des tranchées ? 

      L’Assomoir est un bon divertissement à ce monde de merde, l’adepte a au moins compris que cette vie n’est pas la vie et il s’offre l’ultime moyen d’évasion, il allège ses lourdeurs de l’âme.

      Et s’il fait un peu tapage, c’est bien la moindre des choses, faudrait en plus qu’il crève en silence !?


      • Seth 9 avril 16:17

        @Clocel

        Les Gauloises Troupe et la gnôle dégueulasse, j’ai connu ça dans les rations début 80.


      • Clocel Clocel 9 avril 16:21

        @Seth

        La première qualité d’une clope c’est d’être là quand elle est nécessaire, dans ces conditions, elle est forcément bonne...

        Les autres sont superflues.


      • Seth 9 avril 17:19

        @Clocel

        C’est de la gnôle que je parle...


      • Clocel Clocel 9 avril 17:40

        en @Seth

        Ach... Faut en avoir chié un minimum pour l’apprécier ou/et s’être bien caillé les burnes sous les bâtiments en tôle de Caylus au mois de février, en attendant, elle faisait un allume-feu tout à fait convaincant...

        Dans les boites de ration, le plus détonnant c’était le « fromage », je n’ai jamais vu personne en manger et pourtant ,dieu sait si à 20 ans passé on n’était pas délicat, à cette période, en tout cas.

        Le meilleur usage que nous faisions, c’était d’en bourrer les grenades d’exercice, la victime était encore détectable 8 jours après la farce.


      • C'est Nabum C’est Nabum 9 avril 17:50

        @Clocel

        J’ai essayé d’être léger sur le sujet

        Je comprends votre remarque elle est largement fondée
        Je vous en remercie


      • Brutus Brutus 9 avril 18:11

        @Clocel

        « il s’offre l’ultime moyen d’évasion, »
        on va même jusqu’à lui offrir
        sinon, combien seraient partis de faire lanlère s’ils n’avaient pas été bourrés ?

        " De tous les envois faits aux armées au cours de la guerre, le vin était assurément le plus attendu, le plus apprécié du soldat. Pour se procurer du pinard, le poilu bravait les périls, défiait les obus, narguait les gendarmes. Le ravitaillement en vin prenait, à ses yeux, une importance presque égale à celle du ravitaillement en munitions. Le vin a été pour le combattant le stimulant bienfaisant des forces morales comme des forces physiques. Ainsi a-t-il largement concouru, à sa manière, à la victoire."

        (Hommage au vin de Philippe Pétain, en exergue d’un document publicitaire illustré par Raoul Dufy et édité dix-sept ans après la fin de la première guerre mondiale°.

        lien


      • Seth 9 avril 16:15

        Pour les tableaux tu as oublié « L’Absinthe » de Degas mais c’est pas grave. smiley


        • C'est Nabum C’est Nabum 9 avril 17:50

          @Seth

          Je ne suis pas un spécialiste de la peinture


        • sylviadandrieux 9 avril 19:33

          IL ne faut pas non plus oublier les coureurs du Tour de France qui ne buvaient pas d’eau jusqu’aux années 1960 car ils s’en méfiaient surtout en campagne. Ils préféraient les alcools forts. Le service était très mal organisé. 


          • C'est Nabum C’est Nabum 9 avril 19:59

            @sylviadandrieux

            Ils ont toujours besoin de remontant

            L’ivresse de l’altitude en somme


          • sylviadandrieux 9 avril 20:24

            @C’est Nabum
            L’altitude en Somme y’en a pas.


          • C'est Nabum C’est Nabum 9 avril 20:42

            @sylviadandrieux

            Le relief n’est pas indispensable pour prendre de la hauteur


          • sylviadandrieux 9 avril 20:56

            @C’est Nabum
            C’est un point de vue.


          • C'est Nabum C’est Nabum 9 avril 22:03

            @sylviadandrieux

            Un panorama de bas relief


          • sylviadandrieux 9 avril 22:16

            @C’est Nabum
            A votre santé. 


          • C'est Nabum C’est Nabum 10 avril 06:12

            @sylviadandrieux

            à la vôtre itou
            Nous inviterons François à nos agapes


          • juluch juluch 9 avril 21:45

            les moeurs ont changés...

            Dans les années 30 suite à une surproduction viticoles des affiches de « propagandes » vantaient les bienfaits du vin qui pouvait remplacer le repas vu que le vin était de la nourriture selon cet époque....

            Au lendemain de la guerre, rebelotte pour relancer l’économie exsangue.

            le vin , coupé d’eau, était servit dans les cantines scolaires jusque dans les années 50....

            Les gens partaient travailler avec le litron.

            On retrouvait le pinard dans les chantiers chez les ouvriers à la pause, chez les agriculteurs....de belles génération d’alcolos !!

            Ca a changé et c’est pas plus mal.


            • C'est Nabum C’est Nabum 9 avril 22:04

              @juluch

              Bien sûr que la modération est préférable
              mais c’est le décalage qui m’a attiré


            • GoldoBlack 10 avril 19:00

              Deux fois « quoique » dans la 1ère phrase a de quoi décourager les plus ardents.

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