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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Michal Rovner : Fields, au Jeu de Paume

Michal Rovner : Fields, au Jeu de Paume

Une exposition à ne surtout pas manquer. Mais faites vite, ça se termine le 31 décembre !

En cet automne, Paris regorge d’expositions prestigieuses et classiques : on pourra citer notamment « Mélancolie » et « Vienne 1900 » aux Galeries nationales du Grand Palais, « Dada » à Beaubourg, ou encore « Le Feu sous la Cendre » au Musée Maillol. Le choix est apparemment difficile. Et pourtant, ce n’est pas là qu’il faut aller, surtout si on s’intéresse à l’art contemporain. Encore une fois, la Galerie du Jeu de Paume (site Concorde), très souvent méconnue, nous propose une superbe exposition, celle de Michal Rovner, intitulée « Fields ».

Rovner est une artiste israélienne, née en 1957, qui vit désormais entre New York et son pays d’origine. Son travail s’articule autour des arts visuels : photo, cinéma, installation vidéo. Son œuvre a commencé à être remarquée dans les années 1990, avec en point d’orgue récent une exposition lors de la Biennale de Venise de 2003. Mais tout cela ne vous dit pas ce qu’on voit au Jeu de Paume.

Pour schématiser, il y a deux ensembles d’œuvres proposés : le premier, qu’on pourrait appeler « projections de la culture », consiste à projeter sur différents supports (pierres, cahiers, stèles, boîtes de Pétri) des animations constituées de personnages minuscules formant des lignes, des figures, des cercles, des groupes, qui s’inscrivent comme des marques, des hiéroglyphes, des alphabets dans la chair intime des supports. Par exemple, dans « Data Zone », 2003, un dispositif invisible projette dans des boîtes de Petri (des boîtes de culture aux sens désormais multiples) des formes qu’on pourrait assimiler à des bactéries, des champignons, des organismes microscopiques, en mouvement. Mais en s’approchant, en modifiant sa perception, on distingue de minuscules figures humaines dont les ombres noires, ou colorées, s’agitent en tous sens, inventant des ballets improbables ou des constellations imaginaires. Dans « Cabinet Stones », 2004, le même procédé est repris, pour recouvrir comme un vêtement intime de superbes pierres, d’écritures indéchiffrables, de mystères imaginaires, qui sont constitués d’alignements de ces mêmes petites figues humaines à l’échelle d’une lettre ou d’un mot. La peau de la pierre est alors notre propre mémoire - le passé, la trace - ou notre propre destin - le texte à venir, le tissage des futurs. On pense aussi au travail d’un Charles Simmonds sur des civilisations imaginaires, exposé dans ces mêmes murs, il y a quelques années.

Cette perception atteint son paroxysme avec l’installation « Tablets », 2004. Dans une grande salle isolée, deux grandes plaques rectangulaires, qu’on qualifiera de stèles, sont disposées sur un sol recouvert de sable. Le spectateur est en surplomb, à deux ou trois mètres. Et là, sur la face de chacune des pierres, une douzaine d’alignements de nos ombres humaines minuscules ; elles bougent, vont dans un sens, se retournent, dérivent lentement sur la surface. Et puis soudain, on perçoit qu’elles se prosternent. On pense alors immédiatement aux Tables de la Loi, aux textes révérés, à la dévotion des hommes pour l’écrit et les paroles, d’abord inscrites sur les pierres, puis sur des pages, avant de s’incruster dans leur imaginaire. On sort de là un peu étourdi, muet, comme impressionné par une révélation.

On peut alors passer à la seconde partie de l’exposition, centrée sur une grande installation vidéo, créée spécialement pour l’occasion et intitulée « Fields of Fire ». Dans une grande pièce noire, un immense écran horizontal. De la musique, superbe (Heiner Goebbels), qui vous happe. On distingue un banc, on s’assoit, et le voyage commence. Au milieu de l’écran, de part en part, s’écoule une forme géante, orangée, puis blanche, puis ocre, sans cesse changeante, un fluide impossible, flamme, torrent, gaz, souffle, tantôt perçu comme chaud ou froid, fort ou faible, tranquille ou menaçant au rythme de la musique, des textures, des tailles, des matières, des couleurs, de la vitesse d’écoulement, des battements de notre coeur. On pense à des paysages, des tableaux, des fractales, des rêves. Le temps n’a plus de prise, on reste fasciné par ce simple spectacle, musique et image, qui vous saisit et ne vous lâche plus. Nous sommes, à notre tour, des figures minuscules devant quelque chose de plus grand et de mystérieux, et nous contemplons. Puis lentement on émerge, on sort d’une espèce de torpeur heureuse, et on quitte de la salle. On retrouve alors une prolongation de l’œuvre sous forme de tout petits écrans ("Postcards", 2005), où sont diffusés d’étranges images de paysages de puits de pétrole : peu de couleurs, des contours, de très légers mouvements. L’antithèse de la grande salle, le calme précédant ou suivant une tempête.

Voilà, le parcours est achevé, et on sort de là habité d’un subtil calme, comme venant d’un sas. Voilà, vous l’aurez compris, j’ai beaucoup aimé.

Mais au-delà de l’émotion intense ressentie, ce qui est passionnant, c’est que Rovner utilise des techniques et des dispositifs très sophistiqués pour arriver à ces résultats. Mais ici la technique n’est pas ce qu’il y a à voir, elle est un moyen au service de l’oeuvre, elle est un artifice invisible. À ceux qui sont fâchés avec l’art contemporain : voilà un bon moyen de vous réconcilier.

PS : Avec le même billet, vous pourrez voir « Croiser des Mondes », une exposition regroupant cinq photographes autour du « document contemporain » ainsi que quelques œuvres de Camille Henrot, jeune artiste française au succès grandissant (ne pas manquer au -1 sa vidéo : « Courage mon Amour »).


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