« La Vie de Galilée » en phase avec les forces gravitationnelles à La Comédie Française
D’une entrée au répertoire à une nouvelle création, d’un administrateur général à l’un de ses successeurs, de leurs mises en scène respectives à leurs complémentarités dialectiques, d’Antoine Vitez à Eric Ruf, près de trente années séparent les deux gestes artistiques au sein de la Troupe du Français, l’un mettant en exergue la distanciation analytique de la connaissance, l’autre approfondissant la nécessité du doute et de la confrontation critique, tous deux s’appuyant sur un rôle titre d’envergure, Hervé Pierre relayant, par-delà trois décades, Roland Bertin afin d’assurer aujourd’hui l’emploi d’ « acteur-monde » théorisé et conceptualisé par Eric Ruf.
Face donc à la personnalité de Galilée, épicurien et jouisseur des ressources procurées par la vie, l’enjeu de l’époque, pour l’église catholique, était de taille puisqu’il ne lui fallait pas moins que maintenir, coûte que coûte, son influence et son pouvoir fondé au centre d’un organigramme systémique structurant mais vulnérable.
Donc point question d’admettre la moindre déviance du dogme certifiant que le globe terrestre est au cœur d’un univers intangible autour duquel tous les autres astres ou planètes tourneraient en orbites satellitaires.
Aussi, ayant acquis une lunette astronomique très performante autorisant le bien-fondé d’observations et d’études démonstratives auxquelles Copernic et Aristote ne pouvaient accéder en leur temps, il n’ y aurait, malgré cet acquis ayant révélé la réalité héliocentrique, pas d’autre échappatoire scientifique ou philosophique pour Galilée que celle de devoir se rétracter officiellement à moins que d’accepter et d’endurer les affres de tortures dont ne sauraient se dispenser de lui infliger les services « très spéciaux » de l’inquisition.
Serait-ce uniquement par lâcheté et terreur d’endurer de telles souffrances en vain ou ne serait-ce pas plutôt par pragmatisme diplomatique que le physicien aurait ainsi accepté l’humiliation de se renier à la face du monde alors qu’en coulisses, sachant pertinemment que le temps jouerait inéluctablement en sa faveur, il aurait continué à œuvrer à ses recherches et même les aurait communiquées à l’un de ses disciples en charge de transmettre « Les Discorsi » à l’étranger réfutant de facto son stratégique déni ?
C’est bel et bien cette démarche des petits pas s’adaptant aux circonstances plus soucieuses à long terme d’efficacité plutôt que d’actes de bravoure héroïques mais inopérants qu’Eric Ruf a décidé de confier à Hervé Pierre pour que celui-ci en compose un personnage « bon vivant » et optimiste qui, à terme, sortirait vainqueur des compromis à courte vue et des petits arrangements avec la médiocrité humaine envers laquelle il faut savoir effectivement composer, négocier et même ménager la susceptibilité maniaque en ayant la sagesse d’en tenir compte sans arrogance inopportune.
C’est alors qu’Eric Ruf, en grand démiurge ayant la faculté institutionnelle de mettre les petits plats dans les grands, décide d’accorder au décor et aux costumes une place prévalente dans l’environnement formel présidant aux apparentes valses-hésitations de Galilée préférant vivre pour sa recherche plutôt que d’imposer des idées trop en avance sur la « géopolitique » du moment.
Le scénographe convoque donc le grand couturier Christian Lacroix afin que, main dans la main, ils créent un spectaculaire écrin composé de toiles de grands maîtres, notamment de la Renaissance italienne, dans lequel évolueraient les représentants parfaitement identifiables des castes sociales, gouvernementales et religieuses à l’apparat pleinement pictural.
Ainsi l’évolution du processus menant par à-coups de l’Obscurantisme aux Lumières serait totalement sous contrôle au sein d’un cadre patrimonial élitaire figé dans l’histoire humaine avec, pour unique témoin et garant, l’esthétique ayant la beauté en seul point de mire.
De ce gigantesque musée scénographique éclairant le monde d’une belle lumière en définitive carcérale, il faudra donc que l’esprit critique puisse s’en extraire avec patience et habileté afin de pouvoir fédérer à terme ce point de vue tellement « révolutionnaire » : « Oui, la Terre tourne… autour du Soleil ».
La Troupe du Français est au service et à l’unisson de ce projet XXL, tous derrière son actuel administrateur avec, caracolant en tête, le fameux "acteur-monde" élu en messager de la bonne nouvelle à ne pas ébruiter trop rapidement aux oreilles d’une société idéologiquement verticale si chaste à déroger de ses certitudes protectrices.
photos 1 à 4 © Vincent Pontet, coll. Comédie-Française
photos 5 à 7 © Theothea.com
LA VIE DE GALILEE - ***. Theothea.com - de Bertolt Brecht - mise en scène Eric Ruf - avec Véronique Vella, Thierry Hancisse, Alain Lenglet, Florence Viala, Jérôme Pouly, Guillaume Gallienne en alternance avec Serge Bagdassarian, Hervé Pierre, Bakary Sangaré, Pierre Louis-Calixte en alternance avec Nâzim Boudjenah, Gilles David, Jérémy Lopez, Julien Frison en alternance avec Birane Ba, Jean Chevalier, Élise Lhomeau et les académiciens de la Comédie-Française Peio Berterretche, Béatrice Bienville, Magdaléna Calloc’h, Pauline Chabrol, Noémie Pasteger, Léa Schweitzer, Thomas Keller, Olivier Lugo & Jordan Vincent - Comédie Française / Salle Richelieu
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