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La place Royale ou l’amoureux extravagant

Pièce de Pierre Corneille mise en scène par François Rancillac avec Linda Chaïb, Christophe Laparra, Antoine Sastre, Nicolas Senty, Assane Timbo, Hélène Viviès. Actuellement au Théâtre de l’Aquarium (Cartoucherie de Vincennes), puis tournée en France.

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La place Royale a changé de nom définitivement à la Révolution pour devenir la place des Vosges, célèbre et richissime de nos jours. A l’époque de Corneille, c’est un lieu de promenade, de regards et d'échanges pour les jeunes gens de la noblesse. La pièce a donc le nom d'un lieu, avec les activités qui s'y déroulaient, le rôle social qu'elle tenait. La pièce a été représentée au Jeu de Paume du Marais en 1636, le public devait se reconnaître aisément dans les personnages et dans l'action.

François Rancillac et le scénographe Raymond Sarti ont créé une scène carrée sur la scène, par le sol. Un carré de parquet en marqueterie, qui parfois est éclairé encore plus serré, délimitant encore une scène plus petite. Tout autour, à cour et à jardin, des tables de maquillages individuelles avec miroir entouré de grosses ampoules figurent une coulisse sur scène et l'idée d'un espace théâtral sans recherche de réalisme. Les comédiens se tiendront fréquemment là quand ils ne jouent pas, sans souci apparemment de « spectacularité ».

L'intrigue va vite. Sa complexité narrative est grande. Les renversements sont fréquents, tumultueux, on n'a pas le temps de souffler. La place royale est une pièce d’action. A d'autres moments, les personnages réfléchissent beaucoup, se posent de nombreuses questions, généralisent, pèsent le pour et le contre, analysent tout finement.

Toute l'intrigue vient d'Alidor, l’amoureux extravagant. Il aime Angélique qui le lui rend bien. Cela l'effraie : il ne veut pas que l'amour le possède au détriment de son libre-arbitre et de son intégrité. Cléandre se permet alors de lui dire qu'il est épris d'Angélique, sans jamais en rien laisser paraître... Alidor va se séparer d’Angélique, et la laisser à Cléandre, son alter ego ! Ensuite, les actions s'enchaînent avec une précision qui m'a fait penser à Feydeau, Labiche... à ses mécaniques de l'humour absurde... Par exemple, Angélique a une amie, (logiquement) délurée en diable, qui est son reflet inversée : Phylis, collectionneuse d'aventures amoureuses, revendiquant d'aimer et de ne pas s'attarder.

Alidor est vraiment négatif, retors. Au plus fort de l’action, au moment de l’enlèvement, il « raisonne » encore : « On l'enlève, et mon cœur, surpris d'un vain regret, Fait à ma perfidie un reproche secret ; »… L’Autre est ambivalent sans cesse, d’un côté, quête d’amour, d’entente, voire de fusion (chez Angélique) et de l’autre, risque de dévoration, de disparition de soi en l’autre… la prévention que chacun en a amène ces hésitations, doutes, ruses, manipulations qui font l’action. L’amour et la mort. Alidor fait naître l’histoire qui est narrée, dans un état d’esprit partagé par tous les personnages.

On peut voir dans cette intrigue une grande liberté de mœurs et un individualisme très modernes. Cela annonce Marivaux, pas du tout le romantisme, les tourments de l'amour toujours insatisfait, trop c'est trop, pas assez, c'est pire, pas du tout, quelle horreur ! M'aime-t-il ou m'aime-t-elle vraiment ? Comment m'en assurer ? La ou le tester, c'est déjà le mettre en doute, autant dire trahir... rester dans l'incertitude est intolérable.

Le mariage est sacrément égratigné dans cette Place royale. Tous les personnages sont inconstants. A la fin, Angélique ira au couvent, ensevelie comme sous la cendre, sous les copeaux de papier de soie noirs qui tapissaient le sol au tout début.

François Rancillac a peu monté Corneille, mais l'a beaucoup lu. La place royale, pièce de jeunesse, était sa préférée ; elle est particulièrement empreinte de rigueur, sous ses airs de jeunesse enjouée. Il y a aussi tout un engagement philosophique et éthique sur la réalité de l'amour en dehors des codes sociaux matrimoniaux, dans sa cruauté violente.

La musique enregistrée, compositions pour clavecin de toutes les époques, tombe toujours impeccablement bien.

François Rancillac a beaucoup misé sur les comédiens. Ils prennent en charge cette langue difficile en alexandrins, avec brio et sans fioritures, bien nourris par leur metteur en scène. La musique des vers n'emporte pas toute l'attention ; le formalisme ne gêne pas, n'écrase pas le sens, comme il arrive malheureusement parfois. On nous parle bien français, et on comprend. La modernité de ces personnages, de ces situations, comme la complexité des parcours et renversements nous parvient bien. C'est une langue difficile cependant, en dehors de son aspect versifié. Et justement tout l'art est de faire oublier l'art.

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