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Accueil du site > Culture & Loisirs > La chopine à l’encre

La chopine à l’encre

Il n'et pas que le vin qui soit gris

 

La fontaine miraculeuse.

 

Il advint qu'Archimède comme à son habitude baguenaudait sur le chemin de Grande Randonnée longeant la Loire en aval d'Orléans. Il se trouvait précisément sur le territoire de Saint Ay quand il éprouva une soudaine fatigue, marquée par des étourdissements et de curieuses manifestations sensorielles. À l'évidence il était pris d'un malaise, d'une hypoglycémie qu'il aurait pu effacer en buvant du Gris Meunier.

Hélas pour notre ami Archimède, le temps n'était plus à la régalade. Il convient de boire de l'eau quand on se prévaut de l'activité physique. Les médecins d'aujourd'hui sont de cet avis et font bien peu de cas de ce qu'affirmaient leurs illustres devanciers. Le sang de la terre aurait sans nul doute remis notre ami sur pied au lieu de quoi, à bout d'énergie, il dut s'arrêter privé totalement de force.

Il y avait à deux pas de là une fontaine qui attira son attention d'autant qu'une table en ardoise l'invitait à s'installer pour un petit en-cas réparateur s'il avait eu dans sa musette de quoi se sustenter. Ses oreilles sifflaient, sa vue était brouillée, ses jambes flageolaient, le tableau clinique devait au moins l'inciter au repos voire le pousser à la sieste.

Archimède posa son séant sur une pierre faisant face à la table. Il plaça ses coudes sur celle-ci et posa sa tête dans ses mains pour tenter de retrouver ses esprits. Il perdit la perception de la réalité un temps indéterminé, l'effet sans nul doute de son malaise. Le temps passa sans qu'il puisse en mesurer la durée…

Notre marcheur retrouva ses esprits avec le sentiment d'une présence à ses côtés. Un homme curieusement vêtu avait posé une chopine de Gris meunier et deux verres sur la table. D'une voix bienveillante, l'inconnu lui recommanda de se régaler sans se soucier des avis de la faculté d'une longue tirade énigmatique.

« Le vin vous donnera le jour durant des selles fermes et assurées, que le sage Epistémong, nomme papales, car elles sont par nature infaillibles. Qui au contraire boit dès le matin de l'eau ou quelque liquide analogue sera ramolli et cul-pendant jusqu'aux ultimes heures vespérales et il se couchera en sueur et aura des cauchemars. Et au contraire qui boit du vin aura la conscience tranquille et l'esprit paisible jusqu'au crépuscule et ainsi jour après jour et derechef. »

Alors que l'inconnu lui tenait ce curieux langage, autour de la fontaine, des moutons surgirent, paissant paisiblement tandis qu'un moine à la face rubiconde vint tenir compagnie à nos deux compères. Désormais, sans trop savoir comment, des victuailles en quantité gargantuesque couvraient littéralement la table devant eux.

Archimède n'était pas en état de se poser des questions, il se joignit aux agapes de ces deux personnages non sans leur avoir demandé qui ils étaient. Le moine se présenta sous le curieux patronyme de « Frère Jean des Entommeures ! » tandis que le premier venu, quelque peu embarrassé par la question, prétendit se nommer « Alcofribas Nasier  » : un fort curieux patronyme.

En se retournant, Archimède constata une nouvelle apparition : un tonneau ouvert trônait désormais au pied de la fontaine dans lequel un très vieil ermite s'éclairait d'un falot en plein jour à la recherche dont ne sait quelle vérité. Archimède après s'être copieusement restauré et avoir bu plus que de coutume avec ces trois compères qui s'étaient joints à lui dans sa soif peu raisonnable chercha enfin à comprendre ce qui passait en cet endroit.

Il n'avait pourtant même pas remarquer que le vin ne venait jamais à manquer dans cette merveilleuse chopine. Le plus volubile des trois, celui dont le nom n'avait rien de catholique, le prétendument médecin qui se faisait appeler Alcofribas Nasier, se mit alors en devoir d'éclairer la lanterne de notre marcheur.

Non content de soigner les corps, celui que le moine nommait de temps à autre François par inadvertance, avait l'ambition de panser les esprits par la farce et la galéjade. Il écrivait à ses heures perdues en se moquant du tiers comme du quart, de la censure comme des bonnes manières. Il avait donc besoin d'un prête-nom, d'un valet de main en somme pour endosser à sa place le poids de ces écrits iconoclastes. C'est ainsi que tout en continuant sans succès à tenter de vider la première chopine toujours pleine de Gris Meunier, il lui en tendit une seconde, plus petite celle-ci, tandis que il lui demanda d’aller la remplir à la fontaine voisine.

Archimède écoutait médusé cette requête tandis qu'un berger vint se mêler à la discussion tout en jetant dans la Loire un de ses moutons. Le reste du troupeau suivit le mouvement pour le plus grand amusement des témoins dont les excès de libation avaient quelque peu altéré le jugement. Notre ami voulut se porter au secours des pauvres bêtes quand un géant, sorti miraculeusement des flots impétueux, tenait dans ses bras gigantesques les malheureuses bêtes, saines, sauves et trempées.

Celui qu'il fallait bien appeler François remercia vivement le bon géant en lui glissant à l'oreille qu'il userait de cette situation dans son prochain livre mais en attendant il convenait que le troisième fut écrit présentement en ce lieu. Il ajouta que ses déboires avec la censure le poussait à recourir aux services de cet inconnu de rencontre pour lui dicter un récit, troisième de la liste, que le brave homme signerait de sa plume.

Et puisqu'il était en villégiature plus ou moins contrainte en bord de Loire au Château de la Grand’ Cour, loin de sa chère Vienne et de sa Devinière natale, il avait décidé de confier la paternité de son nouvel ouvrage à ce quidam de passage. Archimède parfaitement ébaubi, se leva sans plus chercher à comprendre et alla remplir son cruchon.

À sa grande stupéfaction, ce n'est pas de l'eau mais de l'encre qu'il rapporta tandis que Diogène lui confia une liasse de papier et le moine Jean : une plume d'oie. Son requérant se mit alors en demeure de lui dicter des histoires aussi abracadabrantesques que farfelues. Archimède sentit alors une puce susurrer à son oreille qu'il risquait de ne pas être au bout de ses peines tant la logorrhée de ce prétendu médecin était aussi intarissable que la première chopine.

Quoique traîne savate vivant de la charité publique, notre ami avait bien plus d'instruction et de culture générale que les bacheliers et autres étudiants de nos grandes écoles contemporaines. Dans l'instant, il se douta qu'il venait de subir un curieux déplacement chronologique qui l'avait conduit en 1543. Pour éviter la fastidieuse copie, il se mit en demeure de rompre le charme temporel.

C'est ainsi qu'il expliqua à celui qu'il avait reconnu sous le nom véritable de François Rabelais que la notoriété et la postérité lui rendrait raison. Les aventures de Gargantua et Pantagruel feraient bien vite le tour du monde et qu'il convenait qu'il en assume pleinement la paternité sous son véritable blase : expression qui laissa le susdit François perplexe.

Cette révélation fut d'un bienveillant réconfort pour notre homme de lettres qui laissa tranquille le marcheur avant de se mettre immédiatement à l'ouvrage au pied de la Fontaine qui désormais porte son nom.

Archimède put poursuivre son chemin, retrouvant son époque. Fort de son aventure, il se donna pour mission de redonner ses lettres de noblesse à ces mirifiques histoires dont il avait contribué par une étrange facétie de la pensée à donner la main. C'est ainsi que jaillit dans son esprit retord l'idée d'un spectacle :

« D'Agylus à Cailloute, une Loire mirifique »

afin de narrer son aventure sans éveiller de soupçon.


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