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Plus jamais le temps

Dépêche-toi ! Tu vas être en retard à l’école !

Dès le plus jeune âge la vie devient une course contre la montre. Toujours soumis à la loi du temps, il faut aller vite, faire un maximum de gestes en un minimum de temps. Inévitablement la pensée elle aussi se trouve entraînée et écrasée par ce rouleau compresseur. Il faut penser vite et bien. Il faut penser utile et pertinent. Dès le début de sa scolarité l’enfant doit montrer ses aptitudes intellectuelles. Il devra aussi montrer ses capacités physiques, car dans cette société de l’homme parfait sans maux ni faiblesse, on se doit d’être solide, fort, robuste. Il faut être un enfant qui marche de bonne heure, qui parle de bonne heure, qui apprend bien, voire mieux que les autres. Car si l’enfant peut être précoce alors quelle gloire ! Ca fait bien dans une famille un enfant précoce. Ca se montre, ça s’exhibe, ça flatte papa et maman, ça donne l’illusion que « chez nous c’est mieux que chez les autres ».

Et puis le temps passe. L’enfance file vite, trop vite. L’enfant devient adolescent, mais il poursuit inlassablement le maître du temps. Il le poursuit d’autant plus clairement, que le temps s’est fiancé officiellement avec dame compétition. Quand il était encore petit enfant, il devinait bien sa présence, mais elle restait encore en retrait. Maintenant il la sent. Elle est là, prégnante, inévitable. Et ce n’est que le début de sa funeste course après le temps, ce temps qui le mènera, quoiqu’il advienne, à cette mort certaine vers laquelle chacun se précipite, plus vite, à force de marathon effréné.

 

La technologie libérera du temps pour l’homme.

La machine en accomplissant certaines tâches jusqu’alors faites de main d’Homme devait nous émanciper. Davantage de travail effectué grâce à l’aide de la technologie devait permettre des gains de productivité, qui pourraient alors se traduire en temps libéré pour l’Homme. Sans doute dans un monde chimérique où la cupidité serait absente ceci eût été possible. Mais pas dans nos sociétés. Le temps est alors devenu, plus que jamais, de l’argent. Il s’agit désormais de faire toujours plus en toujours moins de temps. Il faut être performant, rentable, productif. Un ouvrier c’est 120 pièces/minute ! Une caissière de supermarché c’est 20 clients/heure ! un télé-conseiller c’est 15 clients/jour ! Un administratif c’est 25 dossiers/mois !

L’Homme moderne, rejeté dans le décor froid et hostile de son poste de travail,  n’est plus qu’une machine travaillant sur la machine. Parfois, on lui interdit même de personnaliser son bureau, son atelier, son boxe. Rien ne doit pouvoir venir déconcentrer sa tâche. Courant alors après le temps, cherchant sans cesse à se mettre au diapason d’une machine qui accélère perpétuellement la cadence, par tous les messages qu’elle envoie, l’Homme entre dans une danse macabre. Il y perd le sommeil, la sérénité, la joie de vivre même. Il est obsédé par cette idée qu’il n’a pas le temps, qu’il doit se presser à finir sa tâche pour en démarrer une autre, se presser à déjeuner parce que son travail est là qui l’attend, se dépêcher à sortir du bureau pour ne pas rater le bus, le métro, le train qui le transporte jusqu’à sa maison, parce le travail se concentre dans ces no man’s land aux abords des grandes agglomérations, là où on ne vit pas, là où seules les machines sans âmes vivent entre elles. Et cet Homme, et c’est bien là son drame, a encore une âme. Une âme qui se débat, qui hurle en silence, qui se cogne contre les parois d’un cerveau anesthésié par la souffrance mentale qu’infligent  cette nouvelle organisation du travail, ces nouvelles méthodes de management.

 

Plus jamais le temps

L’Homme se retrouve broyé dans ce tourbillon qui l’entraîne toujours plus vite, et il n’a plus jamais le temps. Plus le temps de regarder grandir ses enfants. Plus le temps de voir que la femme (l’homme) qui vit à ses côtés est toujours belle (beau) même enveloppé(e) dans la tristesse de sa vie de marathonien(ne). Plus le temps de lire. Plus le temps de s’instruire. Plus jamais le temps de s’arrêter pour observer sa vie. Plus le temps d’aimer les mille et une beautés que l’univers qui l’entoure offre à tous ses sens ; un chant d’oiseau, une nuit noire d’encre sans nuage, le parfum de la terre mouillée après la pluie, la douceur d’une fraise des bois, la chaleur d’un animal qui vient se blottir. Plus jamais l’homme n’a le temps d’être en osmose avec son environnement. Plus jamais l’Homme n’a le temps d’être un Homme.

Et il court, il court toujours plus vite, vers cette mort, inéluctable fin de tout. Il court, il court après le temps sans jamais rattraper celui qu’il a perdu à force de courses aussi vaines qu’effrénées. Il alimente ce circuit fermé qui le mène à sa chute. Et il meurt, l’Homme, cet animal si intelligent capable d’asservir, pense t-il, toutes les autres espèces vivantes de la nature, quand c’est lui-même qu’il asservi au métal froid de la machine, à l’acier glacé des hommes qui ne sont déjà plus des humains. Oui, il meurt, l’Homme, sans jamais avoir vraiment vécu.

Emma.


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12 réactions à cet article    


  • miha 30 décembre 2011 11:28

    J’ai le même ressenti que ce que vous décrivez...

    Et, en effet, ça commence dès la petite enfance ; les mots qu’un enfant entend le plus souvent, c’est « dépêche-toi »... pas le temps de rêver, de traîner, d’oberserver autour de soi, de se poser.... dès le réveil, c’est « dépèche-toi de te lever » et jusqu’au soir, « dépèche-toi d’aller au lit »....

    ... société de « merdre ».


    • joelim joelim 30 décembre 2011 12:01

      Pour vaincre momentanément le temps, il faut apprendre à ne pas penser avec des mots. C’est le cerveau droit, intuitif, où mûrissent les pensées avant même de les formuler. Cela permet de rompre avec le séquencement de la parole intérieure du cerveau gauche, maître de la rationalité. A bon entendeur.


      • Pierre-Marie Baty 30 décembre 2011 13:50

        Bonjour Emma,

        Très belle thématique et très beau texte.

        Le temps, ça ne peut que se perdre ou se prendre. Et le paradoxe apparent, c’est qu’on ne le prend jamais mieux qu’en acceptant de le perdre.

        Etonnant, non ? C’est quand les choses s’en vont qu’elles nous servent le mieux. smiley

         


        • lokoma lokoma 30 décembre 2011 14:11

          Eh oui quelle course effrénée !!!! J’ai vécu ainsi jusqu’à 49 ans, au chômage depuis 5 ans j’ai enfin le temps mais ça coûte cher de prendre le temps : en fin de droit aux ASS j’ai 450 €/mois mdr


          • Georges Yang 30 décembre 2011 16:28

            Pourquoi avoir remis à aujourd’hui ce qui aurait pu être fait hier
            La vie est une course, vers la mort
            Donc autant en jouir en allant vite


            • La râleuse La râleuse 30 décembre 2011 18:10

              Bonjour Emma,
              C’est un très bon sujet que vous avez magnifiquement traité.

              Petite anecdote :
              Quand, petite provinciale que j’étais, je suis arrivée à Paris, toute contente d’avoir acquise ma liberté avec mes vingt printemps, je ne comprenais pas pourquoi les gens couraient.
              Forte tête déjà, j’ai décidé que je ne prendrais pas ce pli et continuerais à vivre au rythme de mes chemins de campagne et forêt.
              J’ai vite été remise dans le droit chemin de la ville après avoir été abordée à deux ou trois reprises par des individus m’imaginant en recherche d’aventure.
              Depuis je cours, je cours....
              Et qu’on ne s’imagine pas que l’âge vous met à l’abri de ce genre de més-aventure. smiley

              En vous souhaitant un réveillon de Saint Sylvestre tourbillonnant smiley


              • Ariane Walter Ariane Walter 30 décembre 2011 18:13

                Joli texte, chère Emma,

                je sais pourquoi la période que je vis actuellement est la plus sublime : c’est parce que j’ai échappé à cette course effrénée que j’ai connue comme tout le monde et je vis dans un nirvana où rien ne me presse et où la rêverie et la liberté sont mon pain quotidien...

                J’aurai quand même réussi ça : échapper aux règles, aux ordres et aux normes...


                • Scribe Scribe 30 décembre 2011 18:15

                  Emma, revenez en 1950, une époque où on avait encore le temps de se déplacer à pied ou à bicyclette ( les voitures et l’essence étaient trop chères), de faire la vaisselle, la lessive y compris les couches des enfants à la main, de s’occuper du feu dans la cuisinière pour pouvoir faire la soupe et se chauffer, d’aller acheter des denrées 2 fois par jour à pied parce qu’il n’y avait pas de frigo... J’en oublie certainement un peu, mais heureusement certains ont pris le temps de concevoir et de produire les produits industriels qui paraissent aujourd’hui indispensables, même à vous peut-être. On ne peut trouver l’équilibre qu’en gérant sa vie, choisir son activité, ses loisirs, son rythme, les défis qu’on accepte, ceux qu’on refuse... Pour cela on est obligé de gérer aussi son temps, c’est encore le meilleur moyen d’en avoir un peu de libre si on le souhaite et seuls ceux qui refusent ces choix sont sans cesse contraints à faire et à faire vite. Mais c’est leur droit.


                  • Emma Emma 30 décembre 2011 20:06

                    Cher Scribe,

                    Est-ce l’homme ou l’ingénieur retraité qui m’écrit ? Est-ce l’homme de soixante et quelques années (j’espère ne pas vous vieillir, et qu’alors vous ne preniez ombrage de mes supputations chiffrées, vous qui semblez préférer l’analyse des chiffres à la dialectique des mots) ou l’ingénieur qui vit toujours au fond de vous qui m’écrit parce qu’il aurait vu dans mes propos une attaque contre l’ingénierie ?

                    La machine à elle seule n’est rien. Elle n’est que par la volonté de son créateur, puis de celui qui l’utilise. Ce n’est pas la machine le problème c’est ce que l’homme en fait. Et comme vous le dites très justement « On ne peut trouver l’équilibre qu’en gérant sa vie, choisir son activité, ses loisirs, son rythme, les défis qu’on accepte, ceux qu’on refuse... ». Je ne peux que vous approuver. La vie nous place en effet sans cesse devant des choix, que nous refusons de plus en plus de faire parce que choisir c’est renoncer. Et dans ce monde du « toujours plus et toujours plus vite » nous voulons tout.

                    Mais reconnaissez que choisir devient un acte de plus en plus difficile. Paradoxalement, alors que l’industrie et ses ingénieurs mettent à notre disposition pléthore d’objets tous plus inutiles les uns que les autres (il faut faire de l’argent, et pour faire de l’argent il faut que vous et moi nous consommions), objets également victimes d’un procédé assez déloyal qu’on nomme « obsolescence programmée », nos choix sont fictifs car nos cerveaux sont conditionnés par la publicité et un mode de vie standardisé. Il suffit d’ouvrir les yeux un instant pour voir combien nous sommes tous des clones. Et si l’un d’entre nous a le malheur de sortir du rang, d’afficher une autre bannière, il est alors traité de marginal, quand ce n’est pas de fou, mis à part et regarder comme un excentrique. Nous n’avons donc, le plus souvent, que l’illusion du choix.

                    Mais voilà qui ouvre un autre débat…


                  • loco 30 décembre 2011 21:53

                    Bonsoir,
                     Courir, courir encore.... voilà qui me rappelle Forrest Gump . Il y aurait à dire sur cet engrenage de la rapidité, cette pression de l’urgence.
                     Mais plus encore, à se demander pourquoi, comment , cette folie ne trouve personne pour refuser de s’y soumettre. Je propose deux pistes :
                     - la première, facile à mesurer par soi-même, consiste à faire à pied ou à bicyclette ce qu’on fait habituellement de façon motorisée... et à ressentir le mal être physique qui naît de cette lenteur insupportable, coupable, pesante, chiante diraient les modernes (même syndrome lors des premiers essais de respiration contrôlée ou de « méditation »)
                     - la seconde, plus stressante, plus Forrest, c’est que si la course (rat race) cesse un instant, c’est non les autres, non le temps, c’est moi qui me rattrape, et là, plus moyen d’échapper aux premières constatations du conatus. Fitoussi décrit très bien le rôle de drogue joué par l’urgence, dont on porte seul la responsabilité de la continuer.


                    • Taverne Taverne 1er janvier 2012 17:00

                      Enfants, ces adultes aspirants,
                      Aspirés par la vie trop vite,

                      Voient leurs vies bien trop tôt réduites
                      A des avenirs désespérants.

                      Aspirés par la vie moderne
                      Aspirés par un univers vide,

                      Ils endossent leurs costumes ternes
                      De banquiers, de marchands avides

                      De sirops, de respirateurs.
                      Il seront marchands d’aspirateurs !

                      Eux qui rêvaient d’révolution,
                      Et de belles civilisations,

                      Même dans la Cité de David,
                      Leurs existences tournent à vide.

                      A Babylone et comme à Sion,
                      Soumis aux vulgaires sommations

                      De l’Argent ils font dévotion
                      Et renient leurs aspirations...

                      Voris Bian 1er janvier 2012


                      • Qaspard Delanuit Gaspard Delanuit 1er janvier 2012 21:00

                        J’ai pas eu le temps de lire cet article trop long, quelqu’un peut me dire en résumé de quoi ça parle ? 


                         smiley

                        (Je plaisante, excellent article)

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