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Mais non ça fait pas mal ! ... Chronique d’une guerre autruchienne

Savez-vous que la douleur de l'enfant est globalement niée ?

Hé bien moi non plus. Même quant j'ai écris ici 1980 : officiellement les bébés ne souffraient pas, je ne soupconnais pas l'ampleur du problème.

En fait, en 2005, la très officielle IASP (association intérnationnale pour l'étude de la douleurs) déclare encore :

« Le soulagement de la douleur est un droit de l’homme, et pourtant la douleur de l’enfant est un problème sous-estimé à travers le monde. »

Depuis presque deux mois que je creuse ce sujet je réalise qu'il n'est pas si inexistant que ça et je prends concience que vouloir le faire connaitre c'est comme passer un film à une armèe d'autruche, la tête dans le sable, d'où le titre.

Nous sommes fait pour protéger les plus faibles, nos tripes bouillonnent à imaginer quelqu'un qui ferait du mal à un petit enfant, même celui d'un autre, c'est vrai, nous sommes faits pour les défendre. Et pourtant ...

Plan douleur 2006-2010, sur commande ministériel, la DREES publie un rapport où l'on peut lire (p.9) :

Le déni ou la sous-évaluation de la douleur lors des soins concerne potentiellement toutes les tranches d’âges :

  • Les 1ers âges : parce qu'ils ne parlent pas
  • Les 3/4 - 6/7 ans : parce qu'ils sont réputés "rebelles aux soins", et trop extrêmes dans leur expression de la douleur
  • Les 7/8 - 10/12 ans : parce qu'ils commencent à intérioriser leur douleur
  • Les 12 -15 ans : parce qu'on amalgame facilement leur ressenti de la douleur et les problèmes psychologiques de la (pré-)adolescence (ils « somatisent »)

Ce rapport distingue bien deux groupe d'attitudes, les réservées et les sensibilisées. Des études sociologiques plus anciennes parlent plus clairement de négateurs et de compatissants.

On prend un bébé dans ces bras et tout de suite on a un instinct magique qui nous demande de la protéger, de ne pas lui faire de mal, de tout faire pour qu'il n'ai pas mal. Et pourtant ...

« En 1950, une école d'anesthésie très célèbre, l'école de Liverpool, préconise d'opérer les bébés de moins de 6 en utilisant le curare, sans rien pour endormir ni protéger de la douleur, en dehors du protoxyde d'azote. »

Le protoxyde d'azote c'est ce qu'on appelle couramment le gaz hilarant. il n'a pas franchement des vertus anesthésique et antalgique qui permettent de faire toutes les opérations les plus lourdes. Et pourtant ...

C'est ce qui s'est pratiqué jusqu'en 1990 (et plus), puisque c'est en 1987 qu'on a commencé à faire remarquer que les bébés opérés comme ça, genre opération à cœur, ouvert avaient un chouilla plus tendance à mourir que ceux anesthésiés correctement. Non j'invente pas :

« Il y a l'évidence préalable que le stress pathologique des nouveau-nés sous faible anesthésique pour des chirurgies cardiaque majeures peut être associé à une morbidité et une mortalité postopératoire accrue. »

Kanwaljeet « Sunny » Anand

C'est dans une des parutions de référence du Dr Anand. Ce type a fait un travail de titan pour mettre l'ensemble de la communauté soignante et scientifique au pied du mur : Si, les bébés souffrent !

D'ailleurs l'annecdote croustillante c'est que la "preuve" qu'ils ne souffraient pas en décrétant la non maturité de la gaine de myéline de certaines fibres nerveuse ne tenait déjà pas, car on savait bien que la douleur chez l'adulte passe aussi par des fibres nerveuses sans myéline, mais personne ne l'avait relevé.

Bon, pause, il en faut quant on cause de ça si non on explose. D’ailleurs tout ça se trouve dans le liens du premier article et puis ça concerne les soignants ! En tout cas moi c'est ce que je me suis dit quant j'ai commencé à réunir de quoi faire un l'article douleur chez l'enfant sur wikipédia.

Mais comment ça se fait qu'en 2013 ce scandale international n'ait même pas un tout petit article dans l'encyclopédie ... alors que pour star trek y'en a 393 ! (seul wikipédia anglophone avait un article "pain in babies" commencé en 2010)

Bêtement, j'ai cru qu'il était utile de le rendre visible ce sujet. Je dit bêtement par ce que depuis le temps vous pensez bien que je ne suis pas le premier. Vous retrouverez toutes les source dans l'article, mais ceux qui en parlent sont nombreux :

  • 1973 le docteur Nover met en évidence le problème chez des enfant brûlés,
  • 1975 une autre école d'anesthésie pédiatrique, (à l'hôpital Saint-Vincent-de-Paul de paris), préconise l’emploi de médicament anti-douleur pendant l'intervention et de les soulager après ... oui par ce que ça ne l'était pas.
  • 1991 : deux associations fondamentale pédiadol et sparadrap s'attaquent au sujet.
  • la même années la première journée La douleur de l’enfant, quelles réponses ? est Organisées à l'UNESCO, et on vas sur la vingtième
  • 1993, un pavé dans la marre est jeté avec le livre incontournable La douleur de l'enfant de Annie Gauvain-Piquard et Michel Meigner deux pédiatre, l'un anesthésiste et l'autre psychiatre.
  • 1994, Didier Cohen-Salmon publie En travers de la gorge : L'enfant, les amygdales, les végétations et la douleur, et suivront d'autre livres comme Le jeune enfant, ses professionnels et la douleur en 2007.
  • 1997 Claude Guillon publie À la vie à la mort et il a la bonne idée d'en mettre une partie qui concerne ce sujet sur internet a travers deux articles, ici et là, qui sont une des sources très bien documentées et très consultées puisque de toutes les recherches google sur le sujet.

Et encore je passe les articles de presse (dans "Le Monde", "La Recherche", etc), le sujet de la circoncision précoce (particulairement bien traité et documenté), et des tas d'autres sources dont je doit encore en ignorer la majorité.

Alors pourquoi ça ne se sait pas ? Pourquoi moi qui suis allé fouiller exprès je tombe des nues ?

Pourquoi on nous fait (ici y compris, moi compris) des tonnes d'articles sur la politique et la malbouffe en passant par l'écologie, et que le fait que les enfants en général soient potentiellement mal traités par les institutions aux yeux de tous on n'en parle jamais ?

La réponse est assez simple, évidente si on lit "la douleur de l'enfant" (cité au dessus), c'est que tout le monde qui refuse de voir, et les parents sont pas les derniers, loin de là. C'est une soupape normale, humaine, comme le décrivent ces deux passage difficilement soutenables de ce livre :

  • L'un, p.46, parle de Bruno, 5 ans, qui était entrain de mourir d'une leucémie (réputé douloureuse) sans antalgique, pour qui, devant la détresse de la mère qui le voyait se tordre de douleur et lutter pour ne par hurler, c'est vu amener un aspirine par une infirmière qui a vite tourné les talons...
  • L'autre, p.71, raconte la souffrance d'un bébé, tordu de douleur, encore une fois, mais dont les parents avait volontairement arrêté le traitement. Ils demandaient aux médecins qui ont écrit ce livre de leur confirmer que l'enfant n'avait plus mal...

Inutile d'opposer un camp à l'autre, c'est chacun de nous qui est constitué de façon à tourner la tête quant ça devient insoutenable, et pour ceux qui sont toujours là à lire ces lignes, qui ont probalement appris à passer outre, vous faites sans l'ombre d'un doute partie des sensibilisées, des compatissant, et pas des négateurs, ou des réservées.

Mais même si tout le monde l'était est-ce que ça suffirait ?

C'est qu'il est pas photogénique ce thème. Autant "doit-on manger de l'animal mort" c'est un thème encore suffisamment glamour pour en faire un reportage sur Arte (passé la veille du jours où j'écris ces lignes), autant "comment on fait souffrir de l'enfant vivant" ça ne l'est pas.

Pourquoi ?

Peut-être parce que le thème c'est plutôt notre faculté à nier. Elle concerne exactement de la même manière la fin de vie, et le suicide assisté (d'où le fait que ça soit cité par Claude Guillon) mais ce sujet là reste encore plus facile à faire émerger, car il permet de traiter la volonté du vieux, et par le refus de voir de l'entourage. Enfin je suppose.

Moi je ne sais pas comment on peut faire parler de ça, mais je sais qu'on doit le faire. Nous sommes nombreux à être passés par là, par cette zone sombre de notre histoire des soins, et les deux témoignages faits en réponse à mon dernier article ont achevé de me convaincre qu'il le fallait. D'autres éléments que j'ai glanés ici ou là prouvent qu'on est nombreux à vivre aujourd'hui avec des traces de ce vécu qui n'a même pas le droit d'avoir existé en fait.

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Boris Cyrulnik
http://fr.wikipedia.org/wiki/Cyrulnik

C'est Cyrulnik qui expliquait récemment qu'a la Libération (1945-...) il n'avait pas la possibilité d'être compris, car avant le journal d'Anne Frank et le film Shoa la conscience collective n’existaient pas. L'histoire des déportés ne pouvait pas être entendue, ni réalisée car la conscience collective du sujet n'existait pas. On répondait alors à Cyrulnik orphelin et déporté, nous aussi on a souffert, on devait tuer le cochon en cachette.

Et bien sûr ce sujet des souffrances infligées notamment aux bébés en milieux hospitalier, que je me garderais bien de comparer, on en est toujours là. A ce point où la conscience collective n'est pas, et avec le handicap supplémentaire que ceux qui l'ont vécu n'ont cette histoire présente que dans une strate antérieure à celle de la pensée consciente, si bien que aussi prégnante qu'elle puisse être elle est le plus souvent ignorée.

C'est pour ça que je tente d'en faire un sujet sur un forum que j'ai nommé malgrés-vous.

Au moment ou j’écris ces ligne j'y suis seul, mais je fais aussi cet article pour lui faire de la publicité, pour que les témoignages des uns et les vécu des autres puissent y former un début de visibilité.


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5 réactions à cet article    


  • Dolores 1er août 2013 12:01

    J’ignore ce qu’il en est dans les autres pays, mais en France en milieu hospitalier on ignore la douleur et on ne veut pas en tenir compte.

    Est-ce un fond de ce vieil héritage judéo-chrétien inconscient qui veut que la douleur soit rédemptrice et que le patient n’a qu’à supporter stoïquement ?

    Récemment, je me suis affrontée à un spécialiste hospitalier qui m’a soutenu que le traitement était indolore (alors que j’avais trouvé des témoignages sur internet de patients qui se plaignaient de leurs souffrances non soulagées) et que de toute façon il n’était pas spécialiste de la douleur. Sous-entendu qu’il ne ferait rien pour la diminuer ou l’arrête.
    Cela concernait un adulte, alors on peut imaginer quand cela concerne un enfant.


    • philippe913 1er août 2013 12:09

      @dolores
      "J’ignore ce qu’il en est dans les autres pays, mais en France en milieu hospitalier on ignore la douleur et on ne veut pas en tenir compte."

      c’est totalement faux.

      http://www.hopital.fr/Hopitaux/Vos-dossiers-sante/Fin-de-vie/La-prise-en-charge-de-la-douleur


    • emmanuel muller emmanuel muller 1er août 2013 12:49

      en France en milieu hospitalier on ignore la douleur

      C’est ni vrai ni faux, et en France et ailleurs c’est sensiblement comparable, deux groupe s’opposent, ceux qui nient et ceux qui compatissent (voir l’article cité de la DREES), c’est assez universel.

      Je ne doute pas de votre témoignage, des fait monstrueux existent, c’est certain, mais il existe aussi des fait admirable, c’est tout aussi certain. Les choses bougent dans le bon sens mais on part de loin

      C’est un guerre au long cours contre le refus de voir la souffrance, une guerre que j’ai qualifié d’autruchienne pour cette raison, et le Pr Anand (en image) est probablement le plus grand combattant de cette guerre qui commence à peine ...


    • Dolores 6 août 2013 11:03

      Vous parlez de ce que vous ignorez !
      J’ai tronqué une partie du message qui était bien plus révoltant. On arête le traitement et on la laisse mourir ! m’a-t-il été dit par le médecin « non-spécialiste » de la douleur.
      Ce n’est peut-être pas le comportement des médecins dans tous les hôpitaux, mais ça existe puisque je l’ai vécu.


    • emmanuel muller emmanuel muller 6 août 2013 14:40

      Si vous avez envie ou besoin de témoigner ce forum a été créé pour ça :
      http://forum.malgrevous.free.fr/phpBB3/index.php

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