Ma peau de chagrin scolaire
Points de suspension ...
La fin des haricots.
Depuis bien des années, je suis choqué et fâché de la tournure que ne cesse de prendre la fin de l'année scolaire. Un écheveau qui se déroule à des rythmes différents en fonction des lieux et des établissements, une bobine qui se dévide en fonction de la tête du client, quand ce ne sont pas des messages subliminaux sous-entendant aux élèves que leur présence n'est plus indispensable.
C'est le bal des hypocrites tandis que les instituteurs et institutrices (je vomis à jamais le titre illusoire de Professeur des écoles) rament à contre-courant de la fuite générale et restent seuls à bord jusqu'au bout de l'échéance supposée. Bien sûr, les prétextes sont multiples, les nécessités de service nombreuses, les examens et leur surveillance, les corrections et les diverses commissions qui ne manquent pas d'occuper les meilleurs d'entre nous, loin de leurs élèves …
Cette fois, comme je perçois le terme de la représentation, ces derniers jours qui n'en finissent pas de s'étirer entre concertations bavardes et réunions incertaines me laissent sans envie ni plaisir. Les collèges ont fermé leurs portes, les lycées sont affectés exclusivement à ce vieil examen qui n'a plus guère de sens que celui du rituel de passage qu'on octroie presque automatiquement au nom de l'objectif d'état.
Je vais traîner ma misère entre rendez-vous manqués et rencontres impossibles. Partir sans ne plus rencontrer d'élèves : c'est bien là la plus grande punition qui soit pour le misanthrope de service. Il me reste les petits du primaire qui seront encore visibles à moins qu'ils ne soient occupés par une sortie scolaire dont je n'aurai pas été averti.
Il va me falloir jouer avec la montre, tricher avec ce temps qui n'en finit pas de s'égrainer avant que de me signifier mon terme. Ce sera alors le grand saut dans le vide, la déchéance sociale qui vous ouvre les portes de la vacuité. La retraite ou bien la débandade des forces vives, utiles, rentables. Bienvenue dans l'univers des parasites en attente de sénilité …
Cette vacance du temps me plonge dans des abysses de perplexité, le moral en berne et l'acrimonie jubilatoire ! Je hais ce temps qui se refuse à moi, qui s'effiloche, se défait si lentement que chaque seconde devient une souffrance. Le vide a toujours été mon angoisse, celui de ces journées de pré-rentrée ou de pré-sortie qui sont devenus le bal des hypocrisies.
L'école est faite pour y accueillir des élèves et rien n'est pire que ces moments illusoires où l'agitation remplace le cœur du métier. Mais au-delà de ces préoccupations personnelles de peu d'utilité dans le débat actuel, c'est l'absence de bornes communes à la scolarité qui est cause en partie de la déliquescence de notre système scolaire.
Une institution qui ne dispose plus d'un rituel commun et national de début et de fin ne peut s'inscrire dans aucune durée repérable. Chacun, à partir de là, n'en fait qu'à sa tête, de l'élève au professeur, arrivant quand ça lui chante, partant quand ça l'arrange. L'école est devenue une auberge espagnole, un vaste hôtel des courants d'air. Les billets d'absence et de retard étant désormais les vedettes absolues du carnet de liaison.
Curieux nom du reste quand la liaison est coupée, que le lien est si distendu que plus rien ne tient le cadre. Mais pour moi, il est l'heure de taire mes préoccupations. Cette maison ne sera bientôt plus la mienne et, pour me faire payer au prix fort cette désertion, le temps n'en finit pas de s'étirer interminablement dans l'illusion de l'activité.
Ma dernière heure approche. C'est bien là la seule certitude. Elle se joue de mon impatience en se dérobant, en perdant toute substance. Elle me met au supplice de l'inactivité. Heureusement, il y a quelques classes où je vais passer raconter des histoires, faire autre chose que ce rien qu'on me demande d'effectuer sans rien dire. Je tirerai mon irrévérence par quelques pirouettes ligériennes. Le temps est bientôt venu de ne plus le compter !
Intemporellement mien.
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