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Le Talc Morhange

Retour sur une affaire peu connue de nos jours, celle du Talc MORHANGE. Un scandale sanitaire guère différent des autres, si ce n’est pour sa conclusion bien peu glorieuse. On ne peut en effet aujourd’hui mentionner les peines auxquelles les protagonistes de l’affaire ont été condamnés. Pourquoi ? parce qu’ils ont bénéficié d’une amnistie individuelle accordée par le Président MITTERRAND et demandée rien moins que par le Garde des Sceaux. Garde des Sceaux qui avait également défendu certains prévenus au procès…

L’affaire du Talc MORHANGE tient lieu à l’été 1972, lorsque les autorités sanitaires remarquent une augmentation anormale de décès de nourrissons par encéphalite. Les bébés présentent des symptômes particuliers : brûlures, fièvre, tremblements, œdème papillaire, paraplégie et coma. La Champagne-Ardenne et le département de l’Aube sont les plus touchés.

Les chercheurs de l’INSERM, sous l’égide du docteur Gilbert MARTIN-BOUYER, épidémiologiste, dépêchent des infirmières dans les familles d’enfants touchés. Elles ont pour mission à l’aide d’un questionnaire de recenser tout ce avec quoi les bébés ont été en contact. Le talc morhange trouvé chez les familles est soupçonné. Au centre de toxicologie Fernand-Widal à Paris, un test est effectué sur un chien, à qui du talc est donné. L’animal meurt dans les 2 heures. l’hexachlorophène est déterminé comme facteur d’empoisonnement. Le flacon de talc contient en effet 6% d’hexachlorophène, un puissant bactéricide, qui a intoxiqué les enfants. Les mamans l’employant ont d’ailleurs des traces de brûlures sur les doigts.

Cette molécule est synthétisée en 1939 dans les laboratoires de la société Givaudan, dans le but de créer un bactéricide efficace capable de combattre les infections de la peau et de désinfecter les blessures. La toxicité de l’hexachlorophène a été très peu étudiée et les quelques résultats obtenus n’ont jamais été publiés. Ainsi, de part ses propriétés antifongique et antibactérienne, l’hexachlorophène entrait dans la composition de nombreux produits cosmétiques. Des études plus abouties menées aux Etats-Unis ont démontré la toxicité de l’hexachlorophène, conduisant à l’interdiction de l’utilisation de cette molécule par la FDA en février 1972. A forte dose, l’héxachlorophène modifie l’équilibre de la flore cutanée et entraîne fièvre, tremblements, oedème papillaire, paraplégie et coma. La mort peut survenir en quelques dizaines d’heures. Cependant ces résultats ont été contestés par la firme Givaudan et quelques mois plus tard les premiers cas d’intoxication ont été recensés.

Le 24 août 1972, quatre mois après l’apparition des premiers cas d’encéphalite chez les nourrissons et huit jours seulement après le début de l’enquête, l’alerte est lancée. Le ministère de la santé fait passer un message : tous les flacons de talc morhange doivent être rapportés, les autres doivent être retirés de la vente. Sur environ 2800 boites contaminées, on en retrouve moins de 100.

Quatre années d’enquête permettront de connaître le fin mot de l’histoire. C’est en fait une erreur de manipulation dans l’usine de conditionnement. Un surplus de talc a été récupéré dans un fût contenant un fond d’hexachlorophène destiné à une autre utilisation. Une dose de 38 kg d’héxachlorophène a été mélangée par inadvertance dans une production de 600 kg de talc pur. Le talc a ensuite été réintroduit dans la chaîne de fabrication.

Au total, cet accident industriel provoquera la mort de 36 bébés, 224 intoxications, dont 8 entraînant une infirmité totale. Les parents déposent plainte, et le ministère de la Santé se porte partie civile. Sur le banc des accusés : le fabricant du talc et la société de conditionnement, GIVAUDAN et MORHANGE.

Givaudan, qui commercialise l’hexachlorophène en France, tente d’étouffer l’affaire, en proposant aux victimes, en échange du retrait des plaintes, une indemnisation que beaucoup de famille acceptent, à force d’acharnement des représentants de GIVAUDAN. Les familles désarmées sont en effet démarchées, pour ne pas dire harcelées à leur domicile. La procédure est longue et la condamnation des prévenus reste aléatoire. Beaucoup de familles ont parfois eu à subir, en plus du décès dans d’atroces souffrances de leur nourrisson, la rumeur publique, la mise en accusation des mères notamment par les mauvaises langues. Certaines également doivent brusquement faire face aux lourds handicaps intellectuels de leur enfant et préfèrent accepter les sommes importantes proposées par la firme pour s’assurer de la sécurité financière de leur enfant à l’âge adulte.

Le procès s’ouvre devant le tribunal correctionnel de Pontoise en octobre 1979. Les firmes impliquées réfutent les expertises et font porter la responsabilité à un pauvre ouvrier. En 1980, les cinq principaux inculpés sont condamnés à des peines de prison avec sursis, réduites en appel puis amnistiées après l’élection présidentielle de 1981. Pourquoi cette amnistie ?

Tout d’abord, précisons que l’amnistie a pour effet d’effacer purement et simplement le caractère illicite de l’infraction. C’est une mesure d’oubli. Elle peut être collective ou plus exceptionnellement individuelle. L’amnistie collective est en général utilisée comme une mesure de réconciliation nationale. L’amnistie individuelle est un geste fort, assimilable à une négation de l’indépendance de la justice et fait débat. Le Président de la République peut admettre, par décret, au bénéfice de l’amnistie les personnes « qui se sont distinguées d’une manière exceptionnelle dans les domaines humanitaire, culturel, sportif, scientifique ou économique ». 

Dans l’affaire du Talc MOHRANGE, comme souvent, l’amnistie individuelle a été affaire de clientélisme puisque MITTERRAND l’a accordée sur demande de Robert BADINTER, avocat de Hubert FLAHAUT, PDG de GIVAUDAN et prévenu au procès. Un mélange des genres peu glorieux, car si BADINTER est irréprochable dans son métier d’avocat, et s’est illustré courageusement avec Patrick HENRY, il a manifestement oublié la notion d’intérêt général de la fonction de ministre. On imagine la réaction de désespoir et de dégout des familles. Ce n’est qu’en 1991, près de vingt ans après les faits, que les familles, qui n’ont cessé de crier à l’injustice, seront indemnisées par l’Etat.

Cette affaire a également abouti à un changement de législation, qui n’imposait aucun contrôle sur la fabrication des cosmétiques. Depuis 1975, une loi réglemente leur fabrication et rend obligatoires l’étiquetage et la traçabilité des lots. Désormais, la mise en danger de la vie d’autrui est une infraction, et le fabricant tenu pour responsable de son produit.

Près de vingt ans après, plusieurs dizaines des 204 victimes intoxiquées souffrent toujours de lésions du système nerveux. C’est ce qui ressort d’une étude réalisée par une équipe de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) qui a comparé « Les victimes du talc Morhange présentent des capacités éducationnelles inférieures », indique le Dr Gilbert Martin-Bouyer, responsable de l’étude et qui en août 1972 avait identifié les causes de l’intoxication. Elles connaissent notamment des troubles, parfois importants, dans l’acquisition du langage, de la lecture et de la mémorisation. L’étude note également que certaines lésions du système nerveux central sont irréversibles et laisseront subsister des handicaps neurologiques majeurs. « Elle prouve donc que l’intoxication a eu des effets à long terme, contrairement à ce qu’ont affirmé à l’époque les fabricants », explique le Dr Martin-Bouhier.

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6 réactions à cet article    


  • kelticlago kelticlago 28 juillet 2009 10:47

    C’est évidemment scandaleux, mais est-ce que cela étonne quelqu’un ? au sens où depuis ces années là est-ce que cela a donné envie a quelqu’un que cela change ? regardons où nous en sommes maintenant !!!! (coté pessimiste).
    Je me souviens qu’à l’époque la marque de dentifrice S.... envahissait les quelques espaces publicitaires de la télé avec un film qui, mettant en scène deux enfants devant le miroir de la salle de bain, faisait dire au plus grand lequel tenait le tube en main qu’il lisait, « contient de l’hexa.... ». Le petit ne comprenant pas, le grand répétait en détachant les syllabes.
    Cette pub a vite cessé dès le le nom Morhange a résonné dans le média.


    • pigripi pigripi 28 juillet 2009 12:17

      Merci pour cette bonne synthèse.

      Comme quoi, tout Badinter qu’il est et héros de l’abolition de la peine de mort, il y a du « bad » dans l’inter ...

      Le copinage touche tous les puissants et, en ce moment, Mme Badinter s’illustre tristement sur la question des mères porteuses, une autorisation très attendue dans le cadre de la révision des lois bioéthiques, qui rapporterait énormément d’argent aux médecins équipés pour la procréation pour autrui.
      Les Badinter auraient-ils des actions dans la galaxie pharmatico médicale ?


      • Cristophe Cristophe 29 juillet 2009 07:07

        Votre commentaire est minable et relève de l’amalgame douteux. A qui rapporterait de l’argent si la gestation pour autrui était légalisée ? Surtout pas aux professionnels de l’assistance médicale à la procréation. La gestation pour autrui représente le plus haut taux de succès de toute l’AMP, c’est à dire la proportion la plus élevée de naissance pour un cycle de Fécondation In Vitro. A l’inverse, on maintient en traitement pendant des années des femmes qui font des fausses couches répétées alors que la gestation pour autrui répondrait bien plus efficacement à leur situation. De plus, vous confondez gestation pour autrui (qui passe par la FIV et supprime tout lien génétique entre la gestatrice et l’enfant qu’elle porte) et la procréation pour autrui (qui passe par l’insémination et est basée en conséquence sur un lien génétique entre l’enfant et la femme qui le porte). Factuellement, la gestation pour autrui fait donc un peu baisser le chiffre d’affaire des médecins de l’AMP du fait de son taux de réussite, tandis que la procréation pour autrui, qui ne nécessiite pas l’intervention d’un médecin du fait de sa simplicité, fait une concurrence redoutable aux professionnels de l’AMP. C’est pourquoi dans l’affaire des mères porteuses à la fin des années 80, il s’agissait d’une part de procréation pour autrui, et les médecins de l’AMP étaient contre. Dans le débat actuel qui porte sur la gestation pour autrui et non plus sur la procréation pour autrui, les médecins de l’AMP sont favorables à la légalisation, tandis que le médiatique Pr Frydman répéte à l’envie ses arguments qu’ils utilisait contre la procréation pour autrui une vingtaine d’années avant, ce qui en dit long sur la pertinence de ses propos.
        Bref, ces explications montrent votre ignorance crasse du sujet, et un mépris envers Mme Badinter qui d’une part produit depuis longtemps une réflexion très intéressante sur les questions de société concernées par le féminisme, et qui d’autre part n’a pas besoin de revenus supplémentaires de la part de médecins dont la problématique est diverse et autre.


      • Jean Lasson 28 juillet 2009 18:08

        Merci de rappeler cette triste et scandaleuse affaire. Les victimes étaient les bébés de gens simples de Champagne-Ardennes. Les responsables des parisiens fortunés...

        Bel exemple d’une justice de classe.


        • Proudhon Proudhon 28 juillet 2009 18:37

          Cette affaire me rappelle les paroles d’une tante qui habitait en Corse il y a quelques années. Le fameux Morhange avait une superbe villa en Corse, dans les environs d’Ajaccio, je crois. Cool la vie de responsable en France.
          Beaucoup de talc et peu de tact ...


          • easy easy 29 juillet 2009 11:23

            Merci pour ce rappel et ses infos,

            Dans cette affaire, les responsables ont donc été dédouanés.

            Imaginons que Badinter n’ait pas joué de pression, imaginons que le procès se soit tenu en toute équité.

            Et bien si à l’époque, l’entreprise n’était pas soumise à plus de contrôles que ça, je ne vois pas bien comment elle aurait pu être condamnée fortement. Elle aurait respecté la règlementation et ses connaissances des risques jusqu’au jour où patatras, un accident de manipulation a créé l’invisible danger.

            Un minimum de bon sens aurait indiqué aux opérateurs de l’usine que ce produit étant toxique, il convient soit d’augmener les procédures de son utilisation soit de le marquer par une colorisation aposématique (Dans le dentifrice Signal, il était bien coloré en rouge)
            Mais au bon sens, nul n’est renu n’est-ce pas maître ?
            Dans le « meilleur » des cas, l’entreprise n’aurait pas été lourdement condamnée car il n’y avait là aucune malice de la part de personne et ça aurait pu être comparé au fait que pendant longtemps, des fabricants de voiture les ont vendues sans ceinture ; que les fabricants d’eau de Javel ou de mort aux rats livraient leurs produitsdans des emballages faciles à ouvrir, etc.

            Bien qu’il y ait eu mort d’anges, on est tout de même aux antipodes du cas de ces fabricants de lait en poudre qui l’ont chargé en mélamine pour gagner plus de pognon.


            Ce que je veux dire, c’est que nous devons tous sortir de notre déni massif. Nous ne cessons de nous vouloir innocents ou victimes (ce qui est quasiment synonyme n’est-ce pas maître) alors que nous grenouillons à la Table de Jeu, alors que nous maraudons au casino de la vie industrielle.
            Un coup trop contents de pouvoir acheter une montre bourrée de technologie pour seulement 10€, un coup victimes d’un accident industriel ?
            Un coup trop contents d’encaisser des dividendes d’actions, un coup victmes d’un Perrier frelaté ?
            Un coup trop contents de faire Paris Athènes pour seulement 100 balles, un coup victimes d’un crash ?

            Tout est à risque tendu, tout est limite, aussi bien quand on croise une autre voiture sur une nationale en pleine nuit sous la pluie, que quand on s’injecte un vaccin bourré d’oxyde d’aluminium. 

            Ne vous en déplaise, mères et pères de ces beaux enfants, vous ne les couvrez pas et de très loin. Vous leur faites courir des risques importants. Tout ce que vous ramenez dans vos paniers si cher payés mais encore pas assez cher pour dépasser le niveau Limite, leur fait courir des risques.
            Nous jouons avec les limites mais nous affichons « Ne t’inquiète pas chérie, papa est là » parce que nous sommes responsables, de nos amis, de nos parents, de nos conjoints, de nos enfants surtout (Et ils sont tellement prompts à nous traîner en Justice qu’on ne s’en méfie jamais assez) Nous dénions jouer avec les limites parce que nous risquon d’être accusés de légèreté. Nous sommes de mauvaise foi


            Nous apparaissons schizophrènes, surtout si l’on choisit malicieusement de confronter des cas extrêmes
            Ainsi, face à ce cas Morhange où des parents râlent contre le manque de prudence de l’usine, j’ai envie de poser le cas de cette mère journaliste qui râle parce que sa fille ayant été touchée par le virus pendant son séjour à Pékin, a été confinée 8 jours en hôpital. (Cf plat du jour de Bernrad Dugué sur Agora Vox)

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