L’affaire dite « du siècle »
L’État français s’est engagé à limiter les émissions de gaz à effet de serre pour arriver à la neutralité en 2050. Il s’est fixé une progression : en 2020, la France devait en être à 14 % de réduction, la consommation globale d’énergie baissant de 20 % (la part des énergies renouvelables dans ce total revu à la baisse montant à 23 %).
Cela n’a pas été fait. Des associations (Oxfam France, Greenpeace France, Notre affaire à tous et la Fondation pour la nature et l’homme) ont posé plainte auprès du Tribunal administratif, plainte soutenue par une pétition de 2,3 millions de signatures, sous l’intitulé « l’Affaire du siècle ». Le 3 février, ce Tribunal a reconnu les « carences fautives de l’État à mettre en œuvre des politiques publiques lui permettant d’atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre qu’il s’est fixés ». L'État « doit être regardé comme responsable (...) d'une partie du préjudice écologique constaté » et doit verser, à ce titre, 1 euro symbolique aux associations requérantes. Le Tribunal se donne deux mois pour prendre, ou non, des décisions contraignant l’État, l’exécutif en fait, à exécuter ses objectifs.
Une plainte du même genre a été déposée en novembre 2020 devant le Conseil d’État par la ville de Grande-Synthe.
On lit fréquemment que « l’inaction climatique » est devenue illégale. Et qu’il s’agit d’une décision « historique ». Cela me semble, au contraire, marquer d’une pierre blanche le désordre de la pensée politique en circulation actuellement et signifier un état de la société proche de l’anomie (de l’impossibilité de vivre ensemble, de « faire société »).
Il semblait établi par Montesquieu, et admis par tous, que le pouvoir avait trois dimensions : l'exécutif ; le législatif ; la justice qui traite du non-respect des lois, par la sanction des contrevenants et la réparation des dommages (si possible). Il est impératif que les pouvoirs soient indépendants, qu’un pouvoir puisse arrêter un autre pouvoir. En France, l’exécutif et le législatif sortent des élections, et la justice est dans une sorte d’insularité, très imparfaite, par rapport aux deux autres pouvoirs. Ce bâti institutionnel nécessite des citoyens éduqués et informés (par d’autres organismes que ceux liés à l’État). Il faut aussi que les interprétations politiques ne soient pas contraintes, circulent et s’échangent librement.
Ce système, bancal, approximatif et qui fonctionne mal, ne semble plus présent dans les esprits. Les manquements de l’exécutif se règlent par les élections, pas par la justice. La décision du T.A. est présentée comme un tournant historique ; elle mettrait donc fin à une assez longue période de l’histoire (celle où l’exécutif faisait ce qu’il voulait ?). Cette démarche produit ou majore une confusion fondamentale sur notre organisation politique. Il serait nettement préférable de faire agir l’organigramme décrit plus haut. Au lieu de pétitionner pour activer les tribunaux, d’encourager les citoyens à voter, et les partis à présenter des programmes réalisables, modestes donc, mais susceptibles d’être appliqués et efficaces, dans des unions puissantes.
Cette décision va se heurter à la structure : qui pourrait exécuter une condamnation à volonté réparatrice, à part l’exécutif ? C’est le serpent qui se mord la queue.
D’aucuns trouvent que rien n’est mauvais pour faire parler d’écologie. A ceci près que, depuis plus de cent ans, nous ne manquons pas de prophéties : le Rapport Meadows date de 1972 et dit que la croissance matérielle de l’époque conduisait inéluctablement à une dégradation significative des conditions de vie avant 2100 et une diminution considérable du nombre d’humains.
Nous ne manquons pas de savoir, ni de sachants sur ces questions, nous manquons d’une volonté collective de sobriété.
Plutôt que d’accabler l’État ou le capitalisme, plutôt que de mener et d’encenser des manœuvres dilatoires qui sont comme des coups d’épées dans l’eau, nous devrions nous mettre en situation de fortement consommer moins d’énergie.
Cette démarche nouvelle, hors-sol, et qui a « fonctionné » (le Tribunal administratif ne s’est pas déclaré incompétent comme il aurait dû) est le signe d’un affolement devant la dureté du problème climatique et la sévérité des mesures de restrictions qu’il faudrait engager pour maitriser la nécessaire, indispensable baisse de nos dépenses techniques, qui se fera malheureusement dans le désordre et la violence.
Rêver que cette décision est une avancée, une rupture positive dans l’histoire, fait partie du déni que nous entretenons depuis longtemps et dont le rapport Meadows de 1972 est un jalon très visible. Rêver qu’on a obtenu quelque chose de fort avec ça n’est pas une solution et fait même partie du problème.
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