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Conséquences d’une possible pandémie grippale

Un événement chasse l’autre, la grippe aviaire est loin d’être éradiquée, ni même d’avoir livré ses effets, et déjà les médias sont passés à autre chose. Or, une pandémie humaine serait infiniment plus grave ! L’histoire peut nous aider à le comprendre. Faut-il rappeler qu’une véritable hécatombe s’est abattue sur l’Europe aux VIIe et XIVe siècles par une suite d’épidémies de peste ? Par sa répétition, la mort par peste est alors devenue une angoisse collective qui a tout changé dans les sociétés : les représentations, les réflexes et les pratiques.

L’Église en est venue à manquer, au moment où elle était le plus nécessaire, comme l’État aujourd’hui, dont les Français, particulièrement, attendent « tout ». Certes, la société du XXIe siècle n’est pas celle du VIIIe ou du XIVe siècle, mais cela est dû aux structures qui l’encadrent. La société a appris, mais au fond, l’homme biologique n’a pas changé. Enlevez les structures, et vous retrouvez l’homme initial, car l’évolution des espèces, qui est réelle, n’est pas à l’échelle des siècles mais à cellei des millénaires.

Les deux exemples de grande peste ont été la peste de Justinien, de 542 à 757, et la peste noire de 1347 à 1350. Les conséquences ont été immédiates. Les pertes démographiques (un habitant sur deux dans les deux cas) ont rendu les humains plus seuls, portés à se regrouper par affinités claniques. D’une part, les mentalités en ont été profondément affectées : la féodalité est née au VIIIe siècle de la faillite du modèle d’État romain ; les croisades ont été prêchées avec succès pour chasser le Mal, la mort omniprésente étant considérée comme une « punition de Dieu », appelant une réaction. D’autre part, le grand vide démographique au VIIIe siècle a été comblé par les Arabes en Espagne, et les Francs au nord de la Gaule ; le XIVe siècle a vu naître une frénésie de sexualité et de vie immédiate. Conjurer la mort nécessite de ne voir que le présent. Enfin, les comportements antisociaux se sont révélés dans un climat d’anarchie, de guerre civile (en Gaule de 550 à 613, les routiers de la France du XIVe), d’absence de réaction face aux ennemis (en 568 les Romains contre l’invasion des Lombards, en 711 contre les Arabes en Espagne, au XIVe siècle les exactions de la guerre de Cent ans).

La spiritualité s’est tournée vers de grandes méditations sur la mort et « l’homme-pourriture », Jeanne d’Arc a entendu une voix providentielle. Le chrétien essayait de bien mourir en luttant contre l’angoisse de la damnation, en jouant avec le macabre. La crise morale s’est traduite par un amour sans mesure de l’argent, la Rome des Papes n’étant pas la dernière dans cette course aux excès. En réaction, des rites de purgation se sont multipliés et sont devenus collectifs : pénitences, pèlerinages, exclusion des marginalités, excommunications, chasses aux sorcières, pogroms, bûchers d’hérétiques, guerres saintes...

De tels comportements pourraient ressurgir au XXIe siècle si la pandémie durait plus de six mois. Or, il faut bien trois mois pour qu’elle soit diagnostiquée et prenne son ampleur, et six autres mois pour qu’un vaccin efficace puisse être élaboré. Le temps de produire et de vacciner l’essentiel de la population, plus d’un an se sera écoulé, et il est probable que les mentalités en auront été profondément bouleversées. Dans la période féodale, l’individu n’était jamais seul. Or, il est plus « facile » d’être miséreux dans un climat de solidarité, comme au Moyen Âge, que dans le climat de concurrence et de solitude de notre époque. De nos jours, insérés dans des États sophistiqués et des réseaux anonymes, l’individu serait désorienté, d’autant plus que cette pandémie surviendrait après des défauts multiples de l’État : nuage radioactif, amiante, terrorisme, virus informatiques, SIDA et sang contaminé, vache folle, SRAS. Le citoyen ne croit plus guère aux institutions, il se replierait sur sa famille, son quartier ou son village, il ne ferait confiance qu’à ses proches, voire à ses élus locaux. D’autant que les mesures immédiates décrétées par les gouvernements seraient bien évidemment l’arrêt des transports en commun, la fermeture des établissements publics, écoles comprises, et l’annulation de tous spectacles et événements. Tout ce qui « crée du lien » serait banni, car rassembleur de foule. Dans le même temps, s’installerait de fait au sommet du pays une économie de guerre, avec sa récession de production, sa planification autoritaire des besoins, ses réquisitions, son rationnement, sa centralisation de gestion inévitable, comme entre 1914 et 1918.

Il y aurait donc un double mouvement : individuel vers les communautés proches, collectif vers un État fort, voire tyrannique. Si l’État n’était pas assez fort, se développeraient des mafias claniques en ville, et de nouvelles féodalités autour de lieux de production agricole ou de nœuds de marché noir. Chômage, inégalités, passe-droits se multiplieraient, engendrant peut-être des coups de force. Le citoyen retournerait à « l’état de nature » décrit par Hobbes. Il en voudrait au centre de ne pas avoir suffisamment prévu ni planifié, de n’avoir que des réponses « techniques » et non pas « sociales ». La théorie du « coup de poignard dans le dos » surgirait de rumeurs, comme dans l’Allemagne des années 1920, et précipiterait le recours aux hommes forts, proches « du peuple », aux démagogues qui flattent les foules, en même temps que des boucs émissaires choisis pour leur « différence » seraient encore plus stigmatisés, exclus, pire peut-être. Les experts et autres technocrates seraient discrédités pour leur absence « d’empathie », les banlieues deviendraient de véritables lieux de réclusion.

En politique, profiteraient les extrêmes : les écologistes « qui l’avaient bien dit », les gauchistes ravis de la relocalisation de fait de toute activité économique, l’extrême-droite qui surferait avec délices sur les mythes du Traître, du Cancer et de l’Homme providentiel, les croyances les plus folles, millénaristes et sectaires. En ressortiraient renforcés les partis bien implantés sur les territoires, ce qui reste du Parti communiste peut-être, quelques clans régionaux de l’ex-RPR, des fidélités autour d’un homme - et les réseaux islamistes. Les solidarités catholique et juive joueraient mais, faute de cadres, l’Église aurait peu d’emprise réelle sur la population. La raison, la mesure, disparaîtraient pour un temps des esprits.

Bien sûr, tout ceci n’est qu’un faisceau d’hypothèses. L’actuelle grippe aviaire n’a sans doute pas encore muté pour infecter les hommes. Si elle l’a fait, les mesures de précaution actuelles la contiennent pour le moment. Si la pandémie se répand, tous seront touchés, mais tous ne mourront pas, car dans toute pandémie il y a des immuno-résistants. Nous ne sommes plus au déclin de l’Empire romain, ni en plein Moyen Âge et le système sanitaire global existe et s’est organisé. Mais, selon Daniel Lévy-Bruhl, médecin épidémiologiste à l’Institut de veille sanitaire : « Quelle que soit la qualité du plan, nous serons pris de court par la pandémie, imprévisible par définition. » (cité in Sciences & Avenir, novembre 2005). Autant réfléchir le plus tôt possible à ses conséquences probables, pour avoir la force d’y faire face, le moment venu. Savoir, c’est déjà à demi pouvoir.


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1 réactions à cet article    


  • (---.---.2.91) 12 décembre 2005 15:11

    « Sa majesté des mouches » en perspective !

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Argoul

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