Les religions destructrices des civilisations, hier et maintenant ?
Les religions sont souvent associées à des civilisations, telles la civilisation chrétienne et la civilisation islamique. Leurs rapports mutuels sont, selon les cas et les époques, de l'ordre de l'osmose, de la soumission, de l'interdépendance, de l'indifférence ou de la confrontation. Les systèmes religieux bien organisés et dirigés par des hommes de pouvoir affrontent les systèmes d'idées portées par des civilisations ainsi que les hommes de pouvoirs "matériels" porteurs et défenseurs de ces idées. La lutte entre les hommes de Dieu et civilisations humanistes aboutit souvent à la destruction des civilisations.
Pour éviter les critiques et les anathèmes trop rapidement proférées, l'histoire et la préhistoire sont pleines de civilisations ayant disparu apparemment sans les coups de boutoir des religions. La civilisation étrusque avec ses évolutions s'est étendue sur près de 1000 ans et sur une grande partie de l'Italie actuelle. La civilisation étrusque est antérieure de quelques siècles à la civilisation romaine, et l'on ne dispose pas de documents relatant les religions et cultes des dieux dans cette civilisation, ni leur importance sur la vie sociale. Les Étrusques organisés en duodécapole (12 villes/états peu solidaires et parfois en opposition armée) ont été submergés, ville après ville, par la Rome expansionniste des derniers siècles avant JC. Quelques éléments d'information mentionnent que la civilisation étrusque ne pensait "vivre" qu'un millénaire : si effectivement cette pensée a imprègné les Etrusques et leur civilisation, on ne peut que l'attribuer à des révélations ou des dogmes de caractère religieux. Peut-être que dans les derniers temps, la population sentait venir la fin prochaine, comme beaucoup de nos contemporains occidentaux sentent que l'on va "droit dans le mur" et qu'il est inutile de lutter contre les forces obscures "bien visibles cependant" qui ont pris possession de la planète. Pour les civilisations ayant disparu suite à la conquête d'envahisseurs les historiens ne se penchent rarement sur l'état de rayonnement ou de déliquescence de la civilisation au moment de la conquête destructrice, ni des rapports internes avec la religiosité du peuple et des élites.
Les religions prises ici en considération sont naturellement les trois religions monothéistes (avec toutes leurs variantes) voulant régenter la vie des humains au nom d'un même Dieu unique, de prophètes communs ou concurrents et de dogmes et préceptes établis par des "hommes de Foi". A ces religions on peut adjoindre des idéologies terrestres, avec ses dogmes, son livre "saint", son grand prophète ou son idole comme dans les idéologies dites communistes de Staline, Mao, des Kim de Corée du nord : elles balayent et détruisent l'ordre politique et les religions existantes pour établir un ordre nouveau conduisant à un "grand soir" digne d'une entrée dans un paradis des croyants.
Les civilisations qui réunissent des populations sont un ensemble d'émanations de l'esprit humain dans les sciences, les arts, l'architecture, la sculpture, la littérature, la philosophie, l'agriculture, la navigation....La pensée humaine se développe hors des religions qui se préoccupent du lien entre l'essence de l'homme (son âme ?) et un devenir hors du temps, maîtrisé par une divinité. Parfois les religions utilisent ou manipulent les civilsations. La civilisation grecque ancienne avec ses penseurs (philosophes, sociologues politiques, architectes, sculpteurs, mathématiciens, physiciens, poètes et dramaturges...) ne procède pas des religions polythéistes, même si ses penseurs et élites scientifiques et technologiques sont intervenus pour la construction de temples (Apollon à Delphes, Athéna au Parthénon d'Athènes...). La civilisation romaine, hors quelques temples et "prêtres" dédiés aux divinités, est réputée pour ses philosophes, écrivains, architectes, ingénieurs, artistes sculpteurs et céramistes, maîtres de spectacles grandioses et ses armées conquérantes d'un grand empire. Les réalisations, hors des temples dédiés aux divinités, sont diversifiées et nombreuses dans les infrastructures (ponts, routes, aqueducs, égouts, voiries, cirques et stades, palais, urbanisme, ports...). L'organisation administrative et militaire pour gérer et contrôler l'empire est très moderne et efficace. La République romaine était exemplaire, l'Empire a succombé aux dérives du pouvoir personnel dictatorial (jusqu'à se proclamer Dieu), à la sous-traitance des armées romaines aux mercenaires étrangers récemment conquis, aux délices du "pain et des jeux" pour le peuple et la bourgeoisie romaine, aux révoltes des derniers pays conquis aux marges de l'empire et surtout de l'influence pacifique et démobilisatrice du christianisme des premiers siècles. Lors de la conversion (en 330) au christianisme de l'empereur Constantin à Byzance, la partie occidentale et romaine de l'empire était en décrépitude et déliquescence. La construction de la basilique Sainte Sophie, d'abord sous forme classique (détruite à plusieurs reprises par des incendies) puis sous la forme actuelle vers 532 par Justinien avec sa majestueuse coupole (grande copie du Panthéon de Rome) utilise les technologies grecques, romaines et perses. Les grandes mosquées arabes et ibériques puis les cathédrales chrétiennes sont des évolutions des architectures grecques, romaines, persanes et byzantines.
La conversion au Christianisme de l'empereur Constantin et la construction d'édifices religieux comme la basilique Sainte-Sophie ne furent pas à l'origine d'une civilisation chrétienne riche de réalisations, de constructions, de styles de vie, d'arts, de sciences et de lettres : ce fut le quasi vide pendant un millénaire avec seulement l'oeuvre théologique de Saint-Augustin (IV/Vème siècle), les élucubrations des pères de l'Eglise glosant entr'autre sur le "sexe des anges". De fait le Christianisme mit un millénaire avant de se lancer dans la réalisation des grands monastères et des cathédrales romanes puis gothiques lorsque le pouvoir écclésiastique s'affirma devant le pouvoir monarchique et le pouvoir des seigneurs féodaux. Si l'Eglise codifia et contrôla la chevalerie, puis son évolution dans les ordres templiers, les croisades contre les infidèles du Moyen-Orient et les sombres périodes d'inquisition, de persécutions et de guerres de religion en Europe, entre chrétiens ou contre les juifs et les musulmans, sont les dérives du pouvoir des religions : elles ne peuvent se prévaloir du titre de réalisations de la civilisation chrétienne. Pendant le millénaire de la nuit civilisationnelle seuls des grands édifices religieux (cathédrales, abbayes, monastères) ont émergé en utilisant en très grande partie les techniques de l'antiquité : les arches en plein cintre existaient déjà chez les Romains (ponts en pierres, arènes, monuments...). L'innovation résidait pour les dernières cathédrales dans les arcs en ogive et les contre-forts "aérés" de reprise des forces de poussée latérale. Si la Renaissance italienne puis française et européenne marque un renouveau culturel et civilisationnel, l'Église chrétienne n'y est pour rien, c'était d'abord la redécouverte des civilisations évoluées de l'Antiquité, latine et grecque. La chrétienneté et les riches princes et bourgeois pratiquants ont financé le renouveau de l'architecture, de la peinture, de la sculpture et de la littérature. L'Église souhaitant des oeuvres "chastes" alors que les riches laïcs promouvaient la redécouverte et l'exposition du corps humain en grande partie dénudé, ainsi que des sentiments humains. La civilisation occidentale s'est construite lorsque la Renaissance a été enrichie par les études en sciences, en philosophie et en "sociologie", sans attendre la révolution industrielle portée par l'exploitation du charbon dans les machines à vapeur. Auparavant pendant près de deux millénaires les technologies avaient peu évolué, la force mécanique étant fournie par les hommes, les animaux, les chutes d'eau et le vent. La civilisation des Lumières, intellectuelle et humaniste, porteuse des droits de l'homme, a été polluée par la révolution industrielle exploitatrice des travailleurs hommes, femmes et enfants, les profits étant prioritaire. Les rapaces banquiers à la Balzac ont laissé la place aux marchés financiers de notre époque, entités plus cupides et inhumaines que les banquiers d'autrefois. La société de consommation effrénée, l'individualisme forcené et la soumission à la divine finance est-elle caractéristique d'une civilisation humaniste ou la nouvelle religion du siècle actuel ?
Dans les découvertes des nouveaux mondes de la planète, les conquérants et conquistadors s'attachaient à piller les ressources, en priorité l'or, puis les pierres précieuses, les épices, les bois, le cacao et les produits tropicaux. Le pillage et la soumission des peuples indigènes suffisait. Le Christianisme admit que les indigènes avaient une âme et qu'il fallait les évangéliser et donc de réduire en cendres leurs idoles et textes sacrés : ce fut la destruction des civilisations précolombiennes au prétexte de supprimer les sacrifices humains. L'Inquisition avec ses tortures et ses bûchers avait toujours le qualificatif de "Sainte Inquisition" ! Si la civilisation des Incas était vivante lors de l'invasion espagnole, la civilisation des mayas était en déliquescence suite aux crimes rituels des religieux mayas qui après le sacrifice d'ennemis capturés passèrent aux nombreux crimes rituels de jeunes mayas pour calmer les dieux et assurer le retour des pluies et de bonnes conditions climatiques (une grande période de sécheresses décimait le peuple maya). Les descendants des Mayas, les Incas et autres peuples précolombiens civilisés, ont vu leurs civilisations anéanties sous l'action destructrices des missionnaires chrétiens.
En Amérique du nord, les civilisations indiennes ont également été anéanties par les colons envahisseurs porteurs de Bibles et ouvrant la voie aux missionnaires pour les conversions forcées et la destruction des civilisations autochtones dites "barbares". En Afrique l'exploration et la colonisation s'accompagnèrent de l'évangélisation destructrice des religions et civilisations existantes.
En ce qui concerne la soi-disante civilisation arabo-islamique, il est impératif de distinguer ce qui est du ressort d'une civilisation et ce qui est phagocité par la religion et ses intégrismes. Mahomet et les arabes le suivant dans sa conquête, ont conquis l'Arabie et autre territoires avant l'écriture du Coran et de ses dogmes de pratiques religieuses. Les bandes conquérantes, "au nom de l'Islam" ont balayé les religions, cultures et civilisations existantes. Après une période de sac des villes conquises, pour rémunérer les conquérants, une administration levant les impôts, construisant les mosquées et les palais des princes, a permis la traduction et la conservation de nombreux textes grecs de sciences, de mathématiques, de littérature et de philosophie. La religion interdisait les images dans les mosquées ; la civilisation arabo-ibérique et ottomane, en dehors de ces lieux, s'est développée dans de nombreux domaines aujourd'hui fustigés, condamnés et détruits par les intégristes religieux de l'Islam. Ces derniers, de nos jours, veulent faire table rase des productions artistiques et civilisationnelles issues de toutes les civilisations, y compris la glorieuse et rayonnante civilisation arabo-ibérique, ottomane et persane cohabitant avec les religions islamiques. Tout comme pour les constructions du Moyen-âge en Occident, les technologies de constructions d'édifices, d'aqueducs, de réseaux, s'inspiraient des technologies mises en oeuvre autrefois en Mésopotamie, à Petra, et dans l'Empire romain. Pendant la période d'effervescence de la civilisation arabo-ibérique, les réalisations, les niveaux culturels, scientifiques, médicaux et philosophiques, étaient en avance sur une civilisation occidentale moyenâgeuse sclérosée.
Une première conclusion s'impose : c'est un non sens ou un abus de langage d'évoquer la civilisation judéo-chrétienne et la civilisation islamique ou arabo-islamique. S'il y a des civilisations en Occident et dans le monde arabisant, elles ne sont pas l'expression vivante et fructueuse des religions. Les civilisations d'Indonésie et d'Inde (les Moghols) n'ont rien à voir avec les civilisations arabo-ibérique, ottomane et persane.
Les civilisations s'interpénètrent facilement en assimilant ce qui les renforce. Les religions détruisent ou éradiquent les religions anciennes. Elles veulent supprimer ou mettre au pas certaines pratiques sociales ou philosophiques portées par les civilisations. Les valeurs humanistes des sociétés civilisées sont condamnées au nom de valeurs divines "révélées" par des hommes au commun des mortels.
Les civilisations existantes ou ce qui en reste devraient actualiser et préciser les valeurs humanistes de fraternité, de solidarité, d'égalité et de liberté qui devraient les caractériser. Les religions devraient se contenter des rapports spirituels entre leurs adeptes et leur divinité, avec éventuellement une part de rites religieux. Les religions n'ont pas à détruire les civilisations, tout au plus peuvent-elles recommander à leurs adeptes d'éviter certaines pratiques contraires à leurs dogmes et liturgies.
Alors il serait utile et bénéfique ne plus faire l'apologie du droit (ou du devoir) de pratiquer une religion : le mieux vivre ensemble exige de minimiser le rôle et l'importance des religions. Il en va de la survie des civilisations.
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