• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Actualités > Politique > Les principes et les récits

Les principes et les récits

JPEG

Les grands principes, les valeurs… sont généreux. Ils vont vers toutes et tous. Ce sont des idéaux et leur application n’est, de fait, pas possible. Les humains ont en eux une violence très supérieure à celle des autres espèces vivantes. Ils s’entretuent comme personne. Et ils savent aussi organiser les entraides (sécurité sociale, retraites…). Ils ont en eux un grand écart, ce qui les fait souffrir en soi. Ils oscillent sans cesse entre barbarie et civilisation, et leurs civilisations sont pleines de trous, de manques… Les différentes civilisations se font la guerre, ce qui est plutôt barbare ; la civilisation n’immunise pas contre la barbarie. Le niveau personnel, individuel, psychologique permet de renverser le fonctionnement et la signification des institutions les plus stables : on le voit à grande échelle aux USA en ce moment où le président nie le réel, appelle l’institution juridique à l’assister dans cette dénégation, ce qu’elle ne fait pas, et maintient sa négation (je ne dis rien de la suite, je parle seulement d’aujourd’hui).

Les humains traitent abondamment des moyens de diminuer cette violence, s’ils la laissaient se déployer, ils passeraient leurs vies à s’occuper des problèmes qu’elle pose, à soigner les blessures découlant de violences ; personne ne pourrait rien installer, ni sa maison, ni une bonne manière de taire les chèvres. Pour la détourner, ils essaient de représenter la violence, de la symboliser plutôt que de la réaliser, de la symboliser pour ne pas la réaliser : les religions, les grands principes… Ils créent le droit (l’égalité, volontaire et forcée, de tous devant la loi), avec des institutions de création des lois et de compensation des manquements à la loi (Justice).

Aucun des moyens envisagés ne fonctionne vraiment bien. On ne peut en tirer parti pour ne pas essayer quand même (certains le font).

Nos grands principes modernes (droit de l’homme, laïcité, démocratie, république…) sont un moyen de réguler cette violence et de pousser les humains vers la solidarité, la considération de leur commune humanité. La modeste réalisation des principes égalitaires amène à créer des récits qui montrent leurs effets dans la succession des événements historiques, effets bénéfiques, s’ils ne sont pas parfaits. Les grands principes ne s’appliquent pas à la lettre, tellement ils sont durs à mettre en œuvre, tellement ils sont parfaits, et nous imparfaits, ce ne sont que des mots… et les choses résistent…

Deux récits se combattent en France, actuellement, dont l’un, négatif, est apparu récemment. Le récit canonique, qui fut longtemps le seul, exalte la Révolution française, les philosophes des Lumières, la Commune, le Front populaire, les conquêtes sociales ; l’insoumission, la révolte, la protestation. Le récit canonique parle de la France qui veut apprendre, savoir, la France joyeuse, curieuse, la France de Molière contre l’hypocrisie des Tartuffes, d’Hugo sur les barricades avec Gavroche… La lettre de Jean Jaurès vient d’être lue dans les écoles, comme une piqure de rappel de ce récit longtemps quasi-unanime : nos valeurs nous enseignent le sens de notre Histoire, les idéaux sont tenaces, ils sont notre être profond, à nous français, et bien des choses se font dans, avec et par cet état d’esprit.

Ce récit est maintenant contesté : la richesse de la France, son influence, sa place de « grande puissance » dans le monde (qui s’atténue fortement), auraient une autre source que les principes généreux : le colonialisme et l’esclavagisme. Ces idéaux mis en avant sont un cache pour les violences que la France a perpétré hors de son sol, ces idéaux sont une illusion, une hypocrisie, qu’il faut dénoncer et auxquels il faut renoncer sans doute. Il est fréquemment demandé comment la France peut être si riche alors qu’elle n’a pas de pétrole, sous entendant que son territoire est pauvre naturellement, qu’elle a donc volé sa richesse ailleurs (ce qui suggère, sans le dire donc, qu’il faudrait qu’elle la rende ! Ce qui est impossible.).

Oubliées les mines de charbon et de fer qui furent la base de l’enrichissement de la France et de l’Europe au XIXème siècle et qui sont bien sur son sol. Oubliée une terre fertile et une agriculture performante (labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France, Sully 1638). Oubliée la valeur scientifique de l’observation, de la notation et de la mesure de toutes choses… de la recherche de lois physiques, qui produisit des biens à la disposition de tous les humains ; oubliée la biologie et la médecine, les analyses sanguines, les médicaments, les vaccins, les anesthésies nécessaires aux opérations chirurgicales… l’allongement de la vie qui en découle et qui n’est pas réservée à ceux qui en ont créé les conditions.

Ces deux récits sont aussi faux et aussi vrais l’un que l’autre. Ils sont vrais par ce qu’ils disent et faux par ce qu’ils omettent. Ils contiennent l’un et l’autre des arrangements sur des erreurs ou omissions secondaires qu’on peut gommer.

On pourrait les unir, selon l’idée d’union dans la théorie des ensembles ; les concaténer, les faire entrer l’un dans l’autre par a force, par la pression. Cela paraît inatteignable. Le discours anticolonial est fortement exclusif. On peut noter que « l’Occident » n’est pas le pire des colonisateurs (pour l’Afrique) mais qu’il est le seul nommé. Une des raisons est justement l’intégration de la contradiction dans le mode de fonctionnement dudit Occident, qui a permis toute la science et la technique, et qui le rend accessible à la critique. Le récit canonique et positif des Lumières, de 1789, 1936… etc. ce récit permet d’y ajouter le discours des antis. Il y a une dissymétrie des propositions.

Paradoxalement, c’est cette dissymétrie qu’il faut mettre en avant pour réussir l’intégration des deux discours l’un dans l’autre, car la vérité sera toujours plus utile que le mensonge ou l’à-peu-près et on sera toujours plus près de la vérité en intégrant le maximum de faits dans l’interprétation de notre mentalité, notre esprit commun.

JPEG - 277.7 ko
Photo Mireille Grumberg
Jean Jaurès à Carmaux. Va-t-il être déboulonné ?

Moyenne des avis sur cet article :  4/5   (8 votes)




Réagissez à l'article

4 réactions à cet article    


  • Rantanplan Brigitte 17 novembre 2020 09:28

    « Tolérer l’inacceptable sous prétexte qu’il est un ingrédient de la nature humaine c’est en être complice. »

    Laurent Denancy


    • rogal 17 novembre 2020 10:50

      « Ils contiennent l’un et l’autre des arrangements sur des erreurs ou omissions secondaires qu’on peut gommer. »
      Effectivement, l’omission est un moyen très efficace pour (se) tromper.

      La critique de l’Occident consiste à opposer ses actions (colonialisme) aux principes affichés (républicanisme, christianisme). C’est l’immoralité qui est ainsi visée en tant que point faible de la conscience.
      Cela étant, le décolonisé ne bénéficie pas seulement de la liberté de dénoncer les contradictions. En tant qu’immigré il profite aussi de la richesse de la terre d’accueil.


      • I.A. 18 novembre 2020 09:32

        Bonjour

        Votre texte est intéressant, en ceci qu’il prône la vérité avant tout.

        Il est vrai que de l’intention à l’action, il y a souvent un gouffre. Le mieux est de se foutre des racines des uns ou du pedigree des autres. De fait, la bibliographie des civilisations n’est guère vendeuse, l’histoire des peuples reste sordide, et de même que nous n’avons que faire d’un passé que nous n’avons pas commis, nous n’avons aucune raison, vraiment, de s’enorgueillir des usages ou des succès de quelque culture que ce soit. Bien au contraire.

        Mais vous parlez du passé... Les délocalisations Ne seraient-elles pas la mouture contemporaine de la traite des Noirs : puisqu’on ne peut plus importer d’esclaves chez nous, il n’y a qu’à aller chez eux pour les assujettir pareil ! D’ailleurs transporter des nègres ou des marchandises, quelle est la différence ?

        Si la technique du Donner-D’une-Main-Pour-Reprendre-De-L’Autre est vieille comme le monde, l’art de promulguer des règles de savoir-vivre chez soi pour mieux s’en affranchir à l’étranger, est quant à lui plus récent : il s’agit du principe fondateur de la suprématie, du fédéralisme et de l’élégance du capitalisme moderne.

        Le Tiers-Monde-Des-Délocalisations n’étant évidemment que la formule policée des Colonies-De-l’Esclavage… Reconnaître ces trompe-l’œil institutionnels équivaut cependant à dévoiler un cynisme capable, au bas mot, d’homicides involontaires.


        Je ne sais qui a oublie les mines de charbon et le reste. Sans doute les mêmes qui acceptent les écarts de salaires, les décalages d’éducation, de niveaux de vie, d’âges ou de sexes que l’on ne devrait pas voir au sein d’une civilisation humaine. Des inégalités génératrices d’antagonismes, qui ne cadrent pas avec les belles déclarations universelles et autres communs discours…

        Cordialement


        • Orélien Péréol Orélien Péréol 9 février 2021 16:56

          A la réflexion, je trouve que la phrase principale de mon texte est : « Ces deux récits sont aussi faux et aussi vrais l’un que l’autre. Ils sont vrais par ce qu’ils disent et faux par ce qu’ils omettent. »

          Je lis des enthousiastes qui ont le sentiment de réparer une injustice vieille de plusieurs siècles et toujours présente, permanente et qui se prennent pour des justiciers valeureux, moralement admirables (ils s’admirent eux-mêmes dans cette posture) ;

          et des exaspérés qui se demandent d’où l’indignité qu’on leur fait sort et comment il est possible que des gens cherchent des arrangements, des réparations à des gens dont il ne disent que du mal et qu’ils accablent d’une culpabilité quasi-absolue.

          Je propose une sorte de conciliation, l’intégration des deux discours l’un dans l’autre, chacun bouchant les trous de l’autre.

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON



Publicité



Les thématiques de l'article


Palmarès



Publicité