Le moment Jospin
Parler de Jospin, c’est malsain.
C’est juste incroyable, de penser que ce monsieur puisse, de par son échec même, avoir une influence sur la politique actuelle. Pourtant, Libération, le 17 octobre dernier, écrit que « le syndrome Jospin » fait peur à l’actuelle majorité. Le « syndrome Jospin », c’est échouer quand on a un bon bilan économique (il y aurait une demande ailleurs que dans l’économie, mais où ?).
Je traite d’une autre cause de l’échec de Jospin en 2002, une cause qu’a connu aussi le président Hollande, un mal intérieur à la gauche et non conjoncturel (il n’y a pas d’événements qui pourraient le contrarier, l’empêcher d’agir).
Dans l’idée du temps ultra court qui sert de base à nos pensées, et dont on accable parfois les médias, alors qu’on le pratique tous, Jospin nous semble aussi loin de nous que Pompidou, son influence est aussi faible. Cependant, c’est dans les cinq ans où il gouverna et dans la façon dont il fut congédié alors qu’il n’avait pas démérité, que se structure, se déstructure plutôt, notre vie politique.
La politique française a dérapé en 2002, par l’éviction de Jospin. Son retrait personnel, annoncé avant la fin du combat électif, et une modestie de très bon aloi moralement mais inefficace politiquement dans le combat interne entre les leaders d’un même groupe ont empêché l’intérêt pour ce moment et cette personnalité exceptionnelle. La politique ne se conçoit que dans la victoire : on a toujours tort de perdre. On a toujours tort d’être honnête et celles et ceux qui se plaignent de la malhonnêteté du personnel politique ne reconnaissent pas l’honnêteté des femmes et hommes politiques honnêtes, et évidemment, ne souhaitent pas que ces personnes honnêtes aient plus de responsabilités.
C’est cependant à ce moment qu’a commencé à s’établir la « victoire » de l’extrême gauche sur la gauche. Une extrême gauche idéaliste qui considère que le « pouvoir » fait ce qu’il veut a pris pour cible, et même pour ennemi, non pas la droite, mais la gauche modérée, capable de gouverner. Cette extrême gauche est extrêmement divisée, et très sectaire. Elle est vraiment dans l’idéalisme pur : « nous avons raison, nous avons tellement raison que nous ne pouvons infléchir notre discours pour faire des alliances. Ce serait le commencement de la politique politicienne, dont on voit le désastre qu’elle crée et dont nous sommes les seuls capables de vous sortir. »
Lionel Jospin a gouverné cinq ans et son bilan était on ne peut plus convenable. Il s’est trouvé au premier tour des élections présidentielles avec une opposition de gauche : Arlette Laguiller, Jean-Pierre Chevènement, Noël Mamère, Olivier Besancenot, Robert Hue, Christiane Taubira. Il manqua à Jospin 194 600 voix pour être au second tour, 0,68% des suffrages exprimés. Taubira, qui fut ministre de Hollande, recueillit 660 647 voix soit 2,32%. Oter seulement sa candidature aurait permis l’élection de Lionel Jospin. La gauche totalisait 42,40%, la droite et centre 34,17%, l’extrême droite 19,20%. Etant donnée l’étanchéité entre la droite et l’extrême droite, Jospin aurait dû être président.
Ce n’est pas le plus grave. Le plus grave, c’est que ce moment porte une tragédie : les institutions ne permettent plus de représenter les Français. Suivent dix années de politique de droite, dont cinq dure. Revient la gauche et revient ce jeu morbide d’un président de gauche qui a son opposition en son sein, une opposition d’une très grande virulence. Il ne peut rien faire, tout comme si c’était le but de cette extrême gauche de saboter la vie politique, la vie économique afin de faire la preuve que le système est mauvais (peut-être rêve-t-elle de se faire élire, on peut en douter). Peut-être n’agit-elle que pour ne pas se confronter au réel et continuer à se raconter qu’elle seule a compris : le pouvoir est à l’Elysée, tout le pouvoir est à l’Elysée, qui fait ce qu’il veut, nous autres sommes de pauvres hères toujours trahis et notre révolte est un bien précieux inestimable qu’il faut cultiver avec amour et passion.
On en arrive au fait que le président Macron n’a pas d’opposition à gauche, il n’en a pas à droite pour d’autres raisons. Son comportement, que je juge excessif et inapproprié, notamment la répression des manifestations, n’a aucune modération, aucun contre-pouvoir, ce qui ne l’oblige pas à se comporter comme il le fait, mais le lui permet.
Il y a bien sûr d’autres raisons : depuis la chute du mur de Berlin, la fin du grand rêve d’une société juste, équitable, apaisée, unie… la politique perd le terrain de l’égalité économique et des grands systèmes de pensée et d’action. Les nouveaux groupes n’ont plus de contenu, de façon affirmée : En Marche, France Insoumise, GénérationS, Place Publique…
Le quinquennat et la succession rapide des élections présidentielles et législatives font coïncider les deux pouvoirs, ce qui est contradictoire avec la démocratie : « Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir » (Montesquieu).
Nous avons des raisons institutionnelles pour cet état de chose qui doit être réparé, c’est un aspect des choses.
L’autre aspect, c’est de perdre cette gauche spéculative, qui se rêve toute-puissante au cas où elle arriverait au pouvoir. Quand je parle de gauche, je ne parle pas seulement des appareils, je parle de toutes celles et ceux qui se réclament de la gauche. Il nous faut quitter cette gauche qui se complait dans la plainte et la condamnation morale, qui prie pour le grand soir, le soulèvement qui vient, qui le voit sans cesse arriver, nuits debout (plus de traces deux ou trois après pourtant), les gilets jaunes (on verra la fécondité de ce mouvement) … Il nous faudrait une gauche réaliste, matérialiste, (qui ne promet pas tout mais s’occupe du social raisonnablement), une gauche modeste et efficace, qui puisse à la violence du gouvernement actuel.
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