Janvier-Juillet 2015, un « Mai 68 » à la grecque
Soyons prudents, tout est encore possible, mais le plus probable semble bien être un accord final à Bruxelles. Accord qui devrait être signé par Tsipras, alors que ses clauses sont très proches de ce qui était proposé par la zone euro, et seulement quelques jours après un NON à 61%...
Par exemple, la Slovaquie avait salué très vite un « progrès » sur la Grèce. [1].
La dernière proposition de A. Tsipras a fait l'objet d'une évaluation par les experts des créanciers européens, à partir de vendredi 10 juillet à 13h, et cette évaluation s'avère positive, les créanciers y voyant "une base de négociation" en vue d'un troisième plan d'aide d'un montant de 74 milliards d'euros. [2]
Et de son côté, après 5h30 de débat, vendredi soir au Parlement grec, A. Tsipras a affirmé dans son discours que les clauses de cet accord sont "loin des promesses", mais que "c'est le meilleur accord possible".
'Le Parlement grec a donné ce samedi matin vers 2 heures 45 son feu vert à la proposition d'accord soumise aux créanciers du pays par le gouvernement d'Alexis Tsipras. Le Premier ministre, qui avait fait de ce vote un choix de « haute responsabilité nationale », a recueilli 251 votes positifs sur un total de 300 députés pour aller négocier samedi avec les créanciers du pays ... À partir des recommandations de la CE, de la BCE et du FMI, l'Eurogroupe des ministres des Finances de la zone euro devrait décider d'ouvrir des négociations lors d'une réunion qui se tient ce samedi à Bruxelles à partir de 15 heures.'. [3]
La plus grande incertitude semble désormais reposer chez les pays qui ont été les plus affectés par les attitudes et revirments déconcertantes de A. Tsipras, en particulier le Parlement allemand 'L'Allemagne s'est montrée circonspecte face aux nouvelles propositions' [4]
Un coup d'arrêt à la démagogie ? ...
Les tenants du NON, en Grèce ou ailleurs, s'étaient évidemment empressés de s'estimer trahis par Tsipras, floués, accusant l'Europe de ne pas respecter le scrutin de dimanche dernier, d'être anti-démocratique...
Alors que l'Union Européenne ne peut tout simplement être magicienne, et permettre ou soutenir la démagogie la plus incroyable !
... aux populismes, aux désinformations les plus incroyables ?
Car le ver était dans le fruit Syriza : qui a laissé croire (aux Grecs et aux autres Podemos, etc.) qu'il était possible d'obtenir un autre accord ? Qui a fait croire qu'un NON au referendum permettrait aux Grecs d'atteindre cet objectif inaccessible ?
Et qui a d'ailleurs fait oeuvre de large désinformation, en disant que le plan proposé à la Grèce à Bruxelles visait à couper (encore) les retraites, alors qu'il s'agissait surtout d'arrêter les impensables pré-retraites à 53 ans, et de reculer l'âge de la retraite vers 67 ans ?
Et comment croire que les pays qui avaient fait d'énormes efforts, qui commencent à payer (Espagne, Portugal, Irlande, pays baltes), ou que les pays moins riches que la Grèce (Slovaquie, Slovénie) pouvaient accepter de payer aussi pour la Grèce ?
La démocratie véritable en Europe : le Parlement européen !
Le passage de Alexis Tsipras au Parlement Européen, mercredi 8 juillet 2015, où il a bien vu (ainsi que ses soutiens en Grèce) que les parlementaires des autres pays étaient loin de soutenir sa démarche insensée, semble donc avoir été salutaire !
Qu'il ne suffisait plus d'accuser les institutions (Troïka, Commission Européenne), ou les dirigeants de la zone euro. Que ces dirigeants étaient soutenus par leur opinion publique, via leurs groupes parlementaires au Parlement Européen de Strasbourg.
Les chefs de ces groupes ont chacun pris la parole, la plupart exhortant Tsipras à enfin diriger son pays, et amorcer les réformes nécessaires. A regarder Tsipras pendant ces échanges, on constatait qu'il n'était pas à la fête, qu'il comprenait enfin son rôle, ses responsabilités.
Que de dégâts depuis 6 mois ...
Comment seulement ne pas se dire "Tout ça pour ça !", après toutes ces péripéties, ces 6 longs mois depuis l'élection de Tsipras et le blocage à Bruxelles, jusqu'à la femreture des banques grecques et les longues files d'attente devant les distributeurs de billets ? Car que de dégâts économiques en Grèce, que de défiance créée envers ce pays, au Nord de l'Europe en particulier ?
... mais la perspective de sortir de l'impasse, à la fois pour les Grecs ...
Pour rester positifs, ne pouvons-nous pas voir ces 6 mois interminables comme une sorte de "Mai 68" grec ? Cette lente puis brutale descente aux enfers comme une étape finalement très favorable à tous ces pays ?
Permettant à la société grecque de constater très concrètement, en touchant vraiment le fond, qu'il n'y a pas d'autre possibilité que de se retrousser les manches, de construire une véritable économie durable, et un Etat moderne capable de lever l'impôt, et de s'appuyer sur un cadastre à enfin commencer ?
... et pour la zone Euro ?
Un "Juin 2015" grec permettant aux pays de la zone euro de vérifier que ce qui nous rassemble est plus fort que ce qui sépare ? Que la zone euro n'est pas seulement une zone économique, mais une construction politique ? Que dans un monde en pleine mutation, et soumis à des dangers à l'Est et au Sud, à des flux migratoires en hausse, le délitement de la zone euro n'est pas une option ? Que les raisons géopolitiques de l'entrée de la Grèce en Europe restent plus valables que jamais ? Y compris avec la potentielle réalisation d'un pipe-line à Chypre (vers l'UE) pour le futur gaz à extraire dans les fonds marins israélo-palestiniens, plutôt que vers la Russie ?
Un "Juin 2015" permettant en même temps aux pays de la zone euro de constater l'absolue nécessité d'aller plus loin dans l'intégration de cette zone économique, pour la rendre vraiment crédible, efficace et durable ? Avec une gouvernance digne de ce nom, et une convergence à terme des économies de cette zone (par exemple en limitant progressivement les écarts fiscaux possibles). Avec un Parlement de la zone euro, et des institutions plus à même d'intervenir rapidement en cas de difficultés.
47 ans après 68, et 70 ans après 1945... (des multiples de 23 ans)
Nous avions signalé dès 2005 [5] qu'il pourrait se passer quelque chose d'ampleur à partir de 2010 - 2012 : "Puisque les événements majeurs se produisent tous les 20 ou 40 ans, le vote NON pourrait bien être en fait une réédition du vote de mai 1981 et l'annonce d'une crise majeure un peu plus tard (vers 2010, 40 ans après 68 ?)"
Et nous avons été servis en Europe avec la crise de la zone euro en 2011, 22 ans [6] après l'effondrement du bloc de l'Est. Mais 2015 pourrait bien être une nouvelle facette de cette crise, 47 ans (2 x 23) après 68, et 70 ans (3 x 23 ans) après la fin de la 2e guerre mondiale.
Dans le même article, suite au NON français de 2005, nous écrivions : "Quelle crise majeure (en 2010, soit 40 ans après mai 68 ?) faudra-t-il donc vivre en France pour qu'une bonne part des Français comprenne enfin que le temps des théories fumeuses voire mortifères est fini ? Et que les nombreux défis posés à la planète imposent de construire des solutions dans le cadre du libéralisme ? Bien sûr toutes les approches libérales ne se valent pas, et l'ultra-libéralisme n'est évidemment pas une solution."
Texte qui serait tout à fait applicable au vote grec, et à cet accord (si toutefois il se concrétise bien)... Car le vote de janvier 2015 reposait bien sur l'illusion classique d'une 'réponse de gauche' (étatique) à une situation économique dégradée ou incertaine, comme en France (et en Grèce) en 1981, en 1997, ou en 2012.
.. un "Juin 2015", nouveau départ pour l'UE et la zone euro !
Le "Mai 68" français avait permis à l'économie française un rebond incroyable, dès les mois suivants, pourquoi ne pourrait-il en être de même pour la Grèce, dans la zone euro ? Alors que le plan Juncker prévoit 315 milliards d'investissements, dont 30 pour la Grèce ? Et que le monde entier montre une croissance supérieure à celle de la zone euro.
Bien sûr, le cas français s'était traduit par des hausses de salaires, et la situation grecque actuelle n'est pas réjouissante. En même temps, tout est à faire, à (re)construire, et il s'agit dans les deux cas d'un nouveau départ. Et des investissements massifs en Grèce peuvent aussi signifier une amélioration des situations économiques dans les pays de la zone euro, par fourniture de services appropriés, comme le plan Marshall avait permis à la fois la reconstruction de l'Europe et le développement des Etats Unis.
Cela signifie simplement une révolution dans l'économie grecque, pénalisée par des décennies de corruption, de clientélisme, et un caractère 'de rente', puisqu'il s'agit de la faire exister comme une véritable économie moderne, au sein de cette zone euro.
Cela dépendra donc au premier chef des Grecs, mais aussi des européens de la zone euro : à eux tous de réussir ce fantastique défi, l''Europe n'a t elle pas montré sa capacité à relever d'incroyables défis, dont la dernière crise de 2011 ! [7]
[1] Ouest France, 10 juillet 2015, 14h. La nouvelle proposition soumise par le gouvernement grec à ses créanciers constitue un « progrès », a déclaré ce vendredi le ministre des Finances de la Slovaquie, pays partisan de la ligne dure vis-à-vis d'Athènes au sein de la zone euro. « Il semble que nous ayons un progrès sur la Grèce. Il n'est pas encore clair si cela sera suffisant, ou si d'autres mesures seront nécessaires », a déclaré le ministre Peter Kazimir
[2] Le Point, 10 juillet 2015, 20h46 : Grèce : les créanciers jugent "positive" la nouvelle proposition du gouvernement "Les trois institutions (UE, BCE, FMI) sont convenues de donner une évaluation positive à la proposition de réforme transmise hier (jeudi soir) par le gouvernement grec".
[3] Ouest France, 1 juillet 2015. Grèce. Le Parlement grec donne son feu vert au plan de Tsipras
[4] Swissinfo, 11 juillet 2015 Le plan d'Alexis Tsipras voté et les créanciers bien disposés
[5] Libéral et social, 30 mai 2005. "L'expérience de 1981-1983 n'a pas suffi : la France a voté NON, tentée par un repli faussement salvateur"
[6] Lire aussi notre article récent, ici : "Cycles de 22 ans. Pertinence ? Utilité ? D.Cameron vs F.Hollande ? Printemps arabes ?" et sur EuropeAgenda2010
[7] Ou l'atterrissage sur une comète, Tchourri : "Quelle audace ! Savourons ces instants !" s'était esclamé Jim Green, Directeur américain de la Division Science planétaire de la Nasa
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