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Accueil du site > Actualités > Médias > Quel avenir pour le journalisme ?

Quel avenir pour le journalisme ?

Neil Henry, ancien correspondant du Washington Post et actuellement professeur de journalisme à Berkeley, vient d’écrire une tribune dans le San Francisco Chronicle. Il évoque l’influence des sites d’informations sur le Net, notamment les grosses machines Yahoo et Google qui grignotent peu à peu les ressources financières des journaux conventionnels édités sur papier, vendus dans la rue, les kiosques mais aussi présents sur le Net. Il est question de l’avenir de ces entreprises d’informations devenues carrément institutionnelles mais, selon l’auteur, malmenées ces temps-ci, avec une tendance lourde de conséquences, le licenciement de nombreux journalistes (voir le Courrier International du 14 juin pour une traduction). L’information se limitera au délire des blogueurs, dit-il en une formule provocatrice qui n’est pas sans rappeler un jugement aussi sévère d’un FOG sur son blog, fustigeant le phénomène de la blogosphère archéo-pavlovienne

Eh oui, un journal est une structure reposant deux piliers, l’information captée dans le monde et restituée par ce professionnel auparavant doté d’une aura toute spéciale, devenu maintenant objet de soupçons pour ses connivences avec les pouvoirs et qu’on appelle le journaliste, parce qu’il est l’âme d’un journal. Du moins il le fut à une époque récente mais semble-t-il un peu moins actuellement. Si bien que les entreprises médiatiques n’hésitent pas à faire quelques coupes dans ce personnel. N. Henry insiste notamment sur quelques points d’importance. Sans moyens, le journalisme d’investigation est privé de son champ d’action. Il n’ira plus enquêter, vérifier les comptes municipaux, les agissements des potentats et du coup, la société deviendra plus vulnérable à la propagande politique. En est-on sûr ? Rien n’est évident et toute question mérite un examen. Je pense que le problème ici souligné doit être présenté en trois déclinaisons.

Le règne de la concurrence. L’avenir du journalisme est aussi celui des journaux, un peu comme celui des pilotes dépend des organisateurs de circuits. Sans Grand Prix, sans écuries, sans spectateurs, pas de pilotes de course. Pareil pour les journalistes. La tendance est à la diminution du nombre de titres disponibles, du moins dans la presse d’information traditionnelle. Il restera toujours quelques journaux prestigieux, avec un lectorat fidèle et suffisamment de rentrées financières pour perdurer. D’autres titres auront un autre sort. Est-ce un drame ? Oui si on admet que la diversité de contenu dépend du nombre de titre. Cette équation n’a rien de certain. Le marché décidera et les lecteurs décideront quels sont les journaux qui survivront. Libération est-il vraiment différent du Monde, apporte-t-il un regard spécial ? Non, je ne pense pas. Ces deux titres sont ajustés à une demande de gens lettrés, aimant la presse, plutôt de gauche. Et surtout prêts à payer un produit. Le reste, les recettes, hélas, elles dépendent de la pub. C’est là le point névralgique de la presse qui, sans les rentrées publicitaires, étrangères à sa fonction, ne peut survivre. C’est comme si un restaurateur faisait la moitié de son chiffre en louant les murs de sa salle à des afficheurs. Ce qui, au bout du compte, permet de penser que la presse pourrait survivre si un lectorat élitaire consentait à acheter le produit à sa réelle valeur de production, un peu comme un bouquin de philosophie ou un roman de chez Minuit ou Allia.

Deuxième déclinaison, l’information, vue du côté des journalistes et des citoyens. Là un réel problème est posé. Si les journalistes d’investigation n’ont plus de moyens et que, de surcroît, l’entreprise médiatique décide de s’en passer pour des raisons comptables, alors finies les enquêtes de terrain, les études fines et poussées, les recherches d’info, de sources, d’indices, effectuées dans les règles de l’art. Les Sherlock Holmes du scoop, du scandale et de la révélation constituent une espèce en voie de disparition. Mais rien n’est pour autant perdu. Si le journaliste de va pas à la source, la source ira au journaliste. Et le contenu politique et polémique du média reposera non pas sur l’enquêteur mais l’informateur. C’est d’ailleurs de cette manière que vit pour l’essentiel le fameux Canard Enchaîné. Mais l’information c’est aussi du vécu, des reportages. Quand un lycée a des problèmes, une entreprise est dirigée par un patron indélicat, un travailleur se suicide, une employée est harcelée, tous ces événements peuvent être dénoncés à la presse. En fin de compte, c’est une question de risque, l’informateur risquant d’être sanctionné par la hiérarchie et perdre des points d’avancement ? Bref, l’information vraie a un coût, soit qu’on se situe du côté de l’enquêteur ou de l’informateur. Etre honnête est souvent un handicap pour faire du chiffre. Ainsi va le monde, gouverné par l’argent. La bonne information obéit à l’honnêteté, elle est donc souvent antagonisme du monde des affaires et pour être dans un rapport de pouvoir équitable, elle doit être appuyée par une raison comptable, le salaire du journaliste, le risque de l’informateur.

Troisième déclinaison, la plus essentielle à mon sens. Est-ce que les gens veulent réellement être informés et comprendre le monde tel qu’il avance ? Le goût de comprendre, d’être informé, de la vérité, de la justice, de l’honnêteté, n’est pas inné mais culturellement acquis et construit. Sans aller jusqu’à théoriser le vivant et la cognition, on peut légitimement admettre que tout individu capte les informations satisfaisant ses désirs, ses volontés, ses finalités, sa stratégie d’existence. Ce même individu est inséré dans un système dont les dispositifs centraux cherchent à exercer du pouvoir ou faire du profit. Ce sont quelque part des prédateurs qui actuellement, du moins dans les nations démocratiques et avancées comme les States et en Europe, n’ont plus nécessairement besoin de la force. Imaginons des lions voulant capturer des gazelles qui disposent de système de vigilance performants. Ces lions peinent à saisir leur proie alors ils s’aperçoivent qu’ils peuvent distraire des gazelles avec quelques artifices et autres leurres, de telle manière que la gazelle perd ses réflexes et se laisse capter et en plus, les gazelles en redemandent, de ces artifices. Voilà un peu comment fonctionne le système actuel. On accuse les médias de tous les maux. Pourtant, les spectateurs sont friands de ces informations accessoires, qui ne leur apporte rien, ne les rend pas plus intelligents, les distrait, flatte leur émotion ou suscite leur crainte.

Le spectateur moyen regarde (ou lit) Paris Hilton en prison, les questions, fort importantes, de savoir si les cinq alpinistes étaient sur une même cordée, si le chauffard était alcoolisé, si les températures sont hors norme. Il s’intéresse au couple Royal Hollande, ou Nicolas et Cécilia, aux verdict d’un fait divers joué aux assises, aux arnaques d’un buraliste, à l’accident survenu sur le car et la cellule psychologique mise en place, la même qui intervient, à la crèche et dans l’entreprise, quand un père de famille oublie sa gosse dans une voiture. J’arrête là. Ces informations sont-elles décisives pour comprendre le monde ? Non, mais pendant ce temps, les prédateurs de la finance, les escrocs des paradis fiscaux, les imposteurs de la chanson, les arnaqueurs de la politique peuvent jouer la belle partie et les citoyens se faire mettre. Ce qui est fascinant, c’est que le système, sans qu’il y ait nul calcul ni complot, fonctionne de cette manière. C’est surprenant ? Eh bien non, c’est tout simplement une variante de la servitude volontaire peinte par La Boétie. Et le système médiatique peut parfaitement s’insérer au système de domination économique dès lors que les gens consentent à ces artifices, croyant voir dans ce cirque une sollicitude bienveillante de des maîtres à psyché que sont les médiarques, complice des politiques et des financiers. Achetés tout en étant bien payés.

Mais ne soyons pas pessimistes. La société avance, marche, progresse. Elle dépend de chaque individu. Qui peut choisir dans les limites de son aptitude à appréhender le monde, où il doit aller, y compris dans des champs où l’information et le verbe augmentent cette même aptitude à appréhender le monde.


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11 réactions à cet article    


  • L'enfoiré L’enfoiré 29 juin 2007 11:12

    @Bernard,

    Très bien cerné le problème en phases. En ce qui me concerne, je n’ai jamais autant lu les journaux, écouté la radio. Du côté télé, rien de changer. Deux heures en soirée. Alors, oui, il y a peut-être de la concurrence « bloggante », mais sans la presse officielle, comment jouer votre rôle un peu partout dans le monde. Malgré les coupes, il reste des budgets pour aller s’informer ailleurs et chez nous. Oui, l’argent est le nerf de la guerre, mais la qualité de l’info aussi. Sans être populiste, il faut s’intéresser aux intérêts des gens, à leurs volontés intimes. Informer n’est pas platoniquement montrer les catastrophes de notre époque, c’est aussi prendre position plus subjectivement. L’objectivité est primordiale mais il faut l’enrober d’un peu de liens avec le potentiel de réception des auditeurs et lecteurs. Chacun travail, chacun s’informe à sa mesure et suivant ses intérêts. Le temps est limité. A mon avis, les journaux citoyens comme AV ne seront qu’un complément pas une concurrence. Un journal complémentaire qui rarement précédera la presse officielle pour les raisons évoquées. Vous touchez plus de public en une fois, ne l’oubliez pas.

    « Mais ne soyons pas pessimistes. La société avance, marche, progresse »

    >>> Très bonne fin d’article et début de bases solides. smiley


    • ZEN ZEN 29 juin 2007 11:35

      @ Bernard

      « On accuse les médias de tous les maux. Pourtant, les spectateurs sont friands de ces informations accessoires, qui ne leur apporte rien, ne les rend pas plus intelligent, les distraits, flatte leur émotion ou suscite leur crainte. »

      Cercle vicieux bien décrit. Le désir d’information n’est pas inné, c’est vrai. Il y a du boulot pour qu’à l’école on fasse l’essentiel pour éveiller le sens critique, initier au décryptage de l’information et de l’image.

      Un bon bouquin là-dessus de Philippe Campagne :« Faire l’opinion »


      • ZEN ZEN 29 juin 2007 11:37

        Correctif : Philippe CHAMPAGNE


      • stephanemot stephanemot 29 juin 2007 11:38

        La société de connaissance / la société apprenante est en route, mais la plupart de la population se contente du savoir au sens restrictif du terme, de l’information mise en forme pour être captée par la rétine ; pas pour être ingérée par le cerveau, digérée avec le coeur et convertie en énergie à travers tout le système vital.

        Certes, le journaliste s’adapte aux nouveaux outils et embrasse le web 2.0, et si les rangs se gonflent d’amateurs, les véritables journalistes gagnent aussi en expertise. Il leur devient toutefois plus difficile d’obtenir la visibilité qu’ils méritent, d’autant que les media doivent également faire évoluer leurs modèles, passer à un fonctionnement en réseau avec un coeur très ramassé (et trop souvent trop sec, diront certains à juste titre).

        Je pense que les grandes écuries de talents se feront de plus en plus rare, et que de nombreux purs sang seront conduits à monnayer leur talent à la course.

        Et peut-être se trouvera-t-il de rares Aga Khans pour financer quelques utopies à but réellement non lucratif.


        • bulu 29 juin 2007 13:24

          Super article.

          La troisieme declinaison est particulierement pertinente et peu abordee dans les articles qui traitent du sujet.

          « Est-ce que les gens veulent réellement être informés et comprendre le monde tel qu’il avance ? »


          • tvargentine.com lerma 29 juin 2007 13:45

            Il est vrai que la presse du matin perd beaucoup en ayant pas cherché à se restructurer et à prendre en compte les nouveaux outils et médias d’aujourd’hui.

            Internet,pour le journal,le son,les commentaires,la video...(une sorte webtv comme il existe des chaines en boucle sur le canalsat)

            Ensuite la gratuité des journaux du matin.

            Dans la mesure ou la presse ne survie que par la publicité,elle aurait du baisser son prix au plus bas ou faire des éditions light gratuites afin de prendre des parts de marché au niveau publicitaire car ceux qui lisent les journaux gratuits n’achetaient bien souvent pas de journaux.

            La presse à trop bien vécue d’argent et de subventions public déguisée (plan média de sociétés nationalisées...)

            Elle vient de perdre sur tous les tableaux.

            Si encore,elles avaient fait la différence sur le contenu de l’information par de l’investigation ,mais même pas ,elle se contente de faire se que tous citoyen fait aujourd’hui en allant chercher ses infos sur le net et avec leurs cartes de « journalistes » de receptionner le press-book" de l’entreprise ,de l’homme d’affaire ou du politicien déjà fabriqué par le responsable de communication

            Quand on lit aujourd’hui que Mr COLOMBANI ,ex-patron du journal LE MONDE,donneur de leçon de morale,qui à mis ce journal en difficulté financière par une stratégie délirante va partir avec un parachute en or ,on est scandalisé.

            La dignité aurait été qu’il parte sans indémmnitée

            Mais les vautours s’accrochent a tout ce qu’ils peuvent

            LE MONDE,LIBE,n’ont plus leur place ,car ils ont raté leur cible,un peu à l’image du maire de Paris,qui recherche un type modele « BOBO »

            Visiblement,les bobos ne lisent pas leurs journaux ! smiley

            Existent t-ils d’ailleurs en dehors d’un panel préfabriqué par les médias ou dans un monde virtuel ?


            • jako jako 29 juin 2007 15:27

              Si son parachute est en or il va arriver bien plus vite en bas......


            • Enediol Enediol 29 juin 2007 15:35

              J’ai beaucoup apprécié votre article dans la mesure où il pose avec pertinence la question des rapports fructueux entre la presse et ses lecteurs. Quelles nouvelles sont les plus indiquées pour mieux informer ces derniers, dans le cadre du lien contractuel qui unit le journaliste et son lecteur, dans le respect de sa déontologie ? On constate, c’est un fait évident, que le journalisme d’investigation est un phénomène devenu rarissime, quoique le seul à même de satisfaire la démarche intellectuelle du traducteur de la vérité. Pour les raisons que vous avez mises en lumière, le journaliste se trouve hélas confronté à un défi insensé, celui du pragmatisme des puissances d’argent ! Le grand public n’est intéressé que par les faits médiatisés, et la presse ne fait que suivre le mouvement passivement, la facilité donc. Bien souvent, le cercle vicieux est alimenté synergiquement par les deux ! Demander à ce public d’émettre un jugement sur la base d’une analyse approfondie d’une situation politique donnée, devient chose impossible, notamment lors de consultations électorales.


              • Lampion (Alesani) Lampion (Alesani) 29 juin 2007 20:26

                « Le grand public n’est intéressé que par les faits médiatisés, et la presse ne fait que suivre le mouvement passivement, la facilité donc. Bien souvent, le cercle vicieux est alimenté synergiquement par les deux ! »

                oui d’accord avec Enediol

                et il arrive que la presse surmédiatise certains évènements au mépris de la décence :

                "Un officier de gendarmerie a été tué d’un coup de fusil alors qu’il dirigeait une intervention pour interpeller des cambrioleurs en flagrant délit dans la nuit de samedi à dimanche à Saint-Andéol-le-Château, près de Lyon........ ................ ..........Norbert Ambrosse, 38 ans, était connu pour avoir été condamné en 2002 à deux ans de prison dont six mois ferme dans l’affaire de l’incendie en Corse de la paillotte « Chez Francis » sur une plage proche d’Ajaccio, en avril 1999. ........................................."

                Un gendarme décédé dans l’exercice de ses fonctions , et de nombreux journaux, comme ici l’express, mais aussi « Le Monde » ou le journal radio de « France Info » n’ont rien trouver d’autre pour retracer la carrière de ce gendarme que cette affaire où il a été condamné à de la prison.

                Aurait il fallu la cacher ? Que Nenni , mais la moindre des choses, faire leur travail de journalistes et l’insérer dans un portrait de carrière où auraient figuré les aspects positifs.ou alors,oui,il valait mieux s’abstenir.

                J’achète rarement les journaux , faute d’avoir suffisamment de temps pour les lire, mais quand j’ai entendu le traitement fait à la radio de ce drame ,j’en ai acheté certains et malheureusement , ils étaient unanimement pitoyables , alors ce n’est pas demain que je deviendrais un lecteur assidu


                • Atlantis Atlantis 29 juin 2007 22:29

                  « Quel avenir pour le journalisme ? » Vu le nombre de pistes d’avenir envisagées, je pense que le constat s’impose ...


                  • marauder35 30 juin 2007 15:58

                    C’est bien pour cela que les voitures vont continuer à brûler

                    Bientôt la révolution !

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