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Omar Sheikh invente... le canular terroriste

On connaissait les canulars téléphoniques de Gérald Dahan  : l’humoriste avait piégé en 2007 Ségolène Royal en se faisant passer pour le Premier ministre québécois, ou encore, en 2005, Zinédine Zidane en imitant le président de la République Jacques Chirac. On se souvient aussi du canular téléphonique de François Hollande qui, en 1983, s’était fait passer sur une grande radio nationale pour un grand leader... de droite. On apprend à présent qu’en plein drame, durant les attentats de Bombay en 2008, un inconnu avait conduit l’Inde et le Pakistan au bord de la guerre, à cause... d’un hoax téléphonique. L’identité du plaisantin vient d’être révélée.

Rappel des faits : le 26 novembre 2008, Bombay est frappé par de terribles attentats. C’est, selon certains observateurs, le "11-Septembre indien". Des terroristes pakistanais du Lashkar-e-Taiba sont rapidement identifiés. Alors que la crise est à son paroxysme, le 28 novembre, le président pakistanais Asif Ali Zardari reçoit un coup de fil du ministre indien des Affaires étrangères Pranab Mukherjee. Du moins le croit-il. L’homme menace Zardari d’une guerre si le Pakistan n’agit pas contre ceux qui ont fomenté l’attaque.
 
Immédiatement, l’armée pakistanaise est mise en état d’alerte, et la chasse décolle avec le plein de munitions pour patrouiller au-dessus de la capitale Islamabad et de Rawalpindi. Des officiers pakistanais envisagent même de déplacer leurs troupes de la frontière afghane vers la frontière indienne. Constatant ces mouvements inquiétants, Condoleezza Rice, la Secrétaire d’Etat américaine, téléphone en pleine nuit au ministre indien des Affaires étrangères pour lui demander des comptes sur ses menaces de guerre. Incrédule, celui-ci dément toute action de ce type. Il faudra plusieurs heures pour établir qu’il s’agissait en réalité d’un hoax.
 
Le journal pakistanais Dawn élucide toute l’affaire dans un article paru le 26 novembre 2009, et qui n’a que peu été relayé jusqu’à nos contrées. On apprend que le mystérieux imposteur, avant de réussir à joindre Zardari, avait d’abord tenté de contacter le ministre indien des Affaires étrangères en se faisant passer pour le président pakistanais. Après qu’il a endossé le rôle de Pranab Mukherjee, il réussit à joindre, outre Zardari, le chef d’état-major de l’armée pakistanaise, le Général Ashfaq Parvez Kayani. Et il tenta même de rentrer en contact avec la Secrétaire d’Etat américaine, sans succès.
 
L’info continue... même en prison
 
Le Dawn révèle surtout l’identité de l’affabulateur ; il s’agit d’un des plus fameux activistes islamistes, un surdoué dans son genre : Omar Saeed Sheikh. Britannique d’origine pakistanaise, Omar Sheikh est connu mondialement pour son implication dans l’enlèvement et le meurtre du journaliste au Wall Street Journal Daniel Pearl, en janvier 2002. Il a été condamné à mort le 15 juillet 2002 pour ce meurtre. L’exécution de la sentence a été repoussée à de multiples reprises. C’est donc de sa cellule, dans la prison de Hyderabad, qu’il a réussi le tour de force de créer la panique entre les deux puissances nucléaires rivales.
 
Omar Sheikh était tenu informé en temps réel de l’évolution des attaques de Bombay, durant toute la nuit et jusqu’au petit matin, par sa femme Saadia Omar (qui concurrençait alors efficacement Twitter...), grâce à son téléphone portable, qu’il avait réussi à dissimuler à l’administration pénitentiaire. Le Dawn précise que le mobile était doté d’une carte SIM enregistrée au Royaume-Uni.

"Omar est capable de convertir la prison entière à sa vision du monde"
 
C’est toujours en utilisant son téléphone portable qu’à la même époque Omar Sheikh monta, en collaboration avec le Lashkar-e-Jhangvi, un complot visant à éliminer l’ancien président Pervez Musharraf. L’affaire fut révélée par le quotidien de Karachi The News le 18 décembre 2008, et relayée en France par Marie-France Calle sur son blog du Figaro. Le journaliste Amir Mir rapporte : "On a retrouvé dans la cellule d’Omar, trois téléphones portables, six batteries, 18 cartes SIM de presque toutes les compagnies de téléphones cellulaires, et des chargeurs (...) On a également découvert que le terroriste (présumé) avait passé des coups de fil à d’anciens compagnons djihadistes, mais aussi à des membres de sa famille, dans l’ensemble du Pakistan, à Lahore, Karachi, Rawalpindi et Peshawar". Sans oublier ce bref appel anonyme à Musharraf lui-même : "Je suis à vos trousses, apprêtez-vous à mourir". Le meurtre de l’ancien dictateur était programmé pour la deuxième quinzaine de novembre.
 
C’est justement durant cette période, le 19 novembre, que fut assassiné Amir Faisal Alavi, un général en retraite, alors qu’il s’apprêtait à dénoncer, selon le Sunday Times, les tractations de certains officiers supérieurs pakistanais avec les taliban. L’examen de son mobile prouve qu’Omar Sheikh l’avait également appelé. On ne connaît rien de la teneur de cet appel.
 
Evidemment, on se demande comment un terroriste aussi dangereux peut se retrouver, dans sa cellule, en possession d’un tel équipement pour continuer à mener en toute tranquillité ses activités. L’article de The News offre sur ce point un éclairage étonnant : le charisme d’Omar Sheikh serait tel qu’il lui permettrait de convertir à sa cause n’importe lequel de ses gardiens de cellule. Au point qu’un roulement quotidien dut être organisé pour limiter au maximum leur temps de contact avec lui. "En fait, Omar avait déjà réussi à en imposer aux quatre policiers chargés de surveiller sa cellule les premiers temps ; quelques jours seulement après avoir été désignés à ce poste, tous s’étaient laissé pousser la barbe. Les responsables de la prison affirment que si les gardes chargés de sa surveillance ne tournent pas de manière quotidienne, Omar est tout à fait capable de convertir la prison entière à sa vision du monde", affirme Mir. 
 
Bernard-Henri Lévy, qui a été fasciné et effrayé par le personnage, et qui lui a consacré un long portrait dans Qui a tué Daniel Pearl ?, rapporte (p. 183) le témoignage de Peter Gee, un Anglais qui avait été son voisin de cellule, à New Dehli, pendant plus d’un an, à la fin des années 90. Il corrobore parfaitement ce qui précède : "Gee se souvient aussi de son charisme. Du pouvoir qu’il avait sur les autres et, notamment sur les musulmans de la prison. Est-ce que c’était sa voix ? Son regard qui vous fixait sans ciller ? Son niveau intellectuel élevé ? Le fait qu’il soit passé par la Bosnie, l’Afghanistan ? Ses exploits ? Il régnait, en tout cas. Il ensorcelait les gens. Il vivait - il était - comme une sorte de "Don", de "parrain", pour tous les Pakistanais et les Bangladais de la prison. Parfois il s’en inquiétait lui-même. Il trouvait que ce n’était pas bien de se conduire comme un chef de la mafia. A voix haute, il disait : "attention à l’ivresse du pouvoir ! l’important, c’est les idées ! les idées ! pas le pouvoir !"."
 
Les raisons de la colère
 
Comme la plupart des terroristes de premier plan, Omar Sheikh est un bourgeois, très bien éduqué, et même supérieurement intelligent. Né en 1973, "il grandit à Londres et fréquenta les meilleures écoles privées où il fut un brillant étudiant. Il étudia les mathématiques et les statistiques à l’école des Sciences Economiques de Londres. Alors qu’il était encore étudiant, il démarra avec succès une affaire de placements financiers et était aussi champion d’échec, champion de bras de fer de classe internationale et expert en arts martiaux — une combinaison rare de prouesses physiques et mentales", écrit Paul Thompson dans le portrait palpitant qu’il lui a consacré en 2003.
 
Sa vie bascula, semble-t-il, en Bosnie. Le jeune homme est profondément marqué par les horreurs de cette guerre et par le sort réservé aux musulmans bosniaques. Fin 1992, il se porte volontaire pour un travail de charité. Il demeure des doutes sur ce qu’a réellement fait Omar Sheikh en Bosnie. A-t-il combattu, comme il l’a prétendu ? Ou, tombé malade, a-t-il achevé son périple dans un hôpital croate, sans jamais atteindre la Bosnie ? "Ce qui est acquis", écrit BHL (p. 158-159), "c’est que cette prise de conscience d’un monde où être musulman est un crime et où apparaît un autre destin possible pour l’islam européen ébranle au plus profond le Britannique heureux qu’il était - ce qui ne fait pas le moindre doute, c’est qu’il y a là un étudiant modèle, un Anglais, un adolescent cosmopolite dont tout donne à croire qu’il n’avait jamais pensé son appartenance à l’univers de l’Islam et ses liens avec l’Occident comme le moins du monde contradictoires et qui bascule dans la folie en un lieu très précis".
 
Un outil
 
Dès l’année suivante, il apparaît au Pakistan en tant que membre d’un groupe militant combattant pour libérer le Cachemire. Il est alors payé par l’ISI, les services de renseignement militaire pakistanais. En 1994, il rejoint l’Afghanistan et ses camps d’entraînement, noue relation avec Al-Qaïda et devient rapidement le "fils préféré" de Ben Laden. Il participe alors à l’enlèvement de trois touristes britanniques et d’un américain en Inde, dans le but de les échanger contre des séparatistes cachemiris. Arrêté, il passe cinq années en prison à Delhi. En décembre 1999, des terroristes détournent un avion commercial indien sur Kandahar, en Afghanistan. Au terme de huit jours de négociations sanglantes (un passager est tué), les 155 otages sont relâchés en échange d’Omar Sheikh et de trois autres terroristes pakistanais détenus en Inde, dont Maulana Masood Azhar, le chef du Jaish-e-Mohammed.
 
La presse indienne et pakistanaise, parfois aussi britannique, affirmera qu’Omar Sheikh a joué un rôle important dans l’organisation des attentats du 11-Septembre. Le dernier article en date y faisant référence est paru le 12 janvier 2010 dans le Times of India. Il aurait transféré 100.000 dollars au chef des pirates de l’air sur les ordres du directeur de l’ISI Mahmoud Ahmad. La plupart des médias occidentaux n’ont pas commenté cette information, qui reste comme un immense point d’interrogation. Début 2002, il sert d’appât pour capturer Daniel Pearl. Mais, malgré sa condamnation à mort dans un procès sous très haute tension, tout porte à croire qu’il n’est pas le meurtrier du journaliste américain. On avance parfois le nom de Khaled Sheikh Mohammed. Dans son livre Un Coeur invaincu, Mariane Pearl écrit au sujet d’Omar Sheikh : "En vérité, il est seulement un maillon dans une chaîne extrêmement compliquée... En fin de compte, c’est un outil. Mais de qui ? Il devient clair qu’Omar ne sait pas où est Danny. Cela n’a jamais été son rôle. Il était l’appât."
 
Durant son procès, Pervez Musharraf réclamera ouvertement sa pendaison, influençant ainsi peut-être la cour. De quoi mettre Omar Sheikh en rage. A l’issue du verdict, il annoncera sa vengeance future : "Nous verrons qui mourra le premier. Moi, ou les autorités qui ont convenu de la peine de mort pour moi". Le 25 décembre 2003, Musharraf fit l’objet d’une tentative d’assassinat. On suspecta alors Omar Sheikh d’être lié aux deux kamikazes qui s’étaient fait sauter pour atteindre le président pakistanais.
 
Le prix du silence
 
Sans doute craint-on que Sheikh ne parle de ses liens avec l’ISI. Et peut-être aussi avec d’autres agences, si l’on en croit certaines personnalités au Pakistan, dont on ne sait si elles font de la diversion ou si elles parlent vrai. Ainsi, Pervez Musharraf écrit dans son autobiographie In the Line of Fire qu’Omar Sheikh a été initialement recruté par le MI-6, le service de renseignement britannique, alors qu’il étudiait encore à la London School of Economics. Et c’est le MI-6 qui, selon lui, l’aurait envoyé en Bosnie pour participer à des opérations jihadistes. Musharraf précise qu’à ce moment-là, Omar Sheikh "devint certainement un agent double".
 
Autre bruit que rapporte le Pittsburgh Tribune le 3 mars 2002 : de nombreux membres du gouvernement de Musharraf croient que le pouvoir de Sheikh ne provient pas tant de ses liens avec l’ISI qu’avec... la CIA. L’agence américaine l’aurait en effet payé pour qu’il l’aide à localiser Ben Laden. "Vrai ou pas, commente le journal, il aurait été logique pour la CIA de recruter un criminel politique jeune et intelligent, ayant des contacts à la fois en Inde et au Pakistan. Qu’il ait été incontrôlable n’aurait pas été un facteur de décision".
 
Si tous ses contacts étaient avérés (ISI, CIA, MI-6), on comprendrait mieux que personne n’ait intérêt à le voir trop parler, et notamment de son rôle dans les événements de 2001. Sa condamnation sans doute abusive pour meurtre pourrait alors répondre au besoin impérieux de le faire taire.
 
Même si le parallèle est sans doute abusif, on ne peut s’empêcher de rapprocher l’histoire d’Omar Sheikh, agent double, de celle de David Headley, dont nous entretenait Marie-France Calle le 20 décembre dernier : "En Inde, depuis l’arrestation de David Headley, l’idée fait son chemin, les Etats-Unis ont une part de responsabilité dans les attentats du 26 novembre 2008 à Bombay. David Coleman Headley, Daood Gilani de son vrai nom, aurait été un agent double. Il aurait d’abord travaillé pour la CIA américaine et infiltré le Lashkar-e-Taiba (LeT), un groupe djihadiste anti-indien basé au Pakistan et lié à al-Qaïda. Puis il aurait changé de camp et épousé la cause du LeT dont il serait devenu un membre actif. Il aurait participé à la préparation et à la réalisation des attentats de Bombay. Des révélations embarrassantes pour les Américains qui, du coup, restent très discrets sur "le cas Headley"."
 
Après qu’on a découvert sa responsabilité dans le hoax de Bombay, Omar Sheikh a été transféré à la prison de Karachi, plus adaptée à ce type de détenu, dans une cellule hautement sécurisée.
 

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5 réactions à cet article    


  • ETIENNE 14 janvier 2010 23:51

    Le vocabulaire est important. Qui est terroriste, qui est un resistant ? Question de perspective. Les actes terroristes des Etats occidentaux sont appelés de l’antiterrorisme. J’avoue être perdu.


    • blibgnu blibgnu 24 janvier 2010 13:30

      Très fort. Plus intelligent que Bush et Ben Laden en tout cas smiley

      Un bon article merci !


      • Diagonal Diagonal 4 février 2010 10:23

        Je ne sais pas par rapport au personnage que vous citez principalement si ce n’est pas de la propagande. Pour  David Coleman Headley, par contre, on peut deja noter que contrairement a ce que les journaux véhiculent, il n’est pas mis en cuase par le FBI, pour les attentats de MOMBAI, mais pour un presumé projet, au danemark, l’enquete est particulieresment fournie, le lierai au Laskar el Machinchouette. Le hic, en effet c’est qu’il est surtout « retenu » au USA, pour un projet au Danemark, alors qu’il devrait être interrogé par l’Inde, pour un attentat qui a fait 150 morts, et qu’il est de nationalité américaine. L’accusation contre lui au USA ne mentionne pas Monbai. Depuis septembre, les indiens se sont vus refuser, la possibilité d’interroger cet acteur, essentiel. Bien sur tout ce qui ressort dans la presse vise a montrer l’implication d’acteurs Pakistanais, c’est de bonne guerre, mais il est de plus en plus clair, qu’au dela de la propagande, la prise en main, et la protection est assurée par le terrorsime/antiterrorisme americain.


        • Diagonal Diagonal 4 février 2010 10:29

          David Coleman Headley : Ce que l’on notera c’est que la justice va vite « trancher » aux Usa ou il n’a rien fait. Et on va voir combien de temps va être necessaire pour que la police Indienne soit autorisée à l’interroger.


          • Diagonal Diagonal 4 février 2010 11:05

            dépeche en anglais

            CHICAGO, Jan. 15 (UPI) — A U.S. federal grand jury indicted three Pakistani natives in two terror-related incidents in Denmark and India.
            .....
            Headley, 49, a U.S. citizen, has pleaded not guilty but has authorized the Justice Department to disclose he is cooperating in the investigation.

            on voit tout de suite que ce type va echapper à la justice, car il travaille pour les USA, la cia ou je ne sais precisment quelle entreprise terroriste, en plus cela va etre utilisé, pour montrer que la justice civile, n’a pas a traiter les cas de terrorisme. Qui rapelons le sont de la propagande, organisée.

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Taïké Eilée

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