Hommage à Laura Antonelli : splendeur et misère d’une diva
Laura Antonelli, dont l'énigmatique et sensuelle beauté fut élevée au rang de « sex symbol » par ce film culte que représenta « Malizia », a été retrouvée morte, ce 22 juin 2015, dans son modeste appartement de Ladispoli, commune située dans la lointaine banlieue de Rome. C'est sa femme de ménage, qui lui servait aussi de garde-malade, qui l'a découverte étendue par terre, ce lundi matin, après avoir succombé, à l'âge de 73 ans, à une crise cardiaque.
Difficile d'imaginer comment cette immense star des années 70, qui fut une des icônes du cinéma italien et même international, au même titre qu'une Gina Lollobrigida ou qu'une Ornella Muti, a pu finir sa vie, seule et désargentée, recluse et quasiment indigente, abandonnée de tous et complètement oubliée, méconnaissable physiquement, en une telle misère, fût-elle existentielle, économique, sociale ou professionnelle. Il n'était d'ailleurs pas rare, confessent aujourd'hui les voisins de son immeuble, de la voir errer la nuit, seule, dans la rue, le regard perdu, les yeux hagards et les pieds nus, un peu folle. Splendeur et misère d'une diva !
Car, de la gloire à la déchéance, de la célébrité à la solitude et de la richesse à la pauvreté, sa trajectoire ressemble effectivement par bien des aspects, y compris dans sa conversion religieuse, à celle d'un dandy tel qu'Oscar Wilde, à qui j'ai consacré, il y a peu, une biographie intitulée, précisément, « Splendeur et misère d'un dandy ».
Les vicissitudes de la séduisante Laura, après qu'elle eût connu le succès planétaire, ne sont pas sans rappeler, du reste, celles du flamboyant Oscar : liaisons tumultueuses, parfois dangereuses, et passions orageuses (dont celle, pendant huit ans, avec Jean-Paul Belmondo, qu'elle rencontra sur le tournage de « Les Mariés de l'an II », film français de Jean-Paul Rappeneau), mais, surtout, les affres de la prison, à laquelle la justice italienne, en 1991, la condamna injustement pour trafic de drogue, suite à une perquisition où la police trouva chez elle 36 grammes de cocaïne (mais à usage exclusivement personnel), à une peine de trois ans et demi. Elle ne fut acquittée de cet infâme délit, mais qui précipita néanmoins son existence en enfer, que neuf ans plus tard, en 2000, et ne s'en remit donc jamais, pour finalement mourir, après une intervention chirurgicale au visage qui la défigura à jamais, dans un sordide appartement de la périphérie romaine. Un destin brisé, puis une terrible, inexorable détresse humaine !
Ainsi, si ce sont de chefs-d’œuvre tels que « L'Innocent » de Luchino Visconti (qui dit d'elle qu'elle était « la plus belle femme de l'univers »), « Passion d'amour » d'Ettore Scola, « Les derniers monstres » de Dino Risi ou, encore, « Péché véniel » de Salvatore Samperi (celui-là même qui réalisa « Malizia ») dont on se souviendra tout d'abord en pensant à Laura Antonelli, c'est bien plus, encore, à un film au titre aussi tragiquement prémonitoire que « Comment suis-je tombée si bas ? », du grand Luigi Comencini, que l'on se référera peut-être, en premier lieu, pour qualifier sa propre et douloureuse vie.
Quant à l'image qui évoquera très certainement le mieux, et pour toujours dorénavant, l'envoûtante mais mystérieuse beauté de Laura Antonelli, c'est, à n'en pas douter, l'affiche d'un film tel que « Ma femme est un violon », de Pasquale Festa Campanile, où on la voit poser presque nue (en lingerie fine) de dos, les hanches parfaitement dessinées, comme sortant tout droit d'un célèbre cliché de Man Ray, autre sulfureux mais génial dandy.
Enfin : les derniers mots de cette âme tourmentée que fut Laura Antonelli, lorsque l'un de ses rares amis (le comédien Lino Banfi) écrivit aux autorités italiennes, il n'y a guère si longtemps, afin de les alerter de pareille misère existentielle, et qu'on lui octroyât donc une pension un peu plus digne, sinon de son rang, du moins de sa personne ? Les voici, gravés au cruel fronton de la désespérance : « La seule chose que je veuille désormais, c'est que l'on m'oublie ; la vie terrestre ne m'intéresse plus » !
Un vœu pieux, paradoxalement, cet ultime souhait, fût-il en forme de « Miserere ». Car, de fait, la talentueuse mais surtout estimable Laura, par sa liberté tout autant que son humilité, par son dépouillement même, quasi christique à la fin de sa vie - réfugiée dans la prière et accueillant la foi telle une sorte de rédemption, elle n'écoutait plus que des messes polyphoniques -, est assurément inoubliable.
DANIEL SALVATORE SCHIFFER*
*Philosophe, auteur de « Oscar Wilde - Splendeur et misère d'un dandy » (Éditions de La Martinière), ainsi que de « Oscar Wilde » et « Lord Byron », livres publiés tous deux chez Gallimard (coll. « Folio Biographies »).
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