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Soudan : la passivité coupable du monde, ou le triomphe de Machiavel

« Depuis deux ans, le conflit du Darfour a fait 250 000 morts (200 000 de maladies et d’épidémies, et 50 000 tués - fusillés, poignardés, brûlés) et 2,4 millions de déplacés », c’est le constat dressé par la commission d’enquête de l’O.N.U en mars 2005. La communauté internationale a depuis continué à faire preuve d’une quasi-indifférence, se contentant de déclarations de principe.

Alors que cette même commission préconisait des sanctions économiques et diplomatiques à l’encontre de Khartoum, rien de véritablement concret ou significatif n’a été réalisé. Certes, l’aide humanitaire a afflué au Tchad voisin pour accueillir les centaines de milliers de réfugiés parvenus à échapper aux janjawids, les milices arabo-islamiques, mais celles-ci ont pu continuer en toute impunité, et avec la complicité du gouvernement soudanais, viols, massacres et pillages sur les populations noires, que celles-ci soient chrétiennes, animistes ou musulmanes. Ces mêmes milices sont également suspectées d’être derrière les "brigands" qui attaquent continuellement les convois humanitaires traversant le pays.

Lors de la réunion du conseil de sécurité de septembre dernier, la communauté internationale a pourtant réaffirmé "sa responsabilité de protéger" les populations d’un pays où le gouvernement ne remplit pas ce devoir essentiel vis-à-vis des citoyens. John Bolton, ambassadeur des États-unis, a d’ailleurs laissé échapper sa colère à cette occasion, en refusant que l’O.N.U. dépêche sur place une énième commission d’enquête afin de rédiger un énième rapport. L’ambassadeur français Jean-Marc de la Sablière s’est, quant à lui, "plaint" de l’attitude américaine, et a rejeté l’option d’une intervention militaire au Soudan ; il a été rejoint sur ce point par ses homologues chinois et russe.

Une action armée risquerait en effet de nuir aux intérêts de ces trois pays ; qu’importent les pertes civiles. Rappelons par exemple que Total a obtenu en 2003 une concession pétrolière de 120 000 km², ou encore qu’ Alstom a remporté, la même année, un contrat de 257 millions d’euros dans le cadre de la construction du barrage de Mérowé. La Chine, quant à elle, au travers de PetroChina, est l’un des plus importants exploitants des ressources pétrolières soudanaises. Que dire des contrats d’armement signés par la Russie et la Chine avec le régime de Khartoum en pleine crise humanitaire ?

C’est ce qu’on appelle la realpolitik, ou encore la primauté de la raison d’État sur toute autre considération, même humanitaire. Il apparaît en effet rationnel qu’un État prenne les positions politiques qui sauvegardent et favorisent au mieux ses propres intérêts, tout en présentant si possible au monde un visage humain, ou presque. Cette conception toute machiavélienne est le fondement de la géopolitique depuis l’aube des temps. Il peut être intéressant de rappeler que c’est justement ce que les intellectuels et les médias européens, notamment français, avaient reproché aux États-unis lors de l’invasion de l’Irak. Tous ces partisans humanistes de la pensée morale oublient le fait que leur propre gouvernement cautionne la politique raciste du régime soudanais alors que, parallèlement, ils n’hésitent pas à dénoncer la politique "impérialiste" et "meurtrière" de l’Amérique.

Contrairement à ce que prétend la doxa, l’objectif premier des Américains en chassant Saddam Hussein du pouvoir n’était pas d’assurer leur mainmise sur les ressources irakiennes en hydrocarbures, mais bel et bien d’établir un régime démocratique dans le pays. Cela, bien sûr, parce que la présence d’un tel régime au cœur d’un environnement totalitaire et hostile sert leurs intérêts dans cette région stratégique du globe. De même leur implication dans les révolutions démocratiques qui ébranlent les anciens satellites de l’U.R.S.S. est-elle motivée par des intérêts nationaux évidents : accroître l’influence des États-unis, tout en diminuant celle de la fédération russe.

Beaucoup critiquent aujourd’hui le messianisme du président Bush, nos intellectuels se gaussent de cet homme qui croit sincèrement que sa mission est de répandre dans le monde les vertus de la démocratie, cela tout en recherchant, bien entendu, à sauvegarder au mieux les intérêts de son pays. Mais où est le mal ? Le tort de M. Bush est-il de croire qu’on peut mêler morale et géopolitique ? Peut être est-ce cela que nos élites ont du mal à supporter chez cet homme, et qui les pousse à le mépriser, voire à le haïr (lire à ce sujet ce post de M. Ludovic Monnerat). Ce qui devrait au contraire alarmer les élites européennes est le fait que le comportement de leur pays se rapproche en de nombreux points de celui d’États anti-démocratiques tels que la Russie ou la Chine. Où est donc la différence, au niveau de la politique étrangère, entre ces deux États et leurs homologues du "monde libre" ?

Après tout, par définition, une démocratie n’est caractérisée que par le "pouvoir du peuple", et non par de quelconques préocupations humanistes dans sa politique extérieure. Peut-être que M. Bush est en effet un illuminé croyant qu’ idéaux et intérêts peuvent coïncider. Néanmoins, cette illusion me paraît suffisamment séduisante pour qu’on s’y intéresse.

L’échelle de la géopolitique est bornée par deux extrêmes, la morale et le rationalisme, l’idéalisme utopique d’un côté, et le machiavélisme (au sens pur) de l’autre. La première conduit inéluctablement au désastre, la seconde à la perte de l’âme d’un pays qui se revendique comme démocratique. Il revient à chaque État de choisir sa position sur cette échelle, et d’en assumer les conséquences. Les États-unis de M. Bush ont fait leur choix, à nous de faire le nôtre.


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1 réactions à cet article    


  • Robert Dialo (---.---.69.18) 9 janvier 2006 12:55

    La conscience du Quai d’ Orsay a un prix , malheureusement au dessus des moyens des malheureux Noirs du Darfour . A propos ! Le bouillant Dieudonné ne s’ emeut pas non plus sur le sort de ses frères noirs quand ce sont des Arabes qui les massacrent .

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Xanadu


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