Puerta del Sol : La jeunesse espagnole est « un boxeur frappant dans le vide »
Après les révoltes du monde arabe, du Caire à Tunis en passant par Barhein, c’est au tour de la jeunesse espagnole de descendre dans la rue. Cette jeunesse, touchée de plein fouet par la rigueur imposée à son pays par les marchés, occupe actuellement la Puerta del Sol à Madrid, dans un juste parallèle avec la place Tahir du Caire. Indignations contre le chômage, contre les partis politiques aussi.
![](http://www.agoravox.fr/local/cache-vignettes/L300xH219/article_indignados-e0ca7.jpg)
Seulement voilà, si les indignados ont toutes les raisons d’occuper la rue et de protester contre leurs gouvernants, la situation est on ne peut plus floue par rapport à celle qui prévalait dans les pays arabes avant leur explosion. En Egypte et en Tunisie, par exemple, les responsables étaient facilement identifiables. Le clan Ben Ali ou Moubarak régnait alors en tyran dévoilé, et pouvait rappeler la situation de 1789 en France : le Roi et la Noblesse contre le Tiers-Etat. Dans cette configuration, tout devient beaucoup plus simple lorsque l’on met des noms et des visages sur l’ennemi que l’on combat. Une lutte verticale tout ce qu’il y a de plus classique.
Cependant, l’Espagne et les pays européens ne peuvent malheureusement pas en dire autant. En Occident, paradis de l’ultralibéralisme forcené, la Banque et le Marché ont, depuis longtemps, subtilisé le pouvoir à l’Etat. Ce pouvoir transnational, illégitime et non-élu, dicte ses règles et ses lois en s’asseyant sur la souveraineté des peuples avec une facilité déconcertante. Le pouvoir est réparti, invisible et difficilement identifiable, pendant que le bipartisme gauche-droite illusoire entretient un semblant de démocratie.
Bien-sûr, nos gouvernants usent de moyens plus subtils et beaucoup moins primaires que les tyrans d’Orient. On laisse les manifestations s’essouffler, on use de démagogie et de promesses. Au final, chacun rentre chez soi, las de crier dans le vide, se réconfortant en se disant que malgré tout, la gamelle sera pleine ce soir. Comment se révolter efficacement quand le pouvoir qui nous domine est à Wall Street, à Bruxelles, à Washington ? Personne n’y comprend plus rien, les souverainetés nationales sont piétinées par le grand Capital apatride dans l’impunité la plus totale.
« L'Argent est un monarque volatile, désinvolte et méprisant »
La tâche des indignados madrilènes est donc des plus ardues. Comme l’a justement rappelé Eric Zemmour dans l’une de ses chroniques RTL, le « romantisme révolutionnaire a besoin de tyrans, de répression, de morts exemplaires à venger ». Or en Europe comme en Espagne, cette révolution est introuvable, volontairement introuvable. Les Espagnols, de par leur dénonciation des partis politiques en général, semblent comprendre que « la démocratie est un jeu de dupes, puisqu'au-dessus du pouvoir politique, au-dessus de la droite et de la gauche, au-dessus du peuple même, prétendu souverain, il y a ces marchés qui imposent leurs lois rigoristes au nom de l'argent qu'ils prêtent, ou ne prêtent pas. Des marchés anonymes, lointains, insaisissables ».
Même une fois cette prise de conscience effective, il reste malgré tout extrêmement difficile de retrouver sa liberté dans la mesure où personne ne sait qui la détient en otage. Le tyran devient un Mal sans nom et sans visage. « Plus de Roi qu'on peut emprisonner ou guillotiner, plus de 200 familles qu'on peut identifier et chasser, plus même de fortune qu'on peut saisir et confisquer » constate le chroniqueur avant d’en remettre une couche : « l'Argent est un monarque volatile, désinvolte et méprisant, qui joue à saute-frontières en un clic d'ordinateur. (...) Il rit de ces manifestations qui sont comme des boxeurs frappant dans le vide ».
Comment alors sortir vainqueur d’une lutte où l’on est le seul à user de son énergie ? A en voir les milliers de manifestants de la Puerta del Sol à Madrid, on reprend espoir en se disant que l’esprit révolutionnaire qui a parcouru le monde arabe ces derniers mois arrive aujourd’hui en Europe en passant par l’Espagne, suivant la route que les conquérants sarrasins avaient autrefois ouvert. Mais, au regard des faits, de la subtile complexité du monde occidental, le pessimisme reste de mise.
Les Nations occidentales pourraient-elles, elles aussi, reprendre leur souveraineté des mains des tyrans masqués, transnationaux et apatrides qui les dominent ? Le cas espagnol pourrait bien s’improviser en laboratoire d’essai, nous permettant ainsi de prendre la température révolutionnaire du peuple européen.
Christopher Lings ( Le bréviaire des patriotes )
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