La Turquie prête pour l’Europe ? Premier volet : la bureaucratie
La Turquie sonne avec insistance aux portes de l’Europe pour son adhésion. Mais est-elle réellement prête ? Témoignages de la situation actuelle en Turquie.
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Le 3 octobre 2005, l’Europe a accepté dans la douleur de
débuter les pourparlers avec la Turquie, pour une éventuelle adhésion en son
sein. Jamais l’entrée dans l’UE d’un pays n’avait autant suscité le débat. Les
reportages, les débats, les articles et les livres se ont proliféré. Cette
effervescence a été relativement mal vécue par le peuple turc, et notamment par
les immigrés d’origine turque. De récents articles, parus dans un quotidien turc, Zaman,
donnaient la parole aux Turcs de France. L’incompréhension et les rancœurs sont
grandes.
Français d’origine turque, je vis actuellement en Turquie pour
raison professionnelle. Né en France, pur "produit" du système
français, fier d’être Français, je souhaite par mes articles donner un aperçu
objectif du quotidien en Turquie.
Après l’instauration de la République de Turquie en 1923, par Mustafa
Kemal, dit Ataturk, la bureaucratie a pris une importance
considérable dans la gestion quotidienne de toutes les activités du pays.
Celle-ci a été, dans le contexte de l’époque, calquée sur l’organisation et la
gestion militaires. Depuis, rien ne semble avoir changé. Cette gestion suppose
que tout document doit être validé au sein d’un même service par au moins trois
employés de grades croissants.
Cette bureaucratie est lourde, et semée d’impasses. Un document
administratif, pour qu’il soit validé, doit être consulté et signé par plusieurs
fonctionnaires de grades différents, en général trois, et surtout enregistré
chez un notaire. La demande d’une inscription dans un registre demande la
fourniture d’un nombre toujours important de documents.
La lourdeur administrative est telle qu’elle dissuade souvent la
population la moins instruite d’effectuer des démarches. De plus, il n’est pas rare
d’être confronté à des demandes qui sembleraient aberrantes en France. Par
exemple, ayant besoin d’un certificat de résidence délivré par la mairie,
document indispensable pour l’ouverture du gaz, le maire m’a demandé de rédiger
une lettre manuscrite demandant mon inscription comme résidant dans la ville où
je m’installais. Cette lettre devait être ensuite validée par la
sous-préfecture. Elle a été cachetée et signée par trois fonctionnaires, dont le
sous-préfet. Puis, il a fallu faire de même à la sûreté urbaine, où une
secrétaire et le directeur-adjoint ont apposé leur signature. Enfin, le
commissaire du quartier a confirmé par son cachet la conformité des
signatures des précédents fonctionnaires. C’est alors que j’ai obtenu mon
certificat de résidence.
Jeune ingénieur en électronique, Ibrahim D., d’Ankara, me confiait
que cette lourdeur administrative avait ses raisons : elles sont triples.
La première est la lutte contre l’usage assez répandu de faux documents
administratifs. La seconde est la prévention des pots-de-vin dans les services
publics. La troisième est la nécessité d’occuper un nombre (trop) important de
fonctionnaires. Il concluait en affirmant que « de toute façon l’État turc
ne fait pas confiance à sa population, et c’est pour cela que l’administration complique
tout ».
Un des reproches des membres de l’Union Européenne à la Turquie
est l’omniprésence de l’armée dans les affaires de l’État. Ceci est un fait.
Mais le schéma militaire est bien plus ancré qu’on ne le pense : c’est le
modèle militaire qui est actuellement appliqué dans l’administration.
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