L’Economie sous le feu du Nobel
L’économie devait subir les contre coups de ... l’Économie. Le Prix Nobel de l’Économie devait être attendu au coin de la réflexion cette année après la crise qui a failli faire imploser notre monde par l’effet domino.
Il s’agit d’américains, une femme (pour la première fois) Elinor Ostrom et Oliver Williamson pour leurs travaux sur la gouvernance économique. Ils n’étaient pas dans la liste des candidats préssentis.
Ce 12 octobre, le Prix Nobel de l’Économie est tombé... en retard sur l’horaire.
Ce prix cloturait comme toujours les Nobel. Il n’existait, d’ailleurs, pas dans les projets d’Alfred Nobel. Pas de Nobel des mathématiques, non plus. En 1969, il est créé sur les recommandations du Gouverneur de la Banque de Suède, la plus ancienne banque centrale du monde. Derrière elle, très certainement, une envie de mesurer cette économie pour l’améliorer et pour rechercher les meilleurs moyens, les plus performants d’augmenter, toujours plus, la compétitivité, au besoin avec cynisme.
Cette fois, on l’attendait, ce prix de l’Économie, si pas avec impatience, avec beaucoup de curiosité. L’histoire officielle récente a secoué les habitudes et la routine. Les questions étaient nombreuses. Allait-on ronronner comme d’habitude ? Allait-on connaître les moyens d’éviter une nouvelle crise ou faire fondre les grandes disparités de notre monde par des formules "savantes" de solidarité ? Comment sortir des exceptions alors que tout est prévu pour les protéger comme les paradis fiscaux ?
Il fallait changer les idées et les conclusions, souvent prises dans les périodes d’euphories jusqu’en mi-2008. C’était sûr.
Le Nobel de la Paix n’a peut-être jamais été aussi proche ou même intégré à celui de l’Économie.
Qu’est ce qui fait un Nobel de l’Economie ?
Dans mon article, "Et la raison fut", de l’année passée, je reprenais quelques constatations et erreurs du processus de modélisation qui n’étaient pas adaptés aux réalités plus complexes. Mettre le futur en formules s’est montré très hasardeux. Faute de paramètres oubliés ou mal interprétés par leur importance, on arrive parfois à "adoucir" des courbes graphiques de l’évaluation des risques. L’effet levier et l’effet domino passent souvent au second plan des réalités. Le modèle brownien sous-estime complètement ces effets vitaux analogiques et par là, humains, totalement en dehors de la relation avec le numérique. Se baser sur le jeu, pour parallèle, comme cela l’a été fait, pouvait donner des surprises que l’on n’oublie pas quand on perd et fait rêver quand on gagne.
L’Economie n’est pas une science. Elle passe très vite du rationnel à l’irrationnel.
Le prix de 2008 par Paul Krugman prêterait à sourire. Paul Krugman analysait la mondialisation des capitaux et de la main d’œuvre. Je rappelais ce détail : cet économiste de gauche n’hésitait pas à dire : "Croire qu’il suffit d’aligner la rigueur budgétaire, l’orthodoxie monétaire, la logique antiétatique pour conduire au succès économique, tient de l’hérésie". Cela a, plutôt, un goût de réchauffé aujourd’hui.
Si on remonte à 2003, ce n’est plus sourire mais franchement rire des théories de Robert Engle et de Clive Granger qui étaient récompensés par le prix Nobel de l’Économie grâce à leur analyse sur la fiabilité des prévisions économiques. LOL.
Joseph Stiglitz avec son "nouveau keynésianisme" a reçu le prix en 2001 et reste écouté, encore aujourd’hui, avec beaucoup d’attention mais plus comme un Messie que comme un rêveur socialisant. L’économie du développement par l’obtention de l’information et par son traitement ne suffit plus. Le salaire de l’efficience pour optimiser le profit n’est plus respecté ni dans un sens ni dans l’autre. Pas plus d’ouvertures entre le haut et le bas de l’échelle des valeurs au niveau mondial.
Quels étaient les candidats, cette fois ?
Ce n’est pas comme les prédicateurs tel Nouriel Roubini qui avait lancé la sonnette d’alarme en premier, qui apporterait la solution miracle. Il fallait rester positif et pas se transformer en Cassandre dès les premiers signaux qui pouvaient être aussi mal argumentés ou trop liés à la boule de cristal. Il faut apporter des raisons, des corrections, des solutions, construire et pas seulement détruire.
Ernst Fehr et Matthew Rabin suivaient l’économie comportementale avec la psychologie et la sociologie comme fil rouge.
William Nodhaus et Martin Weitzman faisaient la relation entre l’économie et les changements climatiques.
Récompenser pour la remise en cause des modèles dominants pouvait s’imaginer.
Jean Tirole, Robert Shiller sont dans la veine de Krugman en généraliste de l’économie.
Tony Atkinson pourrait-il tirer des conclusions efficaces sur la seule question des inégalités ?
Le capitalisme et le libéralisme ont, tous deux, été montrés comme les responsables de la chute vertigineuse de nos économies. Toute la planète a subit une hécatombe de crises successives : immobilières, bancaires, financières, commerciales, sociales et j’en passe. Reprendre des vieux trucs du passé, Plan Marshall, New Deal, Bretton Woods, ne permettent pas, sans une réactualisation, bien adaptée aux réalités d’aujourd’hui, d’assurer la réussite.
Combler les trous, les déficits en catastrophe pour ne pas plonger corps et biens, a été la solution "save", mais toujours a posteriori , réactive plutôt que proactive avec véritable plan de bataille dans le parfait accord mondial. La plupart des crises qui feraient sombrer l’ensemble, sont passées. C’est le moment d’analyser, de synthétiser pour espérer des ajustements et un avenir plus radieux. On reparle même de pertes de valeurs morales plutôt que financières auprès des jeunes qui ne voient plus l’argent comme une source de bien être mais comme une pierre qui fait sombrer le bateau corps et biens. Les problèmes écologiques ont aussi apporté une impression de mauvaise conscience.
Comment tout changer, sans tout bouleverser et revenir à la case départ ?
Modéliser les corrections au "système" pour supprimer un risque d’une autre crise encore plus désastreuse ?
Les modèles en économie ne sont pas une affaire de modes. Il a ses principes et règles.
Mais, l’économie réserve des surprises qui n’obéissent jamais totalement au passé. Alors...
Et si je reprenais un billet de l’année passée de Paul Hermant, journaliste à la RTBF, qui avait cette chronique philosophique, il y a déjà un an et qui rassemblait les événements avec une vision décalée mais qui ne pouvait pas voir avec la distance du temps :
"Il est question du présent qui n’est jamais actuel, du passé qui vient trop tard et du futur qui arrive trop tôt…Cette question revient de savoir pourquoi, nous autres qui sommes gens postmodernes, sommes tellement désireux de disqualifier notre passé, de le flétrir, de l’abîmer. .... Tout se passe comme si nous avions besoin de rendre notre passé suspect — comme si nous n’avions pas vécu ce que nous avions pourtant cru vivre — pour nous convaincre que l’avenir est décidément plus vivable que ce que l’on nous dit et que tout ce qui est annoncé aujourd’hui à son propos est sujet à caution. Il est vrai que nous allons sur ces questions de dates butoirs en dates butoirs. Et l’on ne peut s’empêcher en égrenant ces échéances ... de nous rendre malgré nous à une sorte de millénarisme consenti car voilà : nous en sommes aujourd’hui à programmer une fin tous les jours, le pétrole, les abeilles, l’archipel de Tuvalu, etc…De sorte que dans cette querelle entre un passé indésirable et un futur non désiré, c’est finalement le présent que nous ne voyons plus. Nous n’avions pas vu, par exemple, que les banques étaient une espèce menacée de disparition."
"Le Nobel a une jeunesse éternelle" constatait mon journal. Qui dit jeune, dit malléable. Rien d’immuable, donc, derrière des formules. Si à la foire, nous aimons tout ce qui augmente l’adrénaline, nous aimons le suspense, à être surpris, il ne faudrait pas pousser trop loin cette envie. Tous n’y survivraient pas.
On est bien loin de la solution humoristique de Raymond Devos "Si on veut avoir un peu d’argent devant soi, il faut le mettre de coté".
Si, avant hier on disait, "Rien ne se perd, rien ne se crée". Hier, "Tout évolue, tout change, tout se déplace". Aujourd’hui, on constate, après coup, que changer, c’était surtout de poche.
La gouvernance méritait une analyse plus fine dans tous les domaines de son pouvoir.
La méfiance envers l’Économie augmentait car elle décevait.
Derrière cette méfiance, certains se nomment désormais "objecteurs de croissance".
L’Enfoiré,
Citations :
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« Le prix Nobel, c’est une bouée de sauvetage lancée à un nageur qui a déjà atteint la rive. », George Bernard Shaw
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« Se donner du mal pour les petites choses, c’est parvenir aux grandes, avec le temps. », Samuel Beckett
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« Un prix Nobel a décrit le bonheur comme étant l’accomplissement de plus que ce que vous n’étiez en droit d’espérer. », Anonyme
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