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Francis Mer, un grand patron en incursion dans le monde politique

« L’irruption de "l’intelligence artificielle" qui va la caractériser dans tous les processus de la vie privée et professionnelle va (…) se traduire par d’importants changements qui laisseront au bord de la route ceux, individus comme collectivités, qui ne sauront pas, ou ne voudront pas, les accepter comme des changements inéluctables mais riches d’autres potentialités. » (Francis Mer, le 18 février 2014).

Succéder à Laurent Fabius et être suivi par Nicolas Sarkozy : avoir une telle carte de visite, dans un poste prestigieux, l'un des plus importants de l'État, successeur d'un ancien Premier Ministre et prédécesseur d'un futur Président de la République, cela doit être un responsable politique de premier plan. Eh bien non ! Il s'agissait d'un non-politique, ce qu'on dit pompeusement (et avec inexactitude) quelqu'un de la "société civile" (comme si les professionnels de la politique étaient des militaires), il s'agissait de Francis Mer, "capitaine d'industrie" comme on le dit tout aussi pompeusement, qui est mort à Bourg-la-Reine le mardi 31 octobre 2023 à l'âge de 84 ans (il est né à Pau le 25 mai 1939).

Effectivement, Francis a été nommé Ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie dans les deux premiers gouvernements de Jean-Pierre Raffarin, du 7 mai 2002 au 30 mars 2004, au début du second mandat présidentiel de Jacques Chirac. Ce n'est toutefois pas dans ces fonctions qu'il a le plus brillé, mais dans les fonctions de grand patron de la sidérurgie française.

Diplômé de Polytechnique et ingénieur en chef du corps des Mines, Francis Mer a fait partie des chefs de grandes entreprises emblématiques de la France industrielle. Dans le groupe Saint-Gobain où il a travaillé de 1970 à 1986, il était en charge du plan, puis directeur général de Saint-Gobain Industries en 1974, directeur général adjoint du groupe Saint-Gobain en charge de la politique industrielle en septembre 1978, et président-directeur général de Pont-à-Mousson SA (une filiale du groupe Saint-Gobain) en juillet 1982.

En septembre 1986, le gouvernement de Jacques Chirac a procédé à la fusion des deux groupes sidérurgiques Usinor et Sacilor (dont l'État était actionnaire) et a fait appel à Francis Mer pour diriger le nouveau groupe. La nouvelle gestion a permis de retrouver des bénéfices en 1988 après quatorze années de pertes, mais au début des années 1990, les pertes sont revenues. En juillet 1995, le gouvernement a privatisé Usinor-Sacilor et Francis Mer fut choisi pour présider le conseil d'administration d'octobre 1995 à mai 2002 de ce qui allait devenir Arcelor, le numéro un mondial de l'acier. Francis a alors réduit de plus de la moitié les effectifs pour permettre au groupe de survivre à la crise internationale, en négociant avec les syndicats un pacte pour réinsérer les salariés en partance.

À partir de la fin des années 1980, Francis Mer a dominé le secteur de la sidérurgie française, en prenant notamment la présidence de la Fédération française de l'acier à partir de 1988, en présidant aussi Eurofer (l'association des producteurs d'acier européens) entre 1990 et 1997, l'International Iron and Steel Institute entre 1997 et 1998, etc. En qualité de patron d'un grand groupe, Francis Mer a également présidé le conseil d'administration du CNAM (Conservatoire national des arts et métiers) entre 1989 et 1997.

Arrivé à Bercy avec la réélection de Jacques Chirac dans des circonstances particulières (Jean-Marie Le Pen au second tour), Francis Mer n'a jamais su se mettre à la place du politique et restait encore patron dans l'âme, au point que dans un conseil des ministres, il a commencé une intervention en disant : "Nous, les patrons, nous disons que..." ! Il n'était plus patron, mais ministre, et à ce titre, il devait prendre en compte des considérations politiques. Ce qui lui a valu quelques gaffes (de néophytes).

L'une des premières tâches de Francis était le grand écart entre la réalité économique et financière du pays et les considérations politiques. Quand il est entré à son ministère, Francis Mer répondait le 12 juillet 2002 au journal "Les Échos" à la question de la baisse des impôts : « Au risque de vous décevoir, non ! Cela me paraît trop rigide. (…) Nous vivons dans un monde imprévisible et il vaut donc mieux conserver un maximum de souplesse. ». Il fut démenti par le Président de la République Jacques Chirac dès le 14 juillet 2002 : pour ce dernier, une promesse électorale devait engager son gouvernement, surtout avec l'envolée de l'extrême droite. Pendant la campagne présidentielle, il avait promis une baisse de 30% des impôts sur cinq ans, et 5% dès 2003 : il la réaliserait donc et tant pis pour son ministre trop prudent et pragmatique !

À Bercy, Francis Mer a fait beaucoup de réformes économiques, il a défendu la loi sur la transparence financière, modifié le code des marchés publics, réformé la méthode pour fixer le taux du livret A (en la déconnectant du politique). Il assura l'entrée des grands groupes publics dans le marché européen dans le cadre de l'ouverture à la concurrence. Ainsi, il a privatisé Renault, France Telecom et Air France et a créé l'Autorité des marchés financiers (AMF).

Mais les préoccupations politiques de la majorité ont emporté Francis Mer : après l'échec des élections régionales de mars 2004, Jean-Pierre Raffarin (qui avait été battu par Ségolène Royal dans le Poitou-Charentes) a formé un nouveau gouvernement en nommant Nicolas Sarkozy à Bercy, permettant de l'évincer du stratégique Ministère de l'Intérieur revenu à Dominique de Villepin.

Après son aventure ministérielle, Francis Mer a laissé entendre (selon une indiscrétion du journal "Les Échos") le 18 avril 2005 qu'il allait se porter candidat à la présidence du Medef en association avec Guillaume Sarkozy (frère du futur Président de la République), vice-président du Medef et président de l'Union des industries textiles de 2000 à 2006 (Guillaume Sarkozy a été vice-président du CNAM de 2004 à 2005). Ce duo pouvait être cohérent (même si le Medef n'élisait qu'une seule personne) d'autant plus que Francis Mer représentait les très influentes industries sidérurgiques. Cependant, leur campagne était poussive et ils n'ont pas réussi à convaincre les patrons pour la succession d'Ernest-Antoine Seillère.

Finalement, Francis Mer a renoncé à sa candidature le 15 juin 2005 avec quelques regrets étonnés dans une interview au journal "Le Monde" : « N'ayant pas le sentiment d'être le bienvenu, je ne souhaite donc pas compliquer les choses quant à l'élection d'un futur président (…). Je n'ai pas été considéré, ce qui m'a surpris, comme quelqu'un qui pouvait apporter une certaine valeur ajoutée à l'association qui représente les entreprises françaises. Visiblement je suis perçu comme un empêcheur de tourner en rond. Ce n'est pas la peine d'insister ! ». Il faut dire que les patrons souhaitaient probablement être indépendants du pouvoir, même s'ils en étaient proches, et dans ce duo, l'un était le frère du président du parti majoritaire et Ministre de l'Intérieur et l'autre avait été Ministre de l'Économie et des Finances de la même majorité. Laurence Parisot, présidente de l'IFOP, fut élue présidente du Medef (la première femme) le 5 juillet 2005 avec 53,6% des voix.

Francis Mer est devenu en 2005 membre du directoire de Vale Inco, un géant mondial du nickel et du platine (groupe canadien), et en janvier 2011, président du conseil de surveillance du groupe Safran puis vice-président du groupe Safran à partir d'avril 2011 (après le changement de gouvernance du groupe, passage du directoire à conseil d'administration).

Francis Mer a par ailleurs mené beaucoup de prospective et de réflexion sur l'économie : d'octobre 2004 à juin 2005, il a présidé le conseil de surveillance de Fondapol (Fondation pour l'innovation politique, un laboratoire de recherches fondé en avril 2004 par Jérôme Monod et dont le directeur général est Dominique Reynié depuis 2008 et l'actuel président Nicolas Bazire depuis 2009) ; il a présidé aussi le Comité d'évaluation des stratégies ministérielles de réforme. De plus, en 2009, Francis Mer a fondé et animé la Fondation Condorcet Paris-Dauphine, considérée comme un laboratoire d'idées au service de la performance des entreprises. À cet égard, il estimait le 6 juin 2014 que la clef de la réussite résidait dans la mobilisation de toutes les ressources présente dans chaque entreprise : « Le schéma traditionnel, patron décideur, salarié exécuteur, débouche sur l'immobilisme (…). La confiance dans les capacités de l'autre est à la base du progrès. Et les collaborateurs détiennent des trésors de compétences qui restent inemployées parce qu'on a pris l'habitude de les réduire à leurs diplômes. ».

Dans une tribune antérieure, le 18 février 2014, il imaginait les enjeux à venir dans la gouvernance des entreprises et les limites de la société française : « Le moment est grave car les limites de la solidarité librement consentie sont atteintes, la révolution de l’information en route va continuer à détruire beaucoup d’emplois traditionnels et les responsables de l’intérêt collectif que sont les élus politiques sont de plus en plus déconnectés du monde "réel". (…) LE nouveau système donnant à chacun sa chance : dans un monde ouvert à toutes les informations, tous les modes de pensée, tous les échanges instantanés, il serait utopique de prétendre seul (moi État, moi Patron) être capable de maîtriser suffisamment la "situation" pour trouver LA "solution". Ce n’est qu’ensemble, au niveau de la communauté de travail de base qu’est l’entreprise, que cet effort d’imagination et de réflexion a quelques chances de se traduire concrètement par l’amélioration de performances dont elle a besoin pour se donner l’envie de continuer à construire son changement. (…) La relation entre les classes "dirigeantes" et la "masse des travailleurs" continue à s’inspirer d’une culture historique pluricentenaire privilégiant la hiérarchie qui "sait" et qui a le devoir de "protéger" les acteurs anonymes en contrepartie de leurs prestations obéissantes et passives, y compris par un code du travail envahissant. Cette caractéristique française n’est plus opérationnelle aujourd’hui au moment où la double révolution de la libération des personnes et de l’explosion des connaissances rend obsolète tout modèle fondé sur le contrôle et la rareté du savoir. Il risque même de se transformer en handicap si ce système d’organisation n’évolue pas rapidement pour libérer les initiatives car il poussera une part croissante des jeunes générations à "chercher fortune" ailleurs en profitant de cet acquis majeur qu’est la liberté de chacun de s’accomplir lui-même. ».

La disparition de Francis Mer a évidemment ému tout le monde économique mais aussi politique et en premier lieu le Président de la République Emmanuel Macron, promoteur de la start-up France, qui a exprimé le 3 novembre 2023 cet hommage : « Avec sa disparition, la France voit s'éteindre une figure emblématique de son paysage industriel, qui avait, tout au long d’une riche carrière, allié son esprit entrepreneurial à la quête du bien commun. (…) Incarnant les talents de la société civile au sein du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, il y importa son approche d’industriel, toute à la fois pragmatique et soucieuse d’une vision de long terme. Francis Mer, ingénieur au franc-parler tranché et au pragmatisme trempé, devint un ministre soucieux d’ordre budgétaire, d’attractivité, de libertés pour les chefs d’entreprises au service de l’emploi et de l’innovation. (…) Francis Mer était un homme d’industrie, de valeurs et d’engagement. Sa personnalité et son parcours (…) marquèrent notre économie, la vie des entreprises et celle des idées. ».


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (03 novembre 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Francis Mer.
Jérôme Monod.
Jacques Attali.
George Soros.
Silvio Berlusconi.
Michel-Édouard Leclerc.
La France des investissements productifs félicitée par Emmanuel Macron.
Faut-il encore polémiquer sur le RSA ?
Virginie Calmels.
Bernard Arnault.
Georges Chavanes.
Serge Dassault.
Thierry Breton.
Stéphane Soumier.
Elon Musk.
Jeff Bezos.
Donald Trump.
Anatoli Tchoubaïs.
Ravil Maganov.
François Perigot.
Alain Minc.
Jean Gandois.
Yvon Gattaz.
Bill Gates.
Carlos Ghosn.
Olivier Dassault.
Albin Chalandon.
Bernard Tapie.
Le Black Friday.

_yartiMerFrancis04
 


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6 réactions à cet article    


  • charlyposte charlyposte 13 novembre 2023 13:29

    J’adore les feux sans l’aide des pyromanes aux ordres.


    • zygzornifle zygzornifle 13 novembre 2023 14:07

      C’est pas la Mer a boire s’écriât le Francis ...


      • charlyposte charlyposte 13 novembre 2023 14:34

        @zygzornifle
        Il vient de Twitter : touche pas à ma mer dans laquelle je suis comme un poisson qui doit se battre comme un buffle contre une pêche intensive légalisée ! smiley


      • chantecler chantecler 13 novembre 2023 16:39

        Rakoto : toujours aussi marrant !

        Bref : un haut fonctionnaire décédé .

        Paix à son âme .


        • Parrhesia Parrhesia 13 décembre 2023 11:32

          Il en sera finalement de l’intelligence artificielle comme de l’invention de la roue, de l’imprimerie, de l’arme atomique, de l’informatique et de toutes les autres inventions : elle ne vaudra finalement que par la valeur de ceux qui la détiennent et qui l’utilisent !

          Et là... il est quand-même permis de nourrir quelques inquiétudes, car il s’agit toujours du même principe : confiez un vélocipède à un abruti congénital ou à un pervers narcissique, et les dégâts ne sauraient être que modérés. Confiez un camion de trente tonnes au même abruti congénital ou au même pervers narcissique et là...


          • Parrhesia Parrhesia 13 décembre 2023 11:44

            @Parrhesia
            A moins, bien sûr, de s’assurer que parmi les détenteurs de capitaux qui vont, comme d’habitude, s’assurer de la maîtrise de l’I.A. comme de tout le reste, il n’y ait aucun abruti congénital, ce qui est probable, ni surtout aucun pervers narcissique, ce qui est infiniment plus douteux !

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