Une nouvelle trahison des régimes arabes de la cause palestinienne
Quiconque s'intéresse un tant soit peu à la situation au Proche-Orient remarquera le silence assourdissant des régimes arabes face au génocide en cours à Gaza. Pourtant les vingt-deux pays de la Ligue arabe se sont réunis à plusieurs reprises depuis le 7 octobre 2024 avec à la fin de chaque réunion des formules toutes faites sur la condamnation d'Israël et les droits des palestiniens. Aucune action ni décision sérieuse n'est décidée : ni rupture diplomatique avec Israël, ni embargo pétrolier comme en 1973, ni remise en cause des accords d'Abraham, ni sanctions économiques, ni à fortiori une quelconque aide militaire aux palestiniens. Rien. Pire, ces régimes ont même mobilisé leurs capacités militaires pour intercepter les drones iraniens et contourner le blocus de la mer Rouge imposé par les attaques des milices Houtis aux navires israéliens. Dernièrement, l'Egypte a accepté le contrôle par l'armée israélienne de la frontière entre l'Egypte et Gaza en échange de la réouverture du passage de Rafah (1). Précisons que l'Egypte avait verrouillé hermétiquement sa frontière avec Gaza en étroite collaboration avec Israël aggravant du même coup la catastrophe humanitaire que subissent les palestiniens. Par ailleurs cinq ports maritimes égyptiens sont devenus des stations importantes pour les navires israéliens transportant des marchandises à destination et en provenance d'Israël pendant que l'Etat sioniste poursuit quant à lui son blocus maritime, aérien et terrestre de Gaza (2). Toujours en Egypte, le Maréchal Al-Sissi avait organisé au Caire une manifestation de soutien aux palestiniens, sauf que les manifestants se sont écartés de l'itinéraire officiel et se sont dirigés vers la place Tahrir symbole du soulèvement populaire de 2011 en scandant des slogans hostiles au régime (Voir la vidéo ici). Depuis, le pouvoir a tout simplement interdit toute manifestation de solidarité avec le peuple palestinien. Elle est bien loin l'époque où l'Egypte guidée par Nasser tentait d'inclure les palestiniens dans une paix durable avec Israël. Il pensait que la réalisation de cet objectif passait nécessairement par l'unité de tous les pays arabes. Nasser malgré ses défaillances, ses contradictions et malgré la défaite de 1967, incarnait plus que tout autre dirigeant arabe les aspirations les plus profondes du peuple palestinien. Malade, épuisé, il meurt le 28 septembre 1970 d'une crise cardiaque juste après avoir raccompagné un de ses hôtes à l'aéroport à la fin d'un sommet arabe extraordinaire qu'il tenait à organiser au Caire pour justement sauver la résistance palestinienne de l'offensive générale déclenchée contre elle par le roi de Jordanie (septembre noir). Avec la mort de Nasser la cause palestinienne a perdu son plus authentique défenseur. "Nasser fut pour nous tous un père et un guide, même s'il lui arrivait de se tromper. Patriote, il servait le peuple égyptien ; nationaliste arabe, il fournit une aide inappréciable au peuple palestinien. Il nous aimait sincèrement" disait un ancien dirigeant palestinien (3).
En dehors de l'Egypte de Nasser et dans une moindre mesure de l'Algérie notamment celle d'avant 1965, les autres Etats arabes ont toujours utilisé la Palestine uniquement pour servir leurs propres intérêts ou plus précisément les intérêts de la classe au pouvoir. Déjà sous le mandat britannique, les dirigeants arabes de l'époque qui n'étaient pas sous la domination coloniale, complotaient et manoeuvraient contre les premières révoltes palestiniennes pour ne pas se mettre à dos la puissance mandataire. Leur trahison ne date pas d'aujourd'hui. Et leur responsabilité dans le drame palestinien est grande comme le soulignait l'ancienne ambassadrice de la Palestine auprès de l'Union européenne, Leïla Shahid : "Force est d’admettre que, dans l’échec de la reconnaissance du droit des Palestiniens à leur terre et à la création de leur État, la responsabilité de ces États arabes est grande" (4). Aujourd'hui, les régimes arabes utilisent la cause palestinienne comme soupape de sécurité contre les mécontentements et les colères populaires. C'est dans ce cadre que ces régimes permettaient voire encourageaient les manifestations de masse, subventionnaient des associations, des ONG et facilitaient même l'expression culturelle en faveur de la Palestine. En même temps, ils interdisaient et réprimaient parfois dans le sang toute contestation de leur politique intérieure.
Mais depuis le soulèvement populaire de 2011 dans le monde arabe et le triomphe donc de la contre- révolution menée par l'Arabie Saoudite et les pays du Golfe, ces régimes ne sentent plus le besoin d'instrumentaliser la Palestine pour perpétuer leur pouvoir et leurs privilèges. L'écrasement du "printemps arabe" et le coup d'Etat du maréchal Al-Sissi en 2013 ont permis à ces pays de s'aligner totalement sur la stratégie américaine pour le Moyen-Orient dont Israël reste la clef de voûte. En même temps, l'Arabie et les Emirats arabes unis s'activaient pour créer un climat propice à la "normalisation" des relations entre les pays arabes et Israël au mépris de la volonté des peuples concernés. Les premiers pas de cette "normalisation" prenaient souvent la forme de rencontres sportives, culturelles et de visites réciproques des personnalités politiques et militaires. Dans la presse et les manuels scolaires de l'Arabie Saoudite par exemple, le discours anti-israélien et la carte de la Palestine ont disparu à la grande satisfaction d'Israël (5). Et c'est Benyamin Netanyahou lui-même qui disait que "Les pays arabes de la région ne voient plus Israël comme un ennemi mais, de plus en plus, comme un allié" (6).
Ce processus s'est poursuivi par la signature en septembre 2020, sous la houlette de Donald Trump, des accords d'Abraham entre Israël, les Emirats et Bahreïn pour marginaliser un peu plus la cause palestinienne. Par la suite, le Maroc et le Soudan ont à leur tour signé ces accords "de normalisation" avec l'Etat hébreu. La cause palestinienne est ainsi renvoyée par ces régimes aux calendes grecques.
Mais cette farouche volonté commune d'Israël et des régimes arabes n'a pas réussi à faire disparaître pour autant la question palestinienne qui reste inscrite dans la réalité. Les palestiniens sont bel et bien là dans les camps de concentration à Gaza, en Cisjordanie, à Jérusalem et des générations entières de réfugiés ne voient toujours pas la fin de leur exil forcé. L'attaque du 7 octobre 2023 et le génocide en cours sont venus rappeler violemment cette réalité au monde entier à commencer par ces régimes arabes qui pensaient avoir enterré la cause palestinienne. Depuis cette date, les peuples arabes, pour qui la cause palestinienne est une cause nationale, sont en effervescence malgré la répression et les interdits mettant ces régimes dans une situation intenable à long terme. Les mobilisations de masse en solidarité avec les palestiniens sont aussi des manifestations contre les régimes en place. L'écart entre ces régimes et leurs peuples n'a jamais été aussi profond qu'aujourd'hui.
La Palestine occupait et occupera toujours une place centrale dans la conscience collective des peuples arabes. Elle reste le symbole de la résistance et de la lutte anticoloniale. Les jeunes générations, témoins du génocide à Gaza, n'oublieront pas et ne pardonneront pas cette nouvelle trahison de leurs dirigeants et la moindre étincelle risque d'embraser, comme en 2011, toute la région.
Mohamed Belaali
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(1)https://www.middleeasteye.net/news/egypt-agrees-israeli-control-gaza-border-return-rafah-reopening
(2)https://www.middleeasteye.net/news/egypt-ports-become-key-supply-points-israel-gaza-war
(3)Lotfallah Soliman. "Pour une histoire profane de la palestine". Edition La Découverte. Page 189)
(4)https://shs.cairn.info/revue-herodote-2016-1-page-273?lang=fr
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