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Accueil du site > Tribune Libre > Todd et la variable économique dans Où en sommes-nous ?

Todd et la variable économique dans Où en sommes-nous ?

Nous proposons une petite critique du livre d’Emmanuel Todd, Où en sommes-nous ? Nous nous concentrons sur un problème en particulier, qui reflète à nos yeux, le problème majeur du livre : le traitement (ou l’absence de traitement) de ce que Todd appelle lui-même la variable économique. Notre démarche n’est pas à comprendre comme une opposition au livre, dont nous pensons qu’il est un des ouvrages les plus importants du vingt-et-unième siècle, voire des cinquante dernières années, mais plutôt comme une proposition critique en vue d’une optimisation de son travail, et de son utilisation. Todd, décrié par les élites politiques, économiques et intellectuelles de ce qu’il appelle l’establishment, est, en revanche, une source vive d’inspiration pour le reste du peuple. Son humour terrible, notamment, est motivant, et incite (certainement malgré lui) à la réponse. On a envie, à sa lecture, de participer à son travail, et donc de lui dire parfois qu’on n’est pas convaincu. Voilà l’idée générale.

Nous ne ferons pas le résumé du livre. Nous remarquerons seulement que son titre et son sous-titre, Une esquisse de l’histoire humaine, synthétisent la démarche du livre : Todd reprend toutes les périodes de l’Histoire et les ré-examine à la lumière des avancées générales dans ce domaine, et surtout des découvertes anthropologiques de sa vie de chercheur. Spécialisé dans l’étude des modèles familiaux, Todd a mis en lumière l’importance des structures familiales ancestrales dans la direction idéologique des peuples du monde, à partir de la période moderne. Malgré les attaques personnelles dont il fait l’objet en France, il n’a pas encore subi de critique sérieuse sur son travail de fond, et il est reconnu partout dans le monde pour cette découverte importante. Son esquisse, sa vision de l’histoire reprend donc les périodes et les événements selon ce qu’il appelle la variable de la structure familiale : dans quelles mesures les mutations de ces structures ont-elles influencé les périodes et les événements ? À cette variable, d’autres s’ajoutent, principalement celle de la religion. Au-delà du culte et de l’influence politique des clergés, la pensée religieuse occupe une part essentielle de la vie des personnes et des sociétés. Leurs mutations influent profondément les peuples, et même après leurs déclins, elles expliquent, mieux que toute autre variable, bien des comportements individuels et collectifs.

En résumé, Todd reprend le fil de l’Histoire à travers des lunettes dont le verre droit est fait de structure familiale et le verre gauche de pensée religieuse. L’originalité du livre est d’avoir réduit considérablement, en comparaison avec les traditions libérales et marxistes, la variable économique. C’est le thème de notre critique.

Pour conclure cette approche générale du livre, nous voulons confier une impression personnelle qui s’est avérée révélatrice. Todd m’avait donné l’impression, à sa lecture, d’être dans une sorte de démarche « marxiste dissidente », c’est-à-dire que je le voyais faire du matérialisme historique, mais en écartant l’économie, et en la remplaçant par des variables anthropologiques. On le sait, et nous allons en dire quelques mots, Todd a été au PC, et se considère comme stalinien repenti. Il paraît impossible qu’il n’ait pas pensé que son livre pouvait donner cette impression de matérialisme historique anthropologique, ne serait-ce qu’à des amateurs de Marx. Et il y fait finalement référence, à la page 231, mais pour s’en dédouaner : « Il serait absurde de substituer au réductionnisme marxo-libéral un nouveau réductionnisme, éducatif, cette fois. » D’origine situationniste, je me demande toujours si une personne qui se défend de faire quelque chose sans qu’on le lui ait demandé n’est pas finalement en train d’avouer qu’il fait cette chose (autant pour moi ?)… Sans aller jusqu’à une accusation aussi forte, nous pouvons noter qu’il n’est finalement pas anodin que son livre suivant s’intitule Les luttes de classes au XXIè siècle. Il y a très certainement chez lui une envie authentique et sincère de dépasser Marx sans trahir la base de ses valeurs.

Ce qui nous amène à la question de la variable économique. Notre critique porte donc sur ce point. Pour le dire très globalement, nous pensons que sa mise à l’écart de la variable économique lui a permis de constituer une vision neuve de l’Histoire, et d’une très grande pertinence, mais que c’est également là où pêche cette vision. Notre problématisation peut se résumer en trois grandes questions. Pourquoi Todd écarte-t-il autant la variable économique de sa vision de l’Histoire ? Cette mise à l’écart l’induit-il en erreur, et si oui, sur quels points ? Et puisque nous n’aurions pas fait cet article si cela n’avait pas été le cas : comment modéliser cette erreur pour optimiser le travail de Todd. Pour notre démonstration, nous ne nous concentrons que sur un point du livre, mais central : l’émergence du protestantisme au seizième siècle. Pour donner du poids à notre modèle, nous citerons deux autres exemples.

 

Todd et l’hystérie économique de son temps

Il n’y a pas de mystère économique. Après l’amorce, l’incipit, comme on dit en roman, c’est le titre du premier paragraphe du livre. D’emblée, Todd attaque la discipline économique. « L’explication économique de ces phénomènes [économiques : montée des inégalités, baisse du niveau de vie] est aisée ». « Ceux qui s’intéressent à la mécanique de ces phénomènes disposent d’une abondante littérature »1. Bien sûr, « la plupart des économistes de l’establishment sont faibles, inexistants même parfois, dans la critique du libre-échange »2. Mais, de toutes façons, « il nous faut admettre que la régression du monde avancé n’est pas, en tant que phénomène purement économique, un sujet d’étude bien intéressant »3.

Lorsque j’étais étudiant, potache et semi-dandy, on appelait ça une attaque en règle. Posé, calme, Todd ne « balaie » pas le sujet, mais il donne, en deux pages, toute la bibliographie pour comprendre le problème économique du monde moderne, tout en disant que ce n’est pas ce qu’il y a de plus pertinent. Il faut le dire : c’est même jouissif à lire, quand on est d’accord avec Todd. On comprendra aussi, par effet miroir, pourquoi Todd agace tant les politiques et les économistes. Il n’engage pas le combat, il préfère dire que c’est une perte de temps, en arborant une douce ironie.

Comprenons néanmoins sérieusement le démarche générale du paragraphe. La vie politique reflétée par le media, mais aussi dans l’activité professionnelle, dans la vie sociale, dans la famille, et dans toutes les sphères de la vie, donne l’impression que tous nos malheurs viennent de la gestion de l’économie. Puisque « des sous, il en faut pour tout » (Henri D.), et que tout peut se régler avec l’argent, on tend à croire que le « nerf de la guerre », le « cœur des problèmes » est l’économie. Plus encore, les travaux de l’élite intellectuelle qui influent le plus les politiques sont des travaux d’économie, et les hommes d’État semblent négliger complètement tous les autres domaines de la vie.

Mais l’économie n’est pas un mystère. « Les solutions ? Elles existent » (Pierre D.). Elles ont été formulées dans les travaux d’économie critique. Si les problèmes économiques demeurent, ce n’est pas parce que ces solutions économiques étaient mauvaises, mais plutôt parce qu’elles ne sont plus, voire n’ont jamais été appliquées. Le problème est davantage de déterminer ce qui résiste à la mise en place de ces solutions. Ce qui, dans les sociétés humaines, d’une part empêche la mise en place et le bon fonctionnement de politiques économiques raisonnables, et d’autre part, finalement et surtout, influe les vies, individuellement et collectivement. Il n’y a pas de mystère, mais une hystérie économique (comportement obsessionnel, delire verbal, blocage...).

Rappelons maintenant quelques éléments de la vie de Todd.

Dans une conférence au Centre d’Échanges et de Réflexion pour l’Avenir4(CERA), prononcée en décembre 2013, Todd a confessé, avec son humour bien à lui, ses relations difficiles avec l’économie, allant même jusqu’à parler de « clef pour le détruire ». Remémorant un fiasco sur un devoir d’économie portant sur la monnaie lorsqu’il était à Sciences Po, il a expliqué avoir cru en son infériorité intellectuelle sur ce point, en comparaison avec ses camarades qui, dix ans tard, ont conçu l’euro. Dès lors, il voit le fait que l’euro ne fonctionne pas et qu’il l’avait prédit comme une revanche. On le comprend...

Mais cela n’est qu’une anecdote. Son parcours général, les conditions historiques de sa vie expliquent plus de choses. Nous l’avons dit, Todd a été de la « branche dure » du PC. Il s’est, plus tard, « senti coupable d’avoir participé à distance à l’écrasement du peuple chinois »5. Né en 1951 dans une famille de gauche6, il a grandi, a fait ses études, et a vécu une bonne partie de sa vie dans la Guerre Froide, en ayant ressenti en lui-même et la verve communiste, et le repentir. Et parallèlement, il est lié à l’anglosphère par ses origines familiales. Todd est un nom anglais, et son arrière-grand-mère, Dorothy a été directrice du Vogue britannique dans les années vingt. Il a fait une partie de ses études à la prestigieuse université de Cambridge. Il est lié au pays qui a construit le capitalisme moderne et la pensée libérale, phare idéologique du monde contemporain. Aussi, s’il a connu la Guerre Froide, il a vécu, depuis les années quatre-vingt, la montée du néo-libéralisme dans le monde anglo-saxon, puis il l’a vue se répercuter dans le reste du monde dans les décennies suivantes. Le fait que Todd rappelle systématiquement ces deux volets, communiste et anglais, de sa personne révèle à quel point il se sent pris au cœur du conflit libéralo-marxiste, et annonce la complexité de son rapport à la discipline économique en tant qu’historien et anthropologue.

Or, nous le savons, s’il est un rare point commun entre la pensée libérale et la pensée marxiste, c’est bien sûr l’idée que l’économie constitue le cœur de la société.

Le matérialisme historique marxiste, que nous évoquions en introduction, conçoit la lutte des classes pour la direction de l’économie comme moteur de l’Histoire. Bien que pionnier dans l’anthropologie sociale, et partisan d’une libération des individus par rapport aux contraintes économiques, Marx initie une analyse de l’Histoire qui pense les événements et les périodes selon des critères économiques.

La pensée libérale, pour sa part, repose, certes, sur des bases anthropologiques, mais celles-ci définissent la vie individuelle et collective selon une structure économique. Pour les libéraux, et tout particulièrement la tendance « néo-libérale », que nous appelons libertarienne7, la condition humaine se définit selon le cycle du travail – l’homme a des besoins, il fait des efforts pour les satisfaire – et la propriété – un rapport au monde réglé selon la possession : il possède primairement son corps, son sexe, ses talents, puis des objets matériels et immatériels, des relations sociales, une vie, et surtout, il peut échanger ces propriétés avec autrui. Aussi, les libéraux conçoivent l’Histoire comme les mouvements de libérations et d’oppressions du libre-échange, donc de l’économie.

Todd, peut-être saturé par l’économisme hystérique de son temps, renverse la table et propose de considérer les phénomènes économiques comme des symptômes de variations anthropologiques antérieures et plus profondes plutôt que comme un moteur de l’Histoire et donc de ces variations. Selon ce modèle, ce ne sont plus des raisons économiques qui font muter la société, mais des mutations sociétales qui font évoluer l’économie.

Todd n’est pas le premier. Il souligne, dans son introduction, que cette démarche est celle de ses maîtres de Paris et de Cambridge, de l’École des Annales et de l’École d’anthropologie historique8, et qu’il n’a peut-être d’original que le fait d’appliquer cette méthode à l’histoire contemporaine, tandis que ses prédécesseurs se concentraient sur le début de la période moderne. Nous pouvons ajouter qu’il est peut-être le premier chercheur ex-stalinien à l’avoir adoptée. Et l’Histoire lui a donné raison. Au-delà même de ses justes prédictions (effondrement du système soviétique, dépression de l’empire américain, échec de l’euro), Todd a prouvé la valeur d’une analyse statistique de la société qui réduit drastiquement l’importance causale des variables économiques et se concentre sur des éléments anthropologiques influents.

Nous voyons donc, globalement, la particularité de la position d’Emmanuel Todd. Enfant des Trente Glorieuses et de la Guerre Froide, étudiant anglo-marxiste, chercheur anthropologue engagé dans une société obsédée par l’économie, il a subi le paradoxe économique de la deuxième moitié du vingtième siècle de plein fouet, et c’est très certainement pour cela qu’il est parvenu à en sortir.

Voyons maintenant le point du livre qui nous intéresse.

 

Mais où est donc la famille-souche qui a favorisé le protestantisme en Allemagne ?

C’est à partir du chapitre cinq, L’Allemagne, le protestantisme, et jusqu’au chapitre 9, La matrice anglaise de la globalisation, que Todd étudie comment, à partir du seizième siècle, l’alphabétisation a permis le développement économique9. L’idée générale est simple, et on la trouve résumée au paragraphe Vers le décollage économique10  : « l’examen empirique des faits nous montre qu’une transformation anthropologique a précédé le décollage économique [...] ». Et Todd précise : « Au chapitre qui suit, j’élargirai la perspective et présenterai, pour l’ensemble du monde, le développement économique comme une conséquence de la hausse du niveau éducatif ». Il inclut, bien sûr, des nuances significatives dans le détail, notamment et toujours, l’influence des structures familiales (la famille souche, par exemple, explique que l’Allemagne ait pris du retard sur le développement industriel, malgré l’impulsion originelle de l’alphabétisation). Mais du point de vue global, il semble bien que la variable prépondérante soit celle de l’alphabétisation. La corrélation que Todd met en lumière est d’une évidence indéniable, et tout le chapitre six nous en montre les détails, enrichis de références scientifiques et historiennes.

Or, nous le savons, le décollage de l’alphabétisation en Europe est principalement une conséquence de la Réforme religieuse initiée par Luther, qui enjoignait la lecture de la Bible. Bien sûr, et Todd le précise sans tergiverser, l’invention de l’imprimerie en 1454 en est la cause matérielle la plus importante. Et même : « L’existence au XVIème siècle, de l’imprimerie est de toute évidence le facteur principal du succès de la Réforme dans son œuvre d’alphabétisation »11. Cette dernière phrase a le mérite, notons-le, de présenter les trois éléments (réforme, imprimerie, alphabétisation) selon des liens précis : l’imprimerie a donné à la Réforme les moyens d’alphabétiser le peuple.

En revanche, Todd ne dit que très peu de choses sur les autres facteurs causaux de la Réforme. Il s’en tient simplement à dire que « l’antériorité de la mutation familiale [c’est-à-dire l’adoption de la primogéniture] nous permet de dire que c’est bien la famille-souche qui, avant même son plein développement, a favorisé l’adoption de la religion protestante »12, sans pour autant préciser quoi que ce soit, ni s’appuyer sur des documents précis. Or, si la proximité de valeurs qu’il établit entre la doctrine luthérienne et la famille-souche est assez convaincante (la primogéniture et la prédestination ont comme valeur commune l’inégalité), nous pouvons, au regard des données empiriques, douter pourtant que la famille-souche ait été suffisamment implantée pour « favoriser » quelque valeur que ce soit.

Avec un peu d’audace, nous attaquons Todd sur son terrain de spécialiste : l’histoire des structures familiales. Regardons son texte. Selon lui, et en toute vraisemblance, la primogéniture est apparue en Europe dans la noblesse carolingienne. « On peut observer sa diffusion dans l’aristocratie européenne à partir du onzième siècle, puis dans certaines paysanneries, allemandes ou occitanes, à partir du treizième siècle. »13 Il précise également que la noblesse germanique y a longtemps résisté, car, développée dans la paysannerie, la primogéniture était associée, dans l’esprit de l’aristocratie, à une condition servile. Dans l’encadré qui conclut le chapitre six, page 222, il estime que, aux alentours de 1500, le taux de famille-souche est environ de 40 % en Allemagne, tout en précisant qu’il ne peut confirmer ce chiffre avec rigueur.

Pour la noblesse germanique, disons-le non sans malice : Todd a raison. Les premiers nobles qui soutiennent Luther et qui forment la Ligue de Smalkalde sont tous de famille à héritage partagé, si ce n’est égalitaire14. Même le duché de Saxe qui a fait de l’unité sa devise est divisé territorialement par un héritage au moment où Luther publie ses 95 Thèses. Ainsi ceux qui ont permis à la Réforme de ne pas être détruite dans le sang n’étaient pas de famille-souche.

Voyons ensuite la bourgeoisie de l’époque. Nous le savons, l’expansion urbaine a été décisive pour la Réforme. Les villes de la ligue hanséatique, par exemple, que le prédicateur Johannes Bugenhagen a pris soin de toutes convertir très vite, disposaient d’une large population, de pouvoirs économique et militaire développés, et plus encore, d’une capacité de diffusion importante grâce à leurs ports. On peut donc s’interroger sur la présence de la famille-souche dans ces Cités qui ont, plus que tout autre chose, favorisé le développement de la Réforme.

Notons d’abord que Todd dit lui-même, au chapitre dix-huit, qu’« il semble qu’au XIVème siècle encore, la Hanse ignorait la primogéniture »15. Nous ne disposons pas des monographies sur lesquelles Todd s’est appuyé, mais d’autres supports nous renseignent. Les « villes libres » et les « villes d’Empire » disposaient de droits particuliers, octroyés par l’autorité impériale, sous la forme d’un parchemin officiel et frappé du sceau. Ces chartes concernaient surtout les droits de douanes, de gestion politique et de défense militaire, et ne traitaient pas, bien sûr, des droits de succession des populations, mais elles ont insufflé, au cours du Moyen-Âge, un goût du droit à ces villes. Au moment de la Réforme, des codes complets régissent les grandes villes. Beaucoup ont adopté le « Code de Lübeck » (capitale de la Hanse), ou le « Miroir des Saxons »16. Ces codes, eux, contiennent des règles précises d’héritage.

Ne disposant pas de grands moyens pour mener cette recherche, je n’ai pas pu vérifier tous les codes de toutes les villes converties. Je peux néanmoins dire que les principaux ne contiennent pas de règle de primogéniture17. Je n’ai trouvé qu’une ville ayant adopté la primogéniture : Ratisbonne, en Bavière, dont le duc combat, au début, les protestants. La ville s’est convertie plus tard (comme presque toutes les villes d’Empire), mais non point sous le coup de la prédication des agents de Luther, Philippe Mélanchton et Martin Bucer rentrés bredouilles, mais à la suite d’un conflit avec Rome, et, gardant le siège de l’évêché, elle n’en a pas fait un grand projet. Le seul endroit où nous trouvons la primogéniture ne s’est en fait pas enthousiasmé pour les idées luthériennes, et ne s’est convertie que pour des raisons politico-économiques.

Dès maintenant, nous pouvons dire que, les valeurs de la famille-souche n’étant pas diffusées dans les foyers stratégiques de la Réforme, il devient irrecevable de dire que son modèle ait pu la favoriser. Bien sûr, nous le savons, les travaux de Todd portent surtout sur les familles paysannes, qui constituent l’écrasante majorité de la population. Mais on ne peut pas dire que ce sont les paysans qui ont fait le succès de la Réforme. Ce ne sont pas eux qui ont diffusé les idées de Luther, mais les villes. La Guerre des Paysans, contemporaine de la Réforme et portant des revendications luthériennes, a été réprimée dans le sang, et Luther lui-même a prêché leur massacre. Si le modèle de la famille-souche dominait la paysannerie, on a finalement plutôt l’impression (fausse bien sûr) que la Réforme voulait empêcher la primogéniture de se convertir.

Mais il n’est même pas certain qu’on puisse parler de domination de ce modèle dans la paysannerie. Un article de David Sabean, Famille et tenure paysanne : aux origines de la guerre des Paysans en Allemagne publié par les Annales et disponible sur le site Persee18, construit sur les monographies disponibles en 1972, nuance beaucoup, voire contredit le propos toddien. Il est possible que Todd ait eu accès à des documents produits après 1972, mais ceux auxquels Sabean se réfèrent et que Todd est sensé avoir consulté, donnent déjà beaucoup d’éléments qui montrent que la primogéniture ne pouvait pas être hégémonique, qu’elle était adoptée par contrainte économique, et que les 12 Articles que les paysans portaient au moment de la Réforme démontrent plutôt un désir d’en sortir. Nous renvoyons lectrices et lecteurs au détail de cet article très intéressant, à la méthodologie et aux sources détaillées (et très troublant pour un amateur de Todd), et nous résumons seulement là quelques éléments cruciaux pour notre question.

Sabean étudie la Guerre des Paysans et s’intéresse tout particulièrement aux conditions qui l’ont amenée. Il s’appuie principalement sur des archives de la ville de Ravensburg, et des monastères (qui règlent une bonne partie de l’administration paysanne) de Ochsenhausen et Wurtemberg, en Souabe, foyer majeur du conflit, dont certaines sont relatives à la propriété foncière et aux tenures paysannes, et donc éclairent sur les règles de transmission et d’héritage. Voilà ce qu’il en tire.

À la fin du quatorzième siècle, le partage est égalitaire entre les enfants, et ceux qui n’habitent pas à la ferme au moment du partage revendent leurs parts aux habitants. Il ne semble pas y avoir de droit d’aînesse. Au quinzième siècle, Ravensburg a loué un grand nombre de fermes sous forme de tenures héréditaires ayant pour clause la primogéniture. Néanmoins, un procès de 1492 révèle que cette clause de primogéniture a été remplacée par un héritage en cascade (le cadet hérite à la mort de l’aîné, et ainsi de suite) et le droit inaliénable, pour les frères résidents, de rester sur place en attendant la mort des aînés, de telle sorte que le partage finit presque toujours par se faire sous une forme ou une autre. Après avoir été adoptée à Ravensburg, la primogéniture a finalement été rejetée. Aussi, Sabean note que le modèle de Wurtemberg s’est fondé sur l’ultimogéniture – le dernier enfant hérite de tout et les aînés partent se développer ailleurs – au milieu du quinzième siècle.

À la fin du quinzième siècle, l’augmentation de la population pose problème, notamment et en toute logique, en ce qui concerne l’héritage. Aussi les nobles, en grande tension avec les villes, réquisitionnent des terres communales, refusent de renouveler des baux cédés aux paysans, ou se débrouillent pour annuler les tenures héréditaires. Comme on dit aujourd’hui, le pouvoir d’achat des paysans est en baisse.

Sabean note qu’en 1502, une révolte à Ochsenhausen se solde, entre autres choses, par une règle de primogéniture sur les tenures, à la volonté des paysans, hantés par la division des parcelles. L’accord enjoigne également une redistribution pour les paysans sans terre. Mais le traité est répudié en 1525 et condamné comme « intolérable et destructeur » au cours de la rédaction des Douze Articles, manifeste de la Guerre des Paysans qui s’ouvre alors.

Le texte en lui-même de ces articles se trouve dans la lignée de la Réforme proposée par Luther : supériorité des Écritures sur tout pouvoir terrestre, pasteur révocable par la communauté, baisse de la dîme. Aussi, il revendique le droit écrit contre l’arbitraire féodal, et, sans proposer pour autant d’abolition des privilèges, il veut limiter les pouvoirs des nobles. Enfin, puisqu’il révèle un fort désir de justice et qu’il parle de fraternité, nous pouvons même dire qu’il contient des tendances égalitaires. Sur l’héritage, par ailleurs, il propose d’abolir tout impôt pour ne pas laisser les veuves et les orphelins se faire dépouiller indignement, ce qui laisse supposer que les paysans ne pensent pas en terme de primogéniture.

En résumé, le modèle de la famille-souche, sa primogéniture, et sa valeur inégalitaire compatible avec la prédestination ne peut pas avoir favorisé l’émergence du protestantisme chez les paysans de la Souabe, puisque loin d’être hégémonique, il est même rejeté, notamment à Ochsenhausen au moment de la guerre. Nous n’avons certes pas les données pour les paysans des autres régions en révolte, mais nous savons qu’ils ont fait leurs du Manifeste rédigé en Souabe.

Nous pouvons dire sans problème que la guerre des paysans, malgré la haine de Luther, a favorisé l’émergence du protestantisme dans les campagnes, par l’intermédiaire de l’imprimerie, capable de diffuser en masse ce texte court et efficace. Mais si nous interrogeons la présence de la famille-souche dans ce contexte, nous voyons que les paysans la considèrent comme une solution peu fiable à leurs problèmes économiques.

Todd se trompe. Lorsqu’il parle de valeurs inhérentes à un système familial, il signifie que le modèle a structuré, au fil des générations, l’idéologie familiale dans le subconscient des individus. Ainsi, selon cette logique, la primogéniture, qui ne consacre que l’aîné, le plus grand, comme héritier, incite à une pensée inégalitaire. Mais l’adoption de la famille souche qui se fait au seizième siècle est opérée sous une pression économique terrible et les paysans ne vont l’accepter qu’à reculons, comme nous abandonnons aujourd’hui nos grèves lorsque le pouvoir nous a mis à genoux, amputés, éborgnés. Au moment de la Réforme, aucun subconscient inégalitaire n’a pu encore se former dans la paysannerie par l’intermédiaire d’un modèle familial. Ce n’est qu’après avoir été imposé par les conditions politiques et économiques, après avoir forgé une résignation sur plusieurs générations, et alors que le protestantisme était déjà bien implanté, que le modèle de primogéniture a pu favoriser une idéologie inégalitaire.

Au contraire, en haut de l’échelle sociale, la noblesse germanique, qui tient à conserver un héritage égalitaire entre frères, est pleine d’une libre pensée inégalitaire dont l’adhésion au modèle familial nucléaire par opposition aux paysans est un reflet. Todd dit que l’aristocratie a conservé longtemps le partage héréditaire puisqu’elle associait la primogéniture à la condition servile. Nous ajoutons qu’elle faisait cette association d’elle-même et non sous la contrainte économique. Au contraire, elle se créait des contraintes économiques, le partage compliqué des fiefs, pour montrer sa supériorité. Et ce n’est qu’après avoir adhéré au protestantisme qu’elle a adopté la primogéniture, et simplifié par cela son système économique. C’est dans leur conversion que s’opère la libération des contraintes économiques de l’héritage partagé, et que l’aristocratie commence à instituer une inégalité au sein même de ses familles.

Il semble donc que ce soit plutôt le protestantisme qui ait favorisé la famille-souche et l’augmentation de la pensée inégalitaire que le contraire. L’apparition antérieure de la primogéniture ne suffit pas pour la placer dans la lignée causale de la Réforme, puisque, au moment de cette Réforme, les paysans s’en méfiaient, et que les soutiens militaires et économiques de Luther n’y adhéraient pas. Ce n’est pas l’inégalitarisme inhérent à la primogéniture qui a favorisé l’inégalitarisme de la prédestination, mais l’inverse. Todd dit que les deux se seraient influencés mutuellement, mais là où il perçoit une réciprocité, nous ne voyons un lien causal qu’à sens unique.

 

Todd choisit le choléra philosophique plutôt que la peste économique

Une dernière remarque s’impose sur cette erreur. Todd dit souvent qu’il accepte tous les titres qu’on lui donne à l’exception de celui de philosophe. Proche des anglais sur ce point, il se méfie des raisonnements métaphysiques et se contente de lire de la philosophie analytique. Anthropologue de formation, il préfère les données empiriques aux hypothèses abstraites. On peut aussi associer ce rejet de la philosophie à sa méfiance envers les marxistes de son temps, obsédés, il est vrai, par des raisonnements dialectiques peu pertinents.

Assez étrangement, c’est pourtant dans un excès de théorisation que Todd perd ici sa rigueur, et ceci pour éviter la variable économique. Au moment où il doit montrer que l’économie a influencé l’émergence du protestantisme et de la famille-souche19, il préfère produire un raisonnement philosophique sur le lien théorique, structurel et abstrait, entre primogéniture et prédestination et y va carrément à la truelle pour ce qui est de l’analyse du lien causal. Mais Todd a raison, il n’est pas philosophe. Et son utilisation soudaine et maladroite d’une pensée structuraliste est révélatrice de sa relation conflictuelle avec l’économie.

D’autant que le cas n’est pas isolé. Un peu avant, au chapitre cinq, Todd souligne la contemporanéité de la naissance de l’écriture et de la primogéniture, en Mésopotamie, trois mille avant notre ère, et précise le lien théorique entre les deux, c’est-à-dire le désir de transmettre (un savoir, un patrimoine), sans jamais reconnaître explicitement que, en amont de ce lien, ce sont des conditions économiques qui ont forgé ce désir. Il n’est pourtant pas difficile de comprendre cela. Il n’y a pas de désir de transmettre si l’on n’a rien à transmettre, si l’on n’a pas accumulé, économisé auparavant. Écriture et primogéniture sont des solutions à un problème économique antérieur. Elles viennent à la suite, et en réponse à un souci de conserver, à travers les générations, ce que la famille parvient à accumuler, à économiser, à capitaliser. Peut-être même répondent-elles à un refus de partager plus encore qu’à un désir de conserver. Elles ont été forgées par l’esprit du capitalisme antique. Ici encore, Todd se met à théoriser sur l’herméneutique au moment où la rigueur exige d’examiner les phénomènes économiques concrets et le sens chrono-logique de l’Histoire.

Et puis encore, au chapitre douze, lorsque Todd décrit la stagnation éducative20 survenue dans la dernière partie du vingtième siècle, il n’a comme explications que « l’atteinte d’un plafond d’ordre intellectuel, dont on ne peut d’ailleurs aucunement affirmer », nous rassure-t-il au moins, « qu’il sera éternel », et l’apparition de la télévision dans les foyers qui, détournant les jeunes de la lecture, aurait affaibli les capacités cognitives des générations suivantes21. Entre les deux explications, une référence philosophique, superficielle et très inattendue, mais révélatrice si l’on croit notre hypothèse du dérapage toddien, au grand Hegel, pour dire que les américains étaient à la pointe de l’humanité dans le développement de l’esprit22, semble cacher la vraie origine des explications vaseuses avancées plus haut : un café du commerce fréquenté par des réacs. Mais qu’est-ce donc que ce « plafond d’ordre intellectuel » sans origine causale, et surgi de nulle part ? Pourquoi la télévision est-elle « arrivée » dans les foyers ? Pourquoi les gens l’ont-ils regardée plutôt que de continuer à lire ? N’y avait-il donc vraiment personne à l’époque pour dire que la télé rendait con ? Quels étaient d’ailleurs les programmes diffusés à l’époque ? Si sa remarque sur la télévision est sérieuse, voilà les questions auxquelles il devrait répondre pour construire son argument. Mais il n'en est rien.

Si, comme le dit Todd, la stagnation éducative a commencé en 1965 aux États-Unis, alors elle se situe au début de la rationalisation de l’investissement (à la fin des années 50, après la « folie » de l’après-guerre), elle suit deux récessions économiques sur moins de dix ans (57-58 et 60-61), et coïncide avec l’augmentation des dépenses de guerre pour le Viet-Nam23. Elle se situe aussi au moment où le patronat américain et la jeunesse étudiante commencent à être sensibilisés aux idées des néolibéraux (venant de Hayek et de sa Société du Mont-Pélerin fondée en 1947). Les Trente Glorieuses sont aussi les années de la Guerre Froide, et les années soixante ont été les pires pour les États-Unis (Cuba, Corée, Viet-Nam). En résumé, la stagnation éducative est contemporaine de la gueule de bois post-keynésienne des capitalistes américains.

Nous faisons cette liste au lance-pierre pour créer un effet d’accumulation, mais il existe beaucoup d’éléments sérieux qui peuvent expliquer, bien mieux qu’une méditation hégélienne douteuse et une intuition situationniste grégaire, pourquoi le niveau éducatif supérieur a cessé d’augmenter. Certes, il n’y avait aucun problème de places dans les universités, mais la propagande, notamment télévisée, sur la menace rouge, les crises de lucidité au moment des récessions, les appels aux travailleurs de guerre ont pu, dans un pays où les études supérieures coûtent cher, tout à fait calmer les rêves de diplômes. Que les autres pays aient suivi les États-Unis sur la stagnation dans un monde qu’ils contrôlaient, et contrôle encore, semblent une évidence qui n’a rien d’un absolu humain, mais s’explique par les structures classiques de la domination, et les limites du modèle keynésien.

Une devise militaire dit qu’une fois n’est pas coutume, que deux fois sont une coïncidence, mais que trois fois font une règle. Dans le livre de Todd, nous trouvons au moins trois fois la même procédure de confusion. Chaque fois qu’il doit reconnaître l’influence de la variable économique sur les variables anthropologiques, il dérape et enfile la casquette du philosophe qu’il n’aime pourtant pas, comme pour détourner l’attention, et théorise à la petite semaine. Voyant la peste économique se pointer, il panique et se résigne au choléra philosophique.

Et nous venons ainsi de trouver la serrure qui va avec la « clef pour le détruire » de l’économie, dont il parlait dans sa conférence de 2013 au CERA. Lorsque Todd se met à philosopher sans trop de raison, et que quelque chose semble manquer dans les relations causales qu’il expose, il y a fort à parier qu’une variable économique est en train d’influer sur les variables anthropologiques.

Si nous avons beaucoup insisté sur la personne même d’Emmanuel Todd au début de ce texte, c’est pour atténuer la charge que nous lui portons, et pour insister sur le caractère involontaire de ses moments de confusions. Que l’on comprenne que s’il dérape jusqu’à faire de la philosophie de comptoir, c’est qu’il s’est senti pris entre deux maladies, et qu’il ne se rend plus du tout compte de ce qu’il fait. Il faut lui pardonner, ce n’est pas un excès d’orgueil, ni une volonté de tromper le lectorat, mais la résultante d’un parcours intellectuel et médiatique compliqué dans lequel il a fait preuve de beaucoup de courage.

 

 

1Pour tout l’article, nous nous référons à la pagination du format poche publié au Seuil, 2017, Emmanuel Todd, Où en sommes-nous ?. Pour les deux premières citations, p.10

2p.11

3p.12

4https://www.youtube.com/watch?v=P5kIuG9ksL4 (vers 4mn40)

5Apostropohes, émission du 4 mais 1990, Une idée de la démocratie, présenté par Bernard Pivot, et avec aussi Georges Marchais.

6J’ai entendu, de mes propres oreilles, Olivier Todd dire, avec un humour de vieux sage, qu’il avait toujours voté communiste tout en crachant (sic) publiquement sur le PC…

7Une des lignes centrales de notre travail inachevé sur le site Agoravox était de montrer que les distinctions entre les libéralismes étaient trompeuses, et que sa version la plus cohérente, et la plus capable d’englober les autres, était ce que nous appelons la tendance libertarienne, comprise dans son sens large.

8Nous pouvons aussi, dans une mesure plus relative, rapprocher sa démarche de celle de l’archéologue Jacques Cauvin, qui a tenté, dans les années 90, de démontrer que l’invention de l’agriculture résultait d’une invention religieuse plutôt que de conditions économiques particulières. Todd a avoué, au cours de la conférence donnée à l’Agora des savoirs en décembre 2017, s’être senti en difficulté face aux travaux d’Alain Testard, autre archéologue, dont la cible principale est, justement, Jacques Cauvin. On trouve cette conférence à cette adresse https://www.youtube.com/watch?v=Z0TLjvmLay8 (vers 1h45). Todd y livre avec sincérité les réserves critiques à propos de son propre travail, réserves qui ont finalement inspiré le présent texte.

9Si on élargit la notion à l’éducation au sens global, nous pouvons dire que Todd examine l’importance du niveau éducatif dans la société pendant tout le livre.

10p.219-220, Chapitre 5 : La Grande Transformation mentale européenne

11p.192

12p.186

13p.186

14Les généalogies de Philippe Ier de Hesse, de l’électeur de Saxe, et de leurs associés, sont aisément trouvables sur Internet, et notamment Wikipedia. Aucun de leurs cantons n’applique encore la primogéniture.

15p.561

16À eux deux, ces codes régissent la plupart des villes du nord de l’Allemagne

17D’autres chercheurs, comme Birgit Noodt (Religion und Familie) le confirment : Lübeck et la plupart des villes hanséatiques ne connaissaient pas la primogéniture

18https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1972_num_27_4_422572

19Il note au premier chapitre que la famille-souche a probablement émergé pour des raisons économiques : la conservation du patrimoine. L’émergence contemporaine de l’écriture, activité de conservation de l’esprit, donne des gages à cette hypothèse.

20L’arrêt de l’augmentation du nombre de gens diplômés du supérieur

21p.360-364

22Ce point est très critiquable aussi. Ils avaient certes plus de gens qui faisaient des études supérieures, mais leur examen d’entrée en Université, un QCM, a toujours été bien plus faible que notre baccalauréat, et les connaissances accumulées les deux premières années de fac américaines sont aux programmes de nos lycées généraux. Avoir besoin de plus de temps pour apprendre quelque chose signale qu’on est plus à la traîne qu’à la pointe.

23Ces informations sont trouvables dans n’importe quel ouvrage qui traite l’économie américaine au vingtième siècle, mais lectrices et lecteurs trouveront une synthèse rapide sur le cours de Xavier Martin, professeur d’économie en prépa : http://www.xaviermartin.fr/index.php?post/2009/01/14/199-etats-unis-dans-les-trente-glorieuses


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32 réactions à cet article    


  • rogal 29 février 2020 11:33

    À lire pendant une période de confinement...


    • caillou14 rita 29 février 2020 12:28

      Emmanuel Todd expert en économie dans les salons Parisien !

      Un arnaqueur comme Macron et ses sbires !

       smiley


      • Nick Corey 29 février 2020 14:48

        @rita
        Si je ne peux nier que j’apprécie le type d’invective que vous lancez, toute la raison de la longueur de ce texte est justement d’atténuer la charge...
        Macron est vraiment un inculte. Il a bossé avec Paul Ricœur et il ne sait même pas ce que c’est que l’herméneutique, c’est grave. Et le pire c’est qu’il « fait genre », comme on dit. C’est un mec super malsain en fait.
        Todd est un gars plein d’émotions. Il est sincère. Tout le but de l’article c’est de montrer que ses erreurs sont dues à un blocage affectif personnel.
        Bien sûr, son orgueil peut avoir quelque chose de très irritant. Tout particulièrement quand il a tort.


      • uleskiserge uleskiserge 29 février 2020 19:55

        Todd a reconnu dernièrement que ses modèles familiaux étaient caducs car ils ne permettaient plus de comprendre grand-chose au présent et à l’avenir. 


        • uleskiserge uleskiserge 29 février 2020 19:58

          Sinon, chez Corey, vous pouvez toujours vous reportez à mon billet à propos de son dernier ouvrage sur les luttes des classes....

          http://serge-uleski.over-blog.com/2020/02/emmanuel-todd-biais-anglophile-et-illusions-destructrices-du-reel.html


          • Nick Corey 2 mars 2020 22:05

            @uleskiserge 

            Je viens de lire votre texte. Je suis d’accord avec vous sur l’essentiel.

            Bon, vous insistez plus sur Blair que Thatcher, mais c’est pas important.

            Très bien de rappeler le parcours des Blair, Shröder. On peut ajouter que Thatcher était en Banque privée avant, et consultante pour Filip Maurice après avoir été Irongirl

            En tous cas, c’est exactement cela qu’il faut opposer à la distinction inutile du statofinancier.

            Je trouve utile de rajouter un truc, à propos de l’exhortation toddienne à une alliance avec les USA, et (quand même !) la FED.

            C’est justement ce qu’a réussi à éviter de Gaulle à la fin de la guerre. Les USA voulaient imposer le Franc-dollar. On a réussi à éviter ça alors qu’on sortait de l’Allemagne nazie... 

            Et puis la FED, quoi... La créature de Jekyll Island, tout ça... Todd parle de dindes qui votent pour Noël, mais justement...

            Un type, je crois que c’est Robnoir-Giléjone-man, a suggéré à Todd un rapprochement avec la Russie, et il a balayé d’un coup en disant que le rouble n’était pas assez fort.

            Mais y a une légende qui dit que Poutine (qui ne nous leurrons pas pour autant, reste un taré) veut faire une alliance monétaire avec la Chine et la Syrie, et peut-être plus, sur la base d’un étalon-or. Si c’est avéré, cette alliance concurrencera le dollar d’une façon nette, et l’euro va finir par être pulvérisé pour de vrai.

            De toutes façons, faudra choisir son camp


          • uleskiserge uleskiserge 29 février 2020 19:58

            il faut lire « cherrr Corey »...


            • Olivier Perriet Olivier Perriet 29 février 2020 21:32

              Toujours intéressant de le lire, d’autant qu’il se corrige au fil des livres :

              Optimiste sur l’assimilation des immigrés dans Le Destin des immigrés ; très pessimiste dans « Ou en sommes nous ? »

              S’affolant de la victoire de Sarkozy comme une « radicalisation des personnes âgées » dans « Après la démocratie », puis trouvant rétrospectivement le vote de 2007 plutôt bon enfant, par rapport à l’horreur des manifestations Charlie dans « Qui est Charlie ? ».

              Optimiste éducatif dans « Après la démocratie », très sévère sur « Academia, la machine à sélectionner les plus conformistes » dans « Ou en sommes nous » ?

              Je passe sur sa définition de la Russie comme protectrice des petits et respectueuse de la souveraineté des nations : les Baltes et l’Ukraine en rient encore smiley


              • Olivier Perriet Olivier Perriet 29 février 2020 23:06

                @Olivier Perriet

                Même la Bielorussie de Loukachenko n’a pas reconnu la reprise de la Crimée



                • Florian LeBaroudeur Florian LeBaroudeur 29 février 2020 22:06

                  On peut reprocher à Emmanuel Todd ses nombreuses corrections au fil de ses ouvrages, mais est-ce plus déshonorant que ceux qui ne se corrigent jamais par crainte de perdre la face ?

                  Un bon Anthropologue est une personne qui cherche et qui cherche et non quelqu’un qui pense avoir trouver. Il doit faire abstraction de ses préférences idéologiques et personnelles, se mettre hors contexte des influences dominantes, et je connais ô combien l’énergie et la patience que cela demande.

                  Comme on dit dans le jargon « il n’y a que les c...qui ne changent pas d’avis »


                  • Olivier Perriet Olivier Perriet 29 février 2020 23:05

                    @Florian LeBaroudeur

                    ce n’est pas tellement une critique.

                    Sauf lorsqu’il fait du militantisme, et se corrige après.

                    Encore n’ai-je pas rappelé le fameux « hollandisme révolutionnaire » qu’on lui a tant reproché smiley


                  • Kapimo Kapimo 29 février 2020 22:41

                    Je n’ai pas lu le dernier Todd, mais ai beaucoup aimé les précédents. Il me semble que l’approche par l’analyse anthropologique de Todd permet de prédire assez bien certains mouvements de fond de nos sociétés. Par ailleurs, j’aime beaucoup son point de vue sur la nature punitive de l’UE et de l’euro. L’article (que j’ai lu en diagonale vu sa longueur) s’attache à attaquer Todd sur son absence de rigueur concernant l’influence de l’économie. Personnellement, je pense que l’économie n’est pas une science, et peut servir uniquement à modéliser partiellement des réalités économiques complexes soumises à des influences innombrables, mais certainement pas à modéliser de manière centrale les évolutions des sociétés humaines.

                    Ce qui me gene, c’est que Todd ne parle jamais des éléphants dans la salle dans ses analyses historiques, et que les réseaux de pouvoir et leurs projets ne sont pour lui que des entités négligeables dans l’évolution de nos sociétés et la marche de l’histoire.

                    Je pense personellement tout le contraire, et je rejoins l’auteur de l’article lorsqu’il écrit que "si les problèmes économiques demeurent, ce n’est pas parce que ces solutions économiques étaient mauvaises, mais plutôt parce qu’elles ne sont plus, voire n’ont jamais été appliquées". Et si elles n’ont jamais été appliquées, c’est parce que les hommes de pouvoir n’ont jamais eu l’intention de vraiment tenter de les appliquer ne serait-ce que partiellement.

                    Sachant que Todd a mille fois raisons lorsqu’il dit que les politiques n’ont plus aucun pouvoir (législatif, économique, monétaires, territoriaux tous transférés à l’UE) et qu’il n’y a par conséquence plus de démocratie du tout dans l’UE et en France. La vraie question, c’est qui est derrière l’UE (qui ne s’est pas construite de manière spontanée), ou sont les vrais pouvoirs, et quels sont leurs projets (non débattus publiquement) ?

                    Nicholas Murray Butler (Doyen université Columbia, Président de la Pilgrim Society, membre de la Carnegie, membre du CFR, Prix Nobel de la paix 1931) : "Le monde se divise en trois catégories de personnes : un très petit nombre qui fait se produire les évènements, un groupe un peu plus important qui veille à leur exécution et les regarde s’accomplir, et enfin une vaste majorité qui ne sait jamais ce qui s’est produit en réalité" 


                    • Nick Corey 1er mars 2020 02:51

                      @Kapimo
                      Je pense personnellement tout le contraire, et je rejoins l’auteur de l’article lorsqu’il écrit que « si les problèmes économiques demeurent, ce n’est pas parce que ces solutions économiques étaient mauvaises, mais plutôt parce qu’elles ne sont plus, voire n’ont jamais été appliquées »

                      En fait, c’est de Todd, c’est au tout début de Où en sommes-nous ?

                      Mais vous touchez un problème fondamental.
                      Quelle part de « structurel », de « fond culturel » et quelle part d’actions décisives font l’Histoire ?
                      En réalité, Todd n’est pas clair.
                      Dans l’émission de Pivot en 90, il dit une chose nette : les néolibéraux ont gagné la guerre parce qu’ils se sont organisés stratégiquement. Lui pensait, à l’époque de la Chute Finale, que le système s’effondrerait, mais quand le système soviétique est tombé, alors que tout le monde parlait d’effondrement, il parlait de la stratégie des néolibéraux.
                      Il dit aujourd’hui qu’il croit au libre-arbitre.
                      Quand il invoque à l’organisation, il laisse à croire qu’on peut agir sur les variables, finalement.
                      Alors que je rejoins votre position sur le fait qu’il semble nier qu’il y ait eut des forces d’organisation délibérées dans le mouvement de l’Histoire.

                      Sans vouloir faire mon marxiste primaire, je pense que la solution est dans Marx. Todd en a parlé lui-même dans une interview où quelqu’un lui demandait s’il n’était pas un peu complotiste.
                      La règle anthropologique marxiste est que chacun va à son intérêt de classe. En ces termes, on sort de toute forme de complotisme, mais on doit reconnaître que au sein des classes, les gens sont portés par les forces structurelles de l’Histoire. Ainsi, si une classe s’organise dans l’ombre, ment et triche pour dépouiller le peuple, c’est parce que c’est tout ce qu’elle sait faire, qu’elle est conditionnée par ça.
                      Todd minimise peut-être l’influence des réseaux, mais son but est d’insister sur un autre point, au moins aussi réel que ces réseaux, c’est le manque crucial d’intelligence de ces gens. Certes ils s’organisent pour maintenir leurs privilèges, mais ils partaient bien déjà, et puis c’est pas un signe d’intelligence. Surtout quand on tape pour faire accepter le truc.

                      Mais Todd n’est pas très habile dans la manipulation de ce point de Marx. Il est anthropologue, et non philosophe. Et je pense réellement qu’il a des blocages. Ses obsessions sur la distinction inintéressante du stato-financier, ou sur le fait que le néolibéralisme en France n’est pas très néolibéral (son fils David a fait un bouquin très sérieux sur l’identité économique de la France), révèlent un rapport émotif à certaines questions. Je suis d’ailleurs surpris que personne n’ait pensé à lui demander ce qu’il pense de la dictature de Pinochet, modèle néolibéral stato-financier typique.


                    • Kapimo Kapimo 1er mars 2020 20:23

                      @Nick Corey

                      Ses obsessions sur la distinction inintéressante du stato-financier, ou sur le fait que le néolibéralisme en France n’est pas très néolibéral

                      Moi, je trouve cela intéressant au sens ou le diagnostic est juste : les biens collectifs sont pillés par ceux-là meme (les énarques et autres hauts fonctionnaires) qui sont censés les faire prospérer, et pas uniquement par une classe capitaliste privée. Cette complicité est le coeur meme de la trahison des « élites », l’abandon complet de l’interet général par ceux qui disposent d’un pouvoir étendu (et dieu sait que l’état français a des pouvoirs) qui leur a été concédé à la condition qu’ils défendent l’intéret général.
                      En fait, cela correspond assez bien à la vision des néo-libéraux style Hayek, pour qui l’état doit continuer à etre fort mais uniquement dans les domaines du maintien de l’ordre, afin de protéger les biens des très riches de la vindicte de la masse.

                    • Nick Corey 2 mars 2020 18:21

                      @Kapimo
                      Comme Todd dit : il identifie la classe.
                      Simplement, il passe trop de temps à dire que c’est différent des autres pays. Si, effectivement, la France a une centralisation qui n’existe pas ailleurs, le moment que l’on vit actuellement en France est autant étatique que la révolution conservatrice dans l’anglosphère des années 80 ou le programme Shröder (le méchant dans les tortues ninja, j’ai toujours trouvé ça génial) dans l’Allemagne des années 2000. Le pantouflage est propre aux moments des offensives libérales (comme celles du XIXè siècle, et finalement celles du XVIII, et même avant...). Karl Polanyi, que Todd cite, par ailleurs, a très bien expliqué dans la Grande Transformation, que l’État Providence est une création du libéralisme sauvage anglais du dix-septième siècle.
                      Ça n’a rien d’une spécificité française. Si le Medef paraît pitoyable au regard des mouvements patronaux des autres pays « avancés », c’est juste parce qu’il est à la traîne.

                      Alors oui : la France est nulle en économie depuis toujours. Et j’en éprouve une étrange fierté...
                      Charlemagne a conquis l’Europe pour éviter d’avoir à développer le commerce en France, l’écrasante majorité des Capets avaient des trous aux poches et le sens du commerce d’un poussin en bas âge, Quatorze a été économiquement dadaïste, et lorsque Seize a demandé de l’aide aux experts anglais, ces derniers n’ont rien pu faire. Les grands projets industriels du XIX sont des modèles de fiascos financiers...
                      Mais le libéralisme est plus qu’un championnat du monde du commerce, c’est surtout et avant tout une philosophie, un modèle idéologique complet, dans lequel le niveau en économie ne fait pas la définition. Il y a des pays très pauvres qui sont néolibéraux.
                      En France, nous on fait de la politique. Comme il disait Coluche, on a les plus grands spécialistes au monde en politique française. C’est amusant dit comme ça, mais y a du sens. En fait, c’est la tradition politique française (qui, par ailleurs, inclut une forte armée) qui a permis de résister aussi longtemps à la société de consommation au vingtième siècle, et à la psychose néolibérale individualiste jusqu’à récemment. De Gaulle, ce vieux gangster que je ne porte pourtant pas dans mon cœur, incarnait en quelque sorte cette image. Et honte à son petit-fils d’avoir vu en McRon son héritier.

                      Voilà que je m’égare encore.


                    • Julot_Fr 1er mars 2020 09:34

                      Les seules choses a retenir du bouquin de Todd sont : 1. la description des classes francaises de par leur construction economique. 2. Description de la facon dont ces classes votent.. A part ca, pas grand chose : oui la France s’appauvrit mais la source (destruction de l’industrie) est connue depuis un moment, difficile donc de comprendre pourquoi il s’extasie sur cette decouverte. Todd vit dans une caverne et ne connait pas Soral qui avait deja decrit les classes economiques francaises de facon plus intrucrive. La question emerge donc : pourquoi ce type est il mis en avant ? Un demi imbecile pratique ?


                      • Nick Corey 1er mars 2020 11:38

                        @Julot_Fr

                        Cet article ne parle pas du dernier livre de Todd... Mais pas grave

                        la France s’appauvrit mais la source (destruction de l’industrie) est connue depuis un moment, difficile donc de comprendre pourquoi il s’extasie sur cette decouverte

                        Todd en parle depuis les années 90. C’est pour ça d’ailleurs qu’il ne veut plus donner beaucoup de détails quand on lui parle de ça. Il a refusé, en conférence, d’expliquer pourquoi l’euro ne marchait pas parce qu’il en avait marre de répéter toujours la même chose.

                        Bon... Soral, ou plutôt Bonnet de son vrai nom, et comme il déteste être appelé (il assume même pas son nom de famille, et il a pris le pseudo de sa sœur pour se faire connaître...). Il fallait bien que, un jour, quelqu’un en parle sur un de mes textes (sinon Agoravox aurait été décevant...)

                        Non mais sérieux ? Vous parlez de ce machin ? Je croyais que c’était fini la période Soral, et que tout le monde avait fini par voir l’imposture.

                        Pour lui, la France est dirigée par le CRIF... On peut difficilement parler d’analyse instructive quand on est idiot à ce point. On peut chier sur le CRIF. De là à dire qu’ils dirigent le monde, c’est chaud. Franchement entre celui qui parle de l’aristocratie statofinancière et celui qui parle du crif, c’est pas long d’estimer celui qui nous fait perdre du temps.

                        Et puis Soral est un mythomane clinique. Il est obligé de ranger ses livres en roman pour ne pas se prendre des procès en diffamation, vu tous les mensonges qu’il y profère à propos de lui d’abord, et puis à propos des autres. Avoir autant besoin de raconter des fables à propos d’un tel ou d’une telle, c’est très symptomatique de maladies psychologiques avancées.

                        Vous dîtes que Todd vit dans une caverne... Soral vit sur un divan, rouge par ailleurs. Sa première intervention tv, c’était chez Mireille Dumas, il est capable de parler plus de dix minutes sans avoir fait une seule phrase, il est très facile à énerver, son psy lui dit de se défouler dans le sport. Il est l’incarnat médiatique du psychotique. À ce titre d’ailleurs, il me serait presque sympathique.

                        Je suis sûr qu’il a de gros problèmes d’érection


                      • Kapimo Kapimo 2 mars 2020 14:13

                        @Julot_Fr

                        Je ne partage pas votre jugement lapidaire sur Todd. Par contre, le fait qu’il passe sans trop de problèmes dans les grands médias en dépit de ses provocations et insultes s’explique de plusieurs manières, par ordre croissant.

                        1. il est issu d’une grande famille de l’intelligentsia (juive qui plus est), ce qui est un atout indéniable pour passer dans les médias
                        2. Il y a un buzz assuré avec lui et ses punchlines
                        3. Surtout, meme s’il crie son mépris des pouvoirs politiques en place et des médias, Todd ne s’attaque jamais aux vrais pouvoirs (les banques)
                        4. Enfin et surtout, il promeut le monde anglo-saxon face à l’Allemagne, qu’il ne perd pas une occasion de critiquer dans la continuation des grand mythes Germanophobes. Ce dernier point caractérise sa démarche, et en est à mon avis le point central pour les pouvoirs.

                      • Julot_Fr 3 mars 2020 10:06

                        @Kapimo
                        « famille juive » + « ne s’attaque jamais aux banques » + « promeut le monde anglo-saxon » (donc les banques) => vous valider sans vous en rendre compte mon assertion que Todd est un demi imbecile utile.

                        Pour aller plus loin dans ce sens, Todd dit vouloir sortir la France de l’euro mais critique le seul parti quasi viablequi proposait cela aux elections 2016


                      • Kapimo Kapimo 3 mars 2020 15:45

                        @Julot_Fr

                        Je « valide » en m’en rendant parfaitement compte le fait qu’il y a des raisons particulières qui permettent à Todd d’avoir son rond de serviette dans les médias.
                        Je ne valide pas votre attaque qui en ferait quelqu’un complètement à coté de la plaque.


                      • Kapimo Kapimo 1er mars 2020 21:12

                        ".....je pense que la solution est dans Marx......

                        La règle anthropologique marxiste est que chacun va à son intérêt de classe. En ces termes, on sort de toute forme de complotisme, mais on doit reconnaître que au sein des classes, les gens sont portés par les forces structurelles de l’Histoire. Ainsi, si une classe s’organise dans l’ombre, ment et triche pour dépouiller le peuple, c’est parce que c’est tout ce qu’elle sait faire, qu’elle est conditionnée par ça".

                        L’histoire est un enchevetrement de lutte entre classes mais aussi et surtout entre culture/civilisations. L’approche Marxiste nie toute la dimension culturelle/spirituelle de l’histoire et est purement matérialiste. En ce sens, elle est clairement incomplète.

                        En occultant les différences civilisationnelles, le marxisme oeuvre à leur destruction, dans un internationalisme matérialiste qui va finalement dans le meme sens que le mondialisme néo-libéral. Les deux dépouillent l’homme de sa dimension spirituelle, les deux veulent déraciner l’homme.

                        En ce sens, le marxisme est le meilleur allié du capitalisme néo-libéral, et inversement.

                        Le récit qu’on nous fait de l’humanité est aujourd’hui phagocyté par ces deux courants matérialistes mondialistes, qui ne s’opposent que pour mieux monopoliser le monde des idées et construire en commun un homme égotique déraciné et aspirituel.

                        D’aucun y perçoivent une vision d’un monde Noachite.


                        • Kapimo Kapimo 1er mars 2020 22:11

                          @Kapimo

                          "Supprimer la mémoire collective dissout la Nation, laquelle fait alors place au troupeau. Peut-être est-ce cela que cherchent les meneurs occultes du jeu, aux fins d’assurer plus facilement leur domination sur les ilotes modernes dont ils rêvent ?
                          De Gaulle


                        • Nick Corey 2 mars 2020 07:41

                          @Kapimo
                          L’approche Marxiste nie toute la dimension culturelle/spirituelle de l’histoire et est purement matérialiste.
                          J’insiste sur ce point : c’est faux.
                          Il ne faut pas confondre Marx et les marxistes, et il faut contextualiser.
                          À l’époque de Marx, c’est l’impérialisme qui domine, et tout le monde considère qu’on va vers une homogénéité universelle. Libéraux et gaucho, certes, mais aussi les royalistes, les ’radicaux’, tout le monde. Il n’y a pas d’exception à l’époque.
                          Marx, malgré son internationalisme, est un des rares à être beaucoup plus respectueux de l’idée de diversité culturelle.
                          Marx ne nie pas la dimension culturelle. Au contraire, il est un des rares à l’étudier. Il dit simplement qu’il faut combattre ce qui passe pour du culturel mais qui n’est que de l’économie, ce qui, passant pour du culturel, impose la domination économique.
                          Son internationalisme est en fait simplement la croyance que dans un système où le mensonge capitaliste est tombé, les gens vont converger culturellement. Mais il n’est pas question de l’imposer, contrairement aux autres doctrines de l’époque. Marx n’est pas Staline, faut arrêter avec ça.

                          Au contraire, les religions monothéistes, et le christianisme en particulier, sont expansionnistes, universalistes, guerrières, et elles l’ont prouvé, plus encore que libéralisme et marxisme, pendant très longtemps. C’est le Christ qui a inspiré l’internationalisme de Marx et du néolibéralisme. Sans le christianisme, pas d’égalitarisme marxiste, sans le protestantisme, pas de libéralisme, etc... On peut se cacher derrière des mythos, en disant que c’est parce que le Christ l’a voulu, mais c’est puéril.

                          D’aucun y perçoivent une vision d’un monde Noachite.
                          J’ai envie de dire que c’est exactement le contraire.
                          Le judaisme, la loi de Noé, tous ces trucs, c’est pas de l’appel à conversion. Ouh là là... Surtout pas. Conversion, psoriasis d’Israël comme on dit. Y a pas d’internationalisme dans le judaïsme, seulement dans les yeux des antisémites.
                          On peut parler de colonialisme à l’heure actuelle mais surtout pas d’internationalisme, c’est un contre sens total.


                        • eau-mission eau-pression 2 mars 2020 10:31

                          @Nick Corey
                          Pour rejeter le stalinisme, je trouvais bon, quand le Grand Soir avait encore un avenir, de prétendre que le Christ était communiste.

                          Un jour, je suis tombé sur Leroi-Gourhan, qui propose le lien entre le geste (l’économique) et la parole, et j’ai compris que je n’avais côtoyé que de mauvais communistes, des matérialistes triomphants.

                          Quand vous cherchez à comprendre la relation entre paysans et luthérianisme, que faites-vous du sentiment religieux chez l’individu de l’époque ? Me transportant en paysan du moyen-âge, je me demande si je n’aurais pas aimé Dieu, parce que dans le schéma où le Seigneur menace le seigneur qui me gouverne, je ne suis pas livré au bon vouloir d’un autre humain.


                        • Kapimo Kapimo 2 mars 2020 14:41

                          @Nick Corey

                          Prendre en compte la « dimension spirituelle/culturelle » de l’histoire, ce n’est pas dire on va tendre vers ceci ou cela sur un plan anthropologique, c’est considérer que c’est un des ressorts de l’histoire. Marx et les Marxistes théorisent au contraire une histoire mue quasi-exclusivement par la lutte des classes/le matérialisme.

                          Les religions (monothéistes ou pas) sont effectivement par période et par endroit « guerrières et expansionnistes » (en fait, elles ont été surtout récupérées par les pouvoirs politiques pour justifier leur guerres). Donc nier l’importance des facteurs culturels/civilisationnel dans l’histoire revient à ignorer la réalité. Les agressions sanglantes sans limites des chrétiens Russes par les bolcheviques donnent une bonne idée de ce que pensent réellement les marxistes du facteur religieux.

                          Concernant la promotion de l’égalitarisme social, je doute fort qu’il soit d’origine chrétienne. L’égalitarisme est une notion d’abord franc-maçonne, propulsée sur le devant de la scène lors de la révolution française et contre l’église. Interessant d’ailleurs de voir à quel point le contenu du « Manifeste du parti communiste » recoupe le programme Bavarois couché par ecrit par Adam Weishaupt.

                          Quant au Noachisme, je vous invite à mieux vous renseigner sur son sens, il n’est pas destiné aux juifs, mais à l’ensemble des Nations.


                        • Nick Corey 2 mars 2020 19:43

                          @eau-pression
                          Leroi-Gourhan, qui propose le lien entre le geste (l’économique) et la parole
                          Je n’ai rien lu de lui... Incompétent total.

                           que faites-vous du sentiment religieux chez l’individu de l’époque ? 
                          Excellente question !
                          Dans mon brouillon  oui, j’écris au brouillon, j’avais inclus un passage sur, non pas exactement ce point, mais du moins sur la question religieuse proprement dite.

                          En fait, je pense que vous serez d’accord que, au XVIè siècle (et même avant et encore après), rien ne se fait au dehors du religieux. Toutes les activités de la vie ont un sens religieux, les gens ne pensent qu’à leurs rédemptions, on va a à la messe tous les jours, toutes les étapes de l’année sont des marqueurs religieux, etc.
                          Je pense que même les athées étaient bien trop imprégnés de religion pour être vraiment athées.
                          Attention, je ne juge rien, je parle simplement des faits.
                          Je pense que j’aurai été un gros bigot, moi... Bien relou. Ou alors à la Zwingli, super bordellique.
                          Ici, il faut faire une remarque sur le travail de Todd.
                          Dans Où en sommes-nous ?, il passe de l’Antiquité à la Réforme sans trop parler de la période médiévale. C’est tout de même étrange pour un chercheur qui dit se fonder sur la variable religieuse, la période médiévale étant l’apogée de la pensée religieuse en Occident. Todd parle de variable religieuse.
                          Mais au Moyen-Âge, la variable religieuse fait l’union de toutes les variables  et condamne même les variables qui oseraient s’échapper. Et elle fait tout pour ne pas varier, même si elle y est obligée régulièrement.
                          À la sortie, on peut expliquer tous les événements du M-Â par des causes religieuses, mais alors, on n’aura rien dit.
                          En fait, la Réforme, c’est le moment où la variable religieuse se détache des autres. C’est le moment où il devient intéressant de l’étudier. Mais c’est, du même coup, une des limites de la démarche toddienne.

                          Pour revenir à votre question, je pense qu’il faut mettre en parallèle avec les Diggers anglais du dix-septième siècle, qui résistaient contre les enclosures, et avaient des revendications religieuses profondes — mais à une époque protestante de plusieurs générations. Et avec ce que dit Todd sur la religion, aussi bien que l’idée d’un Christ communiste (dont le prophète aurait été Henri Guillemin, non ?).
                          La révolte est une crise morale, un bouleversement de valeurs. À l’échelle d’une société, une crise morale se manifeste par des oppositions et des ralliements. Un ralliement moral contient, en quelque sorte, du religio, il a quelque chose du fait religieux.
                          Jésukrist, tout comme les Bundschuhe et les Diggers s’expriment par le religieux parce que c’est le mode d’appréhension du réel pour eux. Aussi, les trois dénoncent les « marchands du temple », en même temps qu’ils veulent purifier, simplifier le culte, devenu à leurs yeux, un foutoir corrompu.
                          À mon avis, le vrai sens chrono-logique peut s’exprimer comme suit.
                          Tps 0  Tout va bien, la religion maîtrise tout.
                          Tps1  Des problèmes divers apparaissent. Ils paraissent risibles, on les nie.
                          Tps2  Des problèmes économiques apparaissent. Les gens les plus en bas de la société ne sont plus dupes, mais il reste les classes moyennes pleines de foi.
                          Tps3  Tout craque et la religion, incapable de maintenir la société est remise en question.
                          Le problème de la foi religieuse, du rapport au sacré, arrive en dernier, puisqu’il est ce qui maintient le tout.
                          Pour les paysans, Luther a servi d’allumette, mais leur tonneau de poudre était économique. Que Luther se soit désolidarisé ne les a pas empêchés de continuer. Tout comme les Diggers, abandonnés par la New Model Army, et les puritains.

                          Todd parle de religion 2.0 dans l’idée que, maintenant que tout craque de partout, il faut lancer une vague morale qui prend les caractères d’une forme nouvelle de religio, et poserait les bases d’une nouvelle organisation sociétale.
                          Mais 2.0, ça existe déjà, en fait, c’est internet, la religion libérale, qui ne répond pas aux interrogations sur la vie après la mort, puisque pu personne s’en fout, mais qui offre à peu de frais des paradis terrestres en tous genre, et est devenu, comme l’Église médiévale, le point incontournable pour toutes les démarches administratives. Et c’est flippant.

                          Je pense que même les low-techs sont bien trop imprégnés de numérique pour être vraiment low-techs.


                        • Nick Corey 2 mars 2020 21:25

                          @Kapimo
                          Prendre en compte la « dimension spirituelle/culturelle » de l’histoire, ce n’est pas dire on va tendre vers ceci ou cela sur un plan anthropologique, c’est considérer que c’est un des ressorts de l’histoire. Marx et les Marxistes théorisent au contraire une histoire mue quasi-exclusivement par la lutte des classes/le matérialisme.
                          Je pense que notre opposition vient de la définition de « prendre en compte ». Marx prend en compte le spirituel et le culturel dans son analyse de l’histoire, mais il les considère, épistémologiquement comme des variables, et politiquement comme des outils de domination dans la mesure où elles présentent des signes capitalistes.
                          Oui, c’est vrai, Marx ne voit l’Histoire que comme le matérialisme historique, cad la lutte des classes, et considère que les crises religieuses ou culturelles ne sont que le reflet de problèmes économiques. Or l’Histoire lui donne en grande partie raison.

                          Mais je pense que ce qui vous gêne chez Marx, c’est le mépris qu’il a pour le contenu spirituel et culturel, et je vous rejoins, en fait, sur ce point sans problème.

                          Quant au Noachisme, je vous invite à mieux vous renseigner sur son sens, il n’est pas destiné aux juifs, mais à l’ensemble des Nations.

                          Je confesse que je ne connaissais pas le mouvement noiiste, qui est, effectivement, dans le prosélytisme assumé.

                          Néanmoins, il n’est pas question de conversion. Cela n’a vraiment aucun sens avec la logique d’un peuple Élu, dont l’identité est dans la distinction, dans un inégalitarisme sacré et généalogique. Je n’ai fait que survoler ce courant de noi, mais il est question d’enseigner, d’initier, éventuellement de faire appliquer les règles, mais pas de convertir.


                          Concernant la promotion de l’égalitarisme social, je doute fort qu’il soit d’origine chrétienne.

                          En fait, la religion chrétienne est le premier monothéisme a s’ouvrir à tous sans distinction de classe, et donc la première religion à le faire, puisque, par définition, le polythéisme est une religion de distinction. C’est pourquoi on dit que c’est elle qui a « inventé » l’égalitarisme.

                          Au-delà, le message du Christ est clair. Pour le coup, c’est moi qui vous invite à lire le Nouveau Testament, et tout particulièrement les 4 évangiles et l’Acte des Apôtres qui sont la base de la pensée chrétienne. Vous y verrez la première pensée à avoir mis un signe d’égalité entre tous les hommes. Ni Platon, ni Bouddha, ni Alexandre, ni qui que ce soit n’avait fait ça.


                          Pour ce qui concerne son caractère guerrier, oui oui, bien sûr, ça n’a pas toujours été le cas. Mais …

                           elles ont été surtout récupérées par les pouvoirs politiques pour justifier leur guerres

                          Cette assertion, trop souvent entendue, est, à mon avis, une erreur, dans la mesure où la politique était religieuse, et que l’idée de séparer les deux est un truc très récent. La religion était une partie du pouvoir politique, et le pouvoir politique se prétendait autorité religieuse. Dit autrement, une religion qui ne faisait pas de politique était une secte reculée du monde, ou bien elle disparaissait.

                          La religion n’est pas du domaine de l’intime. Cette phrase de Nabila est une absurdité totale. Elle entretient une relation avec l’intime, mais ce n’est pas son problème le plus essentiel. Son problème est le lien, donc son problème est politique.

                          Le christianisme, pour se hisser au rang de religion d’État a dû se paganiser dans l’Empire Romain, puis dans toute l’Europe, notamment par le culte des saints et des reliques, que le Christ, de toute évidence, aurait rejetées… Ça c’était un sacré coup politique.

                          Au-delà, l’Histoire de l’Église romaine est une histoire politique à part entière, avec toutes sortes de prises de positions et d’exactions qu’il faut remettre dans leurs contextes. Pour ma part, j’ai une passion pour la Réforme Grégorienne, et je trouve que c’est un de ses coups de génie. Todd dit à juste titre que les chrétiens ont été les premiers à protéger les enfants (chaque vie compte, si c’est pas égalitaire, ça).

                          Après, il reste les Papes décadents, la corruption du clergé, la doctrine qui devient surréaliste, la caution de l’esclavage, etc.


                        • Nick Corey 2 mars 2020 21:31

                          @Kapimo

                          Enfin...

                          Sur les francs-maçons et les Illuminati, le rapport à Marx, tout ça…

                          Bon déjà, moi je ne vois pas plus de ressemblance entre le manifeste du PC et le Voyage illuminé chaipaquoilà, qu’entre Balzac et Stendhal. Si le Protocole est à l’évidence un pastiche des Discussions avec le Diable (même Hitler le savait), le parallèle entre les textes de Marx et de Weishaupt reste à établir. Puis surtout c’est pas important, ils ont rien à voir, mais rien.

                          C’est comme Marx et Satan. Voilà moi aussi j’ai écrit des poèmes tous pourris et border line quand j’étais ados j’ai volé des cierges dans les églises, et tout le bastringue. Il m’arrive de faire des emprunts douteux à des films de merde. J’ai cité Henri Dès dans une critique anthropologique, quand même…

                          Je vous invite à étudier les vrais biographies de Marx.


                          Les franmacs…

                          Pour une bonne idée de ce qu’est la franc maçonnerie à la période des Lumières, je vous invite à lire la biographie du grand Giacomo Casanova, Histoire de ma vie. Il est à mon sens, le meilleur écrivain français de tous les temps (le style, c’est du caramel), et son livre est le témoignage le plus précis du dix-huitième siècle. Or Casanova a traîné dans une bonne partie des loges d’Europe. Personne mieux que lui peut faire autorité. Je ne vous en dis rien, allez voir.


                        • eau-mission eau-pression 3 mars 2020 08:33

                          @Nick Corey

                          De mon côté, à part Leroi-Gourhan et votre article, j’ai beaucoup moins lu que vous.

                          L’imagination a quartier libre chez l’anthropologue pour relier entre eux des vestiges très éloignés les uns des autres, et je trouve Leroi-Gourhan à la fois fécond et honnête dans cet exercice. Il a fait des livres brefs et très accessibles.

                          La sacralisation de la pensée m’ayant toujours agacé, quel plaisir de suivre son enquête sur la migration dans le cerveau humaine des fonctions de contrôle de la main et du visage. Pour reposer vos yeux de la lecture, vous pouvez l’écouter .

                          S’intéresser à ce genre de travaux n’implique pas d’être déterministe. Les fossiles nous offrent des questions plutôt que des réponses. Je n’ai pas retrouvé le passage particulier de votre texte qui m’a rappelé « le geste et la parole ». S’il y a bien des zones cérébrales distinctes dans lesquelles s’élaborent les gestes (l’économique) et la parole (le culturel), ces zones sont voisines et historiquement liées.

                          E.Todd se livre pas mal sous le processus d’intellectualisation de surface. Il y a sûrement chez lui le souci constant de comprendre ses origines, qui peut lui faire écrire l’histoire dans un sens favorable à sa lignée. Je le fréquente trop peu pour l’avoir vu aborder de front la question de la religion. La relation entre l’église et le pouvoir est tellement différente en France et en Angleterre ...

                          Je me demande si la Russie marxiste n’était pas destinée à tomber dans les mains d’un ex-séminariste : la pratique de l’auto-critique utilisée comme instrument de domination, comme un prêtre pervers userait de la confession pour s’allier au pouvoir.

                          La religion 2.0 pourrait émerger si on mettait l’ordinateur à sa place, celle de serviteur. C’est un autre débat ...

                          Imaginez par exemple que les lanceurs d’alerte puissent nous dire directement ce qu’ils savent sur l’épidémie en cours, son origine, son traitement, au lieu d’être contraints pas les pouvoirs en place, qui n’ont rien du bon berger, de policer leur discours.


                        • Kapimo Kapimo 3 mars 2020 15:23

                          @Nick Corey


                          moi je ne vois pas plus de ressemblance entre le manifeste du PC et le Voyage illuminé chaipaquoilà, qu’entre Balzac et Stendhal. Si le Protocole est à l’évidence un pastiche des Discussions avec le Diable (même Hitler le savait), le parallèle entre les textes de Marx et de Weishaupt reste à établir. Puis surtout c’est pas important, ils ont rien à voir, mais rien.


                          Votre gene à parler de ceux qui ont animé le courant de pensée égalitariste n’a pas lieu d’etre, et votre dérision sonne faux. Pour mémoire, le programme de Weishaupt exprimé dans des documents parfaitement identifiés comportait les points principaux suivants :
                          abolition de la monarchie et de tout autre gouvernement légal
                          abolition de la propriété privée
                          abolition du droit d’héritage privé
                          abolition du patriotisme et de la loyauté militaire
                          — abolition de la famille/ du mariage, permission de l’amour libre et délégation de l’éducation des enfants à la communauté
                          abolition de toutes les religions

                          Le Manifeste de Marx prone les actions suivantes :
                           abolition des pouvoirs en place et prise de pouvoir par le « prolétariat »
                           abolition de la propriété privée.

                          — abolition de la famille
                           abolition de l’héritage privé
                           création d’une banque centrale
                           travail obligatoire pour tous
                          L’abolition de la notion de patrie et l’affaiblissement des religions y sont par ailleurs présentés comme inexorables.

                          Difficile donc d’affirmer que Weishaupt et Marx ne sont pas dans un courant de pensée commun....
                          Quant à la révolution française, qui déboucha sur la mise en place du dogme égalitariste, il ne vous aura pas échappé que le très puissant club des Jacobins était une fédération des différentes obédiences.

                          .

                          Ceci étant dit, il ne s’agit là que sujets accessoires, et ce n’était pas mon propos principal.
                          Ce qui me semble important, c’est de percevoir le caractère miroir des idéologies du néo-libéralisme mondialiste et du marxisme.
                          Le Marxisme s’est construit en opposition au néo-libéralisme (appelé capitalisme international par Marx), il postule que le communisme découlera naturellement du déroulement inexorable de l’histoire une fois le capitalisme international suffisamment développé.
                          Cette théorie Marxiste ne laisse donc de place qu’au duopole Capitalisme/marxisme, sachant que les deux idéologies sont :
                          mondialistes et antinationales
                          matérialistes
                          autoritaristes
                          pour la mise en place de banques centrales puissantes

                          Cette opposition néo-libéralisme/marxisme qui monopolise le débat depuis bientot deux siècles est donc bien utile à ceux dont la priorité est :
                          l’affaiblissement des Nations
                          la mise en place de pouvoirs autoritaires
                          le pilotage des économies par les banques centrales
                          la domination du matérialisme

                          Cette opposition capitalisme néo-libéral/marxisme n’en est donc une qu’en apparence si on considère les points de convergence des deux idéologies : ce débat duopolitique exclut de-facto :
                          les courants de pensée non centralisteurs et mettant en avant l’importance des communautés locales
                          les courants de pensée patriotiques
                          les courants de pensée attachés aux traditions (notamment famille, religion)
                          les courants de pensée non-matérialistes
                          les courants de pensées pronant une économie vraiment libre

                          Supprimer la mémoire collective dissout la Nation, laquelle fait alors place au troupeau. Peut-être est-ce cela que cherchent les meneurs occultes du jeu, aux fins d’assurer plus facilement leur domination sur les ilotes modernes dont ils rêvent ? De Gaulle




                        • Nick Corey 3 mars 2020 22:01

                          @Kapimo
                          Votre gene à parler de ceux qui ont animé le courant de pensée égalitariste n’a pas lieu d’etre, et votre dérision sonne faux
                          De quelle gêne parlez-vous ? J’ai écrit un pavé sur le christianisme juste au-dessus... Et, au dehors de quelques accès d’ironie, je suis très sérieux. 

                          Ça devient tendu, par ailleurs. Vous ouvrez le bal des hostilités avec la première attaque personnelle. Pas d’insulte, vous restez courtois, mais on sent la tension. Alors je me permets de répondre : le fait que vous ne répondiez pas aux points que je développe me laisse croire que vous ne lisez que rapidement (voire pas vraiment) mes réponses, et que vous n’utilisez cette page que comme une tribune pour diffuser les fables surréalistes crypto-soraliennes.
                          Néanmoins, je vais répondre. Parce que je trouve sincèrement cette discussion intéressante.

                          Déjà, j’insiste sur le fait que la valeur d’égalité (en tant que théorisée) est une création chrétienne. Vous qui avez des petites tendances maurassiennes, vous devriez le savoir. Maurras rappelait l’origine juive du christianisme et lui opposait le catholicisme français, christianisme paganisé. Le modèle français des trois Ordres a, pour lui, balayé la valeur d’égalité pour lui substituer un Ordre qui comprend, assimile et régule les inégalités : monarchie, noblesse, corporations des métiers, professions héréditaires...
                          Maurras a, paradoxalement, une vision latine de la France. Au nord de la France, sa doctrine ne tient plus, puisque la valeur d’égalité chrétienne (théorisée) s’est bien arrangée avec des pratiques égalitaires ancestrales. Aussi, les paysans du nord de la France n’ont-ils jamais adopté la primogéniture, à aucune période que ce soit.

                          Pour la suite...

                          Je n’ai eu l’occasion de feuilleter le Véritable Illuminé que deux ou trois fois, il y a déjà longtemps, et le texte n’est pas trouvable sur internet. Je ne peux malheureusement croiser le fer avec vous sur le détail du texte. Je vous invite à citer le texte pour me prouver ce que vous affirmez.
                          Mais tout de même, on peut dire deux trois trucs sur cet acarien de l’Histoire.
                          Weishaupt est théologien et empiriste, dans la lignée des anglais. Si l’on en croit ce qu’on trouve sur internet, il est particulièrement anti-kantien. Il est déiste. Il me semble qu’il est un portrait typique de l’anticlérical de l’époque, cynique et un peu comploteur. Finalement sa démarche est proche de celle des révolutionnaires bourgeois français. Il est voltairien comme dirait Guillemin. Si le texte du Véritable prône réellement une abolition de tout gouvernement légal, je tends à douter de sa sincérité. Un comploteur veut le pouvoir, et non l’abolir.

                          Marx est matérialiste et athée. Il est dans l’héritage de Hegel qui est dans l’héritage de Kant. Il rejette l’empirisme anglais que Weishaupt prône. Marx ne complote pas, et rejette toute forme de complot, qu’il associe à de la fausse conscience, de la décadence de mœurs, du fait lumpenprolétarien. Il ne prône pas l’existence d’une élite. Complot, élite politique, tout ça, c’est léninotrotskiste.
                          Aussi, à propos de la liste que vous faîtes,
                          1/ Je récuse l’abolition de la famille. 
                          Il s’agit d’abolir la famille bourgeoise. Or « Le prolétaire est sans propriété ; ses relations de famille n’ont rien de commun avec celles de la famille bourgeoise. » Pour Marx, le Capital a déjà détruit la famille prolétaire, et la famille paysanne est corrompue par l’Ancien Régime (ce n’est pas faux, mais Marx a une idée assez fausse de la paysannerie)
                          On va se calmer, Marx n’a pas l’intention de mettre les enfants en commun, comme chez Platon. Il aimait sa famille et il comprenait tout à fait l’attachement filial.
                          2/Je confirme la création de la Banque Centrale.
                          Mais il ne s’agit pas d’une banque centrale façon FED, ni Banque européenne, ni Banque de France, façon Napoléon 1er. Dans la mesure où Marx est contre l’élite politique, cela signifie que les décisionnaires de la Banque Centrale sont l’Assemblée des travailleurs, et non une banque de gangsters comme c’est le cas dans les exemples cités. Le pilotage de l’économie par les Banques Centrales, tel qu’il est pratiqué aujourd’hui est un truc qui aurait horrifié Marx. Et qui effraient aussi les néolibéraux, en fait  même si, eux, savent faire avec.
                          Par ailleurs, Weishaup est toute l’image du sale bourge décadent que Marx déteste et condamne. Il n’y a pas de lien possible.

                          Pour ce qui concerne la suite de ce que vous dîtes, je suis d’accord avec plusieurs points. Mais pas du tout sur la façon dont vous les présentez.
                          Même si c’est un peu caricatural ( et une vision centrée sur la France et non sur le monde), il est vrai qu’il y a un dualisme, une dialectique spectaculaire mais creuse, bloquante et assourdissante, qui s’est produite entre libéralisme et marxisme au vingtième siècle, et que l’on peut comparer aujourd’hui au dualisme identitaire gaucho et identitaire facho. J’insiste sur vingtième, puisque, déjà, y a deux siècles, Marx avait deux ans, et que, en 1870 encore, il n’y avait pas beaucoup de marxistes. Mais surtout, cela ne devient du Spectacle qu’à partir de la Guerre Froide.
                          Et même, on peut nuancer sur le caractère bloquant, puisque c’est grâce à ce dualisme qu’on a pu résister au capitalisme en France.
                          Mais surtout :
                          1 le néolibéralisme n’est pas antinational. Hayek est un gros natio. La mondialisation libérale, ce n’est pas l’abolition des frontières, c’est de l’impérialisme à l’anglaise (même si Hayek était autrichien d’origine) : une minorité plus maline domine les autres. Et on se fout royalement, par ailleurs de savoir si ces autres sont égaux entre eux.
                          2 Vous confondez matérialisme historique et fétichisme de la marchandise. Marx est matérialiste dans un sens précis : c’est sa façon de comprendre l’Histoire. Mais il n’est pas matérialiste au sens libéral, c’est-à-dire qu’il ne dit pas que seules la production matérielle et la consommation compte. Si, pour lui, la culture et le spirituel (comme vous dîtes) contemporains ne sont que les reflets des rapports de production dominée par le Capital, il n’exclut pas l’idée que, une fois libérés des conditions capitalistes, les humains pourraient produire une nouvelle culture. Néanmoins, il ne dit rien sur ce que cela pourrait être.
                          3 Ainsi, si on peut dire qu’il est pour le travail obligatoire (vous avez oublié « service », non ?), c’est surtout dans l’idée que les bourges vont devoir se mettre à bosser. Marx, qui n’a pas prédit la délocalisation, voit dans l’automatisation le mouvement irrémédiable de la libération du temps de travail : le travailleur aura le temps de se cultiver et de prendre conscience de sa condition. Au contraire de ce que vous semblez dire, il n’est pas pour l’esclavage, et pense que, avec la machine, les humains n’auront plus qu’à bosser quelques heures par jour.

                          Il me semble que pour critiquer Marx adéquatement, il faut d’abord se fonder sur les textes, et non sur les interprétations approximatives de quelques malheureux. Si je suis d’accord avec Marx sur de nombreux points, je ne suis pas marxiste, et oui : il nie beaucoup trop la dimension spirituelle de l’humain, il n’a pas saisi adéquatement le sens des religions, etc... Mais c’est méconnaître profondément Marx que de le relier à des associations comploteuses. 

                          D’une façon générale, rechercher les complots de l’Histoire peut être une vraie discipline, mais pour que cela devienne intéressant et utile, il faut être rigoureux dans son travail, et pas simplement associer toutes les figures de l’Histoire qui nous apparaissent détestables (sans généralement les connaître) et se persuader qu’ils se sont ligués rien que pour nous faire peur.

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