Ours : forte tension entre les gardes et les éleveurs dans les Pyrénées
Les constats de prédation des ours sur le bétail font l’objet de fortes tensions entre les gardes du parc national des Pyrénées et les éleveurs.
« C’est dur de rester calme » affirme Bertrand Gerbet, en charge du dossier montagne chez les Jeunes Agriculteurs. En cause : le comportement de certains gardes du parc national des Pyrénées lors des constats de prédation de l’ours sur le bétail. Et d’enfoncer le clou. « Il y a 50 ans, les constats étaient faits par des gens du cru. Aujourd’hui ce sont des shérifs verts. C’est une milice. Ces gardes assermentés n’ont de compte à rendre à personne, sauf au ministre, même pas au préfet ».
Ce sentiment est loin d’être isolé. En très peu de temps, les Jeunes Agriculteurs du canton de Luz-Saint-Sauveur (Hautes-Pyrénées) ont rassemblé 250 à 300 éleveurs « et alliés » le 20 mai dernier, devant la sous-préfecture d’Argelès Gazost. Ils ont fait part de leur « ras le bol des attaques d’ours », mais pas seulement. Ils ont aussi évoqué « le comportement des gardes chargés des expertises et leur non respect des éleveurs touchés » par les prédations. Dans le collimateur : un garde qui officie dans le Val d’Azun, et qui ne se contente pas d’avoir un « comportement ignoble sur la toile » (1).
Constats falsifiés
Ce même garde et quelques autres réfutent systématiquement la responsabilité de l’ours dans les dégâts commis sur les troupeaux. Au point d’être accusés, lui et quelques autres, de falsifier les constats de prédation pour ne pas mettre en cause l’ours ou tout autre prédateur dans les dégâts commis sur les troupeaux. Le principal mis en cause aurait ainsi mis dans un constat que « la brebis aurait déroché toute seule, l’ours était simplement passé par là » raconte le syndicaliste agricole. Et que s’il l’avait mangée, ce n’était pas l’ours qui l’avait tuée. « Il joue sur les statistiques pour faire croire que l’ours attaque très peu » conclut Bertrand Gerbet. Autre fait : deux gardes venus constater la prédation d’une brebis (12 mai), puis d’une génisse (14 mai), sont repartis en annonçant qu’il n’y avait pas d’ours dans le secteur actuellement. En conséquence, le parc national a informé l’éleveur que ses deux bêtes prédatées ne seront pas présentées devant la commission d’indemnisation des dégâts d’ours (CIDO). N’y croyant pas une seconde, l’éleveur a alors fait appel à Jean-Baptiste Larzabal, un expert patenté qui intervient gratuitement au nom de l’Association de sauvegarde du patrimoine pyrénéen 65 (ASPP) (2) pour constater les dégâts.
Destruction de preuves
L'éleveur et l'expert se sont rendus sur le terrain le 17 mai dernier. Jean-Baptiste Larzabal découvre alors que la peau de la brebis avait été entièrement découpée sous prétexte de rechercher les hématomes. Cette procédure des gardes du parc « risque de faire disparaître des indices » s’offusque l’expert. « C’est une opération qui participe à la destruction de preuves et empêche d’établir une expertise contradictoire » conclut-il. Il n’empêche qu’elle est habituelle car trois jours plus tard, le 20 mai, l’un des gardes l’a réitérée sur le cadavre d’une autre brebis, devant Jean-Baptiste Larzabal, l’éleveur et des Jeunes Agriculteurs. « Il s’est mis à peler la tête et le cou de la brebis en les tailladant à grands coups de couteaux pour voir s’il y avait des hématomes » raconte l’expert. En même temps, les gardes ignoraient les traces de l’ours laissées dans la neige, allant jusqu’à « dissimuler les empreintes en marchant dessus » selon Bertrand Gerbet. De même, ils ignoraient le mode de consommation du prédateur, et surtout, les perforations. Pourtant, le cadavre de la brebis inspecté le 17 mai montrait des perforations de 16 à 18 mm de diamètre écartées de 53 à 56 mm l'une de l'autre. Aucun doute, c’est la signature d’un lion ou d’un ours ! Les mêmes traces ont été relevées sur la génisse. L’ours était bien le coupable. Les gardes du parc présents ont alors simplement dit qu'il en parleraient à leurs supérieurs.
L’Etat juge et partie
Les constats sont nécessaires pour indemniser les éleveurs des prédations. Reste que l’expertise, telle qu’elle a été réalisée par certains gardes du parc, est loin d’être neutre. Comment prouver la responsabilité du prédateur protégé et introduit par l’Etat lorsque les preuves sont effacées, voire ignorées ? S’il n’y avait sur place l’expert de l’ASPP65, dont la compétence égale largement, sinon dépasse celle des gardes du parc (2), la procédure n’aurait rien de contradictoire. Malgré les assurances de la DREAL Auvergne-Rhône-Alpes, la neutralité de l’Etat n’est pas assurée durant toute la procédure. La circulaire d’indemnisation des dégâts provoqués par les grands prédateurs du 27 juillet 2011 va être prochainement abrogée. On verra si la prochaine circulaire en tiendra compte et instaurera la neutralité de l’Etat, y compris en donnant des consignes claires à ses agents. Il serait temps. Car ce qu’il se passe aujourd’hui dans les Pyrénées, s’est déjà produit ailleurs.
Eviter les provocations
Rappelons-nous le ras-le-bol de Didier Trigance, sorti de ses gonds le 8 aout 2012 sur les collines de Châteauneuf-d’Entraunes (Alpes-Maritimes). Trois gardes du parc national du Mercantour étaient montés faire un constat de prédation après une nouvelle attaque de loups. Lorsque l’un d’eux lui a lancé « vous aimez bien vos bêtes, eh bien moi j’aime les loups », les nerfs ont craqué. Didier Trigance a empoigné un manche de pioche et blessé deux des trois gardes. Pour violence sur personne chargée d’une mission de service public, il a écopé de quatre mois de prison avec sursis sur cinq ans, assortis d’une amende de 4 000 €. Une peine qui se prolonge cinq ans après par l’interdiction de détenir un fusil de chasse et encore moins de s’en servir, alors qu’il assure les tirs de défense pour protéger son troupeau…
Si la poussière est retombée dans le Mercantour où les constats sont désormais assurés par des vacataires recrutés parmi les gens du cru, certains gardes du parc national des Pyrénées se posent encore en militants avant d’assumer leur rôle d’agents assermentés de l’Etat. « Ces gardes font de la provocation. Ils n’attendent qu’une chose, qu’on les touche » assure Bertrand Gerbet. « Jusqu’à présent les éleveurs sont restés très calmes. On a réussi à tenir en n’étant pas plus de trois au moment de l’expertise sur le terrain ». Maintenant la balle est dans le camp de l’Etat.
Notes
1 - Communiqué des Jeunes Agriculteurs du canton de Luz-Saint-Sauveur publié le jour même sur Facebook.
Jeunes Agriculteurs Canton de Luz St Sauveur
Ce matin nous étions 250 a 300 éleveurs et alliés devant la sous préfecture d'Argelès-Gazost pour dénoncer une nouvelle fois le ras le bol face aux attaques de l'ours (que ce soit en Pays Toy en Val d'Azun, en Barrousse ou dans les P.A.) le problème est partout le même ! L'état, le Parc national n'on que peu faire du pastoralisme Pyrénéen qui pourtant est gage de magnifique paysages si attrayant pour le tourisme quel qu'il soit !
Goiat est en procédure d'éffarouchement mais pour aller où ? chez le voisin ? ce n'est pas la solution son retrait pur est simple en est une ! L'état a acquis ces ours il en est responsable ,tout comme il est est responsable de la préservation du pastoralisme et de sa sauvegarde selon l'article de loi du code rural L113.1. De plus il a été aussi reporté a la sous-préfète le comportement des gardes chargés des expertises et leur non-respect des éleveurs touchés ainsi que le problème d'être juge et partie sur ce point il a été demandé d'avoir une expertise neutre comme pour tout ! Nous avons aussi souligné le comportement ignoble d'un garde du parc national du val d'Azun sur les injures faites sur la toile ! Nous attendons une sanction forte de la part de l état sur cette personne !
Enfin et afin de soutenir l'éleveur touché ces derniers jours nous nous sommes rendus en présence de la sous-préfete au Barrada pour voir la problématique des montagnes Pyrénées et lui montrer que la gestion des ours n est pas compatible dans nos vallées. Environ 50 éleveurs était encore présent et lui avons soumis que si ne rien est engagé très rapidement la gestion des ours a problème et la protection des troupeaux serait effectué par nous même !
2 – Jean-Baptiste Larzabal est ingénieur enseignant du ministère de l’agriculture, certifié en sciences et techniques agronomiques et de l’environnement, formateur en environnement. Il a enseigné la zootechnie en instituts supérieurs, notamment l' anatomie comparée et l'étude de milieu au lycée des métiers de la montagne de Soeix d’Oloron en collaboration avec Louis Espinassous, scientifique du Parc national des Pyrénées. Il observe et analyse les animaux blessés ou morts pour dresser les constats.
Membre de l'ASPP65 (Association de Sauvegarde du Patrimoine pyrénéen 65) des Hautes-Pyrénées, il a fait le stage ROB (Réseau ours Brun) avec l’ETO (équipe technique ours) sous la direction de l'expert ours, Jean-Jacques Camarra.
Il est également maire d'Arcizans-Dessus (Hautes-Pyrénées, 120 habitants) et vice-président du Sivom de Labat de Bun qui gère collectivement les estives indivises de 7600 ha appartenant aux communes d’Arcizans-Dessus, de Bun, d’Estaing, et de Gaillagos. Il est en charge du pastoralisme sur ce territoire fréquenté par une population d’ours sans GPS, où la prédation s'accroit sans cesse sur les brebis, chèvres, vaches et chevaux.
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