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Accueil du site > Tribune Libre > On a fait l’école dehors à Lannemezan

On a fait l’école dehors à Lannemezan

Sandrine professeure des écoles dans un quartier populaire de Lannemezan (65), m'a sollicité pour l'accompagner en forêt avec ses petits et moyens de l'école maternelle. Les enfants ont entre 3 et 5 ans. Dans la classe, je me suis présenté à eux en disant qu'on allait faire des observations dans la forêt. Un bus de la ville nous attendait devant l'établissement, nous avons du rouler cinq minutes tout au plus.

Faire silence

Il y a eu les moments de silence. Nous avions posé les sacs et nous étions en cercle, la vingtaine d'enfants et nous : une maman, une ATSEM, une service civique, Sandrine l’instit et moi. C'était février, il faisait froid. Nous avions bien marché dans la forêt, sur le chemin pentu à l'ombre de la colline et sur le plateau nous avions enfin trouvé le glorieux soleil qui tout de suite nous a réchauffé. C'est là sur la poussière du chemin, seul endroit sec, que nous avons fait asseoir les enfants. De mon sac j'ai sorti la petite cloche tibétaine, elle a produit son doux bruit, les enfants se sont tus. Je leur ai proposé de faire un moment de silence...

Tintement de la clochette

C'est facile entre deux tintements de la clochette, on ne fait rien, on ne bouge rien et on ouvre toutes grandes nos oreilles pour entendre tous les bruits de la nature. Là j'ai sorti le chronomètre, nous avons d'abord fait 10 secondes. Le savez-vous ? C'est un exploit pour des enfants de trois à cinq ans, d'arriver à ne rien bouger. Puis par paliers, 15 secondes, 20 secondes... nous sommes arrivés à trente secondes... Sans doute que là le but n'est pas que tous se mettent au diapason, à ma droite, un enfant de trois ans en particulier n'arrêtait pas, quoiqu'on dise, de prendre des feuilles mortes dans ses mains pour les poser sur ses jambes... C'est comme pour l'art ou le sport, c’est au bout d'un long entraînement qu'on arrive à l'exploit... il faut mieux en avoir conscience... Si nous apprécions nous-même ces moments de silence en nature, nous ne devons pas douter que certains enfants dans le groupe découvrent tout de suite ce plaisir et possible qu'un effet « contagion » fasse sont effet, au bénéfice de tous.

Fertile imagination

Pour les motiver un peu et aussi par goût de l'échange, on demande à chaque fois ce qu'ils ont entendu... on peut avoir des surprises... Ils sont charmants ces enfants et ont parfois une fertile imagination. On pourra avoir de très bonnes surprises si l'on répète l'exercice toutes les semaines... Pas loin d'ici à Molère je connais un groupe expert. Ce sont des primaires. Ils sont debout au bord du chemin, la minute passe rien ne bouge. Je me souvient une autre fois, d'une fillette de 8 ans avec ses parents qui s'était insurgée quand la clochette a sonné, après une minute trente : « ha mais c'est trop court ! » avait-elle dit. L'exercice le plus simple du monde peut se révéler très efficace... l'on passe à côté de tant de choses si l'on n'écoute pas.

Histoire des petits animaux

Il y a eu le moment histoire avec les petits animaux en bois, renard, chouette, coq, mulot, blaireau, petit oiseau. Le coq avec son immense crête, qui comme les crêtes de la montagne est toujours exposée au vent et au soleil, ne pouvait pas être un coq de bruyère qui lui, est bien un coq, mais n'a pas de crête. Un enfant a dit que c'est dans la ferme que vivaient les coqs et un autre en a déduit que la ferme était proche de la forêt... parfait... l'imagination toujours... Un peu plus tard nous avons dans ces animaux distingué les prédateurs et les proies... première leçon d'écologie.

Tressage

Il y a eu le moment lierre descendant. Il tombait en longues lianes d'un tronc penché, au-dessus du chemin. Chacun des enfants en a eu 10 centimètres et ils devaient faire une boucle avec... sans doute qu'aucun n'en avait conscience, mais ils ont probablement tous vécu là leur première expérience de tressage avec les végétaux de la forêt.

Rouge gorge

Il y a eu le moment rouge gorge, sans doute un des plus gracieux (voir photo). C'est Sandrine, la maîtresse qui la première a vu l'oiseau, qui était perché pas très haut sur une branche, à 4-5 mètres de distance du groupe. Les enfants ont regardé, l'ont cherché, certains l'ont vu. Le jeu d'essayer de le trouver dans les branchages a duré suffisamment pour que l'oiseau devienne l'objet de l'attention de toutes et tous... Nous retenions notre souffle pour le voir... Quel très doux usage des jours.

Empreintes d'animaux

Il y a eu le moment empreintes dans la boue du chemin...des empreintes de chien, puis deux sabots bien marqués sur le sol... un cervidé sans doute... après on a trouvé des pelotes bien marquées dans la boue, mais pas de griffes, on a pensé au chat... Puis on a rencontré une crotte de renard sur le chemin bien exposée sur une pierre.

La grosse pierre triangulaire

Il y a eu le jeu des tickets d'entrée où chaque enfant part en exploration avec sa carte. Le moment où une araignée est passée d'une main à l'autre... Il y a eu le moment de la pierre triangulaire, les enfants l'ont remarqué et ils ont constaté qu'elle collait bien avec la carte « triangle » qu'ils avaient eu dans les mains, un peu plus tôt avec le jeu du ticket d'entrée. Un inattendu moment géométrie... pourquoi pas ! C'est aussi ça la classe dehors.

Léger, léger, très léger... un vent très léger...

Il y a eu le moment poésie. Nous nous sommes allongés sur le sol, sur dos nous regardions le ciel et le haut des branches des arbres qui doucement se balançaient au gré du vent. Les enfants ont apprécié le poème de Fernando Pessoa. : « léger, léger, très léger, un vent très léger passe et s'en va toujours très léger, je ne sais moi ce que je pense, ni ne cherche à le savoir »... Pessoa qui aime toujours mettre la pensée à distance et privilégie les sensations... très doux usage des jours...

Seul.e en forêt

Il y a eu le moment MMM (Mon Moment à Moi) …Il s'agit de s'accorder un moment à soi assis sur un tronc ou au pied d'un arbre. Cela exige que nous mettions une certaine distance entre chacun de nous, pour que ce soit vraiment un moment personnel et éventuellement aller un peu dans notre intériorité. Pas si facile avec des maternels, ils sont si grégaires à cet âge la. Ils restent collés les uns aux autres quand justement on leur demande de laisser un mètre ou deux entre chacun d'eux. On a réussi finalement à les séparer un peu et à tenir peut-être une minute ou deux dans un pseudo silence... c'était une première fois. Une fois rentrés, les enfants ont créé un poème* en se remémorant les moments forts de la balade.

Expériences de nature

Je fais cela encore aujourd'hui à 67 ans, parce qu'enfant j'aimais cela. Avec un lance pierre, avec une canne à pêche, avec un arc, avec un goût immodéré de grimper aux arbres, de dévaler les pentes, de dénicher les oiseaux, de faire des barrages au ruisseau, de faire des radeaux en joncs, de prélever de l'argile pour faire mes propres billes... j'ai inventé, seul ou avec mes frères ou des copains ou les voisines, mes propres expériences de nature. J'ai aussi inventé de me poser là au bord de l'eau, toujours aux mêmes endroits et de laisser, en silence, couler les minutes... Comment aurait été ma vie sans LA CHANCE d'avoir connu tant d'expériences de nature... c'est simple, je ne préfère pas tenter de l'imaginer. Du 31 mai au 4 juin je serai à Poitiers pour les Rencontres internationales de la classe dehors... parce que ça, tous les enfants devraient y avoir droit et pouvoir comprendre immédiatement Lamartine quand il dit :

Mais la nature est là qui t'invite et qui t'aime ;
Plonge-toi dans son sein qu'elle t'ouvre toujours
Quand tout change pour toi, la nature est la même,
Et le même soleil se lève sur tes jours.

.......
 

*Inspirés par la poésie Je me souviens de Georges Pérec, voici ce que nous, petits et grands, avons écrit en revenant de notre sortie en forêt avec Roland :

Je me souviens du jeu de cartes.

Je me souviens que j’ai marché dans la forêt.

Je me souviens de la chouette de Roland qui avait des étoiles dans les yeux.

Je me souviens de la cloche en or de Roland.

Je me souviens du long long chemin.

Je me souviens de la crotte noire du renard sur le gros caillou.

Je me souviens du rouge-gorge qui s’approchait de nous sans peur.

Je me souviens de la boucle en tête de cheval avec le lierre descendant.

Je me souviens de la forêt à l’envers.

Je me souviens quand j’étais couchée au sol la poésie du vent de Roland.

Je me souviens de la ronde les yeux fermés pour écouter la forêt.

Je me souviens quand j’ai vu le vent trembler dans les feuilles.

Je me souviens du gros caillou en triangle.

Je me souviens de la côte difficile.

Je me souviens du soleil qui nous chauffe la peau.

Je me souviens du sol gelé au petit matin.

Je me souviens de l’empreinte du chien dans la boue.

 

Les petits et moyens de Las moulias.


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7 réactions à cet article    


  • jymb 13 avril 2023 13:21

    Les générations précédentes vivaient la même expérience en accompagnant ( fièrement) père ou grand père à la chasse 

    Lever dans la nuit finissante, marche silencieuse, décryptage des bruits et des empreintes, identification et déduction des passages et des habitudes de animaux

    Il suffit de relire Marcel Pagnol ou Henri Vincenot 

    A l’école on apprenait l’orthographe, l’histoire et la géographie 


    • Com une outre 13 avril 2023 15:03

      @jymb
      Heureusement qu’on n’emmène plus les enfants à la chasse. Il y a bien d’autres façons de leur faire découvrir la nature que : « Regarde le beau lièvre, mon enfant, je vais le tuer, on le verra de plus près. »


    • jymb 13 avril 2023 15:18

      @Com une outre

      Quelle caricature ! 
      Je vous laisse à votre gratin de quinoa garanti bio 100 % antipodes


    • Com une outre 13 avril 2023 17:08

      @jymb
      Et je vous laisse avec vos rêves de réac, votre « c’était mieux avant », votre refus d’évoluer, et toutes vos conneries passéistes que si ça se trouve, vous n’avez même jamais connues.


    • ZenZoe ZenZoe 13 avril 2023 17:42

      @jymb
      Tout à fait. Je suis contre la chasse, mais totalement d’accord sur le fond. Chacun doit rester dans son rôle. La découverte des plaisirs et dangers de la nature en famille, le calcul et l’orthographe à l’école. En plus, je ne suis pas du tout certaine que les branquignols comme l’auteur connaissent quoi que ce soit à la nature. J’ai plutôt l’impression qu’ils se font plaisir à eux-mêmes, les mômes passent après...


    • josy&jacq josy&jacq 15 avril 2023 20:52

      Rrrhah ! L’écriture inclusive !


      • Et hop ! Et hop ! 17 juin 2023 07:41

        De quel droit une institutrice d’une école publique, pardon professeur-e des écoles, met en contact ses élèves avec une personne étrangère à l’Éducation nationale ?

        C’est la porte ouverte à toutes les propagandes sectaires auprès des enfants : commerciales, religieuses, idéologiques, publicitaires, politiques, perverses....

        Les instituteurs n’ont pas attendu les détraqués dans votre genre pour mettre les enfants en contact avec les choses, ils l’ont toujours fait, ça s’appelait à une époque « Leçons de choses ».

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