Notre cerveau est-il le premier bastion à défendre ?
Faut-il boycotter certaines chaînes de télévision et une partie de la presse écrite ? Faut-il réglementer davantage la liberté d’expression pour mener le vie dure aux faiseurs de fake-news ? Faut-il empêcher le monopole de l’argent sur les médias ? A la désinformation et la propagande, ne pouvons-nous opposer que notre liberté de pensée ? Le doute philosophique et l’arme intellectuelle qu’est la culture peuvent-ils nous sauver de la pensée unique et de l’endoctrinement, pire de la soumission consentie ? Quelle conduite adoptée pour conserver notre libre-arbitre et nos facultés intellectuelles menacées par l’abêtissement et la propagande. L’être est en devenir, nous enseigne l’existentialisme. Il ne doit pas régresser.
Quel sera le nom du premier bébé de Manuel Macron et Brigitte ? Sarkozy va-t-il chanter en duo avec Carla ? Hollande va-t-il entamer un tour de Corrèze en scooter avec Julie ? Valls valse-t-il encore alors qu’ Anne ne lui joue plus du violon ? Fillon s’est-il converti à l’athéisme après que Dieu lui a refusé l’Elysée ? Montebourg va-t-il renoncer au made in France si La Marinière est rachetée par les Chinois ? Hamon renaîtra-t-il ? Ces questions fantaisistes pourraient apparaître en Unes des revues laissées à disposition des malades dans les salles d'attentes des cabinets médicaux. La presse est capable du pire en matière de storytelling.
Des chaînes de télévision alimentent la curiosité malsaine et les ragots. L’émission de Cyril Hanouna en est l’exemple le plus flagrant. Elle battrait les records d’audimat. Baptisée « Touche pas à mon poste ! », titre emprunté au slogan de SOS Racisme, cette émission racoleuse devait débattre sur les programmes télévisés et sur les polémiques suscitées par certaines émissions, entrecoupée d'extraits vidéo, et de rubriques d'humour. À l'origine une émission sur les médias et plus particulièrement sur la télévision, elle s'est progressivement ouverte aux débats sur des sujets de société et politiques avec une orientation très droitière. Cyril Hanouna a montré qu’il ne supportait pas les critiques sur le patron de Vivendi, propriétaire des chaînes Cnews et C8. On connaît les casseroles africaines et la proximité avec l’extrême-droite de Bolloré. Son animateur vedette n’hésite pas à transformer la scène de son émission en tribunal médiatique à charge contre les gens qu’il cible. Il transforme le plateau en tribune politique quand ça lui chante. Un épisode a marqué les esprits en 2023. Le 9 février 2023, l'Arcom (ex-CSA) a condamné la chaîne C8 à une amende de 3,5 millions d'euros, après l'altercation qui a éclaté entre le député insoumis Louis Boyard et Cyril Hanouna, le 10 novembre 2022, sur le plateau de "Touche pas à mon poste". L'élu et ancien chroniqueur de l'émission avait critiqué Vincent Bolloré, propriétaire du groupe Canal+, dont fait partie C8. Ce qui lui a valu, en retour, d'être qualifié d'abruti, de tocard et de merde. La sanction de lArcom n’a pas été reprise dans des journaux que l’homme d’affaire breton avait rachetés au sein de Prisma, journaux qui sortent pourtant des articles sur Cyril Hanouna, articles complaisants, ça va sans dire. Ces journaux (Télé-Loisirs, Télé 2 semaines, Voici, Gala, Femme Actuelle…), pourtant spécialisés dans l'actualité du petit écran ou des peoples, ont préféré parler de la vie intime des chroniqueurs ou des exploits sportifs du fils de Cyril Hanouna. Ils avaient , avant leur reprise par Bolloré, largement relaté la sanction de 3 millions d'euros infligée par le CSA à la même chaîne, six ans plus tôt, après un canular homophobe.
Pier Pasolini écrivait à propos du petit écran : « Il émane de la télévision quelque chose d’épouvantable. Quelque chose de pire que la terreur que devait inspirer, en d’autres siècles, la seule idée des tribunaux spéciaux de l’Inquisition. Il y a, au tréfonds de ladite « télé », quelque chose de semblable, précisément, à l’esprit de l’Inquisition : une division nette, radicale, taillée à la serpe, entre ceux qui peuvent passer et ceux qui ne peuvent pas passer : ne peut passer que celui qui est imbécile, hypocrite, capable de dire des phrases et des mots qui ne soient que du son ; ou alors celui qui sait se taire – ou se taire en chaque moment de son discours – ou bien se taire au moment opportun. […] Celui qui n’est pas capable de ces silences ne passe pas. On ne déroge pas à pareille règle ».
Faut-il boycotter certaines chaînes de télévision et une partie de la presse écrite ? Faut-il réglementer davantage la liberté d’expression pour mener le vie dure aux faiseurs de fake-news ? Faut-il empêcher le monopole de l’argent sur les médias ? Pour défendre le respect de la liberté d’expression, la solution ne peut-elle être qu’individuelle ? Ne serait-ce pas de notre comportement que dépend cette liberté ? A la désinformation et la propagande, ne pouvons-nous opposer que notre liberté de pensée ? Le doute philosophique et l’arme intellectuelle qu’est la culture peuvent-ils nous sauver de la pensée unique et de l’endoctrinement, pire de la soumission consentie ? Quelle conduite adoptée pour conserver notre libre-arbitre et nos facultés intellectuelles menacées par l’abêtissement et la propagande ? Même si nous n’avons pas de réponse toute faite, il est toujours sain de se poser des questions et de cogiter.
La plupart des médias français sont financés par des patrons, des familles ou des grands groupes. Parmi eux, des milliardaires ont investi de manière plus ou moins importante dans l’information. Peut6on encore parler d’indépendance éditoriale ? Bernard Arnault, Xavier Niel, Vincent Bolloré, Famille Bettencourt et Ken Fisher, François Pinault, La famille Dassault, Patrick Drahi, Xavier Niel, Bouygues et Daniel Kretinsky… Ce sont les noms de ceux qui font l’opinion en employant et en rémunérant une kyrielle de journalistes, d’éditorialistes et de spécialistes de tous poils à travers des grand titres de journaux et des chaînes de télévision. Ce sont les magnats dont Orson Welles avait dressé un premier portrait dans son film « Citizen Kane » en 1941. L’intrigue tournait autour d’un patron de presse imaginaire, magnat des médias qui exerce un grand contrôle sur une ou plusieurs entreprises importantes du secteur des médias. Le terme magnat des médias désigne une personne qui peut être directement propriétaire ou actionnaire majoritaire d’une entreprise médiatique. Au fil du temps, cette notion s’est élargie pour inclure non seulement la presse écrite, mais aussi le monde de la radio, de la télévision, de la production cinématographique, de l’édition et même d’Internet et du multimédia. En somme, le magnat des médias est un acteur influent qui façonne le paysage médiatique et exerce un pouvoir considérable dans ce domaine. Le film concernait les Etats Unis, mais le magnat des médias est devenu universel et concerne toutes les démocraties. La France n’a pas échappé à la concentration des médias entre les mains de quelques milliardaires.
Le Senat a tenu une commission sur la concentration des médias entre quelques magnats. C’est la pluralité de l’information qui est menacée. CNews vient de faire l’objet d’un signalement. Est-elle une « chaîne d’information » qui respecte le pluralisme ou un « média d’opinion » ? Le Conseil d’Etat s’en est mêlé et la met en garde. A la suite d’un recours de l’ONG Reporters sans frontières (RSF), la plus haute juridiction administrative a demandé ce mardi 13 février à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom, ex-CSA) de renforcer son contrôle sur la chaîne d’information détenue par le milliardaire conservateur Vincent Bolloré. Le Conseil d’Etat « enjoint à l’Arcom de réexaminer dans un délai de six mois le respect par la chaîne CNews de ses obligations en matière de pluralisme et d’indépendance de l’information », selon un communiqué. C’est de la gesticulation et il ne faut pas s’attendre à une nouvelle orientation de cette chaîne très marquée à droite. La presse restera la proie des milliardaires ultralibéraux.
Quid de la liberté d’expression ? La presse française s’est largement mobilisée pour défendre celle de Charlie Hebdo mais elle ne défend même plus celle des grands médias. L’ordre règne dans le monde médiatique. Les grands patrons de presse sont à la baguette de tous les grands médias. Les chaînes publiques sont entre les mains de quelques clans qui se mettent au service des plus puissants à l’affut du vent qui risque de tourner. Dans le gotha de la presse écrite, les subventions permettent la survie des grands titres au détriment de la création de nouveau journaux qui doivent se battre seuls pour exister. C’est la presse dite « grande » qui fabrique les candidats à la présidence de la république. C’est elle qui désigne le vainqueur et manipule l’électorat par des campagnes de propagande.
Des internautes, eux aussi, ont bien compris la manipulation qu’ils peuvent faire de l’information sur l’Internet. Les mails « à lire et à faire suivre » se multiplient. Bien sûr, en matière d’hoax et de manipulation politique, sévissent tous ceux qui sortent des sondages cachés au public et des informations non divulguées par toute la presse. Ce qui donne de la vraisemblance aux fausses informations, ce sont les vraies faits cachés ou tardivement repris lorsque l’Internet a largement diffusé ce que la presse avait tu. Parfois, c’est la presse patentée qui balance une fake-news. Certaines chaînes de télé sont mêmes récidivistes en la matière et s’offusque des fake-news produits par ailleurs.
Un espace de liberté est encore défendable en ce qui concerne l’Internet et cet espace irrite au plus haut niveau de l’Etat. La menace d’une aggravation de la censure est toujours présente. En 2020, la loi Avia avait pour proposition principale d’obliger les opérateurs de plateforme en ligne et les moteurs de recherche à retirer dans un délai de 24 heures, après signalement, les contenus incitant à la haine et les injures à caractère raciste ou anti-religieuses. Le Conseil Constitutionnel a censuré l’essentiel de la proposition de loi en soulignant le risque que les opérateurs soient incités à retirer tous les contenus contestés pour éviter les sanctions, y compris ceux qui sont licites, ce qui porterait atteinte à la liberté d’expression. La diffusion de messages haineux et subversifs pouvait constituer le seul argument fallacieux pour mettre en place une censure. Macron revient à la charge ! La loi sur Internet voulue par le gouvernement a débarqué à l’Assemblée nationale, fin 2023. Elle visé à sécuriser et à réguler l'espace numérique. Plusieurs objectifs étaient annoncés : lutte contre la désinformation en ligne et le cyberharcèlement, la protection des mineurs face à la pornographie et un filtre protégeant des escroqueries. Dans un entretien au journal Le Monde, le ministre délégué chargé de la Transition numérique défendait son projet de loi : « Nous avons un impératif qui est celui de faire cesser l’impunité et la loi du plus fort en ligne. » Le texte de loi a été approuvé. Il promet de mieux lutter contre le cyberharcèlement, les arnaques sur Internet, ou encore l’accessibilité des sites pornographiques aux mineurs. Il a suscité de vives inquiétudes quant à la protection des libertés publiques. C’est l’anonymat des utilisateurs qui est menacé en premier lieu, même si certains serveurs résistent aux pressions.
La régulation d’Internet est un enjeu crucial à l’échelle internationale. L’implication avancée de certains États et opérateurs sur Internet peut remettre en question les principes de liberté et de gratuité des échanges de données qui ont favorisé une forte innovation et l’émergence d’une nouvelle économie. Il est essentiel de veiller à la neutralité de l’infrastructure technologique d’Internet en tant que réseau de transport des informations. Les domaines de régulation sont nombreux, tels que la propriété industrielle, la propriété intellectuelle, le respect de la vie privée, la fracture numérique et l’accès à la connaissance
La gouvernance de l’Internet est un domaine complexe qui implique la collaboration entre les gouvernements, le secteur privé, la société civile et la communauté technique. Elle repose sur le développement et l’application de principes, normes, règles, et procédures de prise de décisions partagés. Ces éléments façonnent l’évolution et l’utilisation de l’Internet. Les gouvernements ont recours à des tactiques telles que les coupures d’accès à Internet en période de conflit politique, élections ou troubles sociaux. Ces coupures peuvent être partielles ou totales, temporaires ou prolongées. Elles peuvent viser des plateformes spécifiques, des régions ou un pays tout entier. La capacité des gouvernements à censurer Internet dépend de leur capacité à exercer un contrôle sur les fournisseurs de services Internet. Ces fournisseurs risquent des amendes ou la perte de leurs contrats s’ils ne se conforment pas aux injonctions des autorités. Le contrôle de l’Internet reste donc un énorme enjeu économique et politique qui n’échappe à personne. On peut s’interroger sur l’avenir de ce dernier bastion de la liberté d’expression. Comme tout bastion, il est à défendre pour les uns et à prendre pour les autres.
Toutefois, le premier bastion à défendre contre toutes les manipulations médiatiques reste notre cerveau. Bien sûr, il faut encourager l’ouverture d’esprit. Toutefois, il ne s’agit pas de ne s’ouvrir qu’à la pensée unique comme à une croyance qui mérite notre foi. Il faut donc se méfier de tout ce que l’on veut nous inculquer chaque jour par le matraquage médiatique des chaînes d’information en continu et des émissions télévisées qui suintent le mépris, la vulgarité et la haine, tout en pratiquant le voyeurisme et le ragot. Il ne faut jamais perdre de vue les valeurs fondamentales de l’humanisme. La violence et les inégalités sociales ne sont pas humanistes. Les dictatures et les républiques bananières sont des négations de l’humanisme. Pour aller vers le mieux et éviter le pire, ne faut-il pas définir le mal ? Une des sentences de Confucius est : « Le premier axiome de l'humanisme confucéen est : - Etudier, apprendre par l'expérience ». On devrait étudier toute sa vie et s’en remettre aussi à ce que la vie nous apprend. L’être est en devenir, nous enseigne l’existentialisme. Il ne doit pas régresser, ni individuellement, ni collectivement.
Deux citations à méditer :
« C'est parce que nous n'avons pas organisé le monde sous l'inspiration d'un véritable humanisme que nous avons recours à l'humanitaire comme palliatif à cette grande défaillance » (Manifeste pour la Terre et l'Humanisme - Pour une insurrection des consciences (2008) de Pierre Rabhi).
L’humanitarisme serait le résultat d’un échec. C’est en ce sens qu’il ne faudrait pas assimiler humanisme et humanitarisme. C’est peut-être en ce sens que Léon Daudet disait : « ... rien n'est humain comme l'humanisme. Mais rien n'est inhumain comme l'humanitarisme ».
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