Les histoires d’un Canard qui n’aime pas le vin
Je suis un amateur de vin et j’apprécie de lire Le Canard Enchainé, contre-pouvoir utile dans un paysage médiatique qui en manque. J’ai acheté les dossiers du Canard « 100 histoires de vin ». Si ce hors-série se goutte bien et vite, il finit par laisser un drôle d’arrière-goût, entre erreurs grossières et un parti-pris rédactionnel qui m’a semblé bien trop négatif et de parti-pris à l’égard de la filière.
Erreurs et verre à moitié vide
D’abord, il y a ces quelques erreurs : Haut Brion est qualifié de « premier grand cru classé du Médoc » alors qu’il est dans une autre partie du vignoble. Plus loin, il est oublié dans la liste des 5 premiers crus rouge, et remplacé par Cheval Blanc, un Saint Emilion, pas concerné par le classement de 1855, et qui a lancé le sien un siècle plus tard, en 1955 ! Enfin, deux pages plus loin, le Château Margaux se voit orthographié « Margot » et Lafite gagne un t de trop ! Bien sûr, tout ceci peut sembler n’être que des détails très particuliers et ciblés, mais il s’agit tout de même d’une connaissance de base pour tout amateur de vins souhaitant avoir un minimum de culture œnologie des vins de notre beau pays. Et cela signifie aussi que non seulement le rédacteur, mais aussi les relecteurs, ont laissé passer ces erreurs…
Et si les 100 histoires sont variées, enrichissantes et divertissantes, il y a un côté distant, froid, clinique, dans la manière de les raconter, ce qui tranche avec la façon habituelle de raconter le vin. Il semble, peut-être à tort, que les auteurs n’ont aucun intérêt particulier pour ce monde autre que celui de faire du papier sur un thème porteur. Pire, pour avoir dévoré les papiers en deux jours, on pourrait même croire qu’il y a une forme de thèse qui pré-existait à la rédaction de ces dossiers : le vin serait l’alcool du passé, a généré de nombreuses pratiques douteuses, et a évolué en un marché dual : un bas de marché qui s’effondre du fait de la concurrence de la bière et un haut de marché (crus classés, Champagne, rosé), dont le succès devrait surtout au marketing et est devenu la nouvelle danseuse des milliardaires et des stars.
Bien sûr, tout cela repose sur des faits réels, qui sont en général assez bien illustrés, mais cette vision des choses est bien trop à charge et est beaucoup trop partielle, renforçant la thèse de dossiers réalisés par des profanes, pour ne pas dire des amateurs d’autres boissons… Heureusement, il y a quelques histoires positives (la place des femmes en Champagne, Taittinger racheté à un fond), mais il est malheureux que le Canard soit passé à côté de tant d’histoires positives. Pourquoi ne pas pointer que le vin est en avance sur le reste de l’agriculture sur le Bio, tant certaines conversions démontrent le plus que cela apporte au breuvage (le cas de Pontet Canet, premier cru classé du Médoc à l’avoir fait, propulsant sa qualité, déjà bonne, vers de nouveaux sommets, influençant l’ensemble du Bordelais dans la foulée).
De même, la biodynamie méritait un traitement moins partiel et partial, tant de grandes maisons semblent en démontrer les apports. Il aurait aussi été intéressant de revenir sur la défaite des vins du nouveau monde dans le haut du marché, qui reste dominé par nos vignerons, et les raisons qui expliquent cela. Quelques zooms sur des régions qui se sont réinventées en quelques décennies auraient été intéressants : la Loire ou le Beaujolais, au rapport qualité-prix remarquable, les petites appellations de Bordeaux, riches en pépites, ou le Languedoc Roussillon, passé de vins de base à certains de nos plus grands crus : Marlène Soria (avec Peyre Rose) ou Gérard Gauby ont propulsé les vins de leur région au niveau des grands crus classés de Bordeaux et de la Bourgogne ! Si trop de viticulteurs souffrent, il y a beaucoup de très belles réussites, et souvent en proposant des vins à des prix parfaitement raisonnables.
Le French Paradox est dénoncé au motif que l’alcool est nocif quelque soit la consommation, comme l’a aussi fait Ouest France cet été. Mais ces articles ne démontrent rien puisqu’ils répondent avec des études qui agglomèrent la consommation d’alcool sans différencier les types d’alcool consommés. Leur discours serait juste si des études démontraient que la même consommation d’alcool seulement avec du vin, de la bière ou des spiritueux avait le même effet effet nocif sur la santé. Ici, ils globalisent, ce qui passe à côté des spécificités du vin : ses antioxydants, aux vertus spécifiques, inexistantes dans les autres alcools, et son mode de consommation, radicalement différent, bien moins excessif, et souvent dans le cadre d’un repas. Pourquoi jeter notre patrimoine œnologique avec le bain des autres alcools ?
Bref, un dossier passable, même s’il n’est pas inintéressant. Le manque d’intérêt pour le monde du vin, illustré par des erreurs grossières, et un parti-pris dénigrant vous fait oublier des centaines d’histoires qui auraient pu être largement aussi intéressantes. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir de nombreux journalistes passionnés qui auraient pu vous aider et vous faire découvrir cet univers remarquable, fait d’écoute de la nature, d’art, de science, et d’hommes et femmes passionnants, sans même parler de dégustations…
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