L’utopie de l’interdiction des licenciements sous le capitalisme-€-salariat
Les trade-unions[syndicats] agissent utilement en tant que centres de résistance aux empiétements du capital. Elles manquent en partie leur but dès qu'elles font un emploi peu judicieux de leur puissance. Elles manquent entièrement leur but dès qu'elles se bornent à une guerre d'escarmouches contre les effets du régime existant[capitaliste-salarial], au lieu de travailler en même temps à sa transformation et de se servir de leur force organisée comme d'un levier pour l'émancipation définitive de la classe travailleuse, c'est-à-dire pour l'abolition définitive du salariat. (1)
Plus de 150 ans plus tard, au XXIe siècle, l'abolition du salariat qui n'est rien d'autre que l'abolition du capitalisme-€-salariat, n'est absolument pas une question à l'ordre du jour dans les syndicats. Non pas à cause de la faute de la direction des syndicats[ce que certains militants communistes imaginent], mais à cause des intérêts des salariés eux-mêmes dans leur grande majorité. Les syndicats fonctionnent de façon absolument démocratique, leur direction reflète exactement ce que veut le salarié moyen. Que veut le salarié moyen ? Garder son emploi, hausser son salaire, améliorer ses conditions de travail, etc.
Donc les salariés ont intérêt à la perpétuation éternelle du salariat c'est à dire du capitalisme-€-salariat. Peut-on avoir des emplois salariés sans capitalisme ? Supposons le un instant. Donc on exproprie les capitalistes, on nationalise les biens de production mais pour continuer à garder les emplois salariés on sera obligé d'exporter des biens et donc aussi d'importer d'autres biens pour équilibrer la balance commerciale. L'Etat devient donc capitaliste à l'extérieur vis-à-vis des autres nations.
Mais si on exporte des biens de consommation dans d'autres pays, nous acceptons aussi que d'autres pays vendent leur marchandises chez nous. Donc forcément les entreprises privées étrangères doivent accéder à votre marché par exemples les concessionnaires d'automobiles. La concurrence capitaliste est ainsi rétablie. C'est le modèle chinois. Lorsque Deng Xiaoping a été obligé, à contre cœur, d'ouvrir la Chine aux entreprises privées étrangères c'est parce que l'exportation des biens de consommation implique nécessairement le rétablissement du capitalisme privée étranger.
Mais Lénine imagina une autre méthode, même si au passage une falsification de la théorie de la croissance du PIB de Marx fut nécessaire(je vais détaillé ça). Au lieu d'exporter des biens de consommation, on exporte des biens de production(principalement des matières premières). Cela a marché, l'URSS n'a eu besoin des capitalistes privés étrangers que dans leur phase d'importation de technologies(concessions lors de la Nep années 1920) mais l'ensemble du commerce intérieur et extérieur était au main de l'Etat(à partir des années 1930).
Ce que Lénine imagina implique le développement plus rapide de la production des biens de production par rapport à la production des biens de consommation. Ceci produit chaque année une crise de pénurie permanente :
Les économies de type soviétique se définissent d'abord par l'expérience de la pénurie et de la file d'attente (2)
Ce qui confirme de façon incroyable la théorie de la croissance du PIB de Karl Marx. Dans cette théorie, l’ensemble de la production sociale est divisé en deux sections : la section des biens de production (section I) et la section des biens de consommation (section II). Chaque section se subdivise en valeur en trois parties : le capital constant c (valeur des biens de production), le capital variable v (valeur des salaires bruts), la plus-value p (les profits industriels, intérêts, rentes, etc. bruts).
Le schéma de Marx peut s’écrire :
I.4000c + 1000v + 1000p = 6000 milliards d’€
II.1500c + 375v + 375p = 2250 milliards d’€
PIB = I + II = 8250 milliards d’€.
Il y a deux façons de démonter que la section II va toujours plus vite : soit on suppose la productivité constante c'est ce que Marx a fait dans son livre II du Capital, soit on suppose la productivité croissante chaque année. Les deux méthodes donne le même résultat.
La productivité du travail constante chaque année
Nous allons supposer que chaque année la section I investit 50 % de sa plus-value. Pour cela, conformément à la composition organique du capital c/v = 4 (4000c / 1000v), elle doit consacré 400 Ip à l’achat de nouveaux biens de production et 100 Ip à l’embauche de nouveaux salariés. Le schéma d’investissement est alors 500 Ip —>[400 Ic + 100 Iv ].100 Iv en salaires doit être échanger contre 100 IIc de biens de consommation. Pour cela, la section II doit investir 125 IIp de sa plus-value soit 100 IIc en biens de production et 25 IIv en salaires(c/v = 4 dans la section II).
À la fin de la première année, le schéma du PIB devient :
I. (4000c + 400c) + (1000v + 100v) + 1100p(le taux d’exploitation p/v = 100 %)
II. (1500c + 100c ) + (375v + 25v ) + 400p(le taux d’exploitation p/v = 100%)
Soit
I.4400c + 1100v + 1100p = 6600 milliards d’€.
II. 1600c + 400v + 400p = 2400 milliards d’€.
La section I s'accroit de 10% et la section II s'accroit de 6,67%
2e année
Si la section I continue d'investir 50%, 440 Ip vont à l’achat de nouveaux biens de production et 110 Ip à l’embauche de nouveaux salariés. 110 Iv en salaires doit être échanger contre 110 IIc de biens de consommation. Pour cela, la section II doit investir 137,5 IIp de sa plus-value soit 110 IIc en biens de production et 27,5 IIv en salaires.
Après avoir investit 550 Ip , la section I doit doit échanger 1100 Iv + 550 Ip contre des biens de consommation. Mais comme les décisions d'investissement des capitalistes de la section II ne sont nullement déterminées par celles de la section I alors comme à la première année (Iv + Ip) - IIc = 0 c'est à dire (Iv + Ip) - IIc doit être la même chaque année. De plus la productivité étant constante (Iv + Ip) - IIc aussi doit être constante.
Sachant cela, 1650I(v + p) en argent ne pourra s'échanger que contre 1600 IIc en biens de consommation on aura donc une pénurie de biens de consommation 1600 IIc - 1650 I(v + p)= -50 . Sur cette base à la fin de la deuxième année on a :
I.4840c + 1210v + 1210p = 7260 milliards d’€.
II. 1710c + 427,5v + 427,5p =2565 milliards d’€.
La section I s'accroît de 10% et la section II de 6,88% avec une pénurie de biens de consommation de 50 milliards d'€.
3e année : la production des biens de production étant toujours rapide, aggravation de la pénurie
La section I continue toujours d'investir 50%, la productivité étant constante on doit garder à l'esprit que (Iv + Ip) - IIc aussi doit être constante et est égale à zéro. Sur cette base, à la fin de la troisième année on a :
I.5324c + 1331v + 1331p = 7986 milliards d’€.
II. 1831c + 457,75v + 457,75p =2746,5 milliards d’€.
La section I s'accroît de 10% et la section II de 7,08% avec une pénurie de biens de consommation de 105 milliards d'€ soit une croissance de 110% par rapport à la 2e année.
Pour éviter la pénurie de biens de consommation, la section II doit investir 105 milliards d'€ en biens de production et 26,25 milliards d'€ en salaires ce qui implique une croissance plus rapide de la production des biens de consommation par rapport à la production des biens de production . Sur cette base le schéma final est :
I.5324c + 1331v + 1331p = 7986 milliards d’€
II. 1936c + 484v + 484p =2904 milliards d’€.
La section I s'accroit de 10% et la section II de 13,22%.
Les économistes marxistes anglo-américains se sont fourvoyés avec leur théorie de la balanced-growth models
Si Lénine et ses disciples ne se sont pas gênés à falsifier les schémas de Marx pour mettre en place leur économie de pénurie(qu'ils appellent communisme), les économistes marxistes actuels qui s'intéressent à la théorie de la croissance du PIB de Marx ont l'illusion que les sections s'accroissent à la même vitesse :
the reproduction schemes as balanced-growth models is widely, almost universally, accepted nowadays (3).
Ils partent du premier exemple de Marx :
I.4000c + 1000v + 1000p = 6000 milliards d’€
II.1500c + 375v + 375p = 2250 milliards d’€
PIB = I + II = 8250 milliards d’€.
La section I investit chaque année 50% avec la productivité du travail constante. Comme dans sa démonstration Marx fait une petite erreur (il maintient la productivité constante sans maintenir (Iv + Ip) - IIc constant) alors nos économistes tombent dans l'illusion qu'à partir de la 2e année, les deux sections s'accroissent à la même vitesse de 10% de façon infinie. Or il n'en est rien.
Reconsidérons les schémas, à la deuxième, à la troisième année et de façon infinie :
La section II effectue toujours automatiquement un investissement supplémentaire δ lors de l’échange entre
[Iv+(1 - α)Ip] et IIc et on a toujours [Iv+(1 - α)Ip] - IIc= δ avec α comme taux d’investissement de la section I.
Posons CI = Ic + Iv et dCI l’augmentation annuelle de CI. Dans la section II, CII = IIc + IIv et dCII la variation annuelle de CII. Trouvons δ tel que (dCI ⁄ CI)=(dCII ⁄ CII) car les deux sections s'accroient à la même vitesse.
Alors on a δ = φ - [(β + 1) ⁄ β]×[φCI ⁄ (CI + CII)] avec φ = (Iv + Ip) - IIc et β = c ⁄ v
Connaissant δ on peut trouver le taux d'investissement de la section I α = (φ - δ) ⁄ Ip
On trouve α = 5/11. La fraction 5/11 est un nombre idéal qui n'existe pas dans la réalité. C'est comme le nombre π on peut passer toute sa vie à calculer le nombre de décimaux mais on ne peut jamais trouver π. En fait π n'existe que dans le cerveau idéalisé du mathématicien, dans la réalité ? les superordinateurs continuent toujours leur calcul, ils ont trouver des millions de décimaux mais pas encore π . Voilà 5/11 est en réalité une suite numérique, un mouvement numérique (on peut imaginer une courbe en mouvement perpétuel). Moi, je prends 0,45 qu'on appelle la "valeur approchée" à 2 chiffres après la virgule.
Le taux d'investissement de la section I est 0,45% alors [Iv+(1 - 0,45)Ip] - IIc (en argent) > δ(en biens de consommation), on aura donc une pénurie de biens de consommation au cours de l’année équivalent à δ - [(Iv+(1 - 0,45)Ip) - IIc] = -4,55. Donc les deux sections ne peuvent pas croître à la même vitesse sinon on a une crise de pénurie de biens de consommation.
Pour éviter la crise de pénurie dans la section II, le capital constant minimum ε que la section II doit investir lors de l’échange entre [Iv+(1 - 0,45)Ip] et IIc doit être supérieur à δ .
Donc ε =50, la section I investit alors 450Ip et on fait les calculs comme précédemment. La section II s’accroit de 9,33% et la section I de 9%.
A la fin de la première année on a :
I.4360c + 1090v + 1090p = 6540 milliards d’€
II.1640c + 410v + 410p = 2460 milliards d’€
PIB = I + II = 9000 milliards d’€.
La productivité du travail croissante chaque année
Maintenant nous allons supposer que la productivité c/v s'accroit de 5 % à la deuxième et troisième années tout en maintenant le taux d'investissement de la section I à 50%. On a déjà fait le calcul de la première année, à la fin de celle-ci on a :
I.4400c + 1100v + 1100p = 6600 milliards d’€.
II. 1600c + 400v + 400p = 2400 milliards d’€.
La section I s'accroit de 10% et la section II s'accroit de 6,67%
2e année c/v = 4,2
Le schéma devient :
I.4400c + 1047,62v + 1152,38p (p/v=110%) = 6600 milliards d’€
II.1547,62c + 368,48v + 405,33p (p/v=110%) = 2321,43 milliards d’€
La hausse de la productivité ne signifie pas la croissance du capital constant par rapport au capital variable mais la décroissance du capital variable par rapport au capital constant. C’est pourquoi la grandeur de la section I ne change pas (6600 milliards d’€) après la hausse de la productivité. Cette différence est capitale pour faire la distinction entre hausse de la productivité, qui signifie une augmentation de c/v, et hausse de la production qui signifie une augmentation des capitaux.
On voit que le capital constant de la section II passe de 1600 à 1547,62 parce que les salaires de la section I passent de 1100 à 1047,62. Et dans les deux sections le taux de profit (p/(c +v)) est le même 0,21 car leur productivité est la même(c/v=4,2).
Maintenant on peut commencer l’investissement. Supposons que la section I investisse 50% de sa plus-value comme à la première année et à la fin de la deuxième année le schéma devient :
I.4865,38c + 1152v + 1267,2p = 7284,58 milliards d’€
II.1734,62c + 413v + 454,3p = 2601,92 milliards d’€
La production des biens de consommation s’accroît de 12,08% et la production des biens de production s’accroît de 10,37%.
- Du fait de l’augmentation de c/v de 4 à 4,2 la section des biens de consommation est devenue plus petite que la section des biens de production. A la fin de la première année, le rapport entre les deux sections était de 6600/2400 = 2,75 et à la fin de la deuxième année 7284,58/2601,92 = 2,8.
- Du fait de l’investissement, la production des biens de consommation s’accroit de 12,08% et la production des biens de production de seulement 10,37%. Que se passerait-il si la section II s’accroit à la même vitesse que la section I (Ce que les économistes anglo-américains marxistes appellent balanced-growth model) ? Alors on aura une pénurie de biens de consommation dans la section II. Si la production des biens de production s’accroît plus vite que la production des biens de consommation, cette pénurie ne ferait que s’aggraver. C’est ce qui s’est passé en URSS au XXe siècle où l’Etat planifiait le développement plus rapide de la production des biens de production par rapport à la production des biens de consommation.
Remarquez le taux de profit est croissant, mais on peut imaginer une baisse du taux de profit cela ne change rien, la production des biens de consommation s'accroitrait toujours plus vite sauf qu'on aura une baisse du taux de croissance du PIB. D'ailleurs c'est ce qu'on observe en occident depuis la fin des années 1970.
Un salariat sans capitalisme privée est impossible
Soit on aboutit à l'économie de pénurie, soit on aboutit au modèle chinois actuel c'est à dire en gros le capitalisme-€-salariat classique. Si on nationalise les biens de production, sans toucher à la propriété privée des biens de consommation, fatalement on tombe dans le salariat.
Mais alors que signifie exactement le salariat ? Le point commun entre un ouvrier, un ingénieur ou un médecin salarié c'est qu'ils sont tous des spécialistes et de ce fait la production et la reproduction de leur compétence n'a pas le même coût social. Comme la production d'un ingénieur est plus coûteux que celle d'un ouvrier alors l'ingénieur est plus cher sur le marché d'où l'inégalité des revenus à temps de travail égal. L'abolition du salariat signifie en fait la suppression du travailleur spécialisé(pas des spécialités) et par la mise en place d'un revenu commun démocratique correspondant à un temps de travail commun démocratique.
Ce revenu commun implique la propriété commune des biens de consommation. Supposons qu'un individu travaille plus que le temps de travail commun décidé démocratiquement cela signifie qu'il ne fait pas ce travail pour un revenu mais pour son plaisir : faire du sport, de la musique, du cinéma, apprendre de nouveaux métiers, etc. Ce qui est recherche de plaisir individuel devient enrichissement collectif.
Donc dans une société communiste, où le salariat est aboli, l'enrichissement ne peut se faire que collectivement par la hausse continuelle des biens communs de consommation et de production(activité libre) à la disposition des individus. Il n'y a pas de place pour les biens de consommation privés.
Le frein actuel à l'abolition du salariat et à la mise en place d'une société communiste est la spécialisation des salariés qui implique à son tour l'inégalité de leurs revenus d'où la propriété privée des biens de consommation. Le développement du chômage, l'accoucheur historique de la société communiste, tend à raboter les revenus en transformer de plus en plus d'individus en chômeu.rs.ses. Qu'est ce que les minimas sociaux sinon la version négative, étouffée du revenu commun démocratique ? En effet anciens ingénieurs et anciens ouvriers au chômage ont tous droit au même revenu en tant qu'humain car le chômage a détruit leur ancienne spécialité de salarié.
Forcément, la société finira par reconnaître cette loi du developpement social, c'est une question de vie ou de mort, le déclin du capitalisme-salariat ne s'arrêtera pas tant que les chômeu.rs.ses ne deviennent majoritaires dans la population active et là l'abolition du salariat devient une idée dominante et populaire.
Notes :
(1) Karl Marx Salaire, prix et profit 1865.
(2) Romain Ducoulombier Histoire du communisme au XXe siècle 2014 p.32
(3) Andrew Kliman 2011.
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