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L’Himalaya : un linceul de glace et de neige

Deux alpinistes japonais ont dévissé samedi 27 juillet 2024 lors de l'ascension de la face ouest du K2 (Pakistan) dont le sommet culmine à 8.611 mètres. La chute s'est produite à 7.500 mètres d'altitude. Les deux alpinistes « s'étaient entraînés de manière méticuleuse pour leur expédition qui avait été scrupuleusement planifiée ». L'hélicoptère de sauvetage qui a repéré leurs corps le lendemain n'a pas pu se poser et a été forcé de faire demi-tour. Le responsable de la communication de l'entreprise « Ishii ", leur sponsor, a déclaré que « l'hélicoptère n'avait pas pu se poser en raison de l'altitude et de la pente très importante. Le pilote a dit qu'il pouvait voir les deux hommes, mais que la condition dans laquelle ils se trouvaient n'était pas claire. On étudie la manière de mener les secours  ».

L’orogenèse alpine-himalayenne fait partie d'un grand événement géologique unique de montagnes très éloignées comme les Alpes (vallée du Mont Blanc), les Balkans, le Caucase (mont Gumachi), les monts d'Iran et de l'Indu Kuch afghans reliés à l'Himalaya et au Karakorum. Ses sommets sont pointus, ses pentes raides, ses vallées profondes et escarpées. Les avalanches de neige et de glace peuvent entraîner des parties du sol rendant leurs effets encore plus dévastateurs. Les avalanches peuvent parcourir les versants à des vitesses supérieures à 200 km/h.

Le 3 juin 1950, Maurice Herzog et Louis Lachenal parviennent sans oxygène au sommet de l'Annapurna. Le livre Annapurna premier 8 000 (1951) traduit dans plus de soixante langues et vendu à plus de vingt millions d'exemplaires va populariser la discipline. Autres livres de chevet des alpinistes " Les conquérants de l'inutile de Lionel Terray et Au-delà de la verticale de Georges Livanos 1958 : « Pour moi l'idéal, c'est de partir d'en bas, d'arriver en haut et de revenir en bas. Et pas trop vite  ».

Le Pakistan possède cinq des quatorze sommets à plus de 8 000 mètres. La première ascension réussie du K2, 8.611 mètres par Achille Compagnoni et Lino Lacedelli le 31 juillet 1954 est considérée comme plus difficile à conquérir que l'Everest, le Toit du monde qui culmine à 8 848 mètres vaincu pour la première fois le 29 mai 1953. S'il existe une vingtaine d'itinéraires, les plus empruntés sont la voie sud et nord, la face ouest n'a été conquise à ce jour que par une équipe russe en 2007. L'ensemble du système comprend quatorze sommets dépassant 8 000 mètres, soixante-quinze supérieurs à 7 000 m, et cent-quatorze s'élevant au-delà de 6 000 m. Nombre de ces sommets demeurent inviolés et la zone tibétaine occupée par les Chinois n'est praticable que depuis 1980.

Kazuya Hiraide, triple « Piolet d'or », le Graal de l'alpinisme, et son compagnon de cordée Kenro Nakajima avaient entrepris l’ouverture d’une nouvelle voie sur l'une des faces peu explorée du K2 sans sherpas ou guide, sans routeur météo ni oxygène privilégiant la technique alpine pure et l'escalade artificielle. Chaque année la crème de la crème des alpinistes audacieux se voit décerner le « Piolet d'or ». Une centaine d'alpinistes ont ouvert une soixantaine de voies restées invaincues jusqu’alors. 

Le glaciologue Christophe Ogier (Chamonix), Victor Saucède (ancien membre de l'équipe nationale d'alpinisme) et Jérôme Sullivan (guide à Chamonix) ont remporté le Piolet d'Or 2023 pour leur exploit sur le Pumari Chhish dans la chaîne de sommets dont le plus haut culmine à 7 492 m. Près d'une sixaine de cordées avaient échoué à en conquérir le versant sud. « Après une acclimatation des plus perturbées, 27 jours d’attente au camp de base dont 26 de neige, une fenêtre de sept jours s’était dessinée lors de cette aventure incertaine. Une fois la face asséchée, le trio a avalé en une nuit la pente de neige initiale de 700 mètres. Puis, sur le pilier d’une hauteur équivalente, les garçons ont employé des techniques de big wall, le leader tirant pendant que les deux seconds montaient à la poignée autobloquante (jumar). Les Français ont souvent eu recours à l’escalade artificielle pour surmonter les surplombs ou enlever les grandes formations de neige dans les fissures, ils ont grimpé en libre (sans protection pérenne), parfois en chaussons, autant que faire se peut. Après quatre bivouacs, l’expédition atteignait le champignon sommital avant d’entamer une interminable série de rappels. Le jury a apprécié l’élégance de la ligne et l’incertitude de l’aventure, sur l'un des grands problèmes non résolus du Pakistan ». La prochaine édition des Piolets d’Or se tiendra du 8 au 11 décembre 2024 à San Martino di Castrozza (Italie).

Depuis le début des expéditions dans les années 1920, ce sont plusieurs centaines d'alpinistes et de Sherpas qui ont péri dans la chaîne himalayenne, les corps restés sur place dissimulés par la neige ou dans de profondes crevasses. Les causes les plus fréquentes sont : inexpérience, préparation physique insuffisante, chutes, équipement inadéquat, hypoxie, avalanche, épuisement, erreur d'itinéraire, croisement de cordées, glissement de terrain et tremblement de terre. En 2015, un séisme a écrêté le Hillary Step une masse de neige et de glace haute de treize mètres.

« Les alpinistes se sont préparés mentalement à la rencontre avec ces « morts dans les nuages ». Des morts toujours vêtus de leur équipement d'escalade sont devenus des points de repère vers le sommet pour les alpinistes. En 2006 la mort de David Sharp avait suscité une controverse. Épuisé, il s'était assis à proximité d'un corps connu des alpinistes sous le nom de « Green Boots » à 8 500 m d'altitude avant de mourir d'hypothermie. Une quarantaine d'alpinistes l'avait dépassé sans se retourner. Chacun ensuite de se justifier, il faisait nuit et ils ne l'avaient pas vu dans le faisceau de leur lampe, d'autres l'avaient pris pour « Green Boots » en raison de la couleur verte de ses chaussures.

«  Le changement climatique fait fondre des couches de neige et de glace révélant les cadavres de centaines d'alpinistes qui ont péri en tentant d'atteindre le toit du monde ». Une équipe comprenant douze militaires appartenant à l'armée népalaise et dix-huit alpinistes a entrepris de nettoyer l'Everest, le Lhotse et le Nuptse afin d'en redescendre les dépouilles oubliées. « Certains corps sont encore presque tels qu'ils étaient au moment de leur mort, vêtus de leur équipement complet, avec crampons et harnais. L'un deux, intact, a juste perdu un gant. Cinq corps gelés dont l'un à l'état de squelette ont été ramenés à Katmandou. Deux corps ont été pré-identifiés dans l'attente de tests détaillés pour confirmer leur identité. Ceux qui ne peuvent l'être seront probablement incinérés ».

Le major Aditya Kark de rapporter : « De nombreux corps se trouvent dans la " zone de la mort ", où le faible niveau d'oxygène augmente le risque de mal aigu des montagnes et finit par être fatal au-delà d'une certaine durée. En haute altitude il est difficile de porter de lourdes charges, or un cadavre peut peser plus de 100 kilos. Il a fallu 11 heures pour dégager l'un des cadavres pris dans la glace jusqu'au torse, et avoir recours à de l'eau chaude pour le dégager et l'extraire à coups de hache. Sortir le corps est une chose, le descendre en est une autre. Nous devons les ramener autant que possible. Si nous continuons à les laisser derrière nous, nos montagnes se transformeront en cimetières ».

Selon Tshiring Jangbu, le Sherpa qui a dirigé l'expédition de récupération du corps : « c'est extrêmement difficile, les corps sont souvent enveloppés dans un sac, puis descendus en traîneau. Un corps trouvé près du sommet du Lhotse, le quatrième plus haut du monde à 8 516 mètres, a été l'un des plus difficiles à descendre. Le corps était gelé, les mains et les jambes écartées. Nous avons dû le porter tel quel jusqu'au camp 3, et seulement ensuite il a pu être transféré dans un traîneau ». La récupération des cadavres à haute altitude reste un sujet controversé dans la communauté des alpinistes. C'est une entreprise qui coûte des milliers de dollars et nécessite jusqu'à huit sauveteurs pour chaque corps.

Juillet 2023, l'alpiniste norvégienne Kristin Harila avait enjambé le corps du Sherpa Mohammad Hassan Shigri suspendu à sa corde avec le seul souci de poursuivre sa course et atteindre le sommet... Le K2 est le deuxième sommet du Karakorum qui abrite le Broad Peak 8 051 m, le Gasherbrum I, le Hidden Peak 8 080 m et le Gasherbrum II 8 034 m. Le corps du Sherpa n'a été redescendu qu'un an plus tard et à la demande de sa famille. « Cette mission d’évacuation historique ne fait pas qu’honorer la mémoire de Mohammad Hassan Shigri, elle crée de nouveaux standards pour un alpinisme éthique et responsable » communiqué du Club d’alpinisme pakistanais.

(https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/alpinisme-mort-tragique-d-un-250044).

Lorsqu'un journaliste demanda à George Leigh Mallory pourquoi il persistait à vouloir gravir le Mont Everest, celui-ci lui répondit laconiquement « Parce qu'il est là ». George Mallory et d'Andrew Irvine furent aperçus pour la dernière fois le 8 juin 1924 vers 13 heures sur le versant nord, s’apprêtant à franchir le « deuxième ressaut », un mur rocheux d'une dizaine de mètres perché à 8 500 mètres d'altitude. Si le corps de George Mallory, l'alpiniste britannique fut retrouvé en 1999, celui de son compagnon de cordée ne l'a jamais été. Les deux alpinistes ont-ils réussi à conquérir le plus haut sommet avant de disparaître ? La question demeure. George Mallory et d’Andrew Irvine ont-ils précédé de presque 30 ans Edmund Hillary et Tensing Norgay au sommet de l’Everest ? Une remarque, une correction, une précision ?

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2 réactions à cet article    


  • mmbbb 19 septembre 15:19

    les alpinistes se suivent desormais comme des chenilles processionnaires sur les pentes des montagnes quel que soit la contrée .

    Le linceul blanc recouvrira encore ces corps de ces alpinites emportes par des accidents puisque la montagne est belle mais terriblement dangereuse .


    • LeMerou 19 septembre 17:56

      @Demaretz Gérard

      Franchement, c’est quand même nettement moins grave que les tas d’ordures qu’ils laissent, vous ne trouvez pas ? 

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