Jean-Pierre Page : à Gaza, la CGT a renoncé à l’internationalisme
Alors que la CGT a fièrement collaboré aux “Jeux de la honte”, sacre personnel pour Macron et ses politiques répressives et régressives, avec la participation de la délégation israélienne et même du Président israélien, honoré en plein génocide à Gaza, cette lettre de J.-P. Page, ex-responsable du Département international de la CGT, dénonce les renoncements du premier syndicat de France.
Ce message a été adressé par Jean-Pierre Page à un élu CGT qui expliquait le 29 janvier sur un groupe de discussion, en réaction à la diffusion interne de la lettre ouverte à la CGT l'appelant à un soutien authentique à la cause palestinienne, qu'il refusait de la signer au prétexte que les signataires étaient « principalement des opposants à la direction actuelle de la CGT, personnes qui cherchent surtout une raison de s'en prendre à la direction confédérale de la CGT actuelle ». Il ajoutait : « Je participe aux réunions internationales de la CGT, et la question palestinienne n'a jamais autant été au centre de nos discussions et il n'y a jamais eu autant d'appel de la CGT à participer à toutes les mobilisations. Malheureusement je crois que les signataires à l'initiative cherchent plutôt à “jouer des coudes” en interne de la CGT qu'à faire des propositions. Vous constaterez vous mêmes que l'appel ne propose strictement rien de concret. »
Jean-Pierre Page, éminent signataire de la lettre ouverte, et moi-même, l'initiateur de cette démarche, étions tous deux membres du groupe de discussion, ce que l'élu CGT ignorait, et avons réagi le jour même par les messages ci-dessous, qui n'ont jamais reçu de réponse. J'ai pour ma part ensuite été sali, mis en danger et exclu de la CGT, des mesures répressives visant aussi à discréditer voire à intimider tous les signataires de l'initiative dénonçant les positions de la Confédération sur la Palestine (voir cette pétition qui expose les faits et demande ma réintégration).
Au sujet de l'implication de la CGT dans les Jeux olympiques, voir notamment cette interview ahurissante de Bernard Thibault, porteur de la flamme olympique célébré par la CGT, où il assume le contournement du Code du Travail, affirme qu'il n'y a eu « aucun accident mortel » sur les chantiers des JO (alors qu'il y a eu sept décès) et explique par une pirouette le nettoyage social. Lire également JO : la CGT porte la flamme olympique et valide la trêve sociale et Jeux Olympiques : fichage de masse et discrimination politique.
Message de Jean-Pierre Page
[Notes entre crochets par Alain Marshal]
Cher camarade,
Je viens de lire tes commentaires sur cet Appel et ton refus de le soutenir. Je partage la réponse et les arguments pertinents d'Alain/Salah [lire ci-dessous], par conséquent je ne les reprendrai pas. Par ailleurs, je me suis exprimé à plusieurs reprises sur les événements à Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem, et sur cette région où les enjeux géopolitiques sont si stratégiques. D'une manière plus générale, j'ai écrit sur la spoliation de cette Palestine historique qui a été depuis un siècle colonisée, dépecée et dont le peuple a été martyrisé. Il fait aujourd'hui l'objet d'une politique d'extermination et de génocide de la part d'Israël, cet Etat criminel à l'impunité garantie par les gouvernements occidentaux.
Partages-tu ce constat ? Si ce n'est pas le cas, je trouve cela accablant pour un militant de la CGT qui est le seul syndicat en France dont l'engagement internationaliste revendiqué fait partie de ses fondations et valeurs. Certes, pas n'importe quel internationalisme ! Pas celui de la rhétorique des Congrès que nous sert la direction de la CGT, mais un internationalisme conséquent de classe, donc anti-impérialiste et anticapitaliste. Pas dans les mots mais dans les actes.
J'ai été membre pendant 20 ans de la Commission exécutive confédérale et pendant 10 ans le responsable du Département international de la CGT. Cela ne me donne pas plus d'autorité qu'à d'autres. Toutefois, depuis le recentrage de notre Confédération, je constate dans les positions de la direction de la CGT non seulement le renoncement à nos principes internationalistes, mais pire, le ralliement au narratif officiel qu'elle partage sans la moindre nuance avec la CES [Confédération Européenne des Syndicats] et la CSI [Confédération Syndicale Internationale, anciennement CISL, Confédération Internationale des Syndicats Libres, construite en rupture avec la FSM, Fédération Syndicale Mondiale, dominée par les communistes] dont les complicités et compromissions ne sont plus à démontrer. Soyons lucide et « ne tournons pas autour du pot », la CGT a une autre « politique » internationale. Celle-ci d'ailleurs ne correspond pas au monde qui change, mais à celui d'hier. La CGT internationalement est du mauvais côté de la barricade. Depuis le 53e Congrès, cela ne s'est pas arrangé mais aggravé.
C'est le cas en particulier avec les positionnements dans l'air du temps et les déclarations condamnant l'action du 7 octobre et qui visent à stigmatiser le combat armé et politique de toute une nation à travers les organisations de la résistance palestinienne que le peuple s'est donné, et ce sans exclusive. Pour ma part, je considère le 7 octobre comme un acte historique, que les Palestiniens payent au prix fort avec un courage extraordinaire. Ce fut aussi le cas d'autres combats contre la colonisation comme en Algérie, au Vietnam, en Chine, en Afrique. Où est la différence ? Dans les faits, être solidaire n'est plus la position du Département international de la CGT. Je le déplore.
Dans ma lettre ouverte à Sophie Binet qui a été rendue publique, j'ai développé un certain nombre d'arguments sur les causes historiques de cette guerre de libération qui ne sera solutionnée que par l'autodétermination du peuple palestinien. Je l'ai fait également dans l'Appel dont j'ai pris l'initiative, celui de 300 personnalités françaises et internationales pour soutenir ce « peuple palestinien debout, qui ne veut pas vivre à genoux ». Or et pour cause, la CGT fait le choix de ne jamais éclairer, le « comment on en est arrivé là ». J'ai même lu dans la dernière livraison d'Ensemble — La Vie Ouvrière [le mensuel de la CGT] des commentaires ahurissants qui légitiment l'action d'Israël. Il en est ainsi non à cause des seules faiblesses et de l'ignorance crasse du Département international de la CGT, mais tout simplement parce que c'est un choix et c'est donc celui d'une orientation. Elle est en totale contradiction avec l'histoire des engagements internationaux de la CGT, y compris celui de la CGTU avec Abdel Krim lors de la guerre du Rif en 1925.
Dans les années 70, j'ai vécu et milité dans cette région et aux côtés de la résistance palestinienne et libanaise. La CGT y a toujours disposé d'un grand prestige, je peux en témoigner. Aujourd'hui, celui-ci a été réduit à néant. Comment ? En 1996, j'ai accompagné Louis Viannet à Beyrouth où nous avions rencontré toutes les organisations progressistes, y compris le Hezbollah, et à Gaza où nous avons partagé une longue discussion avec Yasser Arafat. Je me souviens de ses paroles chaleureuses à l'égard de l'action de la CGT et sa capacité à entretenir des relations fraternelles de combat avec toutes les organisations syndicales et politiques de la résistance palestinienne. Ce n'est plus le cas et la raison en est également simple. En fait et contrairement aux choix du Congrès Confédéral, la direction de la CGT a décidé de faire le tri. C'est le cas par exemple avec les confédérations syndicales palestiniennes. Ainsi, elle pratique un ostracisme à l'égard de l'une d'entre elles, d'ailleurs la plus ancienne [l’Union Générale des Travailleurs Palestiniens], parce que celle-ci est affiliée à la FSM. Partages-tu cette position ? Par contre, la CGT refuse de rompre avec la Histadrout, ce pilier historique du sionisme israélien dont on connaît la corruption et le soutien inconditionnel à Netanyahou. Es-tu d'accord ? Par ailleurs, la CGT n'a plus de relations en Syrie, en Irak, en Jordanie, et au Liban elles sont devenues purement formelles avec la Fenasol, affiliée elle aussi à la FSM. Selon toi, est-ce une bonne chose ?
Ce ne sont que quelques exemples pour t'aider à réfléchir et à réviser le contenu de tes arguments qui ne sont franchement pas à la hauteur de ceux qui devraient être ceux d'un militant de la CGT qui par ailleurs se proclame solidaire. Car en fait, tu es solidaire de quoi et comment ? Soutiens-tu ou non le choix de la lutte armée, droit légitime que reconnaît la Charte des Nations-Unies ?
Ne faut-il pas répondre a cette question et avoir le courage de le dire clairement ? Pourquoi la soutient-on en Ukraine et pas en Palestine ?
Vois-tu, pour moi, ce choix appartient au peuple palestinien, et ce n'est certainement pas à l'adversaire de classe, c'est à dire l'impérialisme, de décider à sa place et en particulier en ce domaine. Voilà pourquoi notre internationalisme ne doit pas être sans contenu. La clarté est toujours nécessaire. Elle est même indispensable. C'est pourquoi, j'ai signé cet Appel parce qu'il y contribue. Il te reste à le faire !
Fraternellement,
Jean Pierre Page
« Quiconque est solidaire de nos cadavres mais pas de nos roquettes est un hypocrite et n'est pas des nôtres. » Jusqu'à la Victoire !
***
Message d'Alain Marshal
Chers camarades,
Je me permets de réagir au commentaire du camarade : je n'ai pas l'impression d'y lire un « avis personnel sur le document », puisque nos 5 pages d'arguments circonstanciés et référencés ne sont en aucun cas évoqués pour en pointer d'éventuelles failles. Tout ce que je vois, c'est une attaque ad hominem globale contre des dizaines de signataires de tous horizons pour leur prêter, sans l'ombre d'une preuve, des desseins insidieux. Ce procès d'intention accusant des camarades d'instrumentaliser le génocide de Gaza pour régler des comptes personnels est indigne. Détourner le fond d’un propos pour lancer des attaques personnelles est généralement un recours lorsqu'il n'y a pas d'arguments probants à opposer, voire constitue un aveu tacite quant au fait que les déclarations problématiques des organes de la CGT que nous pointons du doigt sont effectivement indéfendables. Opposer la quantité à la qualité n'est pas recevable ; appeler au cessez-le-feu tout en validant des éléments essentiels (et largement démentis) de la propagande israélienne n'est ni sain ni constructif.
Il me paraîtrait plus correct, si on ne veut pas signer un document, de justifier ce refus par le contenu du document lui-même, ou par une opposition de principe à la démarche de la lettre ouverte, plutôt que de salir d'un revers de main la majorité de ses signataires. Plusieurs camarades ont expliqué leur refus de s'associer à cette lettre sans dénigrer ses initiateurs et soutiens, par des raisons parfaitement recevables – par exemple en disant que tel ou tel point de la pétition les gênait, qu'ils préféraient avoir d'autres relations avec la Conf', etc.
Les propositions fondamentales de l'appel sont très concrètes, au contraire : que la Conf' cesse de reprendre les éléments de langage pro-israéliens, et se base, dans ses déclarations, non pas sur l'émotion et les pressions politico-médiatico-judiciaires de nos capitales largement inféodées à Washington et à son soutien inconditionnel à Israël, mais sur le droit international, la justice et la morale. Nous aurions pu faire d'autres propositions encore si la Conf' n'avait pas répondu de manière si décevante, voire méprisante, à notre sollicitation, et si elle avait accepté d'ouvrir un véritable débat interne sur cette question.
Lorsque la poussière sera retombée, que la propagande sera dissipée et que les choses seront claires aux yeux de tous quant aux événements du 7 octobre et à ses suites, il sera à l'honneur de la CGT que le plus grand nombre possible de ses responsables, adhérents et sympathisants ait vu clair dans ce qui se passait, et ait pu faire de son mieux pour appeler la Conf' à revoir ses positions. Au moment où tout est fait pour faciliter l'annihilation de la cause palestinienne, jusqu'à couper les financements de l'UNRWA (Agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens, une condamnation à mourir de faim pour des millions de personnes), ce qui est le comble de l'ignominie, se démarquer de tout ce qui peut servir de caution à ce qui se passe à Gaza est une responsabilité morale qui nous incombe à tous. Bien des révélations depuis le 7 octobre auraient justifié que la Conf' rectifie le tir, mais elle persiste et signe dans ses déclarations inacceptables. La situation dramatique à Gaza et ses enjeux existentiels pour la vie de +2 millions de Palestiniens et l'avenir même de la Palestine, et la défense des valeurs et de l’histoire de la CGT, qui doit la placer résolument du côté des luttes anticoloniales et lui faire rejeter les discours de propagande guerrière, imposent à nos yeux cette démarche.
Fraternellement,
Salah L. (Alain Marshal est l'anagramme de mon nom et le pseudo que j'utilise sur ce blog, « devoir de réserve » oblige)
***
Si ce n'est déjà fait, je vous invite à signer et à faire largement circuler cette pétition sur change.org, qui appelle à ma réintégration à la CGT, d'où j'ai été exclu pour avoir initié une pétition dénonçant les positions ambigües de la Confédération suite au 7 octobre et lui demandant un soutien authentique à la cause palestinienne (que vous pouvez également lire et signer ici).
Lire au sujet de cette affaire :
Lettre de démission à la CGT suite à l'exclusion discriminatoire d'un syndicaliste
Lettre ouverte à la CGT suite à l’exclusion d’un syndicaliste pro-palestinien
Plaidoirie en défense d'un syndicaliste pro-palestinien menacé d'exclusion
Lettre à un syndicaliste menacé d’exclusion
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