Faux et vrais combats pour l’éducation
Pourquoi les syndicats enseignants : Snu-ipp, Sgen-Cfdt, Unsa Éducation, FO et les associations : Ligue de l’Enseignement, l’OCCE et la FCPE, sortent-ils l’artillerie lourde contre les trois pauvres écoles hors-contrat du département des Hautes-Pyrénées, et contre l’instruction en famille ?
Une motion très surprenante
De très nombreuses enseignantes et enseignants, ainsi que des citoyens impliqués dans l’éducation sont très choqués dans les Hautes-Pyrénées suite à une conférence de presse organisée le 10 février par plusieurs syndicats d’enseignants et associations impliquées dans l’école publique. Le sujet c’était de faire connaître à la presse une motion destinée au Conseil Départemental de l’Éducation Nationale (CDEN). Cette motion consiste à alerter les autorités sur le fonctionnement soi-disant « opaque » de ces écoles. Juste avant la conférence de presse plusieurs personnes proches de ces écoles, venues pour s’informeront été invitées à quitter les lieux.
Qu’est-ce que « la communauté éducative » ?
Nous pouvons lire dans la motion « … De même, la progression des effectifs de l’école Steiner de Bagnères inquiète la municipalité, mais aussi la Présidente du Conseil Régional, ainsi que toute la communauté éducative,… ». Nous sommes nombreux en France à nous considérer membre de « la communauté éducative » et à ne pas accepter ces jugements et ces comportements hostiles. Quand on se considère porte-parole de la communauté éducative, la moindre des choses serait de participer à la créer cette communauté. La créer en accueillant et en écoutant, certainement pas en excluant d’une conférence de presse des personnes d’autant plus membres de la communauté éducative qu’elles sont elles-mêmes enseignantes du public. Mais là aussi sans doute il faut distinguer entre les bons enseignants du public et les autres… Quand on utilise deux fois le mot « transparence » dans une motion on ne devrait pas exclure quatre ou cinq personnes d’une conférence de presse… Est-ce qu’on fait ça aux membres de sa communauté ? Ont-ils peur de quelque chose ? Qui décide quelles sont les personnes qui sont de la communauté et celles qui ne le sont pas ? Où sont les dogmatiques ?
« Joie d’apprendre, émancipation … » ?
La motion dit encore :« Pour toutes nos organisations, seul l’enseignement public peut réunir les enfants et adolescents, quels que soient le rang social, les croyances et l’origine de leurs parents, pour leur faire partager la joie d’apprendre… ». Il suffit d’interroger des élèves ou d’anciens élèves des écoles publiques ou sous contrat, ce que nous sommes pratiquement toutes et tous, pour savoir que le mot « joie d’apprendre » ne vient dans aucune bouche. La joie d’apprendre à l’école telle qu’on la connait, on la vit de façon occasionnelle ou accidentelle, lors d’un travail de groupe, d’un exposé par des élèves, d’une sortie… de quelques heures par semaine maximum avec un « prof génial »… Ayons le courage de nous le dire : on ne s’amuse pas beaucoup à l’école en France, la souffrance scolaire pour les enfants, les parents, les profs ce n’est pas un mythe… Il faudrait parler de l’ennui… on s’ennuie terriblement en cours, souvent on se demande ce qu’on fait là… et on attend que l’heure passe. Ce sont de véritables traumatismes qui sont vécus par un grand nombre d’élèves. Pour certains d’entre eux, une vie entière n’est pas suffisante pour s’en remettre tout à fait… l’émotion reste vive quand on en parle. Franchement est-ce qu’on émancipe quelqu’un en le mettant de force assis des heures sur une chaise, alors que les enfants vivants ne demandent qu’à bouger ? Est-ce qu’on émancipe quelqu’un en le maintenant dans des groupes d’une même classe d’âge avec des professeurs fatigués quand ils ne sont pas aigris ? Est-ce qu’on émancipe quelqu’un en le forçant à accepter un savoir découpé en tranches et devant incessamment être évalué de façon … archaïque … et inintelligente pour le moins et bien plus au service de l’institution que de l’élève.
Faux combats
Avec ce nouvel épisode nous sommes une fois de plus meurtris par les coups distribués lors des faux combats pour l’éducation. Ces syndicats et ces associations se rengorgent des mêmes mots depuis des générations et depuis des générations on rabâche « Gratuite, laïque et obligatoire » sauf que c’est de l’instruction dont il s’agit et pas de l’école. Le grand truc c’est toujours d’opposer le « public » au « privé ». Comme on dirait : « le bien contre le mal ». Comme c’est simple d’un côté une école pour tous, haut lieu d’égalité, à l’abri de toute idéologie et de l’autre une école réservée aux riches… sauf que ce n’est pas du tout ça la réalité du terrain. J’ai rencontré une mère en dessous du seuil de pauvreté mettant sa fille dans une école associative et payant près de 200 € tous les mois pour cela… Le coût d’un élève de l’ENA … la reine des écoles publiques, non ? C’est 90 000 € par élève et par an … pour des élèves appartenant pratiquement tous à la tranche la plus élevée de la société française en terme économique et de culture. Drôle d’idée de la justice. Que font ces organisations contre le fait que la France soit connue comme une championne pour avoir une école très au point pour reproduire les inégalités sociales ? Les créatrices et créateurs d’écoles associatives peuvent aussi être des militants de l’éducation. Évitons de mettre tout le monde dans le même sac, il y a celles et ceux qui créent des écoles pour se faire de l’argent et il y a celles et ceux qui, véritables militants de l’éducation, créent des écoles pour le bien être des enfants. Elles et ils inventent l’école de demain.
Les vrais combats
Ils sont si nombreux les combats pourtant … il y a tant à faire pour l’éducation. Le combat d’aujourd’hui c’est de rendre l’école bienveillante… juste un endroit où les enfants soient heureux d’aller et pas seulement pour retrouver leurs copains et copines… un lieu où ils sont heureux de retrouver des adultes qui partageront avec eux des savoirs, savoir-faire, savoir-être, savoir-devenir. Un endroit où ils peuvent bouger et parler. Pour cela la vie des écoles doit reposer sur la dynamique créée par une équipe pédagogique communicante et soudée. Pour cela il faut mettre les enfants à l’abri des devoirs à la maison et du trop d’évaluation. Le vrai combat c’est d’accueillir enfin les parents dans l’enceinte scolaire pour un vrai travail en commun entre les parents et les enseignants, c’est si évident... ce que font les écoles associatives. Le combat c’est de pouvoir respecter les rythmes des enfants et en particulier leur sommeil, éviter de les mettre trop longtemps sur les routes dans des bus. Le vrai combat c’est de leur proposer une nourriture saine à la cantine. Le combat c’est d’offrir aux enfants toutes les semaines au moins deux ou trois fois, des vraies expériences de nature lors desquelles ils pourront marcher en forêt, découvrir la vie des ruisseaux, grimper aux arbres, faire des cabanes… le vrai combat de l’école c’est de mettre les enfants à l’abri des écrans, c’est de les aider à coopérer, c’est de leur faire vivre la démocratie en tenant un conseil toutes les semaines, le vrai combat c’est de remettre en question ces groupes par classe d’âge si contre nature… Le vrai combat c’est qu’en France, enfin l’enseignement s’ouvre à l’écologie … une science devenant un peu plus vitale tous les jours et tellement ignorée des français. Le vrai combat c’est d’ouvrir l’école sur le quartier ou le village en l’ouvrant aux habitants qui ont tant à apporter. Et puis ces syndicats et ces associations ils trouvent ça bien que les classes vertes et camps de vacances disparaissent, que de plus en plus de jeunes profs démissionnent, que les profs français aient des salaires de misère en comparaison des luxembourgeois, des allemands, des hollandais, des espagnols, des suisses, des portugais…Ils trouvent ça bien que les inscriptions dans les facs soient de plus en plus chères. Elles trouvent ça bien ces organisations – toutes vouées à la jeunesse – que les jeunes soient condamnés à faire le Service National Universel … qui du coup semble bien être à l’opposé de la joie et de l’émancipation. Nous, celles et ceux ayant la vocation pour l’éducation et pour l’enfance, avons tant de combats à mener ensemble.
Ils vont, hélas, dans le sens de la politique de Blanquer.
Comment comprendre que des organisations dites de « gauche » aillent ainsi dans le sens d’un ministre de droite, ancien serviteur zélé de Sarkozy à la direction des affaires scolaires… Il y a là de quoi étonner. Sont-ils déboussolés ou quoi ? Comment comprendre cela ? Alors que tant de familles sont avec la loi sur le séparatisme en pleine alerte avec ce qui ressemble à la suppression du droit d’instruire en famille et que créer une école associative devient au fil des ans de plus en plus un parcours du combattant. Ces organisations militent visiblement pour moins de liberté…Incompréhensible !
Parlons de la « fuite scolaire » c’est peut-être le vrai sujet ?
Et si le vrai problème pour ces organisations et dont la motion ne parle pas était la fuite scolaire ? Deux jours après cette malheureuse conférence de presse le SNUIPP-FSU publiait une vidéo sur la résistance de la population contre les fermetures de classes dans les écoles rurales. Il y a ce passage dans la motion qui pourrait nous mettre la puce à l’oreille « … la progression des effectifs de l’école Steiner de Bagnères inquiète… ». Si on s’en tient aux considérations de qualité d’enseignement ou d’éthique mises en avant « … la puissance publique ne peut laisser des enfants être instruits en deçà des standards éducatifs ou être en proie à des idéologies délétères… » Si ces écoles sont mauvaises en soi, ce qui est clairement suggéré dans la motion, alors qu’est-ce que vient faire ici la question de « l’effectif » ? Un seul enfant en danger devrait alerter tout autant que dix, non ? Autre indice « … Les écoles proposant des pédagogies dites « alternatives » séduisent de plus en plus de parents… » Oui c’est la réalité les écoles mettant en avant le dialogue avec les parents, le travail en équipe, la bienveillance, la nature, la coopération, le droit de bouger, la démocratie dans la classe, le multi âge… séduisent et les écoles qui ne fonctionnent pas selon ces principes séduisent de moins en moins… c’est la réalité, pas facile de trouver des données, mais il y a une fuite scolaire de plus en plus importante dans notre pays. C’est un très triste constat mais de plus en plus de français cherchent autre chose comme école pour leurs enfants que ce que propose l’école publique… d’où l’importance vitale pour notre système éducatif national de se poser les vraies questions maintenant … se poser la question des vrais combats. Encore un indice c’est la petite incise sur l’Instruction en famille : « La transparence doit être établie sur les dysfonctionnements observés dans les établissements hors-contrat et l’instruction à domicile … » le point commun c’est encore que plus il y aura d’enfants dans l’IEF et moins les classes du public seront pleines.
Dialoguons et agissons ensemble contre une école anxiogène
Des enfants heureux à l’école, des familles chaleureusement accueillies par des équipes enseignantes motivées, respectées, correctement payées, des habitants concernés par le projet éducatif du territoire, une large place donnée à la nature dans la vie des enfants… on ne va pas refaire la liste… Notre ministère de l’Éducation nationale est en échec, le système éducatif français est à revoir de fond en comble… c’est ça la réalité. Si aujourd’hui certains enfants jouissent d’une nourriture saine à la cantine, nous le devons aux acteurs locaux et en aucun cas à la rue de Grenelle… si nous voulons que nos enfants connaissent la même qualité pour la nourriture de l’esprit alors parlons-nous dans les territoires… faisons ensemble sans en référer à de supposées instances supérieures… elles sont perdues. Dans tous les domaines, elles sont perdues et tellement clairement sur la question éducative. D’ailleurs quand on veut du changement pour l’école maintenant ce n’est même plus au ministre qu’on s’adresse, on n’y croit plus, mais aux maires. Le 19 février « Libération » faisait paraître une tribune « maires aidez-nous à sortir les enfants pour leur bien-être et le nôtre » et une pétition circule, et si il était là le combat.
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