Et si le rêve se réalisait... !
Le professeur Khalifa Chater essaie de prendre la mesure de cette amorce de dialogue entre les USA et l’Iran. En dépit de positions irréductibles, il fait le rêve d’un scénario de fin de crise.
« Entre Washington et Téhéran, la poste fonctionne ». Ainsi saluait, le 1er juin dernier, Alain Campiotti, rédacteur au journal suisse, Le Temps, l’envoi, le 8 mai, par Mahmoud Ahmadinejad, le président de la République iranienne, d’une lettre de dix-huit pages au président américain, George Bush. Après une déclaration immédiate de non-réponse du destinataire à son protagoniste, « le courrier est parti dans l’autre sens », Condoleezza Rice, la secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères américaine, ayant annoncé, le 31 mai, que les Etats-Unis sont désormais prêts à se joindre aux négociations entre les Européens et l’Iran, transgressant ainsi la décision américaine de ne point négocier directement avec la République islamique. Faut-il accorder de l’importance aux postulats conditionnels mis en avant par l’Iran et les Etats-Unis ? Pour ménager leurs opinions publiques, expliquer une révision d’une politique de cette envergure, les acteurs ne peuvent occulter facilement les référentiels de leurs contentieux et leur culpabilisation réciproque. Certes, l’Iran et les USA assortissent l’ouverture de leurs dialogues de conditions sine qua non, relatives à la suspension des activités d’enrichissement d’uranium, tout en rejetant toutes conditions préalables. « Le virage » est, en effet, difficile à prendre. Mais, les deux partenaire se placent déjà dans une position de négociation.
Il faudrait donc prendre la juste mesure de l’événement. Depuis l’accès au pouvoir de Khomeini et la prise comme otages des membres de l’ambassade américaine à Téhéran, qui s’ensuivit, il y a déjà vingt-cinq ans, les relations américano-iraniennes étaient conflictuelles. C’est le moins qu’on puisse dire. Les deux Etats se diabolisaient avec véhémence. L’élection du président Khatimi a été une éclaircie de courte durée, sans effet notable sur le cours des événements. La marge de manœuvre d’un réformateur modéré - modéré dans sa politique, mais, fait plus important, modéré dans sa conception des réformes - ne pouvait que susciter des malentendus et alimenter des surenchères, puisque le président de la République iranienne est soumis à l’autorité du Guide suprême, responsable de la supervision des "politiques générales de la République islamique d’Iran". La nouvelle conjoncture politique iranienne, qui réalise désormais la symbiose entre le guide et le président, est plus à même d’assumer les choix, sans craindre des démentis, des critiques ou des mises en cause, à l’exception des partages diplomatiques de rôles que s’assignent, d’un commun accord, les acteurs. Aux Etats-Unis, l’opinion publique ne pouvait que s’accommoder d’une modération de la stratégie américaine, révisant l’option guerrière, mise à rude épreuve par les guerres d’Afghanistan et d’Irak. Une « paix des braves » ne pouvait que faire le bonheur de tous, et en premier lieu celui des peuples américain et iranien.
Le fossé est cependant très grand entre les discours fondateurs des deux protagonistes et la lecture différentielle des questions d’actualité, au Moyen-Orient, dans le Golfe et les républiques asiatiques de l’ex-URSS. L’Iran conteste évidemment la politique américaine du « Grand Moyen-Orient » et voit d’un mauvais oeil l’occupation de l’Irak et les effets de la diplomatie pétrolière. Pour les USA, le contentieux avec le régime iranien est désormais focalisé sur la décision annoncée du président Ahmadinejad d’entrer dans le concert des puissances nucléaires, ne fût-ce qu’en limitant les ambitions du pays à son usage civil et énergétique. Les Etats-Unis et les pays européens membres permanents du Conseil de sécurité, rejoints par l’Allemagne, s’opposent à la politique nucléaire iranienne, estimant qu’elle constitue une menace. Mais des arguments objectifs militent pour une sortie de crise et peut être, pourquoi pas, pour un rapprochement des points de vue. L’Irak est un enjeu stratégique, pour les deux pays, à savoir les USA et l’Iran. Le problème du ravitaillement pétrolier, ainsi que la définition d’un nouvel ordre, sinon la restructuration des alliances, favoriseraient la mise en œuvre d’une politique de coexistence, sinon de coopération. Qui peut se permettre d’ignorer les importants acteurs sur le terrain, dans cette conjoncture de montée des périls ?
Il faut donc concilier, pour conjurer les démons guerriers, prévenir de nouvelles tragédies humaines, les positions qui semblent, a priori, irréductibles. Est-ce que la mise sur pied d’une coopération, pour l’utilisation de l’énergie nucléaire par l’Iran, sous l’égide de l’ONU, par exemple, est en mesure de résoudre la question ? Quant au danger de la prolifération, ne peut-il pas être écarté par une « dénucléarisation de l’ensemble de l’aire moyen-orientale, mesure qui accréditerait l’establishment onusien et les membres occidentaux du Conseil de sécurité, en démentant, par les actes, la politique de "deux poids, deux mesures" ? Une telle politique serait confortée par un traitement courageux de la question palestinienne, pour créer un climat d’apaisement général, au profit de tous.
L’amorce d’une reprise du dialogue, sinon d’une désescalade, nous incite à faire un rêve, pour construire le Moyen-Orient de la paix, de la lucidité et de l’entente. Nous ne sommes, certes, qu’au début d’un chemin, qui reste parsemé d’embûches. Mais si le rêve, en dépit de tout, pouvait se réaliser ! L’humanité retrouverait alors, par ce retour aux normes, son humanisme.
Professeur Khalifa Chate
Vice-Président de l’Association des études internationales, Tunis
30 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON